V. Méthodologie et Données
Ce chapitre présente une analyse empirique visant
à corroborer ou à infirmer les idées émises dans
les chapitres précédents. L'analyse s'appuie sur un modèle
de gravité dont le détail est ci-après. Les données
utilisées à cet effet sont décrites à la section
2.
5.1. Modèle
Le modèle utilisé dans ce travail émane
de celui développé par Tinbergen (1962) et H. Linnemann (1966),
et inspiré de l'équation de gravité qui fait
dépendre les flux de commerce bilatéraux (X) du produit des
revenus (Y) de deux partenaires i et j divisé par la distance (D) les
séparant. L'équation de gravité se présente comme
suit :
??????=A
|
??2 ???? ??1????
??????? ?3
|
Où A, fi1, fi2, et fi3 sont des
paramètres à estimer.
Sous une forme log-linéaire, qui permet
d'interpréter les coefficients comme des élasticités de
flux de commerce par rapport aux variables explicatives, nous obtenons :
Ln(??????)=ln(A) +
ln(??????1) +
ln(??????2)- ????(????????3)
Ln(??????)=a + ??1
ln(????) + ??2 ln(????) - ??3????(??????) , avec
ln(A)=a
La spécification de notre modèle, inspiré
d'une version "augmentée" du modèle de gravité
utilisée par Ekanayake et al (2010), se présente comme suit:
Ln(FCijt)=á0+á1Ln(TMijt)+á2Ln(PIBit)+á3Ln(PIBjt)á4(TRSPijt)+á5Ln(POPit)
+
á6Ln(POPjt)+á7INTRAZLECAf+á8CEDEAO+á9(FCOMij)+ìit+ät+gijt
(1)
Dans cette première spécification du
modèle (1), le pays i est l'exportateur (Burkina Faso), le pays j est
l'importateur (partenaire commercial) et t représente la dimension
temporelle. FCijt représente l'exportation du Burkina Faso vers
ses partenaires j en un temps t. TMit représente le tarif moyen
appliqué par le partenaire aux exportations en provenance du Burkina
Faso. En principe, un tarif élevé limite les importations de
produits burkinabè par le pays qui impose une telle mesure. PIBit
et PIBjt représentent respectivement le PIB du Burkina
Faso et le PIB du partenaire. Conformément à la théorie
(Krugman, 1995), le commerce bilatéral est proportionnel au PIB des
partenaires. Ainsi, plus les PIB sont élevés, plus les
exportations s'accroissent. TRSPijt Représente les coûts
de transport des marchandises de Ouagadougou à la capitale du pays
partenaire. Plus les coûts sont
15
élevés moins les relations commerciales sont
importantes. POPit et POPjt
représentent respectivement le taux de croissance des populations du
Burkina Faso et des pays partenaires. Cette variable mesure l'effet de la
taille du marché c'est-à-dire de la demande d'importations.
Ainsi, une population importante chez le partenaire pourrait favoriser une
demande importante de produits d'origine burkinabè. Par contre, un
accroissement de la population burkinabè, si elle ne s'accompagne pas
d'une adaptation des structures de production, peut réduire la part de
production disponible pour les exportations.
INTRAZLECAf est une variable muette qui prend la
valeur 1 si le partenaire est membre de la ZLECAf et 0 sinon. Cette variable
permet de capter l'effet de l'appartenance à la ZLECAf sur les
exportations du Burkina Faso. Un effet positif indique que l'appartenance des
deux pays à la ZLECAf accroît les échanges
bilatéraux entre eux. Un effet négatif indique que l'appartenance
des deux partenaires à la ZLECAf réduit les échanges
bilatéraux. CEDEAO est une variable muette qui prend la valeur 1 si le
partenaire est membre de la CEDEAO et 0 sinon. Elle permet de capter l'effet de
l'appartenance à la CEDEAO sur les exportations du Burkina Faso.
FCOMij est une variable muette qui prend la valeur 1 si le Burkina
Faso partage une frontière commune avec le partenaire et 0 sinon. Cette
variable capture l'effet de l'existence d'une frontière commune sur les
exportations du Burkina Faso.
ìij et ät, åijt
représentent respectivement les effets fixes spécifiques à
une paire, les effets fixes temporels et le terme d'erreur. Les effets fixes
permettent de capter l'effet des résistances multilatérales
(Yotov et al, 2016). Les effets fixes d'une paire (Burkina Faso-pays i) sont
captés par des variables muettes qui prennent la valeur 1 pour un
partenaire i et 0 pour tout partenaire j différent de i.
Ces variables permettent de prendre en compte les
éléments inobservables spécifiques à la relation
commerciale avec le partenaire i qui ne sont pas prises en compte dans les
variables explicatives (exemple la culture du pays, les relations
diplomatiques, ...). Un effet positif indique alors qu'il existe des
spécificités de ce pays qui contribuent à l'accroissement
des exportations du Burkina Faso vers ce pays. Les effets fixes temporels,
quant à eux, sont captés par des variables muettes qui prennent
la valeur 1 pour une année t et 0 pour toute année
différente de t.
Le rôle de ces variables c'est de prendre en compte les
éléments inobservables spécifiques à l'année
t et qui ne sont pas prises en compte dans les variables explicatives (la mise
en place d'une politique spécifique durant l'année, la baisse
d'un prix au cours de l'année, ...). Un effet positif indique alors
qu'il y a eu au cours de l'année des éléments catalyseurs
des exportations burkinabè.
16
Le modèle ainsi construit a été
critiqué sur un certain nombre de points (UNCTAD, 2016 ; Baldwin &
Taglioni, 2006). En effet, les critiques mettent en évidence un certain
nombre d'erreurs à ne pas commettre lors d'une analyse avec un
modèle de gravité et que celui-ci n'a pu éviter. Il s'agit
notamment de la déflation inappropriée des flux commerciaux
(erreur de bronze), la considération d'un seul flux commercial (erreur
d'argent) et la non prise en compte des résistances
multilatérales (erreur d'or).
Les auteurs font des propositions pour corriger ces erreurs.
Ainsi, pour corriger l'erreur de bronze il faut prendre les valeurs en termes
réels (WTO & UNCTAD, 2012). Pour corriger l'erreur d'argent il est
préférable d'utiliser un modèle de panel de sorte que
chaque pays soit considéré comme étant importateur puis
exportateur. Enfin, selon Olivero & Yotov (2012) ainsi que Feenstra (2016),
pour prendre en compte les résistances multilatérales, il
faudrait introduire dans le modèle les effets fixes temporels pour
l'exportateur (uit) et pour l'importateur (ujt).
Etant donné que notre recherche ne s'intéresse
qu'aux exportations du Burkina Faso, nous retenons le modèle en
séries temporelles. Dans ce cas, il est recommandé d'utiliser les
données sur le commerce intra-national, d'insérer les effets
fixes individuels par année (importer-time fixed effects),
d'introduire les variables traditionnelles d'un modèle de gravité
(distance, contiguïté, langue commune, ...) plutôt que les
effets fixes de pair, et d'estimer le modèle avec l'estimateur du pseudo
maximum de vraisemblance de Poisson (Yotov et al, 2016). La
spécification finale est donc la suivante :
Ln(EXPORTijt)=á0+á1Ln(TMijt)+á2Ln(PIBit)+á3Ln(PIBjt)+á4(TRSPijt)+
á5LANGUE
+á6INTRAZLECAf+á7CEDEAO+á8(FCOMij)+ìit+ät+åijt
(2)
Dans une seconde spécification, les coûts
commerciaux sont introduits à la place de certaines variables
traditionnelles contenues dans la variable COÛTS, notamment le
tarif moyen (TM), les coûts de transport (TRSP), et les
coûts liés aux différences de langue (LANGUE).
Ln(EXPORTijt)=á0+??1Ln(COÛTS))+??2Ln(PIBit)+á3Ln(PIBjt)
+á4INTRAZLECAf+á5CEDEAO
á6(FCOMij)+ìit+ät+åijt
(3)
La période d'analyse se situe entre 2000 et 2016. Les
exportations sont mesurées aux prix f.o.b. L'analyse porte sur le
Burkina Faso (pays i) et ses partenaires commerciaux (annexe1). Seul le
commerce des marchandises est examiné. Tous les flux commerciaux ainsi
que les données des variables économiques sont
évalués en dollar courant des États-Unis d'Amérique
($US). Divers scénarios sont testés pour déterminer
convenablement les effets potentiels de la ZLECAf.
17
Les résultats obtenus de l'estimation de ce
modèle sont présentés et discutés dans le chapitre
suivant.
5.2. Données
Les données utilisées ici proviennent de
diverses sources. Les données sur le PIB pour l'ensemble des pays, ainsi
que le tarif moyen appliqué par les partenaires à leurs
importations en provenance du Burkina Faso, approximé par le taux moyen
appliqué par ces pays, sont extraites de la base de données de la
Banque Mondiale (WDI, 2018). La langue parlée (LANGUE) ainsi
que l'indicateur de frontière commune (FCOM), sont extraits de
la base de données de la CEPII. Les tarifs appliqués par les
partenaires à leurs importations en provenance du Burkina Faso sont
approximés par le taux moyen appliqué par ces pays. La variable
(CEDEAO) est construite à partir de la liste des pays membres
de cette union douanière. La variable (INTRAZLECAf) est
construite à partir de la liste des pays signataires de l'accord de la
ZLECAf. En conformité avec notre analyse de départ, les variables
distance, langue et tarif moyen ont été remplacées dans
une deuxième estimation par la variable coûts commerciaux
(COÛTSijt) issue de la base de données ESCAP-WB Trade
Cost Database. Les coûts commerciaux sont calculés à
l'aide du « cadre de gravité inverse » développé
par Novy (2009). Cette variable englobe tous les coûts directs et
indirects auxquels sont confrontés deux pays, notamment les coûts
de transport et de logistique, les tarifs, ainsi que les coûts
liés aux différences de langues, de devises, d'obstacles
géographiques et de procédures d'importation et d'exportation.
Elle est exprimée sous forme d'équivalent ad valorem.
Les données sont log-linéarisées à
l'exception des variables muettes (FCOM, CEDEAO et INTRAZLECAf). Le tableau 3
ci-dessous indique les signes théoriquement attendus pour chaque
variable incluse dans le modèle.
Tableau 3 : définitions des variables et sources de
données
Variables
|
dénomination
|
Sources
|
Signes attendus
|
TMijt
|
Taux moyen appliqué
|
WDI
|
-
|
PIBit
|
PIB du Burkina Faso
|
WDI
|
+
|
PIBjt
|
PIB du pays partenaire
|
WDI
|
+
|
LANGUE
|
Communauté de langue entre les partenaires
|
CEPII
|
+
|
INTRAZLECAf
|
Appartenance à la ZLECAf
|
|
indéterminé
|
CEDEAO
|
Appartenance à la CEDEAO
|
|
indéterminé
|
FCOM
|
Frontière commune
|
CEPII
|
+
|
DISTij
|
Distance entre les capitales
|
CEPII
|
-
|
COÛTSijt
|
Coûts commerciaux
|
ESCAP-WB
|
-
|
Source : Construit par l'auteur
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