2. LE SIGNE EN PRAGMATIQUE
RÉSUMÉ
Une des difficultés majeures de la théorie des
actes du langage est l'oubli de l'affirmation de Saussure selon laquelle, la
langue est une forme et non une substance. Une affirmation que renforce la
sémiotique de Hjelmslev qui distingue une forme et une substance du
contenu. C'est donc sur la forme que s'appuie la théorie des actes du
langage. C'est ce que nous essayons de montrer ici en affirmant que dans le
langage, il n'y a que du langage.
Mots clés : illocutoire, constatif, substance, forme,
accomplir
ABSTRACT
One of difficulties in theory act of language is the
forgetting of Saussure's statement by way the langue is a form, not a
substance. A statement reinforced in Hjelmslev's semiotics who distinguish a
form and a substance in the content. So, the theory of language act is
supported by the form. That is what we attempt to show by this statement: in
the language there is nothing else than language.
Key words: illocutionary, constative, substance, form, perform
2.1. INTRODUCTION
Rappelons pour mémoire, qu'au début, la
linguistique était une philologie; mais la faille de cette cherche tient
au fait qu'elle est idéologiquement une généalogie qui
cherche à rattacher la langue étudiée à une racine
prestigieuse qui est généralement le grec - puisque c'est la
langue de la philosophie - ou l'hébreux - langue d'une grande religion
révélée. C'est ainsi qu'elle fut abandonnée au
profit du structuralisme saussurien.
L'édifice saussurien est une avancée majeure,
mais son inconvénient peut être résumé par
l'exclusion du locuteur de la sphère de la linguistique de telle
manière que le langage se présente comme une tautologie du
réel comme si sa fonction essentielle était de suppléer la
présence impossible des choses.
En parlant des actes du langage, le signe cesse d'être
un simple système de renvois aux objets du monde. Le blocage de ce
renvoi relève du caractère non falsifiable des actes de langage
qui sont tout simplement - au plein du verbe « être » comme
dans "Il était une fois" de l'exorde des contes - . Les
énoncés falsifiables sont susceptibles d'être
confrontés au monde référentiel et de la sorte
sanctionnés de vrai ou de faux selon leur conformité aux
choses.
Les énoncés falsifiables, appelés par
AUSTIN de "constatifs" participent à une théorie du signe
précise. Nous savons que la linguistique pré-saussurienne fut
plutôt de la philologie; une sorte de quête de la langue originelle
à partir de laquelle dérivent les langues actuellement connues.
Autrement dit, l'édification saussurienne est l'avènement de la
linguistique
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structuraliste dont nous retenons trois caractères
principaux. Tout d'abord, la question de l'arbitraire du signe, ensuite la
structure du signe et la question de la forme.
En ce qui concerne cette structure du signe, nous pouvons dire
que l'édification saussurienne se situe au niveau dénotatif:
c'est la combinaison du signifiant et du signifié qui constitue le
signe, et le signe ainsi obtenu sert à désigner un objet du
monde. Il est évident que SAUSSURE n'a jamais envisagé la notion
de signe en fonction du monde imaginaire tel que le sphinx ou le minotaure,
mais cela n'enlève en rien à la scientificité de son
élaboration.
En effet, en tenant compte que le signifiant est la face
matérielle du signe et le signifié la face conceptuelle du signe,
SAUSSURE précise qu'avant l'apparition du langage ces deux faces ne sont
qu'une masse amorphe. La masse du son indistinct pour le signifiant et la masse
non moins indistincte de la pensée:
« Prise en elle-même, la pensée est
comme une nébuleuse où rien n'est nécessairement
délimité. Il n'y a pas d'idées préétablies,
et rein n'est distinct avant l'apparition de la langue.
En face de ce royaume flottant, les sons offriraient-ils
par eux-mêmes des entités circonscrites d'avance? Pas davantage.
La substance phonique n'est pas plus fixe ni plus rigide; ce n'est pas un moule
dont la pensée doive nécessairement épouser les formes,
mais une matière plastique qui se divise à son tour en parties
distinctes pour fournir les signifiants dont la pensée a besoin. »
(SAUSSURE, 1982, p. 155)
Si la conclusion tirée de cette présentation de
la constitution du signe est exacte; c'est-à-dire l'affirmation selon
laquelle:
« La linguistique travaille sur le terrain limitrophe
où les éléments de deux ordres [l'ordre du son et l'ordre
de la pensée] se combinent; cette combinaison produit une forme et non
une substance. » (Ibid. p. 157);
En revanche, cette question de masse qui préexiste au
langage n'est pas soutenable.
Le premier argument qui peut militer contre cette
préexistence est la facture trop réaliste de la
présentation. Tout se passe comme si les idées étaient des
entités réelles qu'il suffit de cueillir dans une forme sonore
pour les rendre intelligibles. Par ailleurs, s'il suffit d'accueillir dans une
forme sonore les entités des idées pour faire langue on ne
s'expliquera pas la relativité linguistique. Parce qu'on ne saura pas
comment expliquer pourquoi les Inuits ont plus d'une trentaine d'expressions
pour désigner la neige et pourquoi les Français n'en ont
qu'une.
En tout cas, ce réalisme ne peut pas expliquer pourquoi
des idées de chose qui n'existe pas ont une forme linguistique si
justement la masse amorphe des idées préexiste à la
langue. En effet, cette conception de la linguistique est combattue par de
nombreux auteurs car elle consiste à faire du langage une
étiquette que l'on colle sur les objets. Si cela était vrai, il y
aurait eu une correspondance de termes à termes entre les langues.
Chez CASSIRER par exemple, le langage est une contribution
à la construction du monde des objets:
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« Le langage n'entre pas dans un monde de perceptions
objectives achevées, pour adjoindre seulement à des objets
individuels donnés et clairement délimités les uns par
rapport aux autres des "noms" qui seraient des signes purement
extérieurs; mais il est lui-même un médiateur dans la
formation des objets; il est, en un sens, le médiateur par excellence,
l'instrument le plus important et le plus précieux pour la
conquête et la construction d'un vrai monde d'objets. » (CASSIRER,
1969, pp. 44-45)
Il est vrai que le monde extralinguistique est l'univers sur
lequel le langage s'est levé, mais il n'est pas moins vrai que le
langage est autonome et qu'une fois le monde converti en langage la
catégorie du réel s'évanouit comme une question inutile.
La thèse que nous soutenons ici est donc que dans le langage, il n'y a
que du langage. C'est ce que nous dit avec son style propre LAFONT Robert:
« Pour autant que nous avancions à
l'intérieur du langage, nous ne connaîtrions jamais que lui et
n'atteindrons pas une réalité objective, devant laquelle il
s'établit en même temps qu'il en pose l'existence. Nous demeurons
pris au spectacle linguistique » (LAFONT, 1978, p. 15)
Cette fuite du réel dans la conception du signe
linguistique ne doit pourtant pas être radicalisée au point
d'accorder la prééminence au monde des idées par rapport
au monde des objets comme c'est le cas dans la philosophie de PLATON; pour
éviter cette radicalisation il suffit d'accepter qu'ils ont des
propriétés isomorphes. Le passage suivant permet de rendre compte
de cette isomorphie:
« [...], si l'on veut un moyen commode de distinguer
les hommes du réel des hommes du possible, il suffit de penser à
une somme d'argent donnée. Toutes les possibilités que
contiennent, par exemple, mille marks, y sont évidemment contenues qu'on
les possède ou non ; le fait que toi ou moi les possédions ne
leur ajoute rien, pas plus qu'à une rose ou à une femme. »
(DE MUSIL, 1982, pp. 18-19)
Le propre du possible est qu'il s'accommode de n'être
pas du tout réalisé. Mais alors que reste-t-il de nos moyens pour
nous rendre compte du possible? La réponse à cette question est
tellement évidente qu'elle est presque occultée par cette
évidence: il nous reste le langage pour parler du possible.
C'est ainsi que HJELMSLEV pour trancher entre la conception du
signe comme renvoi à quelque chose d'autre et du signe comme autonomie
refuse de parler de signe mais de fonction sémiotique qui unit
deux grandeurs: l'expression et le contenu et conclut que:
« Le sens devient chaque fois substance d'une forme
nouvelle et n'a d'autre existence possible que d'être la substance d'une
forme quelconque. » (HJLEMSLEV, 1968-1971, p. 70)
Ce qui veut dire que la face conceptuelle du signe ne peut
exister que dans la face matérielle et ne peut en aucune manière
lui préexister. Prenons un exemple de nature quelque peu
métaphorique pour illustrer cette relation de solidarité entre
les éléments ou les fonctifs d'une sémiotique. Soit une
masse d'argile. La masse d'argile ne peut contenir aucune idée ou aucune
pensée. Cependant, si l'on donne forme à l'argile, cette forme
contient nécessairement une idée ou une pensée comme en
témoigne les statuettes d'argile ou toute
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sculpture dans d'autres matières. Robert LAFONT fait
partie des linguistes qui sont sensibles à cette solidarité entre
les termes d'une sémiotique quand il nous apprend que:
« L'hominisation de l'espèce commence lorsque
l'individu se sert d'un objet pour en modifier un autre en vue d'une action que
ce second assume: lorsque le chasseur modifie la forme d'un caillou pour en
faire une arme contre un gibier éventuel. Éventuel: il faut bien,
dans l'opération de fabrication d'un instrument, qu'un troisième
objet soit absent et remplacé par son image. La "certitude sensible"
nécessaire au travail est prise en charge par la représentation.
Un langage qui relaie le geste déictique est là pour
épouser le mouvement de naissance de l'activité
sémiotique. Le sens surgit. C'est ce sens que nous lisons quand nous
interprétons comme instrument la modification non accidentelle d'un
silex: le signe d'une activité qui opère dans l'absence de son
objet. » (LAFONT, 1978, p. 19)
D'après ce passage, nous en concluons que pour LAFONT,
la modification non accidentelle d'un objet est le signe d'une activité
sémiotique en l'absence d'une activité pratique: c'est ce qu'il
faut admettre par inscription du sens dans une forme. Justement, c'est ce qui
se trouve précisé chez HJELMSLEV:
« Nous constatons donc dans le contenu
linguistique, dans son processus, une forme
spécifique, la forme du contenu, qui est
indépendante du sens avec lequel elle se trouve en
rapport arbitraire et qu'elle transforme en substance de contenu
» (HJLEMSLEV, 1968-1971, pp. 70-71)
Les démonstrations de HJELMSLEV pour
l'applicabilité de cette substance et forme du contenu au niveau de
l'expression sont nombreuses, notamment la comparaison entre deux
prononciations différentes de la même chose entre deux langues
différentes dans le cadre d'un emprunt, pour un exemple
contextualisé, nous n'avons qu'à comparer la différence de
forme entre [divai] et [dyv?]. Ce que les deux formes possèdent en
commun est leur substance ou le sens de l'expression.
La langue malgache a un énorme avantage pour la mise en
évidence de la forme et de la substance de l'expression puisqu'elle est
formée de plusieurs dialectes qui justement marquent des
différences de formes pour la même substance de l'expression.
Ainsi, pour ne citer que cet exemple, nous avons [aumbi], [umbi], [umbe],
[aumbe], [?aub] comme différentes formes de réalisation de
l'expression du nom du zébu en malgache.
Si ce principe d'isomorphisme entre l'expression et le contenu
est admis, nous allons maintenant nous focaliser sur la forme du contenu comme
un pari pour la forme afin de mettre en évidence que si la pragmatique
est une théorie de l'action, c'est parce qu'elle est avant tout une
analyse de la forme du contenu.
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