3. LA SYNECDOQUE.
Résumé :
Pour une lecture intertextuelle dont le but est
d'accroître la lisibilité, disons que la synecdoque reprend la
figure de Cendrillon. Longtemps négligée au profit de la
métaphore et de la métonymie, elle s'avère la plus
intéressante puisqu'elle est dans l'essence du langage. L'article
néanmoins a pour mission de montrer que le principe synecdochique est
à l'oeuvre dans le choix de forme en vertu de son implication dans le
rapport interlocutif.
Mots clés : synecdoque, métonymie,
métaphore, inaliénable, conventionnel
Abstract :
For an Intertextual reading whose goal is to increase the
readability, say that the Synecdoche takes up the figure of Cinderella. Long
overlooked in favour of metaphor and the metonymy, it turns out the most
interesting since it is in the essence of the language. Article nevertheless
has for mission to show that the synecdochique principle is at work in the
choice of form under his involvement in the interaction face act report.
Key words: Synecdoche, metonymy, metaphor, inalienable,
conventional
La synecdoque a permis à TODOROV (TODOROV, 1970) de
mettre NIETZSCHE (NIETZSCHE, 1887) au goût du jour, en ce qui concerne
notamment la question de l'oubli comme principe fondamental au coeur de la
possibilité du langage. Sans le mécanisme de la synecdoque, le
langage serait devenu hors portée de tout apprentissage puisqu'il
s'apparenterait à une tautologie du réel. La relativité
linguistique connue sous le nom de "thèse de Sapir Whorf" est une
démonstration qui atteste que le langage ne peut pas être une
tautologie du réel mais que chaque langue présente une
organisation particulière de ce réel.
En effet, cette thèse consiste à dire que chaque
communauté linguistique organise différemment le concept des
choses à travers son système lexical. Ainsi, pour donner un
exemple, on s'aperçoit qu'une communauté d'éleveurs
possède un vocabulaire plus riche pour dénommer la robe des
zébus qu'une communauté de bureaucrate dans la même aire
linguistique. A fortiori, deux communautés linguistiques
différentes auront une conception différente de la même
réalité. Cette dernière affirmation est soutenue par Ernst
CASSIRER (1969, pp. 44-45) quand il pose que le langage est une contribution
à la construction du monde des objets :
« Le langage n'entre pas dans un monde de perceptions
objectives achevées, pour adjoindre seulement à des objets
individuels donnés et clairement délimités les uns par
rapport aux autres des « noms » qui seraient des signes purement
extérieurs et arbitraires; mais il est lui-même un
médiateur dans la formation des objets; il est, en un sens, le
médiateur par excellence, l'instrument le plus important et le plus
précieux dans la conquête et pour la construction d'un vrai monde
d'objets. »
De cette dernière remarque, il suffit d'ajouter que
dans l'état actuel de nos connaissances, toute tentative de
résoudre l'origine du langage n'est qu'une hypothèse
31
fondée sur la supposition que l'ontogenèse de la
parole reproduit les étapes de la phylogénèse (LAFONT,
1978, p. 63). Autrement dit, ce qui se passe dans l'acquisition de la parole
chez l'enfant serait mutatis mutandis le schéma de
l'acquisition de la parole au niveau de l'espèce humaine. Toutefois, il
faut accepter que l'ontogénèse de la parole se fait au sein de
l'univers linguistique donné des adultes qui réalisent dans des
découpages spécifiques de l'univers référentiels.
L'acquisition du langage n'est pas un processus ex nihilo, elle prend sa source
dans le logosphère déjà construit.
Cette dernière remarque permet de rompre avec le
mentalisme de la psychologie qui avance que le langage est l'expression de la
pensée, comme s'il s'agissait d'une simple extériorisation. En
définitive, chaque sujet ne parle pas depuis « l'intérieur
de sa tête », mais depuis la langue maternelle déjà
là qu'il investit, depuis les discours des autres, les paroles des
autres, masse discursive qui précède et organise a priori le
rapport du sujet à lui-même, à autrui et au monde. C'est
ainsi qu'il y a relativité linguistique.
Il y a lieu de croire que la relativité linguistique
est en relation étroite avec la notion de synecdoque. Il faut distinguer
la relativité linguistique de l'arbitraire du signe linguistique, car ce
dernier est issu des contrastes entre les langues. En revanche, c'est la
possibilité des langues elles-mêmes, donc du langage qui, dans sa
relativité, dépend de la synecdoque.
Pourtant, dans la littérature de la rhétorique,
cette figure fait office de puînée maltraitée au profit de
ces deux aînées que sont la métaphore et la
métonymique. La remarque suivante de Gérard GENETTE (GENETTE,
1972, p. 25)est très instructive à ce propos:
« Comme on a déjà pu s'en aviser, il
suffit maintenant d'additionner ces deux soustractions : le rapprochement
dumarsien3 entre métonymie et synecdoque et l'éviction
fontanière4 de l'ironie, pour obtenir le couple figural
exemplaire, chiens de faïence irremplaçables de notre propre
rhétorique moderne: Métaphore et Métonymie. »
L'analyse que nous proposons dans cet exposé suit la
réhabilitation amorcée par le groupe u (DUBOIS J. , et al., 1982)
qui définit la métaphore comme une double synecdoque et on ne
peut que suivre le commentaire de TODOROV à cet égard:
« Tout comme dans les contes de fées ou dans
le Roi Lear, où la troisième fille, longuement
méprisée, se révèle être à la fin la
plus belle ou la plus intelligente, Synecdoque, qu'on a longtemps
négligée - jusqu'à ignorer son existence - à cause
de ses aînées, Métaphore et Métonymie, nous
apparaît aujourd'hui comme la figure la plus centrale. » (TODOROV,
1970, p. 30)
L'introduction de la dimension pragmatique du langage a
exacerbé cette relativité au point que les expressions
linguistiques s'opacifient pour exhiber la subjectivité de
l'énonciateur en termes d'actes de langage. Dès lors nous sommes
plus dans un processus de
3 De Dumarsais (César Chesneau),
17ème siècle.
4 De Fontanier (Pierre), 19ème
siècle.
32
signification du signe constitué de signifiant et de
signifié, mais dans un processus de symbolisation dont la
sémiosis est un système de renvois de signe à signes.
C'est là un point important où la pragmatique
rejoint la sémiotique triadique de Charles Sanders PEIRCE, notamment
dans la théorie des interprétants telle qu'elle se définit
dans la définit dans la conception suivante :
« Un signe ou representamen est un Premier qui se
rapporte à un second appelé son objet, dans une relation
triadique telle qu'il a la capacité de déterminer un
Troisième appelé son interprétant, lequel assume la
même relation triadique à son objet que le signe avec ce
même objet ... Le troisième doit certes entretenir cette relation
et pouvoir par conséquent déterminer son propre troisième
; mais, outre, cela, il doit avoir une seconde relation triadique dans laquelle
le representamen, ou plutôt la relation du representamen avec son objet,
soit son propre objet, et doit pouvoir déterminer un troisième
à cette relation. Tout ceci doit également être vrai des
troisièmes du troisième et ainsi de suite indéfiniment...
(2.274) » (PEIRCE, 1978, p. 147)
Il appert de cette définition du signe triadique
qu'elle mélange à la fois le processus de signification et le
processus de symbolisation. Dans la première partie de la
définition, il est dit que le premier renvoie à son second ; il
s'agit là du mouvement de la dénotation privilégié
par la doctrine saussurienne. Mais quand il est ajouté que cette
première relation doit être capable de déterminer un
troisième qui interprète la première relation, nous sommes
dans un processus de symbolisation qui s'articule sur un renvoi de chose
à choses.
L'analyse de Michel LE GUERN confirme ce système de
renvois quand il entend par symbole la possibilité pour un
signifié de devenir le signifiant d'autre chose et ainsi de suite :
« On pourra donc dire qu'il y a symbole quand le
signifié normal du mot employé fonctionne comme signifiant d'un
second signifié qui sera l'objet symbolisé ». (1972, p.
40)
C'est de cette manière que la « balance » est
prise pour le symbole de la justice parce que le signifié de la balance
devient justement l'expression de la notion de justice en ce que ce
signifié peut être compris comme une objectivité
mécanique de tout ce qui est présenté sur la balance, et
ce signifié est défini par la symbolisation comme immanente
à la justice. Si le processus relève purement de la
signification, on voit mal comment quelque chose qui est déjà
défini par les dictionnaires - donc par convention sociale - comme
étant un instrument de mesure des massifs pour en faciliter notamment le
commerce, peut renvoyer à la justice de manière stable comme s'il
s'agissait d'une signification.
Autrement dit, la question qui va nous guider maintenant est
de savoir pourquoi la symbolisation se greffe de manière parasite sur la
signification. C'est une question qui n'est pas triviale en considérant
que le principe d'économie inscrit dans la double articulation du
langage a pour but d'éviter la surcharge de la mémoire alors que
paradoxalement le symbole dédouble littéralement la signification
en ajoutant à côté de la relation signifiant /
signifié une autre : le symbolisant et le symbolisé.
33
On peut répondre à cette question de plusieurs
manières, mais celle qui va être privilégiée dans
cet exposé s'inscrit dans le cadre de la pragmatique. La démarche
consiste à dire que si le langage n'est pas une tautologie du
réel c'est parce qu'il embraye sur la dimension interlocutive en termes
d'actes de langage.
Sous quelques réserves, cette option correspond
à la thèse praxématique dont voici - il nous semble - la
meilleure expression :
« De l'objet, la nomination ne nous dit rien de ce
qu'il est pratique d'en dire. La logosphère est un spectacle de
réalité que l'homme a « monté » au cours de son
histoire, pour les services qu'il en attendait.
L'homme ainsi n'atteint jamais le sens des choses - la
formule elle-même est privée de sens -, mais le sens qu'il donne
aux choses et qui accompagne, facilite son action sur les choses ».
(LAFONT, 1978, p. 16)
C'est-à-dire que signifier implique toujours des actes,
et en tenant compte que le langage est avant tout pour une communication, nous
en déduisons qu'au niveau cognitif, ces actes sont de nature
linguistique donnent son intelligibilité au rapport interlocutif. Pour
éviter de revenir sur de longs développements de la
théorie des actes du langage, prenons un exemple pour clarifier les
choses.
Très peu de femmes connaissent bien les
propriétés physiques d'un diamant mais elles savent toutes que
c'est un objet très rare si bien qu'elles sont convaincues que c'est un
véritable symbole de l'amour. Autrement dit, offrir à une femme
du diamant en guise de symbole de l'amour, c'est la convaincre de la
sincérité de cet amour. C'est de cette manière que
s'opère le renvoi de signe à signes : du diamant à
l'amour, on passe par la sincérité et la conviction. Il nous
semble aussi que c'est dans cette dérivation illocutoire que se
vérifie l'hypothèse d'Adam SCHAFF qui considère que
langage et connaissance sont les deux faces d'une seule et même chose.
D'ailleurs, c'est une thèse qui fait l'unanimité
des linguistes et des philosophes que d'admettre que le langage influence notre
mode de perception de la réalité :
« Cette thèse signifie exactement ceci que le
langage, qui est un reflet spécifique de la réalité, est
également, dans un certain sens, le créateur de notre image du
monde. Dans ce sens que notre articulation du monde est du moins dans une
certaine mesure la fonction de l'expérience non seulement individuelle,
mais aussi sociale, transmise à l'individu par l'éducation et
avant tout par le langage. » (SCHAFF, 1969, p. 236)
C'est une expérience facilement vérifiable, mais
là où le bât blesse dans la formulation de cette
thèse c'est que partout l'exemple avancé revient à dire
pratiquement la même chose : la différence lexicale au niveau
quantitatif entre les dénominations de la neige par les Inuits et par
les langues européennes tout en oubliant de signaler que si les Inuits
ont un lexique plus riche pour dénommer la notion, c'est que chaque
lexique renvoie à d'autres signes qui enregistrent des
expériences.
34
Ce qui veut dire que la relativité linguistique n'est
pas dans la diversification des langues mais dans la manière dont chaque
langue opère le renvoi de signe à signes. Bien que le terme de
relativité linguistique ne soit nullement présent chez HJLEMSLEV,
nous avons toutes les raisons de penser que son effort d'analyse sur le
principe d'isomorphisme en termes de substance et forme du contenu est une
autre forme d'expression de cette pensée :
« Seules les fonctions de la langue, la fonction
sémiotique et celles qui en découlent, déterminent sa
forme. Le sens devient chaque fois substance d'une forme nouvelle et n'a
d'autre existence possible que d'être la substance d'une forme
quelconque. » (HJLEMSLEV, 1968-1971, p. 70)
Ce qui veut dire que le sens, dépendant de l'univers
référentiel, est identique dans toutes les langues, mais
seulement, sa mise en forme engendre la relativité linguistique en se
diversifiant dans chaque langue. Une diversification qui découle du
principe de renvoi de signe à signes. Autrement, la
traductibilité entre les langues serait impossible.
Il est vrai comme le fait remarquer MARTY (MARTY, 1980, p.
29)que l'oeuvre de Peirce est compliquée par une terminologie lourde, et
de plus fluctuante. En plus on reproche à la théorie du signe
triadique d'une part, le fait que tout est signe et que, d'autre part, le
processus de renvoi de signe à signes est un processus ad
infinitum.
La seule réponse que l'on peut avancer contre cette
remarque est le protocole mathématique avancé par Joëlle
RÉTHORÉ (RETHORE, 1980, p. 32). En résumé, la
question est de savoir comment le nombre « 1 » peut renvoyer au
nombre « 2 » ; dès lors l'introduction du nombre « 3
» comme interprétant de la relation entre « 1 » et «
2 » permet de trouver la raison « n+1 » de ce processus. Il
n'est plus alors difficile de prévoir un processus de renvois à
l'infini puisque les entiers naturels sont infinis.
Si le lexique d'une langue n'est qu'un système dans
lequel le signifiant est relié au signifié pour engendrer la
désignation d'un objet du monde, au sens philosophique de ce dernier
terme, alors il serait une série de hasard, car : «
D'après KOLMOGOROV et CHAÏTIN, une série de hasards est une
série dans laquelle il n'est d'autre détermination des membres
que leur énumération. » (SAVAN, 1980, p. 11)
Au contraire, il y a lieu de penser que le lexique d'une
langue est fonction du principe de renvoi de signe à signes. Mais le
principe de renvoi de signe à signes qui fait que le langage est aussi
un instrument de connaissance n'est pas un principe unique. Il existe des
lexiques par le biais desquels le renvoi de signe à signes se signale
par un trouble de la référentialité. Ces lexiques sont en
gros ce que nous appelons « trope », et parmi les tropes nous allons
nous attacher particulièrement à la synecdoque.
Il nous semble que ce survol des théories mises en
cause est nécessaire. Leur convergence sur le point où la
symbolisation prend le pas sur la signification n'est pas seulement un garant
scientifique, mais surtout, elle va nous permettre de prendre la synecdoque
sous le double processus de la signification et de la symbolisation et que
sa
35
motivation fondamentale est commandée par des buts
pragmatiques qui sont une inscription du sujet dans le langage.
Évidemment, les résultats sont extensibles aux autres tropes.
Plus précisément, il s'agit de considérer
les tropes, et en particulier la synecdoque, comme des actes de langage. En
effet, nous pouvons nous prévaloir de deux cautions pour une telle
démarche. La première nous vient de Catherine KERBRAT-ORECCHIONI
(KERBRAT-ORECCHIONI, 1994) qui s'attache à démontrer l'existence
de trope illocutoire. La seconde, plus intéressante, est un
détournement de la logique par Benoît de CORNULIER vers le domaine
de la pragmatique. Un détournement qui emprunte la voie de
l'onomasiologie pour affecter à un signifiant une signification
déjà exprimable en langue.
Ce détournement est appelé «
détachement du sens » dont voici la formulation :
"Détachement (fort) du sens : (P & (Psignifie Q)) signifie Q"
(CORNULIER, 1982, p. 132)
Autrement dit, lorsque l'énonciateur décide
explicitement ou implicitement que tel segment linguistique doit être
interprété de telle ou telle manière, ce segment
linguistique signifie ce que lui est assigné en vertu de cette
interprétation. C'est ce qui se passe exactement dans la synecdoque.
Soit l'exemple classique de « un village de 10 toits ».
« Toit » est un lexique qui existe
déjà dans la langue concernée. Au nouveau de la
signification, son signifié peut se résumer en ceci : partie qui
recouvre les murs d'une maison afin de protéger des intempéries.
Dès lors, il s'ensuit dans son emploi en discours tel montré par
cet exemple, il y a un trouble référentiel : un village n'est pas
composé seulement de toits. Ce trouble est indiciel de la voie
d'interprétation qui force à comprendre qu'une maison n'est pas
seulement faite de toit, ce qui impose de lire « toit » par
conjonction avec l'interprétation que lui fournit le terme «
village » dont il est l'adnominal.
Ce qui revient à dire que « toit » tout en
continuant à signifier "toit" met en arrière-plan cette
signification au profit de la symbolisation qui renvoie au signe « maison
». C'est de cette manière que cette synecdoque que l'on qualifie de
particularisante signifie plus. Autrement dit, en se servant de la logique du
calcul propositionnel tel qu'il est converti sous la notion de
détachement du sens de CORNULIER, nous avons l'interprété
« toit » et l'interprétant « maison » sous
l'interprétation forcée par le contexte que « toit »
renvoie à « maison ». Il faut rappeler que dans cette
démarche que c'est la conjonction de l'interprétant avec
l'interprétation qui impose l'interprétant, et ceci est, il faut
le reconnaître, un acte de langage imposé par l'énonciation
qui consiste à donner une règle d'interprétation d'un
élément du langage pour qu'il puisse renvoyer à un autre
élément, exprimable également dans ce langage et ainsi de
suite indéfiniment selon la théorie des interprétants de
PEIRCE.
CORNULIER a eu effectivement une plume heureuse en accouchant
les lignes suivantes qui pointent sur un acte de sémiotisation
inédite - ce qui nous permet d'assumer l'assomption des figures au sein
des actes de langage - sans que cela mette en péril
l'intercommunication, même dans le langage courant :
36
« Le détachement du sens est donc un principe
qui permet à un langage de s'incorporer n'importe quel
élément nouveau comme signe de n'importe quelle valeur qu'on
puisse déjà y exprimer. En ce sens, l'inventivité
sémiologique est arbitraire, radicalement et totalement, dans la mesure
où le détachement fort du sens a la force d'une règle. De
fait, en principe «P» peut être n'importe quoi. »
(CORNULIER, 1982, p. 136)
Il est très remarquable dans les dessins des enfants,
à cause justement de leur maladresse, qu'un tracé confus ne peut
représenter leur maman qu'en vertu de la légende qui
l'interprète comme tel, il en est exactement de même pour les
signalisations des panneaux routiers : ils signifient en vertu du code de la
route.
La réussite de cet acte, s'il faut le mettre dans le
cadre de conditions de félicité d'AUSTIN, est garantie par deux
choses. Premièrement, la contradiction entre « toit » avec sa
situation d'adnominal de « village » force l'allocutaire à
identifier la figure. Deuxièmement, en identifiant la figure, il a
l'indice dans le segment « village » pour suivre
l'interprétation imposée par le contexte. À savoir que
« village » lui-même est une synecdoque particularisante pour
désigner un type de groupement de maisons, c'est ce qui permet à
« toit » de renvoyer à « maison ».
De la même manière, pour prendre l'exemple
éculé de "voile" pour renvoyer à « bateau », on
s'aperçoit qu'il n'y a pas de raison - même par simple
connaissance encyclopédique - qu'une voile puisse être
aperçue en mer sans le bateau auquel elle est attachée comme
élément moteur de l'énergie éolienne. C'est ce qui
force à comprendre l'expression comme une figure synecdochique dans la
mesure où elle est comprise comme une partie d'un tout.
Du point de vue de l'émetteur, on peut se demander
pourquoi telle partie et non telle autre qui est choisie par le locuteur. Pour
y répondre, il faut faire intervenir la notion d'universaux
linguistiques. Il nous semble que la nomination indirecte d'objet du monde
relève d'une dimension affective fortement ancrée dans l'homme.
Dans la mesure où les mots sont multidimensionnels, et Robert LAFONT a
parfaitement raison de dire que le praxème - l'équivalent du
monème chez MARTINET - n'est pas doué de sens mais est un outil
de production du sens (1978, p. 29), ils sélectionnent dans leur emploi
un parcours d'évocations irréductible aux problèmes de
signification tels que cela est défini par les dictionnaires.
Dès lors, il y a lieu de comprendre que si deux signes,
respectivement littéral et figuratif, peuvent atteindre la même
référence, c'est que l'un relève de la convention sociale
et que l'autre, idiosyncratique est une inscription du sujet dans le langage
par un ajout de dimension affective selon un processus de renvois de signe
à signes.
Dans les exemples que nous avons donnés, on peut
comprendre dans le premier que c'est la partie qui assure la protection contre
les intempéries qui est l'objet de la focalisation de la figure. C'est
cette valeur protectrice de la maison qui est mise en avant comme s'il
s'agissait de mettre à distance l'époque où
l'humanité se refusait dans des cavernes. Cette dimension affective est
ancrée dans le langage puisqu'elle entre en relation intertextuelle,
à
37
la manière d'une homothétie, dans d'autres
expressions comme " avoir un « toit »" Par ailleurs, « toit
» est aussi à son tour une synecdoque qui désigne un
ensemble de matériaux les plus divers disposés sur des pannes
afin de protéger une maison des intempéries.
Dans le deuxième exemple, il n'est que de se
référer à l'immolation d'Iphigénie à Aulis
pour solliciter à Éole de lever le vent afin que les bateaux des
Spartes puissent se faire justice à Troie, pour rendre compte de
l'affectivité qui s'attache à la voile. Tout se passe comme si
sans voile, il n'était pas question de navire. Il faut aussi admettre
que du point de vue du sens. C'est la voile qui signale de loin un bateau de ce
genre. De la sorte, pour communiquer cette information
référentielle, il est plus logique de parler de voile que de
bateau. Ensuite, s'il faut ajouter que les navires sont également un
instrument de communication entre les hommes, surtout en termes de circulation
de marchandises, alors le terme de voile dans sa légèreté
peut également renvoyer à ce parcours d'évocations sous
forme de promesse sur la trame d'un avatar puisque la navigation en voile est
tributaire des caprices de la nature.
Cette exemplification montre bien qu'il ne s'agit pas du tout
de changement de sens mais d'un parcours d'évocations dans un
système de renvois de signe à signes. Il n'est même pas
possible de suivre la voie tracée par TODOROV dans cette perspective qui
donne le commentaire suivant en constatant la bévue de la théorie
substitutive :
« Fontanier est un des rares à être
conscient de la différence entre les deux opérations; il
définit les tropes comme la substitution d'un signifié à
un autre, le signifiant restant identique ; et les figures, comme la
substitution d'un signifiant à un autre, le signifié étant
le même ». (TODOROV, 1970, p. 28)
En effet, il s'agit d'un système de renvois que
prennent en charge les mots dans la mesure où ils sont eux-mêmes
synecdochiques d'une pluralité d'expériences réduites en
un seul : le mot, suivant en cela le principe d'oubli qui a fait dire à
NIETZSCHE que l'homme est un animal métaphorique. Ce qui veut dire en
définitive qu'il n'y a pas de substitution de quoi que ce soit, mais
simplement d'oubli contre l'oubli conventionnel : en éclipsant le sens
littéral de « toit » la figure fait tomber celui-ci dans un
oubli volontaire, c'est-à-dire un epokhé ou une mise
entre parenthèses.
Mais une mise entre parenthèses de la sorte ne peut se
faire que sous la reconnaissance préalable de ce qui est ainsi
oublié. En oubliant que « toit » est une agglomération
de matériaux pour une fonction précise on se rappelle qu'il est
un aggloméré pour un objet supérieur à lui : la
maison.
De nouveau, faisons dialoguer les auteurs. Dans un article
publié dans un ouvrage collectif, Jacques DERRIDA tente de montrer le
concept de différance (avec un « a ») en partant de la
thèse de SAUSSURE selon laquelle dans la langue il n'y a que des
différences, et voici l'un des résultats :
« On pourrait ainsi reprendre tous les couples
d'opposition sur lesquels est construite la philosophie et dont vit notre
discours pour y voir non pas s'effacer l'opposition mais s'annoncer une
nécessité telle que l'un des termes y apparaisse comme la
différance de l'autre, comme l'autre différé dans
l'économie du même
38
(l'intelligible comme différant du sensible, comme
sensible différé ; le concept comme intuition
différée - différante ;[...] » (DERRIDA, 1968, p.
56)
On perçoit pourtant à la lecture du texte entier
dans lequel s'inscrit ce passage que DERRIDA y exprime le malaise de
l'impossibilité de saisie de la différance comme entité
représentable, bien que plus tard, il a abandonné ce doute :
« Le gramme comme différance, c'est alors une
structure et un mouvement qui ne se laissent plus penser à partir de
l'opposition présence/absence. La différance, c'est le jeu
systématique des différences, des traces des différences,
de l'espacement par lequel les éléments se rapportent les uns aux
autres. » (DERRIDA, 1987 (éd. or. 1972), p. 38)
Ce qui est intéressant dans cette évolution,
c'est qu'elle s'inscrit, dans le dialogue des textes, en écho avec la
thèse de NIETZSCHE (Cf. (KREMER MARIETTI, 2001)) pour qui les figures
rhétoriques sont l'essence du langage, parce qu'elles procèdent
par symbolisation, c'est-à-dire, par renvoi de signe à signes que
DERRIDA appelle ici rapport des éléments les uns aux autres.
Exactement, ce rapport paradigmatique des
éléments, car c'est de cela qu'il s'agit, se lit dans les mots
(pour émonder le jargon) que nous utilisons pour nommer les choses.
C'est dans ce sens qu'il faut comprendre le mot comme une cristallisation
d'expériences. Une cristallisation qui peut naître du contact aux
choses ou du contact aux mots dans un mouvement de
complémentarité. Et déjà, nous retrouvons l'aspect
synecdochique du mot, car une pluralité d'expériences est
réduite en une dans le mot. Il faut reconnaître encore que ce
mouvement synecdochique n'est pas simple mais double.
D'abord, le mot comme un tout individué renvoie
à une foule d'éléments qu'il subsume, ensuite, il entre
aussi en tant qu'élément d'une autre unité qui le subsume
à son tour avec d'autres comme le souligne l'affirmation suivante :
« La praxis linguistique rend compte du réel
en transférant à l'« l'unité de typisation »
toutes les occurrences dont la variété n'importe pas au message,
en ramenant à l'« unité de hiérarchie signifiante
» toutes les occurrences présentes en une. Le praxème ne
produit du sens qu'en ce qu'il est cette double unité » (LAFONT,
1978, p. 134)
En effet, et pour illustrer, les premières occurrences
qui font le type permettent d'appeler « arbre » une foule d'individus
comme peuplier, eucalyptus, manguier, citronnier, etc. Le rapport de ces
individus à arbre est un rapport synecdochique, chaque individus
reproduit aussi le même rapport avec ses sous individus, et ainsi de
suite indéfiniment. Les occurrences qui font l'unité de
hiérarchisation sont une décomposition du mot « arbre »
en unités plus petites : racines, tronc, branches, feuilles, etc. de
telle manière que arbre soit synecdochique de ces
éléments. Chaque unité plus petite entretient le
même rapport avec ses sous unités et ainsi de suite
indéfiniment.
Quand on dit dans le domaine de la technique automobile «
arbre de transmission », le mot unité « arbre »
sélectionne « tronc » comme synecdoque
généralisante ; et quand on
39
parle d'« arbre syntagmatique » en linguistique ou
d'« arbre généalogique » en anthropologie, la
sélection opte pour « racines » ou « branches »
selon le sens d'orientation des ramifications.
Cette même analyse de l'unité mot en tant que
double articulation se retrouve sous une forme plus technique et rigoureuse
chez le groupe u (DUBOIS J. e., 1982). Mais pour éviter le piège
des sèmes, il y a lieu de dénoncer que les analyses
componentielles sont restrictives.
En effet, rien n'interdit au mot unité « arbre
» de renvoyer à « sève », à «
écorce », à « bourgeon », à « fleur
», à « fruit » ; et plus encore à des
éléments qui ne sont pas constitutifs de l'unité arbre
dans l'une ou l'autre articulation. Par exemple, à « oiseau »,
à « vent », à « vie » etc. mais ce dernier
type de renvoi ne saurait plus concerner la synecdoque.
En tout état de cause, nous préférons
parler du mot unité d'un foyer d'évocations. Mais pour le cas de
synecdoque les parcours d'évocations seront limités à la
double articulation du mot tel que cela est défini par LAFONT. Cette
spécification de la synecdoque nous impose de lever une
ambiguïté native de la définition de la synecdoque.
Reprenons alors la définition la plus citée :
Cette définition semble être claire. Elle montre
le point d'intersection entre la métonymie et la synecdoque : un
changement de nom ; en même temps qu'elle montre leur différence.
Dans la synecdoque, le changement concerne un rapport de la partie au tout dans
un sens du plus vers le moins qui permet de parler de synecdoque
généralisante et du moins vers le plus engendrant ce que l'on
appelle synecdoque particularisante.
Or, il est très curieux de constater qu'un ouvrage qui
est toujours cité et qui se distingue par sa clarté et sa
pertinence dans l'approche de la métaphore et de la métonymie,
citant exactement la même définition de DUMARSAIS ci-dessus nous
livre la remarque suivante : « Pour la synecdoque de la partie pour le
tout ou du tout pour la partie, le processus est le même que dans le cas
de la métonymie » (LE GUERN, 1972, p. 15).
Et ce processus, nous croyons le comprendre dans
l'exemplification suivante qui a pour but d'asseoir
épistémologiquement la théorie de la métonymie :
« Par exemple, si j'invite le lecteur à relire
Jakobson, cela n'implique pas de ma part une modification interne du sens du
mot « Jakobson ». La métonymie qui me fait employer le nom de
l'auteur pour désigner un ouvrage opère sur un glissement de
référence ; l'organisation sémique n'est pas
modifiée, mais la référence est déplacée de
l'auteur au livre. » " (LE GUERN, 1972, p. 14)
Le processus, donc, qui semble fonder la définition
réside dans ce que LE GUERN appelle glissement de la
référence. C'est ce glissement de la référence qui
est commun à la synecdoque et la métonymie. Il s'ensuit que
certains exemples qu'il donne comme étant des métonymies sont des
synecdoques dans notre perspective.
En effet, s'il est indubitable, sans qu'il soit
nécessaire pour l'instant de faire la démonstration de la preuve
que dire relisez Jakobson, le nom « Jakobson » est
métonymique. Par contre, dans la remarque suivante où un exemple
issu des textes de Zola est présenté
40
comme ayant la même facture, c'est-à-dire,
être une métonymie au même titre que l'exemple
précédent, le doute est permis :
« Quand Zola écrit : « de grosses voix se
querellaient dans les couloirs, le mot « voix » ne change pas de
contenu sémantique ; l'utilisation du mot « voix » pour
désigner des personnes qui parlent n'entraîne qu'une modification
de la référence. La relation qui existe entre les voix et les
personnes qui parlent, tout comme la relation qui existe entre Jakobson et son
livre, se situe en dehors du fait proprement linguistique : elle s'appuie sur
une relation logique ou une donnée de l'expérience qui ne modifie
pas la structure interne du langage » (ibid. p. 14).
Il est inutile dans l'espace de ce travail de se prononcer sur
les causes de cette confusion, il faut remarquer par ailleurs que cette
confusion est presque une permanence dans la littérature
dédiée. Tout le monde semble s'accorder sur la
nécessité de faire la distinction entre métonymie et
synecdoque mais n'arrive pas souvent à maintenir cette distinction dans
les exemples. Pour n'en citer qu'un autre cas qui justifie notre remarque
à l'instant, il n'est que d'évoquer que le même exemple de
« voile » pour « « bateau » apparait à
l'entrée métonymique et à l'entrée synecdoque dans
le Dictionnaire de linguistique et des Sciences du langage (DUBOIS J.
e., 1994).
Il suffit donc de dire ici que la synecdoque et seulement la
synecdoque implique un glissement de la référence - pour
réutiliser cette expression - entre des éléments
constitutifs du mot unité, que ces éléments se trouvent
dans le mot compris comme unité typisation ou dans le mot compris comme
unité de hiérarchie signifiante.
Dès lors, on ne peut pas accepter que « voix
» soit métonymique de « personnes » puisque le concept de
personne - en tant qu'unité de hiérarchie signifiante, donc une
synecdoque des éléments qu'elle subsume - implique
linguistiquement le concept de voix qui est un élément inclus
dans l'unité « personne ». Il s'agit donc d'une synecdoque.
C'est une des conséquences de la remarque de TODOROV sur l'analyse des
textes de NIETZSCHE que nous avons évoquée au tout début
de cet article.
Par ailleurs, la réduction de cette synecdoque à
la métonymie est préjudiciable à la lecture
littéraire des textes de Zola. Ce point de jonction entre la
linguistique et la littérature ne doit pas être
négligé. Sur le plan énonciatif, la synecdoque de Zola
permet de rendre compte que 1°, le narrateur ne voit pas les personnes qui
se querellaient, il ne fait qu'entendre des voix et reconnaît le
caractère conflictuel des échanges. 2°, la querelle demeure
verbale et ne s'est pas encore commuée confrontation en physique.
Ce qui veut dire qu'en disant que « des grosses voix se
querellaient dans les couloirs » Zola entend bien modaliser son
énonciation par une sorte de création d'une isotopie de la
querelle. Autrement dit, son énonciation insiste sur le fait qu'il
s'agit d'une querelle à l'exclusion de ses paradigmes par le fait de
poser comme sujet du verbe l'expression synecdochique « voix »
à la place de ce qui est attendu : « personnes ».
C'est de cette manière qu'il peut véhiculer
d'autres informations, par exemple en qualifiant ces voix de « grosses
», il indique implicitement que les personnes en question sont
41
des hommes et non des femmes car la voix est un indice du
sexe. Nous sommes alors dans le domaine de la modalisation autonymique de
Jacqueline AUTHIER-REVUZ, (1995) car en choisissant la synecdoque, l'auteur,
non seulement crée l'isotopie de la querelle, mais en outre, donne une
information sur le sexe des protagonistes, et l'on peut ajouter que le sens
impliqué dans la narration est l'ouïe et non la vue ; ce qui donne
une facture de réalisme de la description ou plus exactement, ce qui
donne une « illusion référentielle », pour utiliser
cette expression de RIFFATERRE (1982).
En changeant de théorie d'analyse, nous allons nous
apercevoir que c'est exactement l'énonciation qui est mise à
contribution dans la synecdoque. Nous pouvons prendre la séquence «
des grosses voix » comme interprété et « se
querellaient » comme interprétant. La conjonction de
l'interprété à l'interprétant donne une
interprétation qui implique l'interprétant. Il s'agit donc pour
Zola d'imposer la querelle par l'utilisation de la synecdoque.
D'autre part, et c'est là l'objectif de cette
communication, la synecdoque et les figures sémantiques s'inscrivent
dans une perspective des actes du langage. Rappelons très
brièvement que dans une première approche, disons heuristique,
l'acte de langage est un accomplissement du sens signifié par un verbe
sous une énonciation au présent de l'indicatif et à la
première personne. C'est le cas du verbe « déclarer »
par exemple. Depuis, on s'est aperçu des actes indirects qui font
l'économie des verbes performatifs dans la réalisation. C'est la
combinaison des deux qui peut être comprise comme la théorie
énonciative standard. Puis avec l'analyse des délocutifs du type
« merci » il est devenu naïf de vouloir à tout prix
chercher le verbe performatif. Dans cet exemple, en effet, on peut, dans une
perspective générative, avoir : « je vous dis merci »
où l'acte de langage pertinent n'est pas dans le verbe mais dans le nom
« merci » par délocutivité.
Cette dernière performativité est le propre du
détachement du sens dans sa version forte. C'est par cette règle
du détachement du sens que le langage s'incorpore
d'éléments nouveaux pour quelque chose que l'on peut
déjà signifier dans ce langage. Autrement dit, l'acte de langage
qui se profile derrière la synecdoque est une production du sens qui
investit la dimension autonymique de la figure.
« Voix », dans l'exemple qui nous occupe, est
interprété par l'interprétant « personne » et
renvoie donc à « personne » par cette interprétation
que l'on appelle synecdoque. Faire des figures est donc un acte de langage qui
consiste à créer un nouveau signe. Cette créativité
est gouvernée par le principe de la double articulation du
praxème, en ce qui concerne la synecdoque. TODOROV a raison, les figures
ne peuvent être traitées dans une théories substitutives,
elles continuent de signifier littéralement tout en se dotant d'une
réflexivité qui attire l'attention sur elles et qui leur
permettent de renvoyer à d'autres signes.
Renforçons maintenant la règle du
détachement du sens par la sémiotique triadique. Jacques DERRIDA,
en s'opposant au structuralisme appelle déconstruction du signe le
concept de « différance ». Ce post-structuralisme suppose que
les contraires ne s'opposent pas mais coexistent dans une structure
polémique. Nous ne sommes plus alors dans une linguistique
42
qui fait dériver le signe du rapport entre signifiant
et signifié pour désigner un objet du monde.
L'intelligibilité des signes leur vient du renvoi systématique
à d'autres signes comme nous avons eu l'occasion de le constater dans
l'analyse de la synecdoque à partir de la double organisation
synecdochique de l'unité mot.
On peut dire dans ce cas que le mot synecdochique est un
premier, il renvoie au second qu'il ne faut pas confondre ici avec le
référent, par l'intermédiaire de l'application de la
règle synecdochique. C'est ainsi que « voix » renvoie à
« personnes » et « personnes » à son tour à
d'autres éléments de même niveau.
En définitive : synecdoque, détachement du sens,
différance, autonymie, sémiotique triadique relèvent du
même principe, le renvoi systématique de signe à signes que
consignent particulièrement les tropes. C'est ce principe qui
empêche au langage d'être une tautologie du réel par une
inscription de la subjectivité à la base des actes du langage.
Illustrons cela par un exemple de synecdoque.
En prenant la synecdoque au sens étymologique de
compréhension simultanée, nous renforçons le rejet de la
théorie substitutive en même temps que nous renforçons que
le principe de renvoi, en aucun moment, n'escamote pas le premier terme, mais
se sert de lui pour renvoyer au second, en fonction de buts pragmatiques.
Il est très remarquable de constater que les gens de la
campagne, soumis aux aléas climatiques quant à leur moyen de
subsistance, usent d'expressions qui semblent avoir pour fonction de conjurer
le sort. Cette attitude linguistique est particulièrement vivace
à Madagascar. Elle peut se comprendre sur la base d'un rapport aux
divinités qui accordent ou refusent leur bienveillance en fonction du
comportement linguistique des vivants.
Or, il faut constater à la suite de FREUD (FREUD, 1912)
que le rapport aux divinités en tant que sacrées est toujours
marqué par une ambivalence : il est fait de crainte et d'adoration en
même temps. Dès lors, on s'aperçoit que la crainte engendre
l'euphémisme qui peut s'analyser comme une synecdoque croissante ou
expansive. En évitant de nommer certaines choses de crainte de heurter
les divinités, il est utilisé une expression de très
grande généralité.
Ainsi, en ce qui concerne l'élevage, le campagnard
élève des poules, des oies et des canards, le plus souvent. Mais
de crainte que les divinités comprennent comme une fatuité s'il
en parle directement, le campagnard les désigne par biby
[bête]. La raison de cette synecdoque est que les divinités
sont également responsables des autres bêtes et non pas seulement
des siens. Selon cette perspective, la synecdoque est aussi une forme de
préservation de la face.
Pour terminer, en tenant compte que les diverses
théories qui ont été présentées pour
analyser la synecdoque comme essence du langage, n'arrivent pas à faire
une démarcation nette de la question du sens, il nous faut donc
évoquer une autre théorie qui est arrivée à faire
une radicalisation de la forme. Il s'agit du Prolégomènes
à une théorie du langage de Louis HJELMSLEV (HJLEMSLEV,
1968-1971).
43
Nous pouvons dire que chez HJELMSLEV, la démarche est
plus confiante parce qu'au lieu de parler de sens il fait appel à la
notion absolument neutre de « grandeur ». Mais au lieu de faire
nous-même la glose de cette théorie féconde, donnons la
parole à un commentateur à qui nous devons la relecture de
l'ouvrage selon ses nouvelles indications :
« Pour HJELMSLEV le langage ne contient rien que du
langage. La sémantique n'existe pas. Il n'existe qu'un plan d'expression
et un plan de contenu, appliqué à un inventaire. Mais rien ne dit
que l'expression doive être nécessairement sonore ni le contenu
nécessairement conceptuel, ces deux niveaux ne sont définis que
relationnellement, et ne s'appliquent qu'à tout inventaire qui en est
doté. Il n'y a donc rien à abstraire, car il n'y a pas de noyau,
pas de sèmes, pas de classèmes, pas de traits pertinents »
(ALMEIDA, 1997)
Ce qui lui a permis de concevoir le principe d'isomorphisme
entre l'expression et le contenu et que de la sorte : « Le sens devient
chaque fois substance d'une forme nouvelle et n'a d'autre existence possible
que d'être substance d'une forme quelconque. » (HJLEMSLEV,
1968-1971, p. 70)
Or s'exprimer en trope, c'est changer de forme de lire le
monde, et cette forme, par sa différence avec d'autres formes, indique
la force illocutoire de l'expression. Pour illustrer cette dernière
remarque, nous allons nous servir d'une synecdoque qui passe inaperçue
à cause de son évidence même.
Il s'agit de notre usage des noms propres. C'est pratiquement
universel maintenant qu'un individu possède un nom et au moins un
prénom. Sauf, circonstance particulière, on choisit l'un ou
l'autre. Si l'on choisit le nom, la valeur illocutoire est la marque de
distance respectueuse qui est une interdiction de la familiarité. Si
l'on choisit le prénom, c'est la marque de la réduction de la
distance en témoignage d'une intimité. Il est évident que
choisir l'un ou l'autre, c'est faire une synecdoque ; car c'est exprimer une
partie pour la totalité. Il en va de même, si par
affectivité, le prénom lui-même est encore tronqué :
au lieu de dire, par exemple Robert, on se contente de Rob ou de Bob.
Pareillement pour l'utilisation d'hypocoristique.
En conclusion, la raison qui pousse les analystes vers la voie
de la rhétorique restreinte, sous le couple métaphore et
métonymie seulement, paraît maintenant, comme le signale GENETTE
(GENETTE, 1970), être une méconnaissance du mécanisme de la
synecdoque : le principe de renvoi de signe à signes qui est au coeur de
l'essence du langage.
Travaux cités
ALMEIDA, I. (1997, Mai). Le style
épistémologique de Louis Hjlemslev. Aarhus, Danemark.
AUTHIER-REVUZ, J. (1995). Les non coïncidences du dire et
leur représentation méta-énonciative. Paris: Thèse
de Doctorat d'état.
CASSIRER, E. (1969). "Le langage et la construction du monde
des objets", dans Essai sur le langage. Paris: Minuit.
44
CORNULIER, B. (1982). "Le détachement du sens" dans Les
Actes de Discours, Communications,32. Communications, p. 132.
DERRIDA, J. (1968). "La différance". Dans P. Sous la
Direction de SOLLERS, Théorie d'ensemble (p. 56). Paris:
Seuil.
DERRIDA, J. (1987 (éd. or. 1972)). Positions.
Paris: éditions de Minuits.
DOMINE, F. (1988, Octobre). "Dumarsais, es tropes ou des
différents sens". Mots(17), pp. 234 - 235.
DUBOIS, J. e. (1982). Rhétorique
Générale. Paris: Seuil.
DUBOIS, J. e. (1994). Dictionnaire de linguistique et des
sciences du langage. Paris: Larousse.
FREUD, S. (1912). Totem et tabou, interprétation par la
psychanalyse de la vie sociale des peuples primitifs. Paris: Payot.
GENETTE, G. (1970). "Rhétorique restreinte", dans
Recherhces rhétoriques,. Paris: Seuil. GENETTE, G. (1972). Figure
III. Paris: Seuil.
GRANGER, G. (1982, juin). "A quoi servent les noms propres".
Langages.
HJLEMSLEV, L. (1968-1971). Prolégomènes
à une théorie du langage. Paris: éditions de
Minuit.
KERBRAT-ORECCHIONI. (1994). Rhétorique et pragmatique:
les figures revisitées. (persée, Éd.) Langue
française, 101.
KREMER MARIETTI, A. (2001, Mars). "Nietzsche, la
métaphore et les sciences cognitives". Revue tunisienne des
études philosophiques(28 - 29).
LAFONT, R. (1978). Le travail et la langue. Paris:
Flammarion.
LE GUERN, M. (1972). Sémantique de la métaphore
et de la métonymie. Paris: Larousse.
MARTY, R. (1980, Juin). "La sémiotique
phanéroscopique de Charles S. Peirce". Langages, p. 29.
NIETZSCHE, F. (1887). Généalogie de la
morale. Paris: Gallimard. PEIRCE, C. S. (1978). Ecrits sur le signe.
(G. Deledalle, Trad.) Paris: Seuil.
PERALDI. (1980, Juin). "introduction" in La sémiotique
de Charles Sanders Peirce. Langages, 58.
RETHORE, J. (1980, Juin). "La sémiotique triadique de
C. S. Peirce". Langages(58), p. 32.
RIFFATERRE, M. (1982). "illusion référentielle"
dans Littérature et réalité. Paris: Larousse.
SAVAN, D. (1980, Juin). "La séméiotique de
Charles S. PEIRCE". Langages(58), p. 11.
45
SCHAFF, A. (1969). Langage et connaissance. Paris:
éditions Anthropos.
TODOROV, T. (1970). "Synecdoques", dans Recherches
rhétoriques, Communications,16. Paris: Seuil.
46
|