REPOBLIKAN'I MADAGASIKARA TANIDRAZANA - FAHAFAHANA -
FANDROSOANA
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UNIVERSITÉ DE TOLIARA
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FACULTÉ DES LETTRES ET DES SCIENCES HUMAINES ET
SOCIALES
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DÉPARTEMENT D'ÉTUDES
FRANÇAISES
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OPTION : PRAGMATIQUE
LA PRAGMATIQUE : NARRATIVITÉ,
PERFORMATIVITÉ ET DÉLOCUTIVITÉ
GÉNÉRALISÉES
Ensemble des travaux en vue de l'obtention de
l'Habilitation à Diriger des
Recherches (HDR)
Présenté par Jean Robert RAKOTOMALALA
Maître de Conférences à la Faculté
des Lettres et des Sciences Humaines et Sociales
Université de Toliara (Madagascar)
Sous la direction scientifique de M. Clément
SAMBO PROFESSEUR
Université de Toliara (Madagascar)
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1. ILLOCUTION ET NARRATIVITÉ
RÉSUMÉ
Cet article tente de résoudre l'aporie
méthodologique entre la généralisation de la
performativité à tous les énoncés face à
l'impossibilité de ranger dans l'illocutoire les insultes ou la
flatterie comme le soutiennent les textes de Ducrot et d'Anscombre. La solution
que nous apportons à cette aporie méthodologique est
l'introduction de l'algorithme narratif dans l'évaluation de
l'illocutoire de telle manière que les énoncés qui ne
rentrent pas dans la généralisation ne soient plus renvoyer dans
le perlocutoire, une notion qui ne peut pas relever de la linguistique.
Mots clés : performativité, illocutoire, algorithme
narratif, fuite du réel
Abstract
This article attempts to resolve the methodological aporia
between the generalization of the performativity all facing impossible
statements stored in the illocutionary insults or flattery as it is supported
in Ducrot and Anscombre texts. The solution that we bring to this
methodological aporia is the introduction of the narrative algorithm in the
evaluation of the illocutionary so statements that do not fit in the
generalization are no longer return in the perlocutionary, a notion that cannot
fall under linguistics.
Key words: performativity, illocutionary, narrative
algorithm, the real leak 1.1. INTRODUCTION
Ce qui se profile derrière ce titre qui affiche le
décloisonnement de disciplines en sciences humaines, à savoir :
la pragmatique et la sémiotique, est d'abord le refus de
considérer autre chose que le langage dans une analyse qui s'attache au
rapport des locuteurs avec l'énonciation, plus
précisément, c'est le refus de considérer le langage comme
une tautologie du réel. En effet, s'il est admis que le langage
relève d'une théorie de l'action, ceci implique que le monde
extralinguistique n'est pas un référent ultime mais que la
motivation essentielle de l'énonciation est une modification du rapport
interlocutif.
Ensuite, il s'agit de se doter d'un appareillage linguistique
qui par ailleurs est considéré comme l'essence du langage. Selon
Bernard Victorri le protolangage serait un langage du hic et nunc qui
répond à une exigence pratique d'une action dans le monde. Il est
effectivement d'agir sur le monde dans la perspective de l'ici et maintenant.
De cette manière, le langage est alors une tautologie du réel.
Par contre, le protolangage au niveau du plan
ontogénique peut être illustré à partir du langage
enfantin dans sa fonction symbolique. On sait qu'un enfant produit cri et
sourire en fonction d'une cause physiologique. L'enfant cri quand il se trouve
dans un état d'inconfort,
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la réaction des entourages adultes à ce cri lui
apprend que son cri a une fonction symbolique, dès lors il produit du
cri sans qu'aucune cause physiologique soit présent, mais il veut
par-là, par exemple, contraindre sa mère à rester
auprès de lui. C'est là une illustration du langage en action qui
montre que le référent n'est qu'un simulacre, c'est ce que nous
précise Jean Petitot de la manière suivante :
« La relation dominante est la relation signifiant /
signifié (la cause du désir et non pas la validité du
jugement), le référent n'étant qu'un tenant lieu (un
artefact, un simulacre, un trompe-l'oeil) » (BRANDT & PETITOT, 1982,
p. 25)
Autrement dit, le mouvement de la référence ne
s'arrête jamais à l'objet dénoté, il le traverse
pour un système de renvois de signe à signes, un système
de renvois défini par la théorie des interprétants de
Charles Sander Peirce (1979). Qualifier le référent de simulacre,
c'est lui donner la possibilité d'être une sémiotique. En
d'autres mots : la véritable référence est ce que montre
l'énonciation en termes d'acte de langage. C'est ce que nous exprime
Jean-Claude Anscombre avec son style propre : « Un principe
conversationnel général qui est que l'on ne parle pas pour ne
rien dire ni pour ne rien faire. » (ANSCOMBRE, 1980, p. 87)
Le « ne rien dire » signifie que toute communication
est toujours une communication sur le monde, c'est la fonction
référentielle dans la théorie fonctionnelle de Roman
Jakobson, mais cela ne suffit pas d'avoir un référent, il faut
encore et surtout que la communication ait une portée interlocutive,
c'est cela qu'implique le « ne rien faire »
Algirdas Julien Greimas qui n'évolue pas dans le cadre
de la pragmatique reconnaît également que le monde ne peut pas
être un référent ultime mais le lieu de manifestation du
sens, c'est-à-dire qu'il propose de cette manière une
sémiotique du monde naturel :
« Il suffit pour cela de considérer le monde
extralinguistique non plus comme un référent « absolu »
; mais comme le lieu de la manifestation du sensible, susceptible de devenir la
manifestation du sens humain, c'est-à-dire de la signification pour
l'homme, de traiter en somme le référent comme un ensemble de
systèmes sémiotiques plus ou moins explicites ». (GREIMAS A.
J., 1970, p. 52)
Pour attester la nécessité d'introduire au sein
de la pragmatique la logique narrative ou la transformation narrative à
des fins d'identification des actes de langage, nous allons reprendre ici le
cheminement de l'acquisition du langage aussi bien au niveau au ontologique
qu'au niveau phylogénétique.
L'enfant, à certain âge, ne dispose pas encore du
lexique nécessaire ni de la grammaire pour communiquer. Cela n'implique
pas qu'il est incapable de communiquer dans les cadres du présent et de
sa présence au monde. Pour pallier au défaut de nomination,
l'enfant se contente de montrer à l'aide de son index, l'objet de son
désir pour que les adultes obtempèrent dans la mesure du
possible. Ce geste de la monstration est à l'origine des
déictiques dans le langage.
L'enfant peut avoir quelques lexiques concernant les objets de
son intérêt immédiat, mais là encore son
protolangage est de nature déictique. Ce qui veut dire que l'enfant ne
peut
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communiquer que sur des événements
présents au monde, garantis par sa propre présence. Cette
coprésence de l'événement et des locuteurs fait que le
protolangage peut se passer de la grammaire. L'observation du parler enfantin
nous permet alors de conclure que la caractéristique la plus
évidente du protolangage est qu'il demeure sans grammaire.
Ce défaut de grammaire est dû essentiellement au
fait qu'il est incapable de projection temporelle puisque fait uniquement du
présent et que de la sorte, il n'a pas besoin de situer les choses ni
dans le temps ni dans l'espace puisqu'on parle uniquement des choses
présentes au sens.
Autrement dit, le protolangage est pratiquement tautologique ;
de nature indicielle, il s'organise dans le champ sensitif en tant que
prolongement des sens. De cette manière, il est de très faible
portée cognitive parce qu'incapable de métalangage et encore
moins de connotation, il ne peut que dénoter ce que les sens
perçoivent de façon métonymique. Bref, c'est un
système de communication qui ne dispose ni de mécanisme
anaphorique permettant l'identification du référant sous de
formes diverses, ni de mécanisme d'enchâssement autorisant la
récursivité.
Il s'agit là d'un observable de l'acquisition de la
parole au niveau ontologique qui ne diffère nullement de
l'hypothèse de l'acquisition de la parole au niveau
phylogénétique. C'est ce que semble souligner le passage suivant,
d'auteurs pluridisciplinaires enquêtant sur le langage originel :
« Homo erectus aurait parlé (il y a environ un
million d'années) une sorte de langage "Tarzan", très frustre,
que le linguiste Dereck BICKERTON a proposé d'appeler protolangage.
[...], le Protolangage serait un système beaucoup plus rudimentaire. Les
phrases du protolangage auraient été composées de quelques
mots juxtaposés, sans ordre bien défini, du genre Alfred manger
banane ou Alfred lapin tuer. En somme le vocabulaire aurait été
déjà présent, mais pas la grammaire. Un tel système
de communication suffit de fait à échanger de l'information
factuelle, ce qui aurait permis à cette espèce de s'adapter aux
conditions environnementales très diverses qu'elle a dû rencontrer
lors de son expansion hors du berceau africain. » (DESSALES, PIQ, &
VICTORRI, 2006)
De cette pluridisciplinarité, Victorri (2002) tire une
conclusion selon laquelle le passage du protolangage vers le langage est une
contrainte sociale qui cherche la préservation de l'espèce des
dangers des comportements dits « intelligents » au niveau individuel
mais complètement antisociaux. Nous pouvons également avoir un
observable équivalent de ce basculement dans notre société
actuelle, à des échelles diverses. Au niveau de la nation, il y a
l'ordre constitutionnel qui informe tous les types de pouvoir de manière
à garantir la paix entre compatriotes. Nous incluons à dans le
type de pouvoir, le pouvoir de la rue, à côté des pouvoirs
classiques : législatif, judiciaire, exécutif. Au niveau
transnational, il y a notamment les différentes conventions et chartes
ratifiées par plusieurs nations à travers un organisme
délibératif tel que les Nations Unies.
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Mais plus encore, en dépit de l'apparente domination
des religions allogènes dans les pays d'Afrique, il faut admettre que
cette intrusion n'a fait que laminer les religions traditionnelles qui sont
issues des premières littératures. Par premières
littératures, il faut entendre ces récits à l'aube de
l'humanité qui instituent une régulation du social. Du mythe au
conte en passant par les proverbes, ces récits forment ce qu'on appelle
maintenant oraliture, un juste regain d'intérêt après
plusieurs siècles de mépris au profit de ce que l'on appelle
pompeusement « texte d'auteur », lamineur également.
En effet, il est loisible d'observer dans les mariages
traditionnels, en opposition simultanément au mariage religieux et au
mariage civil, des pratiques sémiolinguistiques qui relèvent des
mythes. Parmi lesquelles, nous pouvons citer l'interdit de l'inceste,
D'après les textes de Victorri, le passage du
protolangage vers le langage naît de la nécessité de
raconter des événements qui ne sont plus, ou qui ne sont pas
encore, de manière à créer un spectacle linguistique
devant des auditeurs auprès de qui le locuteur poursuit des buts
pragmatiques. Les textes de Victorri sont le fruit d'une recherche
interdisciplinaire dans le but s'expliquer pourquoi il y avait un goulot
d'étranglement sur le plan phylogénétique.
C'est-à-dire, il s'agit de répondre à la question de
savoir ce qui a fait se tarir une branche de l'Homo erectus : le
Néanderthalien et qu'est-ce qui a permis à notre espèce
d'éviter cette extinction.
Trois types d'explication de cette extinction ont
été avancés, à savoir : le climat, une
épidémie ou la compétition. Mais ces causes
exogènes sont écartées les unes après les autres
car elles ne sont pas conformes à la capacité d'adaptation de
l'homo sapiens, d'autant qu'elles n'expliqueraient pas pourquoi une
branche de l'homo erectus avait résisté à ces catastrophes
généralisées. En effet, la thèse du climat,
à la période de la glaciation qui aurait conduit à la
disparition de gros gibiers dont dépendait l'homme pour se nourrir
s'effrite contre la survivance même de nos ancêtres communs. Il en
est de même pour les thèses de l'épidémie ou de la
compétition. Autrement dit, toutes causes exogènes ne peuvent pas
expliquer la disparition du Néandertalien, justement parce qu'elles
entrent en contradiction avec la survivance du cousin proche du
Néandertalien : notre ancêtre archaïque.
On sait aujourd'hui que l'hominisation de l'espèce a
duré à peu près sept à huit millions
d'années, l'apparition d'homo erectus, il y a environ un peu
plus d'un million d'années, et l'homo sapiens, à peine
huit cent mille ans. Autrement dit, de l'homo erectus à
l'homo sapiens, coïncide exactement le passage du protolangage au
langage. C'est-à-dire que l'hominisation de l'espèce n'est pas un
fait aussi simple comme le ferait croire ce scénario dessiné ici
à grands traits, mais il semble qu'en matière de langage,
l'étape cruciale a été la fabrication du premier outil
comme aptitude à la symbolisation, il s'agit du silex biface du chasseur
paléolithique.
Le fait pertinent, pour notre propos, dans la fabrication d'un
tel outil est la conversion de la topothèse en chronothèse. Pour
émonder le jargon, disons que l'outil libère l'homme de
l'événementiel ou du factuel par refus du hic et nunc
pour introduire une dimension temporelle dans son appréhension du
monde. En effet, l'outil implique nécessairement un
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objet absent qui est remplacé par son image, c'est cet
objet absent qui détermine la forme de l'outil, c'est-à-dire son
sens, ce à quoi il est destiné. La linguistique
praxématique qui se refuse de se situer dans le sillage du
structuralisme saussurien fonde d'ailleurs notion du praxème sur cette
base de l'outil symbolisant, voici ce qu'en dit Robert Lafont :
« L'hominisation de l'espèce commence lorsque
l'individu se sert d'un objet pour en modifier un autre en vue d'une action que
ce second assume : lorsque le chasseur modifie la forme d'un caillou pour en
faire une arme contre un gibier éventuel. Éventuel : il faut bien
dans l'opération de fabrication d'un instrument, qu'un troisième
objet soit absent et remplacé par son image. La "certitude sensible"
nécessaire au travail est prise en charge par la représentation.
Un langage qui relaie le geste déictique est là pour
épouser le mouvement de naissance de l'activité
sémiotique. Le sens surgit. C'est ce sens que nous lisons quand nous
interprétons comme instrument la modification non accidentelle d'un
silex : le signe d'une activité qui opère dans l'absence de son
objet. » (LAFONT, 1978, p. 19)
C'est ce qui a permis à la praxématique de
définir le praxème (monème) comme unité de
production de sens et non doué de sens, une position qui s'inscrit
adéquatement dans la thèse de la relativité linguistique,
découverte pourtant au sein du structuralisme :
« Mais le praxème n'est pas exactement le
monème ou le morphème. Ou il ne l'est, si l'on veut, que comme
unité formelle. [...]. Il n'est pas "doué d'un sens". Il est
l'unité pratique de production du, ce qui est fort différent ;
comme l'acte produit par l'outil, lui-même produit par le travail, ne se
confond pas avec l'outil, même si la forme de l'outil lui donne
déjà une forme. » (LAFONT, 1978, p. 29)
Ainsi, s'il est admis que le langage opère en l'absence
de son objet à titre d'outil, sa dimension pragmatique devient une
évidence majeure que l'on peut rattacher à son origine. La
pragmatique comme modification de rapport interlocutif ou intersubjectif est
à la source des premières mises en forme discursive.
Pratiquement, toutes les disciplines en sciences humaines s'accordent pour
appeler ces premières formes discursives de « mythe », dont la
propriété essentielle est son anonymat par lequel il tire son
efficience pragmatique. Ce qui veut dire exactement que la fonction du mythe
est de réguler la société. Il y a donc lieu de supposer
que c'est un défaut de langage qui aurait conduit à l'extinction
du Néanderthalien : une cause endogène.
On constate que chez les mammifères sociaux, les
compétitions au sein du groupe aboutissent à des combats qui ne
se soldent que très exceptionnellement à la mise à mort du
vaincu (LORENZ, 1970) puisque la régulation se fit au niveau biologique.
Chez l'homme, par contre, la régulation se fait au niveau socioculturel
et non au niveau biologique :
« Les comportements à prohiber, tels que tuer
son frère ou son père par exemple, font l'objet d'interdits
explicites dans toutes les sociétés humaines. » (VICTORRI,
2002)
Ces interdits explicites sont accomplis, de manière
illocutoire, par les mythes qui racontent comment les choses se sont
passées au commencement. De cette manière raconter ce qui s'est
passé c'est éviter qu'il ne se reproduise. Il serait très
intéressant d'analyser le
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caractère fabuleux de l'histoire narrée dans les
mythes, mais il y a lieu de croire que le fabuleux des mythes a pour source une
cause interne : c'est un langage qui est en train de se construire et que par
la suite, le caractère exclusivement oral de sa transmission n'a fait
que renforcer la place des référents évolutifs
fictionnels. Mais que racontent exactement les mythes ? Ils racontent des
crises de violence à cause de rivalité pour mener le groupe ou
pour la possession des femmes ou même pour la possession des ressources.
Voici comment Victorri présente cette narrativité dont la force
illocutoire est d'interdire :
« Notre thèse peut alors se résumer de
la manière suivante. Pour échapper aux crises récurrentes
qui déréglaient l'organisation sociale, nos ancêtres ont
inventé un mode inédit d'expression au sein du groupe : la
narration. C'est en évoquant par la parole les crises passées
qu'ils ont réussi à empêcher qu'elles se renouvellent. Le
langage humain s'est forgé progressivement au cours de ce processus,
pour répondre aux besoins nouveaux créés par la fonction
narrative, et son premier usage a consisté à établir les
lois fondatrices qui régissent l'organisation sociale de tous les
groupes humains. » (VICTORRI, 2002)
Cet auteur souligne par ailleurs qu'une étape
importante de cet acheminement vers le langage est la ritualisation du
comportement narratif : il faut raconter périodiquement les
récits des crises pour éviter leur conséquence qui risque
d'être infini. Nous allons maintenant voir de près ce que c'est la
narrativité. Mais désormais, nous retenons de cette introduction
que la narrativité est commandée par des buts pragmatiques.
Dresser le spectacle linguistique d'un événement qui n'est plus a
pour but illocutoire d'interdire qu'il se reproduise, dès lors il faut
comprendre les premières littératures, que sont les mythes, comme
un principe de régulation sociale qui protège
l'intérêt collectif contre des déchaînements de
violence commandés par des intérêts individuels. C'est
faute de disposer de cette narrativité qui fait passer le protolangage
vers le langage que la branche du Néandertalien s'est
complètement éteinte.
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