Le droit de veto au conseil de sécurité des nations-unies entre gage juridique d'une paix internationale d'exclusion et blocage politique du règlement des conflits.( Télécharger le fichier original )par Xavier MUHUNGA KAFAND Université catholique du Congo (UCC) - Licence en droit 2015 |
Paragraphe 2. La majorité qualifiée et la résolution des crises par le Conseil de Sécurité : pour quelle incidence dans l'équilibre de la paix et la sécurité internationales ?Le droit international étant l'ensemble de normes juridiques qui règlent les relations internationales, il constitue un « ordre normatif » et un « facteur d'organisation sociale »225(*). D'où la nécessité de veiller à l'efficacité des normes en vigueur en les adaptant incessamment à l'évolution de la société internationale. L'appel à la réforme du droit de veto au Conseil de Sécurité mérite d'être appréhendé sous cet angle. Il n'existe pas, à proprement parler, de droit de veto dans la Charte des Nations Unies : pour qu'une résolution soit adoptée par le Conseil de Sécurité, il est prévu que la majorité qualifiée (9 voix sur 15) comprenne « le vote de ses cinq membres permanents » (article 27). Cela signifie que, lorsque l'un des « cinq » (Etats-Unis, Russie, Chine, Royaume-Uni, France) s'abstient, la résolution est rejetée. En contradiction avec la Charte, la pratique admettra plus tard que l'abstention d'un membre permanent n'empêche pas l'adoption d'une décision, créant ainsi de facto un droit de veto formel. Ce « droit » ne joue qu'à l'intérieur du Conseil de Sécurité, donc dans les matières où ce n'est pas l'Assemblée générale qui décide. Il s'en suit que lorsque l'un des cinq membres permanents exerce son droit de veto sur une question donnée, celle-ci reste pendante. Ainsi, le veto n'est pas un refus de voter ni un vote blanc mais il est plutôt un vote négatif que l'un des membres permanents peut émettre à la fois pour manifester sa désapprobation de la décision majoritaire et empêcher l'adoption de cette dernière. Cette casquette du veto, reposant sur l'unanimité des voix des membres permanents, est aujourd'hui responsable de la dégénérescence de l'équilibre de la paix et la sécurité internationales à travers l'enlisement de plusieurs crises et conflits armés internationaux du fait de l'inertie de la communauté internationale. Règle dépassée pour certains auteurs et épineuse pour d'autres, l'unanimité des voix devrait, soulignent plusieurs doctrinaires de droit international dont nous épousons l'opinion à ce sujet précis, laisser place à une autre technique de vote au sein du Conseil de Sécurité. Considérant la portée réaliste de son procédé et ses résultats probants dans le décantage des situations autrefois insurmontables au sein de certains organes de l'Union européenne depuis qu'il y a été instaurée, nous estimons que le mode électoral de la majorité qualifiée est la piste de solution la plus plausible pouvant permettre une meilleure libération de ce barbelé de blocage. A l'heure actuelle et depuis des années déjà, le sujet brûlant de la réforme du droit de veto n'avance pas malgré les multiples propositions et force est de constater qu'une quelconque réforme dans le sens de son abolition semble hors de portée par ce qu'utopique et même onirique. Mais s'il y a peu de chances pour que les Etats-Unis226(*) principalement, acceptent un jour une réforme qui amenuiserait leur pouvoir au sein de l'ONU, certains optimistes continuent à penser que « les partisans de la réforme (...) doivent rester mobiliser et redoubler d'efforts pour promouvoir (...) les conditions politiques qui aboutiront à une réforme en profondeur des Nations Unies dans le sens de l'instauration d'un gouvernement global et démocratique au sein du système onusien » 227(*). Ils veulent croire que les Etats-Unis sur le territoire desquels ont vu le jour le président WILSON - père de la SDN - et le président ROOSEVELT - père des Nations Unies - sauront donner le jour à un homme « riche de la volonté de créer une organisation des Nations Unies apte à répondre aux besoins de l'Humanité, d'encourager un dialogue Nord-Sud renouvelé et de créer les conditions pour la démocratisation de la mondialisation avant que la mondialisation ne dénature la démocratie »228(*). Ceci étant, la principale conséquence juridique, mieux l'incidence la plus manifeste et même la plus évidente sera certainement si non l'éradication du moins la résorption de l'écueil du blocage qui, à travers le veto, gèle le dépassement des conflits armés sous l'égide onusien. Ainsi, l'effet majeur de la rotation vers la majorité qualifiée des 3/5 visée par la présente analyse sera-t-il sans doute la consolidation de la paix et la sécurité internationales à la faveur de l'instauration d'un mode de vote plus consensuel, comparativement à la condition de l'unanimité des membres permanents qui, disons-le, est difficile à observer eu égard aux déchirures et tensions subséquentes aux conflits de suprématie planétaire et querelles d'expansion d'influence politique dissimulés sous le tapis des rapports hypocrites. Toutefois, l'on pourrait à raison s'interroger sur l'efficacité réelle de la majorité qualifiée des 3/5 à relever ce défi du blocage tant on sait que les membres permanents sont, dans les faits, rangés en deux blocs, depuis la période de la Guerre froide et que le bloc occidental comprend lui seul trois Etats sur les cinq. Ce qui pourrait conduire à voir en l'éventuelle institutionnalisation de la majorité qualifiée avec un tel seuil des 3 voix sur 5 une brèche de laxisme que le droit international offrirait sur un plateau d'or à l'alliance occidentale des Etats-Unis, la Grande Bretagne et la France pour toujours faire passer au Conseil de Sécurité leurs décisions, fussent-elles arbitraires ou injustes, au détriment du bloc de la Russie et de la Chine au risque de sacrifier l'équilibre international dont le maintien requiert absolument la présence d'une action de contrepoids. Cette peur ne présente, à notre égard, qu'un minime intérêt car bien qu'étant alliés, Etats-Unis, Grande Bretagne et France n'ont pas toujours partagé la même position sur toutes les questions de sécurité internationale présentées sur la table du Conseil de Sécurité. Plus d'une fois leurs divergences n'ont su être tues et ont fini par être étalées sous forme soit de refus par l'un des trois Etats de superposer son veto à celui de son allié pour renforcer ainsi l'image pernicieuse que ce dernier désire délivrer à l'opinion internationale sur la question visée, soit de veto directement brandi -ou de menace de veto- contre un projet de résolution de l'un de ses deux alliés. Au sujet du conflit israélo palestinien, par exemple, les Etats-Unis ont toujours opposé leur veto à tous les projets de résolutions jugés défavorables à l'Etat hébreux alors que la France s'est toujours montrée partisane d'une démarche incluant les revendications politiques de l'autorité palestinienne en vue de résoudre ce conflit sexagénaire. La politique internationale de la Grande Bretagne, quant à elle, n'accorde que très peu d'intérêt à cette question. Il suffit de se rendre compte que les Etats-Unis ont toujours émis leur veto en solo, sans réussir à rafler les voix de leurs alliés, au sujet de la crise israélo-palestinienne pour percevoir les traces de cette divergence de taille. En outre, le veto exercé collégialement à deux reprises par la France et la Grande Bretagne contre les projets de résolution S/3713/Rev.1 et S/3710 du 30 octobre 1956 portant sur l'adoption des indications de la Lettre datée du 29 octobre 1956, adressée au Président du Conseil de Sécurité par les États-Unis au sujet de la question de Palestine démontre que dans les relations internationales et même dans la politique internationale les Etats n'ont pas d'amis mais que des intérêts à préserver. Si l'on se rappelle l'opposition du gouvernement français, sous Jacques CHIRAC, à l'intervention des forces américano-britanniques en Irak en mars 2003, allant jusqu'à menacer d'opposer son veto à toute initiative tendant à conférer à une telle intervention le quitus du Conseil de Sécurité onusien, l'on comprendrait sans l'ombre d'un doute que l'instauration de la majorité qualifiée au Conseil de Sécurité n'est pas un gage absolu du triomphe effréné des décisions et de l'idéologie de l'Occident, comme bloc en front commun, que le reste du monde aurait à subir. Toutefois, ne nous méprenons pas ! La majorité qualifiée n'est pas une baguette magique pour détoner d'un trait tous les obstacles à la résolution des conflits par le canal de l'ONU. Elle est plutôt une technique à même de contribuer, par sa nature plus proche du consensus que celle de l'unanimité, à l'amoindrissement du spectre du blocage du règlement des crises qui semble être devenu le propre de l'usage du veto au Conseil de Sécurité. En ce sens, elle permettrait également de transcender les clivages d'intérêts nationaux des membres permanents du Conseil de Sécurité, lesquels handicapent considérablement les horizons de sortie des crises ou pire donnent implicitement quitus à la poursuite des massacres dans les zones en conflit du fait du statu quo subséquent à l'absence d'intervention internationale. * 225 GUEGEN HEIM, P., Traité de droit international public, Tome 1, 2ème édition, Genève, 1967, p.1. * 226 Les Etats-Unis sont l'un des plus grands massacreurs du droit international : leurs interventions militaires en Afghanistan et en Irak - en violation du principe de non recours à la force, mais au nom et à la faveur d'une interprétation extensive de l'exception pour cause de légitime défense qui pourtant suppose une attaque armée préalable à laquelle elle riposte - sont là pour le démontrer. * 227 LHOMMEAU, G., Le droit international à l'épreuve de la puissance américaine, op. cit., p. 216. * 228 BOUTROS GHALI, B., Peut-on réformer les Nations Unies ?, op.cit., pp. 5-13. |
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