1
INTRODUCTION GENERALE
1. PROBLEMATIQUE
Au lendemain de la révolution française de 1789,
il s'est développé un esprit entièrement nouveau des
droits de l'homme1. A cet effet, plusieurs conventions
internationales tant africaines, européennes qu'universelles ont
été signées pour en assurer le respect2.
Le droit positif congolais s'est fortement investi dans la
garantie du respect des droits fondamentaux en consacrant tout un titre y
relatif, dans les articulations de la constitution notamment le
deuxième, définissant expressis verbis les droits humains,
libertés fondamentales ainsi que les devoirs du citoyen et de
l'Etat3, dont les droits économiques, sociaux et culturels,
parmi lesquels on trouve le droit d'investissements privés,
équivalant à la liberté d'entreprendre du droit
français, ce droit est le plus indispensable pour le
développement économique d'une société aussi
moderne que la R.D.C organisée en Etat de droit.
Le droit positif congolais a d'ailleurs posé une
obligation de portée constitutionnelle, pour l'Etat d'encourager et de
veiller à la sécurité des investissements privés,
nationaux et étrangers4. Ce qui suppose qu'il doit en
garantir l'exercice, parce que la reconnaissance d'un droit à
l'échèle fondamental dans la constitution au sens de l'article
34, ne suffit pas en elle-même, mais il faut de surcroît en
prévoir des institutions particulières5 pour en
assurer la protection.
Il importe de noter que les droits et libertés
fondamentaux étant nombreux, nous ne pouvons pas prétendre les
analyser tous, et encore moins toutes les atteintes y relatives.
1 Déclaration des droits de l'homme et du
citoyen de 1789.
2 Le 5e alinéa du Préambule de la
Déclaration universelle de décembre 1948 des droit de l'homme ne
s'en tient pas à une seule appellation et vise les « droits
fondamentaux de l'homme », tandis que le 6e alinéa mentionne
l'engagement des États membres des Nations unies en faveur du «
respect universel et effectif des droits de l'homme et des libertés
fondamentales. » (C'est nous qui soulignons). Lire aussi le Pacte
international relatif aux droits civils et politiques, New
York, 16 décembre 1966.
3Lire le deuxième titre de la
Constitution du 18 février 2006, J.O RDC, n°
spécial du 18 février 2006.
4 Lire le 3ème alinéa de
l'article 34 de la constitution du 18 février 2006, J.O RDC,
n° spécial du 18 février 2006.
5 Patrice ROLLAND, Droits fondamentaux, Dijon, EUD,
décembre 2003, p.179.
2
Mais, nous focaliserons nos recherches sur le fondement
d'atteintes portées à l'exercice du droit d'investissement
privé ou encore mieux la liberté d'entreprendre dans la ville de
Goma, qui non plus, n'a pas échappé à diverses atteintes
par le pouvoir public.
Le choix de notre thème a été
dicté par l'observation faite sur le problème qui se pose
lorsqu'il s'agit pour le Ministère public d'opérer un choix entre
le respect des droits et libertés fondamentaux des personnes et le
maintien de l'ordre public, alors que juridiquement parlant, la
consécration et le respect des droits et libertés fondamentaux,
nous permettent d'envisager la République Démocratique du Congo
via son texte constitutif, comme un Etat de droit mais alors dans sa dimension
substantielle6.
Les questions que nous formulons en terme de problème
de ce travail, sont celles ayant principalement trait à la collision
entre le respect des droits et libertés fondamentaux et le souci du
maintien de l'ordre public et la sureté de l'Etat qui se
présentent sous deux aspects :
Le premier aspect se rapporte à la question relative
aux garanties de valeur constitutionnelle du droit d'investissement ou de la
liberté d'entreprendre. En effet, compte tenu du fait que les droits
fondamentaux étaient reconnus aux personnes physiques et morales par des
textes et normes supra législatifs comme des "permissions" opposables
aux prérogatives des trois pouvoirs (législatif, exécutif
et judiciaire) et même à celles des institutions
supranationales7. Soulignons qu'à ce sujet, le constituant
congolais en institue un garant incontestable notamment le pouvoir
judiciaire8. De ce qui précède, il y a lieu de
déduire que le droit positif congolais fait figure de garantie
suffisante à l'exercice des droits et libertés fondamentaux en
général, et plus particulièrement du droit
d'investissement privé ou de la liberté d'entreprendre.
Néanmoins nous nous posons alors la question de savoir, ce que serait la
portée de cette garantie vis-à-vis des mesures relatives à
la restriction de l'exercice de ce droit d'investissement privé ou de la
liberté d'entreprendre en droit positif congolais ?
Le second aspect quant à lui, se rapporte à la
question relative à la légitimité d'atteintes
portées à l'exercice du droit d'investissement privé ou
mieux de la liberté d'entreprendre en droit positif congolais.
Aujourd'hui, bien d'États considérés comme
6 Dans son approche approfondie, il
établit deux dimensions pour l'Etat de droit en insistant sur l'Etat de
droit substantiel dans lequel l'accent est mis sur le respect de principes et
valeurs fondamentaux notamment les droits de l'homme et les libertés
publiques. Voir. NTUMBA LUABA LUMU., Droit constitutionnel
général, Kinshasa, P.U.A, 2005, p.58.
7 L. FAVOREU, Droit des
libertés fondamentales, Paris, 2ème
édition, Dalloz, 2002, p. 2.
8 Voir l'alinéa 1èr de
l'article 150 de la constitution du 18 février 2006,
J.O RDC, n° spécial du 18 février 2006.
3
démocratiques notamment la République
Démocratique du Congo, n'hésitent pas de mettre en jeu leur
statut d'Etat de droit, en suspendant l'application du droit commun pour des
raisons d'ordre public. Or l'Etat de droit, se définit par deux
éléments fondamentaux : la séparation et
l'équilibre des pouvoirs d'une part, le respect des droits et
libertés fondamentaux9 notamment le droit d'investissement
privé ou la liberté d'entreprendre d'autre part.
Cependant, si ces exigences peuvent être remises en
cause, à la suite des soucis d'ordre public dont l'une de
conséquence majeure sur la vie économique et sociale, est
l'atteinte grave à l'exercice du droit d'investir ou à la
liberté d'entreprendre d'un particulier10, mais aussi le
droit pour la personne d'être entendu aussi tôt par le juge,
qu'est-ce qui justifierait cette atteinte, portée à l'exercice du
droit d'investissement privé ou mieux, qu'en serait-il le fondement en
droit positif congolais?
9 NTUMBA LUABA LUMU.,
Op.cit, p.58.
10 Illustrons à titre d'exemple le cas de la
fermeture de la Société Kivu market sous le R.I.N 11591/R.M.P
5054/P.G 024/TM/012 : notons que cette société est scellée
sous le numéro sus évoqué tout simplement parce que le
gérant est inculpé pour atteintes à la sureté
intérieure de l'Etat, fait prévu et réprimé par
l'article 195 du code pénal livre II. Il relève de ce
numéro de registre d'informations que le sieur BILAL ABDUL BAKRI
gérant de ladite société, appuierait et motiverait sur le
plan financier la rébellion du M23, mais de son arrestation, il s'est
suivi la mesure du scellage de la société. Alors que
juridiquement parlant, Kivu market jouit d'une personnalité juridique
distincte de celle du gérant et même du propriétaire ou de
ses associés et encore que le droit positif congolais consacre le
principe fondamental selon lequel « la responsabilité
pénale est individuelle. Nul ne peut être poursuivi,
arrêté, détenu ou condamné pour fait d'autrui
» tel est l'esprit et la volonté du constituant
congolais exprimés dans le prescrit de l'article 17, alinéa 7 de
la constitution du 18 février 2006. Ainsi, de ce qui
précède, nous pouvons nous interroger sur la
légalité de cet acte de fermeture de la société
depuis le 4 juillet 2013 jusqu'à nos jours ou encore mieux, si ce n'est
pas un abus de pouvoir voilé dans la mission du maintien de l'ordre
public.
4
2. HYPOTHESES
Nous pensons, que la promotion du contexte
général socio-politique et économique de la R.D.C, reste
calquée sur l'encouragement de l'Etat et la sécurité de
tout porteur de projet économique,11 et c'est ce qui nous
permet d'envisager la loi congolaise en matière d'investissements
privés, comme la plus efficace dans la mesure où, ladite loi
reconnaitrait un certain nombre de garanties12 aux investisseurs ou
entrepreneurs.
En effet, le législateur congolais cherche à
accorder à chaque particulier, la chance et le goût d'investir au
Congo en posant dans le code des investissements et code de commerce des
dispositions purement attractives et incitatives pour tout investisseur, tant
national qu'étranger. C'est pourquoi, comme tout sujet de droit national
ou étranger soit-il, dispose d'un certain nombre des garanties,
notamment les garanties juridictionnelles pour le rétablissement de sa
personne dans ses droits, chaque fois qu'il est arbitrairement indexé.
La portée de garanties judiciaires à l'exercice du droit
d'investissement privé comme pour tout autre droit fondamental, serait
d'annuler les actes de la puissance publique dont le ministère public ;
lesquels, comportent des mesures arbitraires13 entreprises à
l'égard de l'entrepreneur par voie de fait.
En revanche, si après informations fournies aux
investigations faites, l'organe poursuivant de l'appareil judiciaire a
constaté que l'exercice du droit d'investissement en question, est
censée entamer la sécurité publique de l'Etat en lui
faisant courir un danger, ou encore mieux si l'entrepreneur ( personne physique
ou personne morale, éventuellement la Société Kivu
market), voilait sa dangerosité à la sureté
intérieure de l'Etat par l'exercice d'une activité lucrative ; et
que la continuité de son droit d'investissement fondé sur le
principe de la liberté d'entreprendre, entraverait l'ordre
public par attentat dont le but aura été soit de détruire
ou de changer le régime constitutionnel, soit d'exciter les citoyens ou
habitants à s'armer contre l'autorité de l'État ou
à s'armer les uns contre les autres, soit de porter atteinte à
l'intégrité du territoire national14, il
procéderait par mesure préventive au scellage de l'entreprise
comme il procéderait à l'arrestation puis détention
préventive d'une
11 Le 3ème alinéa de
l'article 34 de la constitution du 18.fevrier.2006 responsabilise l'Etat
d'encourage et de veiller à la sécurité des
investissements privés, nationaux et étrangers.
12 Lire le deuxième alinéa de
l'article 1èr de la Loi n°004/2002 du 21 février 2002
portant code des investissements.
13 Conseil constitutionnel, Décision n°
99-423 DC du 13 janvier 2000, p.3.
14 Fait prévu et puni par l'article 195 Décret
du 30janvier 1940 portant code pénal congolais tel que modifié
jusqu'au 31 décembre 2009 et ses dispositions complémentaires,
47ème année, J.O. RDC, n°
spécial, décembre 2009.
5
personne physique, auteur d'une infraction dans le but de
soustraire l'Etat, de la personne dangereuse en rétablissant l'ordre
troublé15, mais à première vue suivant le R.I.N
11591/R.M.P 5054/P.G 024/TM/012 la poursuite est dirigée contre le sieur
BILAL ABDUL.
Dans pareille situation, on ne saurait justifier autrement les
atteintes portées à l'exercice du droit d'investissement pour la
Société Kivu market par la mesure de scellage, sur base des
poursuites pénales contre le gérant de l'entreprise (bien qu'en
droit, la responsabilité de celle-ci est engagée chaque fois
qu'agit son représentant mais encore faudrait-il que ce soit dans son
intérêt. Si on évoquait la théorie des actes
détachables, elle nous conduirait à en établir bien que
difficilement un lien de causalité entre le comportement du
représentant consistant dans les faits pénaux lui
reprochés avec l'activité de l'entreprise16, à
savoir dans le cas d'espèce la société Kivu market
S.P.R.L.,) que pour de raisons d'ordre public. Car, bien qu'il ressorte de la
protection supra législative, notamment constitutionnelle, mais il
s'avère important de noter que la reconnaissance d'un droit à
l'échèle fondamental ne se traduirait pas, par suppression de
tout pouvoir public au profit de son libre exercice.
Surtout que le conseil constitutionnel français, dans
une de ses décisions avait précisé que la liberté
d'entreprendre équivalant au droit d'investissement congolais ; n'est ni
générale, ni absolue et que seules les restrictions arbitraires,
sont susceptibles d'annulation. Il y a lieu de déduire que les
restrictions légitimes portées à l'exercice du droit
d'investissement seraient les seules admises17.
Cependant, on ne saurait prétendre affirmer que le
droit d'investissement bien que reconnu au rang constitutionnel, est absolu
mais bien relatif18, dès lors que le législateur
dispose des larges pouvoirs des restrictions, au motif d'intérêt
général19.
15 A la caute 5 du RMP5054/P.G 024/TM/012 relatif
à l'affaire BILAL ABDUL BAKRI gérant de la dite
société Kivu market, le ministère public fustige que s'il
laissait la société jouir de la liberté d'entreprendre et
se limiter à la seule arrestation de l'inculpé sieur BILAL, Kivu
market continuerait de soutenir la rébellion du m23, en ce que la
Société Kivu market, constitue son unique et principale source
des revenus. Ce qui à juste titre, parait une simple suspicion et qui
reste à vérifier.
16 La responsabilité
pénale est individuelle. Nul ne peut être poursuivi,
arrêté, détenu ou condamné pour fait d'autrui.
Précise, l'article 17 de la constitution du 18 février 2006,
J.O RDC, n° spécial du 18 février 2006 dans
ses dispositions.
17 Considérant, qu'il serait loisible
au législateur d'apporter à la liberté d'entreprendre, qui
découle de l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et
du citoyen de 1789, les limitations justifiées par
l'intérêt général ou liées à des
exigences constitutionnelles, à la condition que les dites limitations
n'aient pas pour conséquence d'en dénaturer la portée.
Conseil constitutionnel Français,
précité, p.3.
18 Compte tenu du caractère relatif du droit
d'investissement privé, l'on ne pourrait prétendre soutenir que
ce serait un droit intangible. Bien que relève-t-il de la constitution,
parce que même si nous interrogions la loi fondamentale elle- même,
nous constaterions qu'il n'est pas repris parmi les droits intangibles
(Article 61 de la constitution du 18 Février 2006,
J.O RDC, n° spécial du 18 février
2006 dispose : « En aucun cas, et même lorsque l'état de
siège ou l'état d'urgence aura été proclamé
conformément aux articles 85 et 86 de la présente Constitution,
il ne peut être dérogé aux droits et principes fondamentaux
énumérés ci-après : le droit à la vie ;
6
Le fondement d'attenter au droit d'investissement privé
ou mieux de la liberté d'entreprendre serait donc, cette
nécessité de sauvegarder l'ordre public20 et d'en
rétablir dans toutes ses dimensions, sur le territoire national de la
République, dans le but d'y exercer l'autorité de l'Etat de
manière effective.
3. CHOIX ET INTERET DU SUJET
L'intérêt de notre travail intitulé
du fondement des atteintes aux droits et libertés
fondamentaux en droit positif congolais : cas du droit
d'investissement privé à Goma s'apprécie
principalement sur deux plans, notamment le plan pratique et le plan
scientifique. Sur le plan pratique, il est demandé au pouvoir judiciaire
de garantir le respect, la protection et le cas échéant
sauvegarder les droits et libertés fondamentaux indispensables pour tout
épanouissement des sujets de droit21. Et sur le plan
scientifique, nous constatons que le pouvoir judiciaire dispose d'une mission
ambivalente en ce qu'il lui est demandé de garantir le respect des
droits et libertés fondamentaux d'une part, et d'autre part, il lui est
également confié la charge du maintien de l'ordre public dont la
sauvegarde et le rétablissement ne s'opèrent guère sans
violations de certains droits et libertés fondamentaux notamment le
droit d'investissement que nous soutenons en ce que dans certaines
circonstances, les libertés peuvent être limitées pour
sauvegarder l'ordre public. Mais à notre juste valeur, pensons qu'il
serait judicieux que le législateur congolais puisse opérer la
conciliation nécessaire entre le respect des droits et libertés
fondamentaux dont le droit d'investissement et la sauvegarde de l'ordre public
sans lequel l'exercice des libertés ne saurait être assuré
dans le cadre de l'évolution scientifique.
l'interdiction de la torture et des peines ou traitements
cruels, inhumains ou dégradants ; l'interdiction de l'esclavage et de la
servitude ; le principe de la légalité des infractions et des
peines ; les droits de la défense et le droit de recours ;
l'interdiction de l'emprisonnement pour dettes ; la liberté de
pensée, de conscience et de religion), encore que le législateur
dispose des larges manoeuvres de restrictions. »
19 Conseil d'État
français, Rapport public 1999. Jurisprudence et avis de 1998.
L'intérêt général, La Documentation
française, 1999, p. 245.
20 Article 6 de l'Ordonnance-Loi
82-020 portant Code de l'organisation et de la compétence judiciaires.
(J.O.Z., no7, 1er avril 1982.
21 Voir la Constitution du 18 février 2006
tel que modifié par l'article 1er de la Loi n° 11/002 du 20
janvier 2011 portant révision de certains articles de la Constitution de
la République Démocratique du Congo qui dispose à son
article 150 que le « pouvoir judiciaire est le garant des libertés
individuelles et des droits fondamentaux des citoyens ».
7
4. METHODES ET TECHNIQUES DE RECHERCHES
Il n'existe pas de façon uniforme de penser en droit,
bien au contraire. Comme l'explique le professeur JAMIN dans la logique d'un
ouvrage dont il est le co-rédacteur22, « la
manière de raisonner des juristes » constitue un modèle qui
a pu changer et qui, de toute façon, n'est pas universel23.
D'ailleurs, la doctrine française n'a pas toujours cherché
à systématiser la jurisprudence pour y découvrir, par
induction, « les quelques principes censés gouverner la
totalité du système juridique ». Au contraire, elle a pu
s'inspirer de la démarche déductive allemande, puis se rapprocher
de la méthodologie anglo-saxonne de la Case Law. Sans rentrer
dans les détails justificatifs d'un tel état de fait, nous
pouvons simplement constater que se dégagent plusieurs façons de
penser le droit qui structurent différemment les réflexes du
juriste. Dès lors, on peut considérer qu'il existe autant
d'approches possibles qu'il existe de systèmes juridiques. Or, dans le
contexte de la recherche du fondement des atteintes aux droits et
libertés fondamentaux, il pourrait être une grande faute de notre
part d'appréhender une seule façon de raisonner sur les atteintes
portées sur le droit d'investissement en droit positif congolais. C'est
pourquoi dans notre modestie d'élaboration de ce travail, nous faisons
recours à des méthodes et technique suivantes :
? Méthode exégétique : pour essayer de
comprendre la valeur intrinsèque que le législateur a
attribuée aux dispositions légales ainsi que le sens lui
accordé par d'autres chercheurs.
? Méthode comparative : nous n'utiliserons pas cette
méthode que pour mettre côte à côte, le droit positif
congolais avec le droit comparé. Mais bien plus, pour faire un
aperçu comparatif du droit congolais en matière de garanties
juridictionnelles aux droits et libertés fondamentaux dont le droit
d'investissement privé sans laisser passer la légitimité
des atteintes portées à son exercice, dans d'autres
systèmes juridiques ou mieux en droit comparé, et montrer en quoi
c'est différent par un effort de coordination et
d'interprétation.
? Technique documentaire : pour la consultation des documents
officiels tels que le registre du Ministère public notamment celui du
Parquet Général après celui de la police nationale ainsi
que celui du Tribunal de grande instance, ayant déjà
22 C. JAMIN et P. JESTAZ, La
doctrine, Paris, Dalloz, 2004, p. 314.
23 C. JAMIN, « Un modèle
original : la construction de la pensée juridique française
», Bulletin d'information de
la Cour de cassation (BICC), n° 596, 15 avril
2004, disponible sur Internet via le site de la Cour de cassation
française :
http://www.courdecassation.fr/_BICC/bicc.htm
consulté le 15 .Avril. 2014.
8
enregistré certains cas d'atteintes à l'exercice du
droit d'investissement valant à la liberté d'entreprendre
justifiés pour motif d'ordre public.
5. DELIMITATION DU SUJET
L'articulation de nos deux postulats met en exergue certes la
difficulté mais la nécessité impérieuse de
s'extraire des préalables nationaux pour apprécier en
lui-même le droit d'investissement privé à titre du droit
fondamental; l'intégrité de l'analyse en dépend. Une fois
les réflexes dénoncés et la démarche
méthodologique posée, encore faut-il déterminer l'objet de
la recherche portant sur le fondement d'atteintes aux droits fondamentaux en
droit positif congolais. Pour ce faire, une approche concrètement
analytique des termes de notre problématique permettra de mieux
préciser notre propos qu'il s'agit de trouver la
légitimité d'une restriction à l'exercice du droit
d'investissement privé dans le cadre de nos recherches qui se limitent
dans la circonscription de la ville de Goma et cela pour l'édition
2013-2014.
6. SUBDIVISION DU TRAVAIL
Ce travail, sujet de nos recherches, outre l'introduction et
la conclusion, s'articule autour de la réflexion sur les garanties
judiciaires à l'exercice du droit d'investissement privé ou de la
liberté d'entreprendre (chapitre 1èr), tout en insistant sur leur
portée protectrice vis-à-vis des pouvoirs publics (section
1ère) sans oublier d'établir la responsabilité
de l'Etat congolais, du fait des actes de police judiciaire attentant à
l'exercice du droit d'investissement privé ( section
2ème) et de la nécessité de restreindre
l'exercice de ce droit fondamental en droit positif congolais : droit
d'investissement privé (chapitre 2ème). Dans ce second
chapitre, nous tacherons d'analyser la légitimité des mesures de
restriction portée à l'exercice du droit d'investissement
privé (section 1ère) en tant que droit fondamental,
tout en y dégageant les hypothèses soutenant
l'irresponsabilité de l'Etat (section 2ème).
9
Chapitre.1. DES GARANTIES A L'EXERCICE DU DROIT
D'INVESTISSEMENT PRIVE
Le «constitutionnel» est en train de colorer
progressivement l'ensemble des branches du droit.»24. C'est en
des termes similaires que pourrait être aujourd'hui décrit le
« processus de fondamentalisation du droit » tant il est
vrai que le « fondamental » fait partie du raisonnement du juge quel
qu'il soit : administratif ou judiciaire25.
En effet, il sera essentiellement aisé de
présenter les garanties à juridiques relatives à
l'exercice du droit d'investissement privé en droit positif congolais,
tout en dégageant leur portée protectrice vis-à-vis des
pouvoirs publics (section 1ère), et en précisant
l'optique dans laquelle peut être établie la responsabilité
de l'Etat congolais, du fait des actes du Ministère public et de police
judiciaire, attentatoire à l'exercice du droit d'investissement
privé en droit positif congolais ( section 2ème).
Section 1ère. Des garanties juridiques à
l'exercice du droit d'investissement privé: liberté
d'entreprendre
Le droit d'investissement privé, l'un de droits
fondamentaux, tenons à souligner qu'il est un droit, ne figurant pas sur
la liste des droits et libertés fondamentaux intangibles au sens de
l'article 61 de la constitution.
Cela prouve à suffisance, qu'il revêt un
caractère relatif ; et serait-il ainsi, placé à la
portée des diverses restrictions abusives par diligence des pouvoirs
publics. C'est pourquoi, il s'avère important d'appesantir notre
attention, sur le degré des garanties que le législateur
congolais a pris soin d'apporter à l'exercice du droit d'investissement
privé fondé sur la liberté d'entreprendre (§.1) ;
sans oublier de présenter de manière accentuée, le
rôle prépondérant que le juge congolais doit jouer, en
matière de protection de l'exercice du droit d'investissement
privé comme un des droits et libertés fondamentaux, à
titre de gardien des droits et libertés fondamentaux (§.2) contre
l'arbitraire des pouvoirs publics.
24 L.FAVOREU, « L'influence de
la jurisprudence du Conseil constitutionnel sur les diverses branches du droit
», Paris, Economica, 1982,. p.244.
25 Ibidem.
10
§.1. Des garanties légales au droit
d'investissement privé
Pour ce qui est des garanties légales accordées
à l'exercice du droit d'investissement privé, il sera
intéressant, de souligner d'abord, qu'il s'agit plus des garanties
protectrices offertes par le constituant congolais, tendant à des
obligations administratives, comme les devoirs sacrés de
l'Administration Publique.
En effet, s'agissant de la protection administrative à
l'exercice du droit d'investissement privé, il est important de savoir
que l'intérêt général exige d'abord, que les libres
initiatives des particuliers n'aillent pas jusqu'à compromettre l'ordre,
telle est la condition de toute vie en société26. Il
appartient donc à l'Etat de leur imposer les disciplines indispensables.
A cette fin, correspond l'exercice de la police administrative27.
Le pouvoir de police administrative, est confié
à certaines autorités administratives28 se
définissant ainsi, comme une forme d'intervention qu'exercent ces
autorités, mais consiste-t-elle, en vue d'assurer l'ordre public,
à des limitations à l'exercice des droits et libertés
fondamentaux à savoir dans le cas d'espèce, le droit
d'investissement privé ou la liberté d'entreprendre29.
Ce pouvoir, se justifie par la mission traditionnelle du Ministère de
l'intérieur, étant celle d'assurer le maintien effectif de
l'ordre public dans ces trois dimensions, notamment la sécurité,
la salubrité et la tranquillité publiques30sur le
territoire national, par le truchement des interventions de la Police nationale
en synergie avec la police judiciaire, voire même, celles du
Ministère Public sur injonction du Ministère de la Justice qui,
au sens de l'article 1er de la Loi n° 11/002 du 20 janvier 2011 portant
révision de certains articles notamment l'article 149 de la Constitution
de la République Démocratique du
26 Ubi societatis, ibi jus,
signifiant qu'il n'y a pas de société sans droit. Et pourtant, le
droit est l'ensemble des règles juridiques édictées par
l'autorité publique en vue de régir les rapports sociaux. I l
ressort de cette définition d'après le chef des travaux C.
KIBAMBI VAKE, in « Introduction générale au droit, Goma,
U.L.P.G.L, 2009-2010, p.5 » ; l'omniprésence des règles
juridiques dans toute société où, le droit domine tous les
aspects des rapports sociaux. Il en est ainsi d'une part, du respect des
principes fondamentaux énonçant l'exercice d'un droit fondamental
dans un Etat de droit dont la suprématie reste incarnée dans le
droit. D'autre part, nous devons comprendre ce principe, comme limite aux
divagations abusives des particuliers qui, jouissant de leur droit, en
profiteraient pour entraver l'ordre public dans sa dimension de
sécurité publique en situation des conflits armés.
27 L'ordre public est un motif
nécessaire et un but obligatoire de tout acte de police administrative
générale, sous peine d'annulation. Ainsi, tout acte de police
administrative doit être motivé et pas
stéréotypé (pas le droit de citer simplement le texte de
loi pour motiver : doit expliquer en quoi il y avait effectivement menace
d'atteinte à l'ordre public).
28 Voir les articles 10 et 60 du Décret-loi
n° du 02 juillet 1998, portant organisation territoriale de la
République Démocratique du Congo, selon lesquelles : le
Gouverneur de province et le maire de ville, veuillent au maintien de l'ordre
public le premier dans la province ; le second dans la ville.
29 A.LAUBADERE., J.C.VENEZA et Y.GAUDEMET., Droit
administratif, Paris, L.G.D.J., 1999.p.269.
30 Ibidem, p.270.
11
Congo, relève du Gouvernement plus
précisément du Ministère de la Justice et peut en
exécuter des ordres à titre d'injonction31. Ainsi,
pour faire coexister les libertés fondamentales et assurer l'ordre
public, l'Administration fait usage de techniques de déclaration,
d'autorisation et d'interdiction. Par la première, l'Administration
exige d'être informé pour l'exercice du droit d'investissement
privé ou mieux de la liberté d'entreprendre, comme pour
l'ouverture d'une entreprise ou société commerciale. Et par
autorisation, l'Administration, veut se rassurer que l'exercice de la
liberté d'entreprendre, se conforme aux exigences d'ordre public
c'est-à-dire qu'elle n'entraverait pas le droit d'autrui, et encore
moins, ne porterait pas atteinte à l'ordre public pour en fait, lui
garantir le libre exercice32. Toutefois, si la mesure de police
intervenue, bien que conservatoire soit-elle, répond à un autre
objectif, il y a lieu de déduire qu'elle est entachée
d'irrégularités. Par conséquent, elle donne ouverture au
recours pour excès de pouvoir, plus essentiellement par voie de fait.
Il convient alors de souligner l'étendue de la
protection que le pouvoir judiciaire accorde à l'exercice du droit
d'investissement privé, en République Démocratique du
Congo.
31 La constitution du 18 février 2006
réaffirme l'indépendance du pouvoir judiciaire. Cette
indépendance exige que les magistrats ne doivent être soumis dans
l'exercice de leurs fonctions qu'à l'autorité de la loi. Ils ne
doivent recevoir d'injonction de qui que ce soit. Le monde judiciaire comprend
les magistrats de siège et les magistrats du parquet. Ces derniers
composants le Ministère public ont pour mission de rechercher les
infractions aux actes législatifs et réglementaires qui sont
commises sur le territoire de la République. En outre, ils
reçoivent les plaintes et les dénonciations, font tous les actes
d'instruction et saisissent les cours et tribunaux (Art. 7 du Code de l'O.C.J).
Ils sont placés sous l'autorité du Ministre de la justice, sur
injonction duquel ils peuvent initier ou continuer toute instruction
préparatoire (article 12 du Code d'Organisation et compétence
judiciaire) comme c'est le cas du Procureur Général de la
République. Or, la constitution du 18 février 2006 à son
article 149 stipulait que le pouvoir judiciaire est indépendant du
pouvoir législatif et du pouvoir exécutif. Il est dévolu
aux cours et tribunaux ainsi que les parquets rattachés à ces
juridictions. Selon cet article, les parquets faisaient partie totalement du
pouvoir judiciaire, lequel est indépendant du pouvoir exécutif.
Mais dans les dispositions de l'actuel article 149 tel que révisé
par l'article 1er de la Loi n° 11/002 du 20 janvier 2011a
écarté le parquet du pouvoir judiciaire et par
interprétation de cette disposition, nous soutenons que le
ministère public relève actuellement du Ministère de la
justice et donc, du pouvoir exécutif. Nous pensons que la constitution
originaire de 2006 semblait comporter de flous au sujet de
l'indépendance du pouvoir judiciaire. La soumission du parquet au
ministre de la justice, membre du pouvoir exécutif peut entraîner
des conséquences néfastes pour les justiciables. Le pouvoir
hiérarchique du ministre de la justice sur le Ministère public
justifie son pouvoir d'injonction sur le procureur général de la
République. Ainsi, ce dernier, sur injonction partisane du Ministre de
la justice, pourra étouffer certains dossiers sensibles au profit du
pouvoir exécutif et également inculper certaines personnes
jugées indésirables par le pouvoir exécutif dont la
Société Kivu market.
32 MILENGE MUKAMBILWA., Exercice des libertés
de pensée et d'expression en droit positif congolais : cas de la ville
de Goma de 2000 à 2004, Goma, U.L.P.G.L, 2001-2002.p. 26.
(Inédit).
12
§.2. Des garanties judiciaires à l'exercice du
droit d'investissement privé
L'autorité judiciaire ( juge), gardienne des droits et
libertés fondamentaux : même si elle exprime un postulat optimiste
que la réalité vient parfois cruellement démentir, la
formule élégante et altière de l'article 150 de la
Constitution, doit au moins, être regardée comme un objectif
impérieux; car si les faits savent nous rappeler que l'intervention de
la justice n'est pas loin d'être toujours synonyme de garantie des
libertés, l'impossibilité d'en appeler à un juge en cas de
besoin, menace gravement l'exercice du droit d'investissement privé
à Goma, à titre de la liberté d'entreprendre33
comme droit fondamental34. Pour autant, la juridiction devait
rechercher à promouvoir l'effectivité de la garantie
nécessaire à l'exercice du droit d'investissement aux
sociétés commerciales comme droit fondamental vis-à-vis
des préposés de l'Etat, notamment l'Agence nationale de
renseignement dépendant directement de la Présidence de la
République et le Ministère public, relevant du Ministère
de la justice,
33 Dany Cohen, Le juge, gardien des libertés ?,
s.l, s.e, s.d, p.113.
34 Par exemple, lorsque les mesures de
contrainte comme le scellage des portes d'une entreprise, sont prises sur
décision ou sous le contrôle effectif de l'autorité
judiciaire ". pareille mesure tire son fondement de disposition
étant également reprise dans la jurisprudence du Conseil
constitutionnel, selon laquelle : "dans le cadre d'opérations de police
judiciaire, sous l'égide du parquet, il revient à
l'autorité judiciaire à savoir, le juge, conformément
à l'article 66 de la Constitution française, d'exercer un
contrôle effectif de forme et de fond des mesures, qui touchent à
une liberté publique comme la liberté d'entreprendre . Les
dispositions similaires de la CEDH (art. 5) visent essentiellement les mesures
privatives de liberté. En outre, l'article 5 de la CEDH se
réfère au juge, magistrat, ou au tribunal qui doivent garantir
indépendance et impartialité ; alors que l'article
préliminaire fait référence à l'autorité
judiciaire au sens de l'article 66 de la Constitution et qui comprend les
magistrats du siège et du parquet. Cependant, il ne faut pas se
méprendre sur cette différence. La jurisprudence
constitutionnelle garantit, dans les mêmes conditions que l'article 5 de
la CEDH, l'intervention d'un magistrat du siège (indépendant et
impartial) pour l'emploi de toutes mesures coercitives. Si le Procureur peut
décider et contrôler ab initio le scellage d'une
société commerciale pour suspicion relative à l'atteint
à la sureté intérieure de l'Etat, comme il
procéderait à des gardes à vue des personnes physiques,
c'est parce que la loi prévoit soit une remise en liberté, soit
une présentation devant un magistrat du siège dans un bref
délai (48 heures maximum pour le droit commun) pour ainsi
procéder à la détention préventive et dont la
prorogation du délai, n'est possible que par une ordonnance du
Président de la juridiction ( in fine de l'art. 27 de l' O.-L.
82-016 du 31 mars 1982, il est dit que s'il y a lieu de craindre la fuite
de l'inculpé, ou si son identité est inconnue ou douteuse ou si,
eu égard à des circonstances graves et exceptionnelles, la
détention préventive est impérieusement
réclamée par l'intérêt de la sécurité
publique. Et l'art. 28 de la même ordonnance-loi congolaise, souligne que
la détention préventive est une mesure exceptionnelle.
Lorsqu'elle est appliquée, les règles ci-après doivent
être respectées. Lorsque les conditions de la mise en état
de détention préventive sont réunies, l'Officier du
Ministère public peut, après avoir verbalisé
l'inculpé, le placer sous mandat d'arrêt provisoire, à
charge de le faire conduire devant le juge le plus proche compétent pour
statuer sur la détention préventive. Si le juge se trouve dans la
même localité que l'Officier du Ministère public, la
comparution devant le juge doit avoir lieu, au plus tard, dans les cinq jours
de la délivrance du mandat d'arrêt provisoire. Dans le cas
contraire, ce délai est augmenté du temps strictement
nécessaire pour effectuer le voyage, sauf le cas de force majeure ou
celui de retards rendus nécessaires par les devoirs de l'instruction.
À l'expiration de ces délais, l'inculpé peut demander au
juge compétent sa mise en liberté ou sa mise en liberté
provisoire. Dans les cas prévus à l'article 27, alinéa 2,
le mandat d'arrêt provisoire spécifie les circonstances qui le
justifient. Et l'Art. 29 dispose que, la mise en état de
détention préventive est autorisée par le juge du tribunal
de paix. En fin, l'art. 30 de l'O.-L. 82-016 du 31 mars 1982, souhaite que
l'ordonnance statuant sur la détention préventive soit
rendue en chambre du conseil sur les réquisitions du Ministère
public, l'inculpé préalablement entendu, et s'il le
désire, peut être assisté d'un avocat ou d'un
défenseur de son choix.).
13
régie par excellence, avec pour mission, de garantir
l'administration de la justice qui, du reste, est un service public par
nature35.
En effet, le souci de conférer l'efficacité
nécessaire à l'exercice du droit d'investissement privé,
pour son existence, se conjuguait certainement avec la volonté de
permettre aux particuliers de jouer un rôle prépondérant
dans la vie sociale de la communauté, mais ce droit ne peut avoir de
sens que s'il s'exerce en toute liberté. C'est pourquoi le juge
congolais devient donc le vecteur indispensable du contrôle de la bonne
application du droit administratif par les autorités nationales,
notamment les magistrats de parquet qui, peuvent exécuter certains
ordres émanant du Ministère de Justice (Administration
publique)36 dont les mesures préventives contre le libre
exercice de certaines libertés fondamentales comme la liberté
d'entreprendre dont la substance est la liberté du commerce et de
l'industrie37 et qui constituent ce qu'on appelle l'essence de la
propriété. En réduisant la liberté d'entreprendre
en liberté fondamentale comme composante de la propriété,
à laquelle il est porté atteinte en cas de voie de fait,
l'arrêt Bergoend, non seulement pallie ce risque, mais
ramène à l'essentiel de ce qui justifie la compétence
judiciaire38.
Le juge constitutionnel français, a par ailleurs
soutenu dans la jurisprudence française du 16 janvier 1982 sur la
liberté d'entreprendre, que cette dernière a fluctué au
cours des vingt dernières années. Soulignant que les
tâtonnements ne portent pas sur le fondement de cette liberté
(cristallisé dans les dispositions de l'article 4 de la
Déclaration de 1789), mais sur son degré de protection, ainsi que
sur l'intensité du contrôle de sa limitation par le
Conseil39.
Pour résumer cette évolution, on peut dire
qu'à partir d'une formulation initiale protectrice (de 1982), le Conseil
a eu tendance à minorer progressivement la protection de la
liberté d'entreprendre au profit de l'intérêt
général40. Suivant le même angle d'idée,
le professeur BOURGOGUE soutient en fait, que la césure se situe entre
les droits intangibles et
35 P. Roger., Les institutions judiciaires, Paris,
Montchrestien, 1994, p.478.
36 L'article 10 du code d'organisation et
compétence judiciaires prévoit que les magistrats du parquet sont
placés sous l'autorité du Ministre de la justice (Art. 10 du
C.O.C.J). Cela signifie que chaque parquet est organisé d'une
manière hiérarchique et dépend en définitive du
ministre de la justice. Ainsi, le ministre de la justice n'a pas pour fonction
d'exercer lui-même l'action publique, mais par son pouvoir et sa position
hiérarchique, il dirige la politique pénale. Il a l'obligation de
veiller à la cohérence de son application sur l'ensemble du
territoire.
37 CE, ord., 12 nov. 2001, Commune de Montreuil-Bellay, n°
239840, Lebon p. 551; Dr. adm. 2002, n° 41, note M, p.67.
38 Ibidem.
39 Cons. Constitutionnel français, in Décision
n° 81-132 DC du 16 janvier 1982, p.70.
40 Ibidem.
14
les autres, i.e. les droits conditionnels, ceux
susceptibles de faire l'objet de restrictions sous certaines
conditions41 et cela par réserve de la
loi.
Ce n'est que depuis 1997, que s'opère une
évolution inverse, débouchant sur le considérant
très ferme, figurant dans la décision de janvier 2001, relative
à l'archéologie préventive42. Désormais,
la liberté d'entreprendre n'occupe plus de rang subalterne, au sein des
libertés, et le Conseil vérifie que la conciliation
opérée par le législateur entre cette liberté et
d'autres exigences constitutionnelles, ou des motifs d'intérêt
général antagonistes, n'est pas excessivement ou inutilement
déséquilibrée43.
Considérant que, si postérieurement à
1789 et jusqu'à nos jours, les finalités et les conditions
d'exercice du droit de propriété ont subi une évolution
caractérisée à la fois par une notable extension de son
champ d'application à des domaines individuels nouveaux dont l'exercice
du droit d'investissement privé44 et par des limitations
exigées par l'intérêt général, les principes
mêmes énoncés par la Déclaration des droits de
l'homme, ont pleine valeur constitutionnelle tant en ce qui concerne le
caractère fondamental du droit de propriété, dont la
conservation constitue l'un des buts de la société politique et
qui est mis au même rang que la liberté d'entreprendre, la
sûreté et la résistance à l'oppression, qu'en ce qui
concerne les garanties données aux titulaires de ce droit et les
prérogatives de la puissance publique; que la liberté qui, aux
termes de l'article 4 de la Déclaration, consiste à pouvoir faire
tout ce qui ne nuit pas à autrui, ne saurait elle-même être
préservée, si des restrictions arbitraires ou abusives
étaient apportées à la liberté
d'entreprendre45.
Les magistrats de parquet peuvent ainsi, engager la
responsabilité de l'Etat congolais, dans leur comportement attentatoire
à l'exercice du droit d'investissement privé46
41 L. Burgorgue-Larsen, Les concepts de liberté publique
et de droit fondamental, Paris, Dalloz, s.d, p.403.
42 Le conseil constitutionnel français soutient
à ce sujet que, Considérant que le souci d'assurer " la
sauvegarde de la diversité commerciale des quartiers " répond
à un objectif d'intérêt général ; que,
toutefois, en soumettant à une autorisation administrative tout
changement de destination d'un local commercial ou artisanal entraînant
une modification de la nature de l'activité, le législateur a
apporté, en l'espèce, tant au droit de propriété
qu'à la liberté d'entreprendre qui découle de l'article 4
de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, une atteinte
disproportionnée à l'objectif poursuivi ..." Formulation la plus
récente du considérant de principe sur la protection de la
liberté d'entreprendre : in Décision n° 2000-439 DC du 16
janvier 2001, §.20.p.85.
43 Conseil constitutionnel français, in
Décision n° 99-423 DC du 13 janvier 2000, p.102.
44 Au sens du droit commercial de
Sociétés, le capital social constitue la propriété
de la Société. Mais le droit de la propriété au
sens du droit constitutionnel moderne, s'étend sur la liberté
d'entreprendre qui consiste en libre exercice du commerce et de l'industrie
(cfr : supra) dont l'atteinte ne pouvait être envisagée que par le
monopole du marché. Mais pour ce qui nous concerne, notons que lorsque
les fruits du capital d'une société donnée servent pour un
entrepreneur par exemple à soutenir des activités contraires
à l'ordre public, le Ministère public peut s'imprégner de
faits et agir.
45 Conseil constitutionnel français, in
Décision n° 81-132 DC du 16 janvier 1982, p.65.
46 Le magistrat instructeur recherche et constate
les infractions, procède aux enquêtes et à l'information
judiciaire, met en mouvement l'action publique et saisit la juridiction
compétente. Il ressort donc qu'en tant que
15
devant ses propres juridictions, via un mécanisme, que
nous tacherons de développer pour démontrer certainement, cette
responsabilité de l'Etat, pour violation manifeste à l'exercice
du droit d'investissement privé, comme un droit communautaire devant le
juge judiciaire (A) même si toute médaille a son revers et cette
« saisine » généralisée du fondamental «
produit un effet de perte de visibilité »47,
tant et si bien que le juriste, dont le goût pour la
systématisation n'est plus à démontrer, ne sait plus
très bien à quel saint se vouer. Si la protection effective des
droits fondamentaux est une condition inhérente à leur
statut48, il serait vain de tenter de circonscrire ce rôle
à une juridiction unique. De fait, à l'heure d'identifier le juge
des droits fondamentaux congolais, force est de constater que le texte
constitutionnel n'est pas d'un grand secours. Seule indication, l'article 150
de la constitution du 18 février 2006 confie à l'autorité
judiciaire la garde de « libertés fondamentales ».
Dès lors qu'une assimilation entre la liberté et les droits
fondamentaux dans leur ensemble n'est pas envisageable, il faut admettre qu'en
droit interne, aucune règle de compétence n'attribue point le
traitement de la totalité des litiges afférents aux droits
fondamentaux à un juge unique, car en droit de contentieux
administratif, si le contrôle juridictionnel de l'acte administratif
intervient, ce n'est que pour vérifier la légalité et
l'absence de toute violation aux droits fondamentaux pour sa
confirmation49. Le souci d'identification du juge des droits
fondamentaux est en outre compliqué par l'existence d'une protection
supranationale de ces droits, mais il n'empêcherait pas en
conséquence, dans un souci d'équilibrage des procédures,
le renforcement de la responsabilité de l'Etat congolais devant le juge
administratif (B).
magistrat instructeur, il réunit les preuves de
l'infraction, décerne des mandats en tant que Ministère Public,
il exerce l'action publique et par voie de conséquence, il est le
principal contradicteur dans le procès pénal. En procédure
pénale congolaise, le Ministère Public est en même temps
l'organe d'instruction et de poursuite. En effet, l'instruction n'a pas
seulement comme but principal l'interrogation de l'inculpé à
charge, elle peut être aussi menée à décharge s'il y
a lieu. Ainsi, lorsque le Ministère Public à lui-même joue
le rôle d'instruction et de poursuite, il y a lieu qu'un tel
système procédural ait comme conséquence le risque que
l'instruction soit menée uniquement à charge. Le Procureur de la
République en instruisant et en organisant les poursuite judicaires il
peut être tenté de ne chercher que des éléments lui
permettant de confondre l'inculpé qui apparaît dès ce stade
comme un coupable au grand mépris du principe de la présomption
d'innocence qui a toujours une valeur constitutionnelle, par conséquent,
la protection des libertés publiques ou celle des droits fondamentaux se
trouve mise en mal, du seul fait que pour la Société Kivu Market/
SPRL, une mesure conservatoire, intervenue à la diligence du Parquet
général, a débouchée sur le scellage de
l'entreprise durant plus de 10 mois, constituant ainsi une atteinte à la
liberté d'entreprendre, en ce sens que nous nous demandons si le
Ministère public disposait réellement des indices sérieux
de la culpabilité de la Société pour chef d'accusation
principale : l'atteinte à la sureté intérieure de
l'Etat,..... Pour ne pas envoyer l'affaire en fixation à fin qu'une
sentence de fermeture de la Société soit rendue.
47 G.DRAGO, « Les droits fondamentaux entre
juge administratif et juges constitutionnel et européens.»,
Revue mensuelle du JurisClasseur - Droit administratif, juin 2004,
p.7.
48 Cette exigence est d'ailleurs soulignée
à l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du
citoyen de 1789 : « toute société dans laquelle la
garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des
pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution ».
49 J.WASSO MISONA, Droit administratif, Goma,
U.L.P.G.L, 2012, p..6.
16
A. Le juge judiciaire et l'exercice du droit
d'investissement privé comme droit fondamental
De toutes les façons, la plupart des actes du
ministère public sont mis en mouvement, par les autorités
nationales50. C'est pourquoi, en droit comparé, il n'est pas
surprenant d'apprendre que la Convention européenne des droits de
l'homme, consacre en son article 6, le droit d'accès à un
tribunal et que la Cour européenne se soucie de l'effectivité de
cet accès51. Parce que, l'autorité judiciaire doit
demeurer indépendante pour être à même d'assurer le
respect des libertés essentielles telles qu'elles sont définies
par le deuxième titre de la Constitution congolaise de 2006 et dans le
préambule de laquelle, le constituant réaffirme son attachement
à la Déclaration universelle des droits de l'homme, à
laquelle il se réfère », l'interprétation de ce
principe énoncé par la constitution, souligne clairement que
l'indépendance du juge judiciaire est la condition nécessaire
d'une protection effective des libertés fondamentales dont la
liberté d'entreprendre ou le libre exercice du droit d'investissement
privé. Ainsi, l'article 69 de la Constitution fait du Président
de la République le garant du respect de la constitution52 et
par ricochet, le gardien de l'indépendance de l'autorité
judiciaire, qui n'est soumis dans l'exercice de ses fonctions qu'à
l'autorité de la loi53, et prévoit indirectement qu'il
est assisté dans cette tâche par le Conseil supérieur de la
magistrature.
Et quiconque, cherche à prendre la mesure, de la
situation en R.D.C et de son évolution observe deux mouvements
contraires, dont il est difficile d'apprécier l'ampleur respective.
Le phénomène est d'ailleurs lié à
plusieurs évolutions, d'une part celle de la représentation que
le juge se fait de sa fonction, mais aussi celle de l'idée que s'en fait
le pouvoir politique, enfin celle des textes, dont le contenu est bien
sûr partiellement corrélé à la deuxième des
trois variables ainsi énoncées54.
L'indiscutable ambivalence des pouvoirs du juge au regard des
droits et libertés fondamentaux dont le droit d'investissement
privé, ne rend cependant compte que d'une
50 Voir à ce sujet C. BLUMANN et L. DUBOUIS, Droit
institutionnel de l'Union européenne, op. cit, § 696,
p. 413.
51 D. Cohen, Op.Cit, p.112.
52 Lire le deuxième alinéa de
l'article 69 de la constitution congolaise du 18 février 2006, tel que
modifié par l'article 1er de la Loi n° 11/002 du 20 janvier
2011 portant révision de certains articles de la Constitution de la
République Démocratique du Congo.
53 Voir le deuxième alinéa de
l'article 150 de la constitution congolaise du 18 février 2006, tel que
modifié par l'article 1er de la Loi n° 11/002 du 20 janvier
2011 portant révision de certains articles de la Constitution de la
République Démocratique du Congo.
54 D. Cohen, Op.Cit p.111.
17
partie du paysage à cet égard. L'épreuve
de la réalité montre que les situations courantes, où le
juge n'use pas ou use peu des pouvoirs qui lui sont dévolus, rend
partiellement platonique la protection qu'il est censé
incarner55. Même s'il peut arriver qu'une
société commerciale soit indexée pour atteinte à la
sureté intérieure de l'Etat, il s'agit de toute la
République qui en est impliquée. Cela ne suffit pas pour lui
priver de son droit d'accès au juge, en ce sens que, quelque personne
physique ou morale que soit-elle, bien qu'inculpée, sa
responsabilité ne peut être établie, que par le biais d'un
jugement régulièrement prononcé56. Parce qu'il
est soutenu par le constituant congolais, conditionnant que, toute personne
accusée d'une infraction est présumée innocente,
jusqu'à ce que sa culpabilité ait été
établie par un jugement définitif57.
Mais pour ce qui est de Kivu market SPRL, nous sommes surpris
de voir qu'en dépit des garanties judiciaires posées par la
constitution congolaise comme le droit de la défense étant
organisé et garanti58, elle a été
scellée pour des faits pénaux reprochés à son
gérant et n'a jamais été entendue par le juge. Alors que
toute personne au sens du droit constitutionnel, a le droit de se
défendre elle-même ou de se faire assister d'un défenseur
de son choix et ce, à tous les niveaux de la procédure
pénale, y compris l'enquête policière et l'instruction
pré juridictionnelle, le ministère public s'entête
d'envoyer l'affaire en fixation tout simplement parce que l'affaire semble
comporter des caractères politiques.
Comment pouvons-nous, apprécier la garantie protectrice
que le juge congolais, tendrait à l'exercice du droit d'investissement
privé, alors que le litige semble être bloqué par le
Ministère public ?
A juste titre, s'il faut parler des choses, dans leur
illustration concrète, le cas de la société Kivu market
S.P.R.L, réalisera bientôt un an de fermeture ou mieux de
scellage, sans
55 D.Cohen, Le juge, gardien des libertés?,
s.l, s.e, s.d,, p.112.
56 De façon générale, on
considère les tribunaux judiciaires comme les protecteurs naturels de
ces deux domaines. Ainsi, l'article 17 de la Constitution congolaise, dans la
combinaison de ses 2ème, 3ème et
4ème alinéas dispose : « Nul ne peut être
poursuivi, arrêté, détenu ou condamné qu'en vertu de
la loi et dans les formes qu'elle prescrit. Nul ne peut être poursuivi
pour une action ou une omission qui ne constitue pas une infraction au moment
où elle est commise et au moment des poursuites. Non plus, nul ne peut
être condamné pour une action ou une omission qui ne constitue pas
une infraction à la fois au moment où elle est commise et au
moment de la condamnation. » et à l'article 150, le constituant
constitue « l»autorité judiciaire , gardienne des droits
et libertés fondamentaux » , et assure le respect de ces principes
dans les conditions prévues par la loi. » Par ailleurs,
l'article 136 du Code de procédure pénale prévoit que,
dans les cas d'atteinte à la liberté individuelle, le juge
judiciaire est exclusivement compétent.
57 Lire le 9ème alinéa de
l'article 17 de la constitution du 18 Février 2006,
J.O RDC, n° spécial du 18 février
2006.
58 Le 3ème alinéa de
l'article 19 de la constitution du 18 Février 2006,
J.O RDC, n° spécial du 18 février
2006.
18
avoir été entendu par le juge59.
Pourtant le constituant congolais dit que « nul ne peut être ni
soustrait, ni distrait contre son gré du juge que la loi lui assigne.
Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue dans un
délai raisonnable par le juge compétent »60. Tel
que soutenu par Pascal MBONGO : « Toute personne a droit à ce que
sa cause soit entendue par un tribunal établi par la loi,
indépendant et impartial, apte à décider selon une
procédure équitable, publique et raisonnablement rapide
»61. Parce que sous d'autres cieux, il est institué un
juge d'instructions aux pouvoirs étendus, dont la mission est de
rechercher toute la vérité, en procédant à des
interrogatoires, à des auditions des témoins et au besoin
à des perquisitions62.
La vérité à charge ou à
décharge de la Société doit être découverte,
pour que soit établie sa culpabilité pour écoper des
sanctions63 ou obtenir du juge, l'acquittement, comme ce fut le cas
dans l'affaire LAWLESS c. IRLAND, relative à l'internement
administratif, pour atteinte à la sureté de l'Etat en 1956,
poursuivi pour chef d'accusation, l'organisation des guérillas, le 14
mai 1957. En 1956, le Ministère de la Justice avait pris un
arrêté de détention à son encontre et de fermeture
de l'entreprise de bâtiment dans laquelle, il était
manoeuvré (la Cour, soulignait qu'une parfaite distinction entre Mr
LAWLESS et l'entreprise dans laquelle il travaillait, serait une meilleure
démarcation, sauf si le Ministère public prouve en fait, que
l'entreprise était co-auteur).
En fait, dans cette affaire, la Cour européenne des
droits de l'homme, avant d'en examiner le fond, d'abord, elle s'était
intéressée au délai de détention sans comparution
qui manifestement, devant le juge, apparaissait comme une mesure strictement
limitées aux exigences de la situation (c'est-à-dire, qu'elle
avait des connotations politiques), mais
59 Citons à titre jurisprudentiel, l'affaire
NEUMEISTER c. AUTRICHE, accentué sur le droit d'être jugé
dans le délai raisonnable ou même d'être
libéré pendant la procédure avait été
violée. De même, la durée de détention
préventive avait été outrepassée par le
Ministère public. Fritz NEUMEISTER, était directeur d'une
entreprise de transports (fermée) ; soupçonnés pour
escroquerie de grande envergure et inculpé le 23 février 1961
jusqu'en Novembre 1964, période à laquelle, l'affaire
était fixée et appelée en audience publique au Tribunal
pénal régional de Vienne, mais dont le procès a
donné lieu à 102 jours d'audience ; malheureusement,
renvoyée au 18 juin 1965 pour complément d'instructions puis
reprit le 4 décembre 1967. Dans sa requête du 12 juillet 1963,
Fritz invoqua plusieurs dispositions de la convention Européenne des
droits de l'homme dont l'article 5 §4 et 4, article 6 §1
centré sur le délai raisonnable de sa détention, et
l'égalité des armes. A la question relative, à la
violation manifeste de ces dispositions suscitées, la Cour
européenne des droits de l'homme, dans son arret du 27 juin 1968,
à la caute 193, estime ne pouvant pas s'assurer de la conformité
de cette période avec la convention ; cependant, elle en tient compte
dans l'appréciation du caractère raisonnable de la
détention puisque dans l'hypothèse d'une condamnation, elle
serait déduite de la peine infligée. Cfr : V.BERGER.,
Jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, Paris,
4ème édition, Dalloz, 1994.p.75.
60 Article 19 de la constitution du 18
Février 2006, J.O RDC, n° spécial
du 18 février 2006.
61 P. MBONGO., Qualité de justice, Paris,
Conseil Européen, s.l, s.e, 2007, p.49.
62 P. Roger., Op.cit, p.500.
63 Ibidem., p.500.
19
excessives. Car, rien n'avait empêché le
gouvernement de saisir les juridictions pénales ordinaires, les cours
criminelles spéciales à fin de les condamner64.
Comme ce fut le cas, dans les affaires successives de
Solange et Stork dans lesquelles, les actes
de la CECA avaient été annulés par les juges ordinaires
allemands des failles de la législation de la Haute Autorité peu
familiarisée avec le curseur de la protection des droits. En un mot,
avant Solange I, il y eut Stork ; autrement dit, il y eut une
argumentation articulée autour de la thématique des droits
fondamentaux, par une entreprise allemande devant un juge ordinaire, qui
décida de la relayer devant la Cour, grâce au mécanisme
préjudiciel65. Ceci consiste à montrer en suffisance
que l'accès au juge comporte des avantages de loin non
négligeables, ce qui nous incite à apprécier le pouvoir du
juge en tant que gardien des droits et libertés fondamentaux dans un
Etat de droit.
Le juge judiciaire, est-il l'unique gardien des
libertés publiques ou précisément, est-il le seul à
pouvoir garantir aux droits fondamentaux, le respect de leur libre exercice
?
B. Le juge administratif et l'exercice du droit
d'investissement privé comme droit
fondamental
Le rôle de la juridiction administrative dans la protection
des droits et libertés, relève de ce « miracle » du
droit administratif mis en lumière par le professeur Prosper
Weil66.
Sans doute, ni les origines, ni les missions premières
du juge administratif, ne garantissaient pas le droit d'investissement
privé ou de la liberté d'entreprendre, comme il peut paraitre
ainsi. Mais, très vite, l'indépendance du Conseil d'Etat,
statuant au contentieux s'est imposée. Elle a été
définitivement consacrée, sous l'inspiration en particulier de
Gambetta, par la loi du 24 mai 1872, qui ancre le Conseil d'Etat dans les
institutions
64 V.BERGER., Jurisprudence de la Cour
européenne des droits de l'homme, Paris, 4ème
édition, Dalloz, 1994.p.69.
65 CJCE 4 févr. 1959, Friedrich Stork et
Cie c. Haute Autorité de la CECA, 1/58, Rec. CJCE 43,
concl. M. Lagrange. C'est en effet une société allemande,
spécialisée dans le négoce des matières
minières, qui forma un recours en annulation contre la décision
de la Haute autorité de la CECA du 27 nov. 1957 ; elle y
considérait que la réorganisation de la vente du charbon de la
Rhur n'était pas contraire aux dispositions du traité CECA. Or,
l'entreprise allemande Stork considérait à l'inverse que «
La Haute Autorité n'a pas non plus respecté certains droits
fondamentaux qui sont protégés dans presque toutes les
constitutions des États membres et qui viennent limiter l'application du
traité. C'est ainsi notamment que les articles 2 et 12 de la loi
fondamentale de la République fédérale accordent à
chaque citoyen, le droit inviolable de développer librement sa
personnalité et d'exercer sa protection sans entraves. »
66 P.WEIL, Les conséquences de l'annulation
d'un acte administratif pour excès de pouvoir, Paris, Université
de droit Paris II Panthéon-Assas, 1952.p.302. Thèse de doctorat
Disponible sur le site l'encyclopédie libre de
www.wikipédia.htm
20
républicaines. L'un des premiers apports de sa
jurisprudence est de garantir le juste équilibre entre les exigences de
l'ordre public et la protection des droits fondamentaux en l'occurrence, le
droit d'investissement privé. Cette conciliation, se fait selon l'esprit
exprimé par le commissaire du gouvernement Corneille, dans ses
conclusions sur l'arrêt Baldy du 17 août 1917 : « Pour
déterminer l'étendue du pouvoir de police dans un cas
particulier, il faut tout de suite se rappeler que les pouvoirs de police sont
toujours des restrictions aux libertés des particuliers », que le
point de départ de notre droit public est dans l'ensemble, les
libertés des citoyens.
S'il faut admettre cet avis de Corneille67, selon
lequel l'exercice des pouvoirs publics s'exprime toujours en des restrictions
des libertés des particuliers, dont les sociétés
commerciales, mais quel serait essentiellement le rôle du juge
administratif vis-à-vis des libertés publiques en violation?
? Le rôle protecteur du juge administratif
En droit français, le juge administratif est un
protecteur privilégié des libertés publiques, parce qu'au
fil de la jurisprudence du haut Conseil, il semble qu'une liberté soit
« fondamentale » au sens de l'article L.521-2 du code de justice
administrative, lorsque, d'une part, elle est prévue par une
règle de valeur supra réglementaire invocable et que son objet
est suffisamment important pour justifier l'application de la protection
juridictionnelle prévue par l'article L.521-268 dont la
liberté d'entreprendre.
A cet égard, il convient de préciser que les
normes devant prévoir la liberté fondamentale ;
l'hypothèse a, manifestement, déjà été
appliquée par le Conseil d'Etat et a l'avantage d'une part, de permettre
au juge administratif de « se différencier des autres
juges
67 La formule est du conseiller
d'Etat Boudet, cité par Corneille, in concl. sur CE 6-8-1915,
Delmotte, Senmartin (deux arrêts), S. 1916, III, 9. On peut
considérer qu'en de telles circonstances, c'est l'encadrement (notamment
dans le temps) d'une telle suspension qui fera office de garantie des droits
fondamentaux. Cité par Julien RAYNAUD., in Les atteintes aux droits
fondamentaux dans les actes juridiques privés, s.l, U.L, 2001, p.111.
68 Tels sont les critères
dégagés par Guillaume GLENARD, in « Les critères
d'identification d'une liberté fondamentale au sens de l'article
L.521-12 du code de justice administrative », AJDA, 2003,
p.2008., p.2009, sur la base des conclusions des commissaires de
gouvernement Pascale FOMBEUR (conclusions sur l'arrêt Robert
Casanovas, 28 février 2001, AJDA 2001, p.971 ;
RFDA, 2001, p.399.) et Isabelle DE SILVA (conclusions sur CE, 30
octobre 2001, Mme Tliba, RFDA, 2002, p.324.).
21
»69 et, d'autre part, « de tenir compte de
l'évolution de la société et de faire en
conséquence évoluer le niveau de la protection juridique
» puisque « Si la Constitution et les conventions
internationales peuvent parfois jouer un rôle précurseur, cela
n'est pas toujours le cas. Elles ne font bien souvent que consacrer
juridiquement un état de fait qui, en raison de la rigidité des
règles d'élaboration ou de révision de ces normes,
implique un décalage dans le temps entre la réalité
sociale et le droit. »70. En effet, il a su assujettir
l'action de l'administration à son contrôle de
légalité. Le principe de l'indépendance de la juridiction
administrative a été érigé par le Conseil
constitutionnel français, en principe fondamental et reconnu par les
lois de la République (décision 22 juillet 1980)71.
Ainsi, pour préserver l'ordre public, l'administration
est amenée à restreindre l'exercice des libertés
publiques. Mais notons cependant qu'en droit comparé, elle agit sous le
contrôle du juge administratif, qui est ainsi amené à jouer
un rôle crucial en matière de protection des libertés. Au
fil du temps, le C.E français a étendu son contrôle de
légalité sur un nombre croissant d'actes administratifs. Mais il
a admis qu'un simple intérêt à agir, suffit,
c'est-à-dire que sans même qu'un droit soit lésé,
permettrait de déclarer le recours pour excès de pouvoir
recevable. Or, pour ce qui est de la Société Kivu market SPRL, le
droit d'exercer le commerce dont elle détenait le permis d'exploitation,
a été violé, en ce sens que le parquet
général du Nord-Kivu, en poursuivant l'auteur de l'atteinte
à la sureté intérieure de l'Etat, a pris la mesure
conservatoire, étant un acte administratif portant sur le scellage de la
société, était constitutif de voie de fait, parce qu'elle
pèche contre le principe fondamental selon lequel, la
responsabilité pénale est individuelle, et ainsi, compte tenu du
fait que la Société commerciale, Kivu market jouit d'une
personnalité juridique distincte de ses membres fondateurs ou
associés, une distinction entre elle et ses associés, serait de
loin importante, pour ne pas entraver la liberté d'entreprendre et
poursuivre Mr BILALI pénalement, même si l'entreprise pourrait
être civilement responsable. Puis que, si nous apprécions le fait
suivant la théorie des actes détachables, telle
qu'élucidée par le Professeur WASSO MISONA, l'atteinte à
la sureté intérieure de l'Etat commise par le Sieur BILALI, est
une faute personnelle et non une faute de service72, car financer le
m23, n'a rien à voir avec l'activité de la société,
étant celle de vente des marchandises dans la ville de
Goma73.
69 E. SALES, « Vers l'émergence d'un droit
administratif des libertés fondamentales ? », s.l, RDP,
n°1, 2004, p. 223.
70 G.GLENARD,
op. Cit. , pp.2009 et 2016.
71 Ibidem.
72 J. WASSO MISONA, Droit
administratif, Goma, U.L.P.L, 2012, p.138. (inédit).
73 Il sied d'élucider la
faute personnelle découlant de la théorie des actes
détachables. Par faute personnelle, il faut en comprendre une faute
imputable à la personne même de l'agent, par opposition de la
faute de service. Et
22
De ce fait, si le corps des associés organisés
en assemblée générale, saisissait le juge administratif,
peut-être, ce dernier constaterait la voie de fait, et pourrait annuler
la mesure. Comme ce fut le cas en droit français, où le juge
administratif avait requalifié le fait, en mesure de police
administrative, pour pouvoir le contrôler, un arrêté du
préfet fondé sur l'article 10 du code d'instruction criminelle
(C.E 24 juin 1960 Société Frompot). Il a déclaré
que le recours pour excès de pouvoir, était ouvert même
sans texte, contre tout acte administratif (C.E. 1 février 1950,
Ministre de l'agriculture contre Dame Lamotte). L'intensité du
contrôle, varie toutefois selon la liberté qui fait l'objet d'une
restriction dont la liberté d'entreprendre.
Lorsqu'une profession industrielle et commerciale s'exerce sur
la voie publique, les limitations imposées par l'autorité de
police seront examinées moins strictement que si la liberté
d'aller et de venir était en cause74.
De plus, depuis la loi du 30 juin 2000, relative au
référé devant les juridictions administratives le juge
administratif dispose de 3 procédures de référé, un
référé suspension, une liberté et un conservatoire,
ce qui permet au juge de suspendre l'exécution d'une décision. Le
référé liberté permet la sauvegarde d'une
liberté fondamentale, notamment qualifié par le CE, celle d'aller
et de venir, liberté d'entreprendre, liberté personnelle, droit
d'asile75,...
Quid de la responsabilité de l'Etat congolais pour
atteinte notoire à l'exercice du droit d'investissement privé par
ses préposés ?
Section.2. La responsabilité de l'Etat pour le
fait de ses préposés: cas du Parquet pour restriction abusive
En ce domaine, où le juge civil est normalement le juge
compétent (à l'exception des actes de la justice administrative),
la loi est intervenue et oblige à distinguer deux sortes
même si elle peut avoir été commise
à l'occasion de son service, dans la jurisprudence TC, 2 juin 1908,
Morizot, Leb.p.597, cond. A.Tardieu. cité par le Professeur WASSO MISONA
; il a été soutenu en troisième catégorie de faute
personnelle, que c'est toute faute commise à l'occasion de service, mais
constituant un acte inadmissible ou inexcusable, en l'occurrence le financement
de rébellion à l'occasion de gestion d'une entreprise.
74 De même, il convient de rappeler, que
depuis l'arrêt Tomaso Greco (CE 10 février 1905), la puissance
publique est responsable des activités de police, ce qui permet au
justiciable d'obtenir réparation pour le préjudice qu'il a subi.
Cité par le professeur J.WASSO MISONA, in Droit administratif, Goma,
U.L.P.G.L, 2011-2012, p.136. (Inédit).
75 P.WEIL, Les conséquences de l'annulation
d'un acte administratif pour excès de pouvoir, Paris, Université
de droit Paris II Panthéon-Assas, 1952, p.303.
23
d'actes judiciaires: les actes des tribunaux et les actes de
la police judiciaire soumis à l'autorité du Ministère
public. Mais, ces derniers nous intéresseront le plus.
Ainsi, la responsabilité de l'État pour les
actes de la fonction judiciaire restreignant d'une manière ou d'une
autre, l'exercice d'un droit reconnu à l'échèle
fondamental, comme le droit d'investissement privé et sa
justiciabilité, peut être établie. Et comme, la justice est
en soit, un service public par nature, mieux, c'est un pouvoir public par
essence du constituant qui l'érige en une des institutions de la
République76, mais qui est indépendante de pouvoirs
exécutif et législatif, le libre accès à la justice
ne devrait pas en être limité.
En fait, quand les organes de la puissance publique agissent,
certes, il en va de soi qu'il y ait des atteintes à l'exercice de
certains droits fondamentaux, au motif de la sauvegarde et du
rétablissement de l'ordre public. Là, il n'y aurait pas de
débat à faire. Mais, face aux actes comme ceux du parquet
général, portant atteinte, au libre exercice des droits
fondamentaux, notamment la restriction abusive à l'exercice du droit
d'investissement privé par scellage des portes de la
Société Kivu market; par une mesure jugée
d'excessive77, car, va-t-elle, non seulement à l'arrestation
et détention préventive du gérant d'une
Société commerciale de droit congolais, mais aussi, elle va
jusqu'à sceller les portes de la Société, comme si,
celle-ci s'identifiait en la personne du gérant78. Cette
atteinte peut être démontrée par la théorie de voie
de fait (§.1), et aboutir ainsi à l'établissement de la
responsabilité de l'Etat pour le fait des actes des
préposés du Ministère de la Justice (§.2).
§.1. Atteinte à l'exercice du droit
d'investissement privé par voie de fait
En quoi consiste la théorie de voie de fait? Et quelle
est sa portée vis-à- vis des garanties protectrices au libre
exercice du droit d'investissement privé ?
On parle de voie de fait, lorsque la puissance publique comme
le parquet, a porté une atteinte grave à une liberté
fondamentale, comme l'exercice du droit d'investissement privé ou au
droit de propriété, soit par une décision manifestement
insusceptible de se rattacher à un pouvoir appartenant à
l'administration, soit par l'exécution irrégulière d'un
76 Article 68 de la Constitution du 18
février 2006, J.O RDC, n° spécial du 18
février 2006.
77 Le scellage de la Société Kivu market
sous le R.I.N 11591/R.M.P 5054/P.G 024/TM/012.
78 La caute 5 du RMP5054/P.G 024/TM/012, le
Ministère public motive la Co inculpation du gérant de
Kivu-market avec la Société Kivu-market.
24
acte. Le juge judiciaire est alors compétent pour
constater l'existence de la voie de fait, la faire cesser et fixer des
indemnités. La propriété comporte en elle, trois attributs
dont, le droit d'usage, de jouissance et de disposition. L'ensemble de ces
éléments se rapporte à la liberté d'entreprendre
que nous soutenons en ce que celle-ci, consiste en « la liberté
d'exercer une activité professionnelle, commerciale ou industrielle et
donc d'accéder à ce type d'activités »79,
portant essentiellement à la profession des actes de commerce.
Au regard des faits relatifs à l'expropriation pour
cause d'utilité publique et de la réquisition ; parce que ces
dernières désignent la situation dans laquelle le pouvoir
publique dépossède un particulier de sa propriété
privée immobilière ou mobilière sans indemnisation
préalable, juste et équitable.
Il est impérieux, de souligner qu'elles ne sont pas les
seules voies par lesquelles, l'autorité publique, peut violer les droits
et libertés fondamentaux comme l'exercice du droit d'investissement
privé par voie de fait car la doctrine moderne enseigne qu'il peut y
avoir l'atteinte à un quelconque droit fondamental par voie de fait
même sans emprise80 et cela par manque de droit. Car en ce qui
concerne l'exercice du droit d'investissement privé basé sur le
principe de la liberté d'entreprendre, or ce principe tend promouvoir la
liberté du commerce et de l'industrie consistant en élimination
de toute tentative monopolistique du marché et cela par voie du fonds de
commerce81 de la société Kivu market. Nous en
évoquons, parce que c'est la théorie en vertu de laquelle, nous
avons à apprécier la responsabilité de l'Etat
engagée par ses préposés ; dès lors que le
Ministère public, organe de poursuite de l'appareil judiciaire, relevant
du ministère de la justice, via son acte d'informations nationales,
procède, au scellage d'une société commerciale, pour des
suspicions selon lesquelles, le gérant de la société Kivu
market aurait encouragé la rébellion du m23,par participation
financière, et par ricochet, la société elle-même.
Eschassériaux, rappelle de sa même façon que « plus ce
pouvoir est grand, plus vous devez lui fixer des limites, et l'empêcher
de devenir dangereux aux libertés, dont la liberté
d'entreprendre; une autorité sans bornes est bientôt
absolue82 ».
Les conventionnels (c'est-à-dire, les associés),
ne doivent pas oublier le risque des abus de l'Administration et le
problème de la responsabilité des « fonctionnaires publics
». Le juge
79 D. FERRIER., La liberté d'entreprendre in
Libertés et droits fondamentaux, Paris, Dalloz 16ème
éd, 2009.
80 J.WASSO MISONA., Contentieux administratif, Goma,
U.L.P.G.L, 2013-2014, p.40. (Inédit).
81 Notons qu'au regard du droit des
sociétés, le fonds de commerce consiste dans un ensemble des
moyens permettant au commerçant d'attirer et de conserver la
clientèle. (Cfr : article 103 de l'acte Uniforme OHADA relatif au droit
des sociétés commerciales et du groupement d'intérêt
économique). Et lorsqu'une entreprise est scellée pour des faits
pénaux reprochés à son gérant, une fois ré
ouverte, peut-elle espérer reconquérir un jour la
clientèle des congolais qui aujourd'hui se culpabilisent d'avoir
alimenté Kivu market par leurs achats quotidiens pour aller soutenir les
ennemis de la République ?
82Cité par P. ROLLAND., La garantie des
droits fondamentaux, Dijon, EUD, 2003. p.180.
25
judiciaire n'est compétent que dans le cas où
cette mesure est irrégulière. C'est alors lui qui
détermine les indemnités pour les préjudices nés du
scellage. Il est commandé par la constitution, qu'une personne soit
déferrée à un juge. Car, dans le cas contraire, il faut un
puissant effort d'imagination pour voir dans un organe du gouvernement dont le
parquet, une autorité de poursuite, et un juge impartial.
De ce fait, par la théorie de voie de fait, nous
pouvons dégager deux hypothèses dans lesquelles, il peut
être établi la responsabilité de l'Etat, lorsque celle-ci
résulte de la mesure excessive prise par le parquet et des
opérations faites par la police judiciaire .
§.2. La responsabilité de l'Etat du fait de
l'acte du Parquet
En plus de l'activité des tribunaux, il y a les
activités de services qui s'y rattachent directement à savoir
celles du ministère public et des juges d'instruction, qui sont
susceptibles d'engager la responsabilité de l'État, seulement si
le fonctionnement défectueux du service de la justice ou du parquet,
résulte d'une faute lourde de service (art. L. 781-1 code d'organisation
judiciaire). Par exemple, il a été jugée constituer une
faute lourde, une circulaire du ministre de la justice invitant les parquets
à exercer des poursuites contre des importateurs en contrevenant
à un arrêt de la Cour de justice des Communautés
européennes; par arrestation sans limites de délai, il est
interprété de façon large par le juge, puisqu'il comprend
la durée excessive de détention83.
Mentionnons pour mémoire, que selon le code de
procédure pénale (art 149 et 150) les personnes ayant fait
l'objet de mesures de détention préventive ont droit à une
indemnité quand elles ont bénéficié ensuite d'une
décision de non-lieu, de relaxe ou d'acquittement; l'indemnité
doit réparer tant le préjudice matériel que le
préjudice moral. Dans ce cas, la faute lourde n'est pas exigée,
il suffit que les soupçons n'aient pu être vérifiés
et justifiés.
Quid de la mesure de scellage de la Société Kivu
market ?
83 Cour de cassation, com, 21
février 1995, Société United Distillers, Droit adm. 1996,
n°303. p .203.
26
A. La responsabilité de l'Etat du fait de la
police judiciaire
En premier lieu, l'activité de la police
judiciaire84 comme celle des services administratifs, même des
tribunaux est susceptible d'engager la responsabilité de l'Etat dans les
mêmes conditions que les activités administratives de tout service
public, notamment lorsqu'elle est constitutive de voie de fait. Puisque
certaines remarques s'imposent à ce stade. En ce qu'il ne faudrait pas
croire que l'exigence du maintien et rétablissement d'ordre public, en
réaction contre un trouble, gouverne exclusivement les
décisions arbitraires réalisant une atteinte au bloc de
fondamentalité du droit d'investissement privé.
Par conséquent, les actes matériels de la police
judiciaire posés sous l'égide du magistrat de parquet, comme le
scellage de la Société Kivu market sous le R.I. N°
1591/R.M.P 5054/P.G 024/TM/012, à titre des mesures conservatoires
soient-elles, restent administratives et peuvent ainsi engager la
responsabilité de l'État, pour restriction abusive portée
à la liberté d'entreprendre ou à l'exercice du droit
d'investissement privé dans le cas de l'emploi des mesures sans
discrimination ( scellage d'une entreprise pour faute personnelle du
gérant) contre une personne morale, faisant profession des actes de
commerce dans le marché aussi concurrentiel que celui de super
marché dans la ville de Goma. Alors qu'une société
commerciale, au sens substantiel de la personne morale, la
société Kivu market dispose d'une personnalité juridique
distincte de celle ses associés et du gérant.
Et par la portée de la théorie des actes
détachables, le gérant de la Société Kivu market
n'avait fourni au m 23, de l'argent sous forme de son soutien qu'en la personne
de BILAL ABDUL KARIM BAKRI et non en celle du gérant de la
Société, et encore moins au nom et pour le compte de la
Société Kivu market, pour ainsi l'engager pénalement et
par conséquent, être scellée. Ainsi, le ministère
public se rend coupable de la violation manifeste d'une des dispositions de
l'article 17 de la constitution selon laquelle la responsabilité
pénale, est individuelle. C'est-à-dire, une distinction
préalable et nette, devrait être opérée par le
Ministère public, pour ne pas porter atteinte notoire à la
liberté d'entreprendre dont fait
84 Notons à ce sujet que, dans l'action du
Ministère Public, le concours des Officiers de Police Judiciaires est
très important dans la mesure où elle assure l'efficacité
dans la recherche des infractions, car il est catégoriquement impossible
pour le ministère public d'être partout et à tout moment
où une infraction peut se commettre. Les Officiers de Police Judiciaires
constituent donc l'oeil et le bras du Ministère Public. C'est
grâce à cette présence des O.P.J placés dans
plusieurs coins que le nombre important d'infractions sont découvertes
et peuvent être punies. Cela entraîne aussi la réduction de
taux de criminalité.
27
profession, la société Kivu market85.
C'est dans ce sens que, la responsabilité de l'Etat pour fait des
opérations de la police judiciaire et des actes du Ministère
public.
B. Portée du principe de la
responsabilité de l'Etat en droit public
A l'origine, il y a l'irresponsabilité: le propre des
pouvoirs publics est de ne pas être tenu de réparer les dommages
qu'ils causent, car ils sont l'incarnation de la souveraineté de
l'État86. Tout au plus admettait-on la responsabilité
des collectivités locales pour leurs activités administratives.
Mais, peut-être parce que l'administration a toujours été
très présente dans la société congolaise, le juge
administratif congolais peut admettre comme son homologue français que
l'État, ou du moins son administration, répare les dommages
causés par lui au moins dans les cas les plus graves.
La responsabilité qui peut incomber à
l'État, pour les dommages causés aux particuliers par le fait des
personnes qu'il emploie dans le service public, ne peut être régie
par les principes qui sont établis dans le code civil, comme ce serait
pour les rapports de particuliers à particuliers. Cette
responsabilité n'est ni générale, ni absolue; elle a ses
règles spéciales qui varient selon les services et la
nécessité de concilier les droits de l'État avec les
droits privés. Il devait revenir principalement au juge administratif de
développer alors un droit de la responsabilité de l'État
qui soit distinct du droit civil. Dans un premier temps, il n'acceptera
d'engager la responsabilité de l'Etat, que si le service avait commis
une faute lourde ou s'il avait porté une atteinte grave au droit de
propriété (en l'occurrence, le fonds de commerce pour la
société Kivu market). Mais, dans un deuxième temps, il
devait élargir considérablement la responsabilité de
l'État, soit en exigeant seulement une faute simple, soit en
présumant la faute, voire même en n'exigeant pas qu'une faute ait
pu être commise. Le droit public de la responsabilité devint ainsi
au milieu du siècle dernier un droit aussi favorable à la victime
que le droit civil qui avait fait pourtant de grands progrès de son
côté.
85 Lorsque le ministère public a
clôturé l'instruction pré juridictionnelle, il a le droit
d'apprécier s'il y a opportunité d'exercer les poursuites ou de
s'abstenir (M.NKONGOLO TSHILENGU, Droit judiciaire congolais, éd. du
service de documentation et d'étude du ministère de la justice et
garde de sceaux, Kin, 2003, p.64). En effet, il y a plusieurs causes qui
peuvent amener l'officier du ministère public à s'abstenir
notamment pour insuffisance des charges (classement sans suite, non-lieu), pour
peu de gravité de l'infraction étant donné que le
magistrat ne peut pas s'attacher à des futilités, pour raison
d'Etat, dans le cas où la poursuite causera plus de danger à
l'ordre public qu'une abstention de poursuite. Cependant, le ministère
public ne peut jamais décider de s'abstenir de poursuivre pour des
raisons personnelles, tribales ou partisanes. Il n'a pas ce pouvoir
(S.J.QUIRINI, Comment fonctionne la justice en R.D.C, éd. CEPAS,
s.l,s.d, p.36.) Le magistrat du parquet (O.M.P) transmet le dossier
dûment inventorié ainsi que les objets saisis au tribunal
compétent territorialement, matériellement et rationne personae.
Il conserve le dossier administratif. Le dossier est transmis au tribunal avec
une « requête », c'est-à-dire, d'une demande de fixation
de la date d'audience.
86 M. FROMONT, La responsabilité de l'Etat en
droit français, Paris, s.é., s.d, p.2.
28
Cependant, la notion de protection de la
propriété privée dont pourrait se prévaloir la
Société, c'est le fonds de commerce qui constitue
élément capital du principe de la liberté d'entreprendre
pour la Société Kivu passant au contraire à
l'arrière-plan. De surcroît, même si le problème
n'est pas complètement nouveau en droit positif congolais, le centre
d'intérêt s'est quelque peu déplacé: alors que,
pendant longtemps, l'essentiel des questions à résoudre
concernait la question de la réparation des dommages accidentels
causé par des actes matériels de l'Administration, aujourd'hui
les principales difficultés concernent la responsabilité de
l'Etat pour les actes juridiques émis non seulement par le pouvoir
exécutif, mais encore par les autres pouvoirs, dont le pouvoir
judiciaire, le pouvoir législatif et même le pouvoir diplomatique,
par exemple les actes de Gouvernement qui attentent dans une certaine mesure
l'exercice d'un droit fondamental compte tenu de contexte ou de
paramètre sécuritaire du pays et cela uniquement pour raison
d'Etat. C'est précisément ce souci de mettre la lumière
sur ces nouveaux problèmes qui nous amène à
présenter les solutions du droit français en abordant
successivement la responsabilité de l'Etat du fait de ses actes
matériels et la responsabilité de l'État du fait de ses
actes juridiques, même si parfois, la frontière entre ces deux
catégories d'actes est incertaine.
Après avoir présenté la portée
extensive des garanties accordées à l'exercice du droit
d'investissement privé, équivalant de la liberté
d'entreprendre du droit français, bien qu'il n'est pas un droit
intangible c'est-à-dire, susceptible de dérogeabilité,
mais protégé en tant que droit fondamental par l'autorité
judiciaire. Voyons maintenant, en quoi peut se poser la nécessité
de restreindre l'exercice du droit d'investissement privé en droit
positif congolais, par voie de mesure préventive du Ministère
public, sans pour autant engager la responsabilité de l'Etat
congolais.
.
29
Chapitre.2. DE LA NECESSITE DE PORTER ATTEINTE AU
DROIT D'INVESTISSEMENT PRIVE EN DROIT CONGOLAIS
Le droit d'investissement privé, étant l'un des
droits fondamentaux, bénéficie de garanties supra
législatives87 ; en ce que le Doyen L.FAVOREU note qu'il ne
peut être restreint l'étendu et la portée de l'exercice des
préceptes constitutionnels ; consistant en garantie de la substance et
le respect du contenu essentiel ou de l'essence des droits et libertés
fondamentaux88. Cependant, le droit d'investissement privé ne
figurant pas sur le catalogue des droits intangibles89 ; il est
alors susceptible de recevoir des limites renvoyant à une conception des
atteintes. Lesquelles peuvent découler de la nécessité de
faire respecter les objectifs d'intérêt général dont
la sureté intérieure de l'Etat ou l'ordre public90.
Telle constituerait donc la légitimité des mesures de restriction
portée à l'exercice du droit d'investissement privé pour
la Société Kivu market après le retrait de M23 de la ville
de Goma (section 1ère), laquelle légitimité,
reste basée sur les soucis de sécurité publique ou mieux
la sureté intérieure de l'Etat troublée, peut causer la
déclaration d'un régime exceptionnel, tombant ainsi dans le
panier des actes de gouvernement; insusceptibles de contrôle
juridictionnel ou de recours en contentieux, et qui entraine ainsi par voie de
conséquences, l'irresponsabilité de l'Etat congolais, sous le
regard passif du juge gardien des droits et libertés fondamentaux
(section 2ème).
Section.1. De la légitimité des atteintes
portées au droit d'investissement
privé
Quelle que soit l'explication choisie, la
sévérité ne devra pas être de mise, chaque fois
qu'un raisonnement à trois temps en bonne et due forme, n'aurait pas
changé la solution de fait. Ce raisonnement part du
rétablissement de l'ordre public dans ses trois dimensions, en
l'occurrence la sécurité publique, tranquillité publique
et la salubrité publique.
87 « C'est le moment de nous souvenir que le droit
constitutionnel tout entier est pour la garantie des droits et libertés
fondamentaux... », Tel que soutenu par M. Hauriou, in Précis de
droit constitutionnel, Paris, Sirey, 1929, p. 702.
88 L.FAVOREU, Droit des libertés fondamentales,
Paris, 2ème édition, Dalloz, 2002, p.739.
89 Cfr : article 61 de la constitution
congolaise du 18 Février 2006 telle que modifiée par l'article
1er de la Loi n° 11/002 du 20 janvier 2011 portant révision de
certains articles de la Constitution de la République
Démocratique du Congo.
90 L.FAVOREU, Op. Cit, p.750.
30
En revanche, dans certains cas, le malaise inspiré par
une solution (laissant indemne un acte juridique contestable comme nous l'avons
ci-haut évoqué), trouvera son explication dans la violation par
l'acte du ministère public sur commande du Gouvernement, que le juge
aurait dû vérifier. Mais sa saisine,
généralisée du fondamental « produit un effet de
perte de visibilité au Gouvernement»91.
En pratique, il conviendra d'admettre que le juge prenne la
liberté de moduler son contrôle selon que l'atteinte lui
paraît bénigne, courante et admissible, ou au contraire
pernicieuse et condamnable. Il ne s'agit donc pas à ce stade
d'étudier l'impact de l'acte sur la liberté
considérée, mais bien d'examiner ce qui est susceptible
d'absoudre l'atteinte critiquée dans le chapitre
précédent.
La recherche d'infraction à l'ordre public, est l'une
de la justification du principe même de l'intervention du
Ministère public, qui doit reposer sur un intérêt digne de
protection de l'ordre public, apte à cautériser l'exercice de la
liberté d'entreprendre considérée, par coupure des
contacts du m23 avec ses financiers dont le gérant du Kivu market, son
arrestation et le scellage de l'entreprise, sa principale source de revenus.
A travers ces explications apparemment anodines, il
apparaît que la justification d'une atteinte résultant d'un acte
juridique du Gouvernement exécuté par le parquet, passe par la
justification d'un intérêt à attenter au droit
d'investissement privé. Mais ce droit, bien que fondamental soit-il,
l'intérêt supérieur de l'Etat dans un acte quelconque doit
être à la fois légitime (§.1) et transcender la
volonté des particuliers, même si le dit acte ne sera pas
contrôlé (§.2) par le juge.
§. 1. Exigence d'un intérêt
légitime
Afin de justifier l'atteinte portée à l'exercice
du droit d'investissement privé en tant qu'un droit fondamental, il
convient de démontrer que l'on poursuit une fin extrêmement
louable, ou au moins respectable, notamment la répression des atteintes
à l'ordre public dont les crimes contre la sureté
intérieure de l'Etat92. L'appréciation de la
légitimité de l'intérêt
91 G. DRAGO., Les droits fondamentaux entre juge
administratif et juges constitutionnel et européens, Revue mensuelle
du JurisClasseur - Droit administratif, juin 2004, p.7.
92 Art. 195 du Décret du 30 juin 1940
portant Code pénal, dispose : « L'attentat dont le but aura
été soit de détruire ou de changer le régime
constitutionnel, soit d'exciter les citoyens ou habitants à s'armer
contre
31
avancé, s'avère cependant délicate car,
très objective. Elle implique de porter un jugement de valeur, ce qui
peut nourrir des avis divergents. Il y a toujours matière à
débats ; par exemple, selon la formule du Doyen WASSO, sur les raisons
d'Etat, pour une infraction aussi politique que l'atteinte à la
sureté intérieure de l'Etat, il va de soi que le droit
d'accès au juge, ne soit pas respecté93. Car le
régime en place, bien que constitutionnel soit-il, est menacé
dans sa souveraineté Etatique94. Dans ce cas, une question se
pose : comment apprécier si la raison d'Etat est susceptible de
justifier des atteintes au droit d'investissement privé comme droit
fondamental, s'il ne peut être porté devant le juge afin d'en
apprécier la légitimité ?
Il n'est pas rare que pour légitimer la violation de
libertés, un intérêt légitime fictif soit mis en
avant. On se ménage « un vague alibi », en s'abritant
derrière un « motif fondé sur l'ordre public ». C'est
sans compter avec la règle (proportionnalité) selon laquelle le
motif invoqué doit correspondre au but réel
poursuivi95. C'est ainsi que dans l'affaire Lawless
c. République d'Irlande (Arrêt du
1èr juillet 1961), relative à l'internement
administratif pour atteinte à la sureté de l'Etat, il
s'était posé la question de savoir sur quoi se fondait le
Gouvernement Irlandais, pour maintenir longtemps une personne en
détention sans comparution devant un juge. La Cour avait soutenu en
premier lieu que le Gouvernement pouvait légitimement déclarer
qu'un danger public menaçait la vie de la Nation, pendant la
période en cause : il existait sur le territoire de la République
d'Irlande, une armée secrète agissant en dehors de l'ordre
constitutionnel et usant de la violence pour atteindre ses objectifs ; elle
menait également les activités terroristes qui augmentaient de
manière alarmante depuis l'automne 1956 et pendant le premier semestre
de 195796. Ce cas, n'est pas loin de celui de la
Société Kivu market dont le gérant est détenu sans
comparution et par ricochet, elle-même est scellée sans avoir
comparu devant un juge. Cette mesure de scellage étant
administrativement préventive, apparait comme une mesure strictement
limitée aux exigences de la situation du Nord-Kivu. En effet,
l'application des principes d'individualité de responsabilité
pénale, du droit d'être entendu par le juge, ne pouvaient
permettre de freiner l'accroissement du danger pesant sur la République
dans sa partie Est, ou précisément dans le Rutshuru au Nord-Kivu
et Ville de Goma en 2013. La Cour a en deuxième lieu, renchéri
que même le fonctionnement des institutions de la République, des
juridictions pénales ordinaires
l'autorité de l'État ou à s'armer les uns
contre les autres, soit de porter atteinte à l'intégrité
du territoire national, sera puni de la servitude pénale à
perpétuité ».
93 J.WASSO MISONA, Contentieux administratif, Goma,
U.L.P.G.L, 2014, p.25. (Inédit).
94 V.BERGER., Jurisprudence de la Cour
européenne des droits de l'homme, Paris, 4ème
édit, Dalloz, 1994,p.76.
95 Véra MORALES, Protection juridictionnelle
des droits fondamentaux : révélation d'une entente conceptuelle,
Paris, Montpellier, 2005, p.2.
96 V. BERGER, Jurisprudence de la Cour
européenne des droits de l'homme, Paris, 4ème
édit, Dalloz, 1994, p.69.
32
et Cours militaires spécialisées ou des
juridictions militaires, ne pouvait non plus suffire à rétablir
la paix et l'ordre public97. En particulier, la réunion des
preuves suffisantes pour convaincre les personnes mêlées aux
affaires du m23 comme Kivu market via son gérant, de s'y
désolidariser ne pouvait aboutir ; et surtout que ça se heurtait
à des grandes difficultés en raison du caractère
militaire, secret et de la crainte qu'ils inspiraient parmi la population.
C'est pourquoi la Cour a conclu que, la détention administrative comme
la mesure préventive tendant à des atteintes des droits et
libertés des personnes soupçonnées de participer à
des entreprises terroristes attentant la sureté de l'Etat, parait
justifiée. Donc, tout droit violé au motif d'ordre public, comme
l'atteinte à la liberté d'entreprendre pour la
Société Kivu market, par le truchement de son gérant,
soupçonnée d'avoir financé le m23, pour attenter à
la sureté intérieure de la République Démocratique
du Congo, est justifiée. Ce sont les entreprises qui mettent en oeuvre
des moyens qui conduisent à la matérialisation des crimes
même si les entreprises ne sont pénalement responsables suivant la
théorie selon laquelle : « La société ne peut
délinquer », « Societas delinquere non potest
»98.
Naturellement ce principe ne fait pas l'unanimité dans
la doctrine. Certains sont pour et d'autres sont contre. Entre les 2
composantes (pour et contre) il y a ceux qui disent « societas delinquere
potest sed puniri non potest » c'est-à-dire « la
société peut délinquer mais ne peut être punie
». C'est pourquoi ne partageant pas ces thèses, nous pensons
contrairement que via ses organes, l'entreprise agit en fait et en droit. Par
voie de conséquences, en matière d'infraction aussi politique que
l'atteinte à la sûreté intérieure de l'Etat, elle
peut être condamnée à la fermeture complète,
nonobstant tout recours. Et nous fustigeons qu'aucun élément ne
nous permet d'estimer que les mesures prises par le gouvernement congolais en
dérogation de principes constitutionnels, ont pu être en
contradiction avec les obligations découlant pour lui du droit
international, car les lois pénales obligent tout le monde qui se trouve
sur le territoire de le R.D.C99. Cependant, le ministère
public ne devrait pas hésiter d'envoyer l'affaire en fixation, s'il
s'estime avoir des preuves suffisantes. Car, le juge ne peut se laisser abuser
par des justifications apparentes. Ne sera-t-il pas, par exemple dupe des
« appétits commerciaux peu scrupuleux, déguisés sous
le prétexte plus noble de la liberté d'entreprendre ou de
l'exercice du droit d'investissement privé », afin
d'échapper au paiement des taxes et des droits de douane
réguliers, en se familiarisant avec les rebelles pour
97 V. BERGER, Jurisprudence de la Cour
européenne des droits de l'homme, Paris, 4ème
édit, Dalloz, 1994, p.69.
98 S.BASILE., Responsabilité
de la personne morale,Paris,P.U.F,2009,p.46.
99 Lire l'article 15 du Décret
de 1895, portant statut des étrangers, B.O., 1895.
33
faire passer des marchandises sans contrôle douanier,
dans la zone occupée par les ennemis de la République? .
En tout état de cause, mettre en évidence la
réalité de l'intérêt sur lequel repose la mesure du
Gouvernement en réaction contre la germe financière de l'ennemi
de la paix publique, appréciée en une atteinte à
l'exercice du droit d'investissement privé comme droit fondamental
fondé sur le principe de la liberté d'entreprendre pour la
Société Kivu market, n'est pas chose facile ; non plus ça
ne constitue pas toujours un lourd fardeau. Parce que, du point de vue du sujet
de l'atteinte c'est-à-dire l'entreprise, si l'exercice par lui d'une
liberté d'entreprendre, risque réellement d'être à
l'origine d'une perpétuelle perturbation grave à la sureté
intérieure de l'Etat, l'exigence étudiée se retournera
contre lui. Elle justifiera par exemple, du moins quant à son principe,
en une interdiction formelle et temporaire. Exiger la démonstration du
trouble engendré par l'exercice d'un droit fondamental (A) est capital
en ce que ça nous permettrait de répondre à cette
préoccupation (B).
A. Existence d'un trouble à l'ordre public
A l'instar de ce qui a été vu pour l'exigence
d'un risque pour la Société, de fournir encore les ressources
financières au m23, sur ordre de décaissement et transfert des
fonds, fait par BILAL le gérant, la nécessité de se fonder
sur un trouble, présente un caractère ambivalent pour la
protection de l'ordre public et la souveraineté de l'Etat congolais.
Certes, elle constitue en principe une contrainte dans le processus de
justification des atteintes, mais c'est ce qu'il convient d'illustrer.
Cependant, arguer d'un trouble, permet en retour de justifier certains actes
juridiques, sanctionnant la mise en oeuvre d'un droit fondamental.
L'implication qu'il faudra examiner parce que les faits pénaux
reprochés au sieur BILAL, constitue un trouble redoutable à
l'ordre public dont les éléments constitutifs se
présentent comme pour tout fait érigé en infraction, en
plus de la légalité du fait, encore faudrait-il la réunion
de l'élément moral et de l'élément matériel.
L'élément moral de l'atteinte à la sûreté
intérieure de l'Etat consiste dans l'établissement de l'intention
coupable requise, qui est le fait pour l'auteur (gérant de Kivu market)
d'agir sciemment, c'est-à-dire avec l'intention de provoquer l'attentat
dans le but, soit de détruire ou de changer le régime
constitutionnel, soit d'exciter les citoyens ou habitants à s'armer
contre l'autorité de l'État ou à s'armer les uns contre
les autres, soit de porter atteinte à l'intégrité du
territoire national1°°.
100 Lire l'art.195 du Décret du 30 juin 1940, portant code
pénal congolais.
34
En ce qui concerne l'élément matériel,
signalons que suivant son acception légale, celui-ci consiste dans le
fait d'entreprendre, par quelque moyen que ce soit, de porter atteinte à
l'intégrité du territoire national101, à savoir
le soutien financier offert au m23 par le gérant de la
Société Kivu market Sprl, afin de parvenir à
déloger les positions des Forces armées de la République
Démocratique du Congo dans le territoire de Rutshuru et marcher sur la
ville de Goma, pour des raisons non communiquées102.
Au retrait du m23 de la ville de Goma, quelle attitude a pris
le Gouvernement ?
B. Réaction du Gouvernement face au trouble
à l'ordre public: Atteinte à la liberté
d'entreprendre
Certes dans un Etat de droit comme la R.D.C, on ne saurait
concevoir des atteintes aux droits et libertés fondamentaux par la
puissance publique. Raison pour laquelle la doctrine congolaise la plus
concordante soutient que tout acte de l'Administration publique repose sur un
texte normatif constituant en fait son cadre juridique103 et pour
s'assurer que l'acte de la puissance publique ne porte atteinte aux droits
fondamentaux, il doit être soumis au contrôle du
juge104. Cependant, il sied de souligner qu'à
côté de l'administration dont dispose le Gouvernement, il y a la
casquette politique car au sens de la constitution congolaise, le Gouvernement
ne dispose pas que de l'administration publique, mais aussi des Forces
armées, de la Police nationale et des services de
sécurité105. De ce fait, face à une atteinte
notoire à la sureté intérieure de l'Etat via la fourniture
des moyens pécuniaires au groupe rebelle m23, par Sieur BILAL
gérant de la Société Kivu market, l'autorité de
l'Etat congolaise dans les replis stratégiques qu'opéraient les
FARDC face à la monté en puissance des rebelles, perdait des
positions importantes dont le territoire de RUTSHURU et la ville de Goma. Nul
ne peut nier que l'ordre public y était troublé même si la
République n'avait pas jugé utile de Décréter un
régime exceptionnel, la vie publique de la Nation était
menacée par l'absence de l'autorité de l'Etat dans ces parties de
la province du Nord-Kivu. Pour rétablir l'autorité de l'Etat, la
paix et la sécurité publique dans le territoire occupé par
le rebelle, l'Etat congolais ne pouvait en premier temps que
101 Voir l'art.197 du Décret du 30 janvier 1940.portant
code pénal congolais.
102 Pour ce qui est des raisons, pour lesquelles Sieur BILAL
aurait offert soutien financier au m23, il nous semble que ce serait
guidé par les appétits commerciaux excessifs de vouloir gagner
plus, en passant par fraude fiscale tout en échappant aux taxes et
droits des douanes, lorsque les marchandises de la société qu'il
gère, allaient facilement entrer au pays en passant par la zone
occupée par le m23.
103 J. WASSO MISSONA, Droit administratif, Goma, U.L.P.G.L, 2012,
p.3.(inédit).
104 Ibidem, p.9.
105 Lire le 4ème alinéa de l'article
91 de la Constitution, telle que modifiée par la Loi n° 11/002 du
20 janvier 2011 portant révision de certains articles de la Constitution
de la République Démocratique du Congo du 18 février
2006.
35
détruire ses capacités financières pour
limiter ses moyens d'action, en arrêtant ses financiers. Mais
jusque-là, ça ne suffit pas encore. Car, couper l'arbre ne veut
dire pas l'empêcher de pousser, mais encore faut-il le déraciner.
C'est pourquoi en plus d'avoir arrêté sieur BILAL, il a
été jugé nécessaire de sceller tous les bureaux et
dépôts de la Société Kivu market par le par le
Parquet général en exécution du R.I n° 1591, suivant
le R.M.P 05054/P.G/024/013 pour des faits pénaux à charge de son
gérant BILAL.
Qu'est-ce qui justifie l'incontrolabilité de pareille
mesure attentoire à l'exercice du droit d'investissement privé
comme droit fondamental fondé sur le principe de la liberté
d'entreprendre?
§.2 . Justification de l'incontrolabilité de
l'acte restrictif
Il est impérieux de souligner que la question de
veiller à la sécurité publique ou mieux
concrètement, celle de la sureté intérieure de l'Etat,
bien que le code pénal congolais prévoit et punit les atteinte
portées à son intégrité, rentre dans les missions
traditionnelles de tout gouvernement, on l'appelle autrement et cela à
côté de la justice et des relations diplomatiques du gouvernement,
une des fonctions régaliennes de l'Etat. C'est suivant ce qui
précède que nous traitons la mesure de scellage de la
Société Kivu market, d'acte de gouvernement compte tenu du fait
qu'elle ait été entreprise sur collaboration de l'agence
nationale de renseignement et le ministère public ; lesquels
relèvent tous du pouvoir exécutif dont la Présidence de la
République pour l'A.N.R et le Ministère de la Justice pour le
ministère public.
En fait, l'acte de gouvernement qui couronne le R.I
N°1591 dont il est question, est en effet, un acte pris par une
autorité publique mais dont le juge administratif refuserait de
connaître au motif de son incompétence radicale.
L'injusticiabilité de ces actes a été
dénoncée par la doctrine comme « une anomalie
choquante106. Cependant l'arrêt Markovic
contre Italie (CEDH, 14 décembre 2006) et la théorie
française des actes de gouvernement, a appuyé la
décision du juge à constater son incompétence en
présence de certains actes de la puissance publique107, la
doctrine a infléchi sa position et des voix se sont fait entendre
pour
106 A. de LAUBADÈRE, cité par R.CHAPUS, «
L'acte de gouvernement, monstre ou victime ? », in R. CHAPUS,
L'administration et son juge, coll. Doctrine juridique, PUF, Paris,
1999, p. 85.
107 L'arrêt Markovic contre Italie (CEDH, 14
décembre 2006) et la théorie française des actes de
gouvernement, Bordeaux IV, CERCCLE, 2006,p.2.
36
reconnaître la pertinence des conclusions du juge, et
légitimer108, si ce n'est louer, la réserve du juge
à l'égard du pouvoir politique.
En effet, « dans l'Etat de droit authentique, aucun
acte juridique, quelle que soit la catégorie à laquelle il se
trouve appartenir, ne devrait échapper au contrôle juridictionnel
(...). Aucune autorité publique instituée, même la plus
haute, ne saurait être située ni se mouvoir en dehors de la
sphère du droit »109. L'immunité
juridictionnelle accordée aux actes de gouvernement apparaît donc
comme une faille dans la construction d'un Etat de droit posé en
objectif de l'Etat démocratique110. Plus encore, et
au-delà de la contradiction avec la valeur de l'Etat de droit, la
théorie des actes de gouvernement peut « choquer » dans la
mesure où elle porte directement atteinte à un droit subjectif de
la personne : le droit à un juge111, étant le moyen de
réaction contre l'arbitraire attentant l'exercice du droit
d'investissement privé pour la Société Kivu market. En
effet, l'irrecevabilité abrupte et sans appel à laquelle donne
lieu la qualification d'un acte de la puissance publique comme acte de
gouvernement apparaît immédiatement comme une forme de déni
de justice112
Section.2. Des causes d'irresponsabilité de
l'Etat congolais pour atteinte à l'exercice du droit d'investissement
privé dans la ville de Goma
Cette décision de scellage de la société
Kivu market, est lourde de conséquences. Elle valide une théorie
que beaucoup pourtant vouaient à la disparition dans le mouvement de
parachèvement de l'Etat de droit113. Elle ferme une porte par
laquelle la soumission de la puissance publique au droit, et la sauvegarde des
droits fondamentaux contre l'arbitraire de la raison d'Etat auraient pu
s'introduire dans notre ordre juridique et en parachever l'édifice
libéral. Mais ce qui surprend peut-être plus que la conclusion de
la Cour elle-même, laquelle, finalement, n'est que très
raisonnable étant donné le caractère peu opportun d'une
intervention du juge dans une matière où la décision
politique est si importante, c'est le
ère
108 R.CARRÉ DE MALBERG, Contribution à la
théorie générale de l'Etat, tome I, Dalloz, Paris,
2004 (1 éd.,
Sirey, Paris, 1920), p. 524 : « L'intérêt
de l'Etat exige donc qu'il y ait, dans la fonction dont est investie
l'autorité administrative, un domaine de libre activité
»
109 C. GOYARD, « Etat de droit et démocratie »,
in Droit administratif, Montchrestien, Paris, 1992, p. 303.
110 J.CHEVALLIER, L'Etat de droit , Montchrestien,
Paris, 4° éd., 2003, p. 79.
111 P. TERNEYRE, « Le droit constitutionnel au juge »,
L.P.A., s.l, décembre 1991, p. 4 à 14.
112 L.FAVOREU, Du déni de justice en droit public
français, LGDJ, Paris, 1964, p. 169.
113 R.ODENT, Contentieux administratif, Paris, 1978,
p. 391 ; Voir aussi M.WALINE, Traité élémentaire de droit
administratif, Sirey, Paris, 6° éd., 1951, p. 108 : « Il
est incontestable que telle la peau de chagrin, la liste des actes de
gouvernement se rétrécit grâce au libéralisme
croissant de la jurisprudence » .
37
raisonnement suivi par la Cour. Des doutes, en effet,
surviennent lorsque l'on réexamine un à un les points de
l'argumentation, de l'existence d'un droit défendable au titre de
l'alinéa 9ème de l'article17 et 19 de la constitution (§.1),
à celle de l'existence d'une véritable atteinte au profit des
actes de gouvernement (§.2). Une autre voie, plus juridiquement
acceptable, était, nous semble-t-il, ouverte aux juges pour respecter
tout à la fois la rigueur de la logique juridique et la
nécessaire marge de manoeuvre politique de la République
Démocratique du Congo.
§.1. L'existence d'un droit juridiquement
défendable au sens de l'article 19 de la Constitution
Selon le droit congolais, l'applicabilité de l'article
19 de la constitution n'est valable qu'en cas d'une certaine présomption
de culpabilité. Mais il se pose un problème, en l'espèce
le fait qu'il résulte de l'absence de précédent
jurisprudentiel portant sur la même question (sanctionner une personne
morale pour le fait d'une personne physique). La Société Kivu
market dispose donc d'un droit au moins défendable reconnu par le droit
interne, dont l'entente de sa cause par le juge, compte tenu du sa
personnalité distincte de celle du Gérant. Cela reconnaît
implicitement, la justiciabilité du droit d'investissement privé
par la Société. Mais nécessairement restreint, dès
lors que son exercice a péché contre l'ordre public et dont la
réaction consiste dans les mesures de sécurité publique
à titre conservatoire, tombent dans le panier des actes de gouvernement
qui ne se distinguent pas, prima facie, des autres actes de la
puissance publique et engagent, au moins de façon formellement
soutenable, l'Etat (A). Ils ne relèvent pas d'une autre fonction
juridique que celle normalement soumise au contrôle du juge (B).
A. Des actes formellement juridiques
A l'origine, le critère de reconnaissance d'un acte de
gouvernement, était sa détermination par un objectif de nature
politique114, condamnée de manière unanime par la
doctrine115. Cette
114CE 1èr mai 1822, Lafitte, Rec.,
1821-1825, p.202 ; CE 18 juin 1852, princes d'Orléans, Sirey, 1867,
p.124.
115 Selon le Professeur Chapus, seul l'acte de gouvernement
justifié par la théorie du mobile politique constituait un «
monstre d'arbitraire » ; l'acte de gouvernement justifié
par une vision renouvelée des fonctions de l'Etat n'est donc plus qu'
« une victime, injustement chargée de péchés qui
ne sont pas les siens » (CHAPUS, op. cit., p. 86). Et Pour
O. Raymond, la théorie du mobile politique revenait à «
ériger l'arbitraire politique en une cause d'irrecevabilité
» (Contentieux administratif, op. cit., p. 394).
38
théorie dite du mobile politique, a été
abandonnée par le Conseil d'Etat116. D'autres fondements de
l'acte de gouvernement, furent alors recherchés. En particulier,
certains auteurs, affirmèrent que la nature même des actes de
gouvernement les soustrayait à tout contrôle de la part d'un juge,
qui plus est un juge issu de l'administration et dont la supervision,
n'était tolérée que parce qu'elle restait
limitée117.
Pourtant, rien d'autre que le caractère politique, ne
distingue formellement un acte de gouvernement, d'un acte administratif
ordinaire.
Tout d'abord, l'acte de gouvernement est un acte juridique,
par opposition à un fait matériel. Il consiste en une
manifestation de volonté destinée à produire des effets
dans l'ordonnancement juridique. Il résulte toujours d'une
décision prise par une autorité publique118. Le
Professeur Chapus, tout en étant favorable à la théorie
des actes de gouvernement, le reconnaît volontiers : l'acte de
gouvernement est un « acte d'une autorité exécutive
française119».
Comme tout acte juridique, ensuite, il produit des effets sur
l'ordonnancement juridique. Il est créateur d'une norme, qu'il s'agisse
de décider de la mise en oeuvre de l'article 69 de la constitution en
son dernier alinéa concernant la garantie de l'indépendance
nationale, de l'intégrité du territoire, de la
souveraineté nationale par le chef de l'Etat120. En cela,
l'acte de gouvernement est un acte décisoire, donc faisant
grief121. Or « ce caractère décisoire est la
condition posée par le juge administratif à la
recevabilité du recours122».
.
Formellement, comme tout acte administratif, l'acte de
gouvernement se manifeste soit dans un acte écrit explicite (par
exemple, le décret de promulgation d'une loi123), soit dans
une décision implicite (par exemple, le refus de saisir le Conseil
constitutionnel d'une loi votée et non encore
promulguée124). Mais pour ce qui est du scellage de la
Société Kivu market, cela émane de l'initiative de l'A.N.R
dont l'attachement relève de
116 CE 19 février 1875, prince Napoléon,
Rec. p. 156 ; LONG, WEIL, BRAIBANT, DELVOLVÉ, GENEVOIS, Les
grands arrêts de la jurisprudence administrative, Dalloz, Paris,
15°éd., 2005, p. 16 à 26.
117 M.HAURIOU, note sous CE 30 juin 1893,
Gugel, Sirey 1895, II.42, et sa célèbre
théorie de « la part du feu ».
118 Selon Pierre DELVOLVE, l'acte administratif se
définit comme un acte juridique unilatéral émanant d'une
autorité administrative et affectant l'ordonnancement juridique (P.
DELVOLVE, L'acte administratif, coll. Droit public, Sirey, Paris,
1983).
119 CHAPUS, op. cit., p. 80.
120 Article 69 de la constitution congolaise du 18 Fevrier
2006
121 J.FBRISSON et A.ROUYÈRE, Droit administratif,
coll. Pages d'amphi, Montchrestien, Paris, 2004, p. 157
122 Ibidem, p.156.
123 CE 3 novembre 1933, Desreumeaux,
Rec. 993.
124 CE ord. 7 novembre 2001, Tabaka, Rec.
789.
39
la Présidence de la République. Ce qui nous
permet d'apprécier le R.I n° 1591 en acte de gouvernement
étant donc un acte juridique, et au moins en apparence, un acte
administratif. Il reste alors, à savoir si son contenu ne fait pas de
lui un acte différent et par là-même soustrait
légitimement au contrôle du juge125.
Des mesures restreignant l'exercice d'un droit fondamental
sans intervention judiciaire peuvent-elles émaner des autorités
autres qu'exécutives ?
B. Des actes relevant de la compétence
exécutive.
Parmi les justifications à la théorie de l'acte
de gouvernement figure celle tirée de ce que les actes de gouvernement
relèveraient d'une fonction de l'Etat différente de la fonction
administrative dont le juge peut seule connaître. Ainsi, à
côté de l'activité administrative de l'exécutif, il
existerait une autre fonction, fonction gouvernementale, dont les actes
échapperaient au juge administratif en vertu de ce que « le
juge administratif n'est que le juge de l'administration et ne peut
connaître d'actes ou d'activités extérieures à
l'administration126».
C'est Laferrière qui, le premier, a donné de
cette distinction une définition : selon lui, « Administrer,
c'est assurer l'application journalière des lois, veiller aux rapports
des citoyens avec l'administration et des diverses administrations entre elles.
Gouverner, c'est pourvoir aux besoins de la société tout
entière, veiller à l'observation de sa constitution, au
fonctionnement des grands pouvoirs publics, aux rapports de l'Etat avec des
puissances étrangères, à la sécurité
intérieure et extérieure127». Rappelant la
distinction des actes d'autorité et des actes de gestion,
abandonnée depuis longtemps par la jurisprudence, le
critérium de différenciation des actes de gouvernement
et des actes d'administration, tel qu'énoncé, paraît bien
difficile à mettre en oeuvre objectivement. La considération de
la nature politique de l'acte et de ses motivations n'est pas très
loin.
.
Raymond Carré de Malberg, et à sa suite le
Professeur René Capitant, ont adopté un critère
différent. Pour Carré de Malberg, « la fonction
administrative se caractérise et doit
125 Pour Paul Duez, « les actes de gouvernement
soustraits à l'emprise du juge n'ont pas un contenu juridique
différent des actes soumis au contrôle juridictionnel. L'acte
qualifié acte de gouvernement ne répugne pas par sa nature
juridique à ce contrôle » in P.DUEZ, Les actes de
gouvernement, Dalloz, Paris, 2006, p. 23).
126 CHAPUS, op. cit., p. 86.
127 E.LAFERRIÈRE, Traité de la
juridiction administrative et des recours contentieux, t. II,
Berger-Levrault, Paris, 2° éd., 1896, p. 32, cité par
CHALVIDAN, « Doctrine et acte de gouvernement », AJDA, 1982,
p. 8.
40
être définie par sa subordination à la
loi».128 Ainsi, « toutes les fois que
l'autorité administrative agit en vertu de pouvoirs légaux, il
n'existe aucune raison, quelque larges et discrétionnaires que soient
ces pouvoirs, de faire intervenir la notion d'acte de
gouvernement129». Au contraire, lorsque les
autorités exécutives agissent sur le fondement d'une habilitation
directe de la Constitution, elles se trouvent placées dans le domaine de
l'action gouvernementale et leurs actes échappent au contentieux
strictement administratif130.
C'est une telle conception qu'a retenue la Cour de Cassation
italienne dans l'affaire Markovic. Ainsi, dans sa décision du 8
février 2002, par laquelle elle constatait le défaut de
juridiction du juge italien, elle énonçait que « le
choix d'une ligne de conduite des hostilités fait partie des actes de
gouvernement. Ce sont des actes qui constituent la manifestation d'une fonction
politique, et leur attribution à un organe constitutionnel est
prévue dans la Constitution : fonction qui de par sa nature est telle
que l'on ne peut faire valoir, par rapport à celle-ci, une situation
d'intérêt protégé, de sorte que les actes par
lesquels elle se manifeste ont ou n'ont pas un contenu
déterminé131».
Il existerait donc deux fonctions, l'une administrative,
l'autre gouvernementale ou politique, dont seraient simultanément
chargées les mêmes autorités agissant par la voie d'actes
juridiques de forme identique. René Capitant, pourtant, rejettera cette
thèse que Charles Eisenmann nomme « quadrialiste ».
En effet, selon l'éminent auteur, une telle fonction gouvernementale,
fonction d'orientation et de direction, devrait soit être répartie
entre les trois fonctions classiques de l'Etat, législative,
exécutive et juridictionnelle, car elle est applicable à ces
trois types d'activités, soit, si elle est confiée à un
seul de ces principaux organes constitutionnels, elle « aboutirait
à mettre à la tête de l'Etat une sorte de dictature
incompatible avec toute forme de séparation des
pouvoirs132».
René Capitant considère dès lors que
l'immunité juridictionnelle des actes de gouvernement se justifie par le
fait, non pas qu'ils relèvent d'une fonction gouvernementale distincte
de la fonction administrative, mais directement de la fonction
législative elle-même. Ce sont les actes par lesquels
l'exécutif prend part à la fonction d'édiction de la loi,
qu'il s'agisse des actes relatifs aux rapports du gouvernement avec le
Parlement, des actes diplomatiques ou du décret de grâce et de
sécurité publique. Il s'agit là d'un acte qui
relève des rapports entre organes constitutionnels, fortement lié
à des préoccupations d'ordre
128 CARRÉ DE MALBERG, Contribution à la
théorie générale de l'Etat, tome I, Dalloz, Paris,
2004, p. 523.
129 R.CAPITANT, De la nature des actes de gouvernement »,
Dalloz, Paris, 1964, p. 111
130 Ibid., p. 526.
131 Arrêt CEDH Markovic contre Italie, par. 18.
132 Ibid, p. 110.
41
politique, mais qui ne s'inscrit à aucun moment dans un
processus de législation à proprement parler. Ou encore, dans le
domaine diplomatique, il est difficile de rattacher l'ensemble de ces actes
à un traité : par exemple, le refus des autorités
diplomatiques ou consulaires d'appuyer des réclamations
présentées par des ressortissants français
lésés auprès des gouvernements étrangers, qu'il y
ait simple abstention ou diligence insuffisante, ne constitue pas un acte
entrant dans le processus de conclusion d'une convention internationale.
Rejetant la conception extensive de l'acte administratif adoptée par les
détracteurs de l'acte de gouvernement133, René
Capitant fait preuve, au contraire, d'une conception extensive de la notion de
législation.
En outre, le rattachement des actes de gouvernement à
la fonction législative, même si on l'acceptait, ne pourrait pas
justifier l'immunité totale de juridiction dont ils
bénéficient devant le juge administratif. En effet, qualifier un
acte d'acte de gouvernement revient à le préserver de tout
contentieux, qu'il s'agisse de l'examen de sa légalité comme de
la reconnaissance de son caractère éventuellement dommageable au
titre de la responsabilité de l'Etat.
Enfin, le Tribunal des Conflits a affirmé, dans une
décision Vincent du 15 février 1890134 que
l'acte de gouvernement ne saurait en aucun cas servir de couverture à
une illégalité flagrante. Un acte de gouvernement n'est donc
injustifiable qu'autant qu'il n'est pas manifestement illégal : c'est
là porter un jugement sur le fond, proche du contrôle de l'erreur
manifeste, en vue de rejeter au titre de l'irrecevabilité.
L'ensemble de ces éléments nous conduit à
conclure que l'acte de gouvernement ne se présente point, sur le fond
comme sur la forme, comme un acte différent des autres actes
administratifs que contrôle le juge135. La seule
différence tient au contexte politique qui entoure l'acte et justifie
dans une certaine mesure la réserve du juge. Il existe donc bien un
droit à défendre pour les requérants. Mais ce droit n'est
pas ainsi absolu, bien que le prévoit l'article 19 de la Constitution
congolaise. Des limitations restent possibles de la part de l'Etat.
133 « La doctrine professe de l'acte administratif une
définition large, trop large, qui ne correspond ni à la
réalité des choses, ni à la jurisprudence »
(CAPITANT, préc., p. 106).
134 Rec. C.E., p. 183. Cité par AUVRET-FINCK,
préc., p. 142-143 ; et par MIGNON, « L'amenuisement de l'emprise de
la théorie des actes de gouvernement : progrès nécessaire
du concept de légalité », Revue Administrative,
1951, p. 44.
135 L.FAVOREU, Du déni de justice en droit public
français, op. cit., p. 170 s., spécialement. p. 232
s. : « Sous-section 2 : L'explication proposée : les actes dits
de gouvernement, actes justiciables par nature, injustifiables par accident
». Aussi, du même auteur, « Pour en finir avec la «
théorie » des actes de gouvernement », in Mélanges
en l'honneur de Pierre Pactet, Dalloz, Paris, 2003, p. 611 : « On
constate, en réalité, pour peu que l'on connaisse les
systèmes de justice constitutionnelle des pays voisins, que la «
nature » des actes considérés ne fait nullement obstacle
à leur justiciabilité ».
42
§.2. L'existence de limitations au droit à un
procès équitable.
Le droit d'accès au juge constitue un
élément inhérent au droit à un procès
équitable tel que prévu par l'article 19 de la Constitution
congolaise. Cependant, ce droit n'est pas sans limitations. «
Néanmoins, les limitations appliquées ne sauraient
restreindre l'accès ouvert à la personne indexée d'une
manière ou à un point tels que le droit s'en trouve atteint dans
sa substance même136 en l'occurrence l'exercice».
Plus précisément, la Cour européenne des droits de
l'Homme, selon une jurisprudence constante, considère que le fait «
qu'un Etat puisse sans réserve ou sans contrôle des organes de
la Convention soustraire à la compétence des tribunaux toute une
série d'actions civiles ou exonérer de toute
responsabilité civile de larges groupes ou catégories de
personnes ne se concilierait pas avec la prééminence du droit
dans une société démocratique ni avec le principe
fondamental qui sous-tend l'article 6§1 - à savoir que les
revendications civiles doivent pouvoir être portées devant un
juge137». En l'espèce, c'est, contrairement
à ce qu'affirme la Cour, une telle immunité qui prévaut
pour les actes de gouvernement (A). En outre, il s'agit d'une immunité
générale et absolue (B).
A. Une immunité procédurale.
Dans l'arrêt Markovic contre Italie, la Cour a
considéré que l'irrecevabilité opposée aux
requêtes dirigées contre les actes de gouvernement ne constituait
pas une immunité mais découlait des principes régissant le
droit d'action matériel en droit interne138. Ce faisant, elle
distingue l'espèce du cas de l'affaire Ashingdane, qui
présentait pourtant de frappantes similitudes. En effet, dans l'affaire
Ashingdane contre Royaume-Uni, la Cour européenne des droits de
l'homme a considéré que le fait, pour un requérant,
d'avoir accès à un tribunal uniquement pour entendre
déclarer son action irrecevable ne satisfaisait pas
nécessairement aux impératifs de l'article 6 de la
Convention139. L'irrecevabilité constitue donc une
barrière procédurale limitant le droit d'accès au tribunal
garanti par la Convention.
L'argument du gouvernement italien dans l'affaire
Markovic, selon lequel la théorie des actes de gouvernement, ne
crée pas d'obstacle procédural au droit d'accès au juge
car, il s'oppose in limine à l'action contre l'Etat, semble
bien faible140. Parce qu'en droit
136 CEDH, aff. Ashingdane contre Royaume-Uni, 28 mai
1985, par. 57.
137 CEDH, arrêt Markovic, par. 97 ; CEDH, aff.
Fayed contre Royaume-Uni, 21 septembre 1994, par. 65
138 Arrêt Markovic, par. 114.
92 La limitation ne portait donc pas atteinte à la
substance du droit et n'était pas disproportionnée.
140 Arrêt Markovic, par. 78.
43
judiciaire du système romano-germanique,
l'irrecevabilité d'une requête, est belle et bien une question de
procédure. S'il s'était réellement agi de définir
la portée du droit matériel des requérants, c'est sur le
fond que la requête aurait dû être rejetée. Le fait
que le résultat final soit concrètement le même ne change
rien à ce que, en droit, irrecevabilité et rejet au fond soient
complètement différents.
Si l'irrecevabilité est bien une barrière
procédurale à la défense d'un droit fondamental comme le
droit d'investissement privé, il conviendrait pour la Cour, de
vérifier qu'une telle limitation poursuit un but légitime et
assurer un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens
employés et le but visé. Quant au but légitime d'une telle
limitation, le gouvernement défendeur invoque l'Etat de droit et le
principe de séparation des pouvoirs.
L'Etat de droit, on l'a vu, ne saurait justifier une
irrecevabilité. Bien au contraire, il tend à ce que tous les
actes juridiques soient potentiellement soumis à un contrôle
juridictionnel et à ce que soit assurée leur conformité
aux normes et valeurs supérieures. Le principe de séparation des
pouvoirs apparaît sur ce point bien plus pertinent. Que le juge ne
s'immisce pas dans les décisions prises par les autres organes
constitutionnels dans l'exercice de leurs fonctions propres, est un principe
accepté et admis dans les démocraties libérales
contemporaines. Mais, étrangement, le gouvernement italien en vient
à se contredire en affirmant que les actes de gouvernement sont des
« actes "politiques" qui concernent l'Etat dans son unité, par
rapport auxquels le pouvoir judiciaire ne peut être
considéré comme une "tierce personne" 141».
La loi constituerait un tel acte. Quant aux actes de sécurité
publique ou de sureté intérieure de l'Etat, le pouvoir
judiciaire, « par définition dépourvue de
légitimité démocratique142», ne
saurait en connaître. Il est très étonnant, alors que les
progrès du constitutionnalisme au cours du siècle
écoulé ont été si grands, de voir soutenir à
nouveau la thèse légicentriste de la souveraineté de la
loi, pour justifier la souveraineté d'actes de l'exécutif,
même contre la loi, la constitution et le droit international.
Si le but poursuivi, à savoir éviter le tant
redouté « gouvernement des juges » en laissant aux
autorités démocratiquement désignées le soin
d'assumer la responsabilité politique de certaines décisions
engageant l'Etat, apparaît légitime, il semble néanmoins
que les moyens employés, du fait du caractère
général et absolu de l'interdiction, soient quelque peu
disproportionnés.
141 Arrêt Markovic, par. 80.
142 Ibid., par. 81
44
Est-il possible d'opérer une limitation au droit
d'investissement privé comme droit fondamental de façon absolue,
par acte de gouvernement ?
B. Une limitation générale et
absolue.
A la question de savoir si l'on peut effectuer de
manière relative et particulière une limite au droit
d'investissement et sa justiciabilité par un acte de Gouvernement, nous
répondons par l'affirmative. Car, l'irrecevabilité opposée
aux requêtes dirigées contre des actes de gouvernement est
fondée sur l'incompétence du juge administratif et du juge
judiciaire143. Après quelques hésitations de la
jurisprudence, qui s'appuyait parfois sur la nature de l'acte, le Conseil
d'Etat a admis, dans l'arrêt GISTI et MRAP, du 23 septembre
1992144, qu'il s'agissait bien d'une incompétence du juge
administratif145. Cette distinction n'est pas procéduralement
neutre. Ainsi, le juge statuant seul peut rejeter des requêtes pour
irrecevabilité manifeste, mais pas pour incompétence
manifeste146. Surtout, incompétence et irrecevabilité,
n'ayant pas le même objet, n'ont pas la même signification.
L'irrecevabilité affecte la requête elle-même, sa
capacité à donner lieu à une décision
juridictionnelle. L'incompétence, suivant Olivier CAYLA, «
disqualifie en effet les actes qui n'apparaissent pas comme imputables
à l'administration et qui, de ce fait, ne sont pas justiciables
devant le juge administratif, uniquement parce qu'il est le juge de
l'administration. Ce qui ne signifie pas que ces actes ne sont pas
contestables du tout, au contraire : la déclaration
d'incompétence "est un signe au requérant qu'il peut s'adresser
ailleurs"147».
D'ailleurs, ça pourrait être, comme l'a soutenu
le Doyen L. Favoreu, un juge constitutionnel148. Cette thèse
trouve principalement à s'appliquer aux actes de gouvernement concernant
les rapports entre le gouvernement et le Parlement, ou plus
généralement, entre les organes constitutionnels de la
République. Ainsi, selon Elise Carpentier, « L'acte de
gouvernement n'est pas insaisissable149». Il constitue en
effet un « acte constitutionnel institutionnel » qui, s'il
est injusticiable devant le juge ordinaire, pourrait trouver, devant la Cour
constitutionnelle chargée des litiges afférant aux pouvoirs
constitutionnels, un juge compétent. Ces actes de gouvernement
n'échappent donc au principe de légalité que pour des
143 J.WASSO MISONA, Contentieux administratif, Goma, U.L.P.G.L,
2014, p23.(inédit).
144 CE 23 septembre 1992, GISTI et MRAP, Rec.
346 ; AJDA 1992, p. 752, concl. D. Kessler.
145 P. SERRAND, « L'irréductible acte de gouvernement
», Dalloz, Paris,2000,p.337.
146 CE avis 29 novembre 1991, M. Landrée,
RFDA 1993, p. 760, concl. H. Legal, cité par CAYLA, art.
préc., p. 15.
147 O.CAYLA, art. préc., p. 15, citant les concl.
Légal, préc. (Souligné dans le texte).
148 L.FAVOREU, op. cit., p. 232.
149 E.CARPENTIER, « L'acte de gouvernement n'est pas
insaisissable », RFDA 2006, p. 661 à 677.
45
raisons contingentes, qui tiennent, en R.D.C à la
faible étendue du domaine de compétence de notre juge
constitutionnel, dont les compétences d'attribution ne concernent pas de
manière générale les relations entre les organes
constitutionnels et particuliers se prévalant des droits fondamentaux,
comme ça peut être le cas en Allemagne, par
exemple150.
Pourtant, ce n'est pas simplement l'incompétence
particulière du juge administratif qui est affirmée par la
théorie des actes de gouvernement, c'est bien la compétence de
tout juge. Ainsi, la Cour de cassation italienne l'a affirmé
très nettement dans l'affaire Markovic : « par rapport à
des actes de ce type, aucun juge n'a le pouvoir de contrôler la
façon dont la fonction politique a été
exercée151». L'immunité dont
bénéficient ces actes est donc affirmée de manière
générale et absolue. Or une telle interdiction saurait
difficilement passer pour proportionnée aux buts poursuivis, et ce
d'autant plus qu'il existait, pour aboutir au même résultat
préservant la souveraineté politique des décisions des
autorités publiques sur les voies à suivre pour résoudre
la crise sonnante du Nord-Kivu.
150 Art. 93 (1), de la Loi fondamentale allemande du 23 mai
1949 : « La Cour constitutionnelle fédérale statue : sur
l'interprétation de la présente Loi fondamentale, à
l'occasion de litiges sur l'étendue des droits et obligations d'un
organe fédéral suprême ».
151 Décision du 8 février 2002 (n°8157),
cité par la CEDH, arrêt Markovic, préc., par. 18
(nous soulignons).
46
CONCLUSION
En définitive, quel que soit leur support normatif,
constitutionnel ou conventionnel, les droits fondamentaux, en tant
qu'instrument juridique, deviennent opératoires, dans l'ensemble du
champ juridique152. Quelle que soit leur nature, unilatérale
ou conventionnelle, réglementaire ou individuelle, les actes juridiques,
lorsqu'ils portent atteinte aux droits fondamentaux, doivent être soumis
à un contrôle standardisé tenant compte de la
prééminence de ce bloc de fondamentalité. Telles
constituent en amont les raisons de protection des droits fondamentaux en droit
positif congolais, en l'occurrence le droit d'investissement privé
fondé sur le principe de la liberté d'entreprendre (qui consiste
en un libre exercice du commerce et d'industrie), étant principalement
d'éviter l'arbitraire du pouvoir public. Ce droit d'investissement
privé, se trouve prévu à l'article 34 de la constitution
de 2006, dont nous n'ignorons pas une forme de garantie quant à son
exercice et sa défense. Celle-ci, résulte de la
possibilité de saisir un juge apte à connaître et à
trancher d'un contentieux ou d'un litige relatif à l'exercice du droit
considéré. Non plus personne n'ignore, le lien qui existe entre
l'idée de garantie des droits, l'effectivité de la garantie et
l'existence d'une sanction. Ce type de garantie, est indéniable à
tout sujet de droit national ou étranger soit-il, dispose d'un certain
nombre des garanties, notamment les garanties juridictionnelles pour le
rétablissement de sa personne dans ses droits, chaque fois qu'il est
arbitrairement indexé.
La portée de garanties judiciaires à l'exercice
du droit d'investissement privé comme pour tout autre droit fondamental,
serait d'annuler les actes des pouvoirs publics dont le ministère
public. Lesquels, comportent des mesures arbitraires entreprises à
l'égard de l'entrepreneur par voie de fait. Par exemple, le fait de
poursuivre une personne morale dont la Société Kivu market pour
les faits pénaux reprochés à son gérant, auteur
d'infraction politique à la hauteur d'atteinte à la sureté
intérieure de l'Etat congolais, visiblement rien n'en justifie. Car,
partant de la théorie des actes détachables, nous sommes parvenus
à démontrer que même si le gérant d'une entreprise,
la représente et par voie de conséquences l'engage, cela ne
pouvait être valable qu'en matière des crimes économiques
comme l'orchestre d'évasion fiscale, blanchement des capitaux,.....
C'est-à-dire en matière d'opérations qui procurent du gain
à la Société. C'est pourquoi, comme ici, il est question
d'une infraction politique, une nette distinction entre la personne du
gérant BILAL EL BAKRI et l'entreprise Kivu market Sprl, devrait
être faite. Parce que les activités commerciales de la
Société et la consommation
152 B. Mathieu et M. Verpeaux, Avant-propos,
in La constitutionnalisation des branches du droit, Congrès de
l'AFC, Dijon, 14/16-6-1996, éd. Economica, 1998, p 7.
47
de cette infraction politique par son gérant, n'ont
aucun lien de rapprochement, encore que dans l'esprit de constituant, la
garantie judiciaire concerne essentiellement le procès pénal
juste et équitable, dans lequel le principe de l'individualité de
la responsabilité pénale jouerait si jamais le cas serait soumis
au juge.
Néanmoins, Cette garantie peut connaitre des limites et
elle n'inclut pas de pouvoirs plus larges pour le juge judicaire, notamment
vis-à-vis des atteintes à l'exercice de certains droits et
libertés fondamentaux dont le droit d'investissement privé pour
Kivu market S.p.r.l et son droit au juge. Certains droits et libertés
fondamentaux sont mieux protégés que d'autres. Les atteintes
portées aux droits et libertés économiques comme le droit
d'investissement privé, par exemple, sont plus largement admises que les
restrictions apportées à d'autres qui sont repris dans les
dispositions de l'article 61 de la constitution congolaise. Nous sommes partis
de l'interprétation de cet article, pour affirmer que le droit
d'investissement privé, même s'il est fondé sur la
liberté d'entreprendre, il est un droit fondamental non absolu
c'est-à-dire qu'il n'est point intangible, en dépit du fait que
sa justiciabilité reste valable. Mais même si le RMP 05054 pris
par le Parquet général sur base de R.I n° 01591,
était entaché d'irrégularité à l'endroit de
la Société Kivu market, le juge peut se refuser de
contrôler ces actes, dont les conséquences en matière des
droits et libertés, ne sont pourtant pas nulles. Les actes en question,
revêtent un caractère politique et sont qualifiés par la
jurisprudence concordante, de mesures d'ordre intérieur fondés
sur la raison d'Etat dont la justification, qui consiste dans le mobil
politique du Gouvernement congolais et leur atteinte portée au droit
d'investissement privé concrètement s'imposait pour garantir le
but de rétablir l'ordre public et l'autorité de l'Etat .
C'est en foi de ce qui précède que nous dirons,
en plus du fait qu'il convient de s'assurer du caractère indispensable
de l'atteinte édictée, notamment en ce qui concerne son ampleur.
Le fondement d'attenter à l'exercice du droit d'investissement
privé à Goma, bien que fondé sur le principe de la
liberté d'entreprendre soit-il, via les deux actes ci-haut cités,
serait donc la nécessité de sauvegarder l'ordre public et d'en
rétablir dans toutes ses dimensions, sur le territoire national de la
République, dans le but d'y exercer l'autorité de l'Etat de
manière effective. Parce que ces actes qui minent les libertés
sont a priori suspects, ils doivent tout d'abord reposer sur une
justification louable et sincère, propre à excuser leur
déviance. L'intérêt mis en avant pour exonérer
l'atteinte au droit d'investissement privé pour la Société
Kivu market s'avérait légitime, dès lors qu'elle
consistait en rétablissement de
48
l'ordre public encore que les droits et libertés
fondamentaux ne sont pas plus absolus que l'ordre public.
Mais à notre juste valeur, pensons qu'il serait
judicieux que le législateur congolais puisse opérer la
conciliation nécessaire entre le respect des droits et libertés
fondamentaux dont le droit d'investissement et la sauvegarde de l'ordre public
sans lequel l'exercice des libertés ne saurait être assuré
dans le cadre de l'évolution du droit positif congolais. Parce qu'en
toute société, il est toujours soutenu que le fait
précède le droit, et qu'au temps de la 3ème
République Congolaise, nous recourons au précédent
franco-italien pour justifier les atteintes à l'exercice des droits et
libertés fondamentaux, il importe de rappeler que nous le citons
à titre d'un principe général de droit. Mais compte tenu
de la complexité de la question (désormais il est
découvert que les investisseurs à cause des appétits
commerciaux, ils soutiennent des rébellions), il serait de loin non
négligeable pour le législateur de cristalliser la raison d'Etat,
en un texte de loi qui catalyserait l'intervention d'actes de gouvernement
à la restriction de l'exercice des droits fondamentaux comme le droit
sous examen, avec pour finalité, la prévention, comme c'est le
cas en droit français.
49
BIBLIOGRAPHIE
A. Textes officiels
1. Constitution de la R.D.C, J.O. RDC,
52ème année, numéro spécial, 18
février
2006. Telle que modifiée par la Loi n°
11/002 du 20 janvier 2011 portant révision de certains articles de la
Constitution de la République Démocratique du Congo du 18
février 2006 ;
2. Déclaration universelle de décembre 1948
relatif aux droits de l'homme ;
3. Acte uniforme OHADA relatif au droit de
sociétés adopté le 17 avril 1997. Journal Officiel de
l'OHADA N° 1 du 1er octobre 1997 ;
4. Pacte international relatif aux droits civils et
politiques, New York, 16 décembre 1966 ;
5. Loi fondamentale allemande du 23 mai 1949 numéro
spécial du 28 mai 1949 ;
6. Loi n°004/2002 du 21 février 2002 portant code
des investissements ;
7. Décret du 30janvier 1940 portant code pénal
congolais tel que modifié jusqu'au 31 décembre 2009 et ses
dispositions complémentaires, 47ème année,
J.O. RDC, n° spécial, décembre 2009 ;
8. Décret de 1895, portant statut des étrangers,
B.O., 1895 ;
9. Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de
1789.
B. Jurisprudences
1. Conseil constitutionnel français, in Décision
n° 99-423 DC du 13 janvier 2000. ;
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(inédit).
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Paris II Panthéon-Assas,
53
1952.p.302. Thèse de doctorat Disponible sur le site
l'encyclopédie libre de www.wikipédia.htm, visité le 02
mai 2014.
F. Travail de recherches
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libertés de pensée et d'expression en droit positif congolais :
cas de la ville de Goma de 2000 à 2004, Goma, U.L.P.G.L, 2001-2002
(inédit).
54
TABLE DES MATIERES
INTRODUCTION GENERALE 1
1. PROBLEMATIQUE 1
2. HYPOTHESES 4
3. CHOIX ET INTERET DU SUJET 6
4. METHODES ET TECHNIQUES DE RECHERCHES 7
5. DELIMITATION DU SUJET 8
6. SUBDIVISION DU TRAVAIL 8
Chapitre.1. DES GARANTIES A L'EXERCICE DU DROIT 9
D'INVESTISSEMENT PRIVE 9
Section 1ère. Des garanties juridiques à l'exercice
du droit d'investissement privé: liberté
d'entreprendre 9
§.1. Des garanties légales au droit d'investissement
privé 10
§.2. Des garanties judiciaires à l'exercice du droit
d'investissement privé 12
A. Le juge judiciaire et l'exercice du droit d'investissement
privé comme droit fondamental
16
B. Le juge administratif et l'exercice du droit d'investissement
privé comme droit
fondamental 19
? Le rôle protecteur du juge administratif 20
Section.2. La responsabilité de l'Etat pour le fait de ses
préposés : cas du Parquet pour restriction
abusive 22
§.1. Atteinte à l'exercice du droit d'investissement
privé par voie de fait 23
§.2 . La responsabilité de l'Etat du fait de l'acte
du Parquet 25
A. La responsabilité de l'Etat du fait de la police
judiciaire 26
B. Portée du principe de la responsabilité de
l'Etat en droit public 27
Chapitre.2. DE LA NECESSITE DE PORTER ATTEINTE AU DROIT
D'INVESTISSEMENT
PRIVE EN DROIT CONGOLAIS 29
Section.1. De la légitimité des atteintes
portées au droit d'investissement privé 29
§. 1. Exigence d'un intérêt légitime
30
A. Existence d'un trouble à l'ordre public 33
B. Réaction du Gouvernement face au trouble à
l'ordre public: Atteinte à la liberté
d'entreprendre 34
§.2 . Justification de l'incontrolabilité de l'acte
restrictif 35
Section.2. Des causes d'irresponsabilité de l'Etat
congolais pour atteinte à l'exercice du droit
d'investissement privé dans la ville de Goma 36
§.1. L'existence d'un droit juridiquement défendable
au sens de l'article 19 de la Constitution 37
A.
55
Des actes formellement juridiques 37
B. Des actes relevant de la compétence exécutive.
39
§.2. L'existence de limitations au droit à un
procès équitable 42
A. Une immunité procédurale. 42
B. Une limitation générale et absolue. 44
CONCLUSION 45
BIBLIOGRAPHIE 49
TABLE DES MATIERES 53
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