3.2.3 Le « droit à la différence »
et ses apories
Avec la politique de l'égalité qui a connu un
regain d'intérêt à la suite de l'effondrement des
sociétés anciennes, ce qui était important c'est
l'établissement de principes universellement reconnus et valables tels
que les droits de l'homme. Ce faisant, les partisans de cette politique
d'égalité en luttant contre toutes les formes de discriminations
sont restés aveugles aux façons dont les citoyens
diffèrent entre eux.
161 J. Habermas, op. cit., p. 224.
162 Y. Assogba, op. cit., p. 1.
163 S. Mesure et A. Renaut, Alter ego, op.
cit., p. 251.
83
Or, à partir des différentes revendications de
type identitaire, il est plus question de redéfinir la
non-discrimination en se référant à la diversité
des identités comme fondement d'un traitement différencié.
Ainsi : « L'affirmation de l'identité commune à tous les
êtres, marque distinctive de la modernité, a fini par ne plus
apparaître suffisante, si elle fait abstraction de toute reconnaissance
de leur différence et notamment de leurs appartenances à des
identités collectives qui les différencient164
».
Cette démarche d'inspiration multiculturaliste, en
redéfinissant la nondiscrimination, s'inscrit dans la logique de la
promotion de la diversité culturelle. Ainsi, le thème de la
« diversité culturelle » tire sa pertinence d'un constat. En
effet, encouragée par la mondialisation, l'universalisation des droits
de l'homme « abstraits » nous a fait assister à «
l'imposition de certaines cultures sur d'autres, et avec la
supériorité présumée qui détermine cette
imposition165 ». Or, avec la résurgence du discours
portant sur l'attachement manifeste aux appartenances culturelles
spécifiques, il est clair qu'il existe d'autres cultures avec lesquelles
il faudrait vivre de plus en plus ensemble, tant à l'échelle
mondiale qu'à l'échelle nationale. Ainsi importe-t-il de rappeler
que le « droit à la différence » n'est pas sans
influence sur la conception de la citoyenneté. En effet, à partir
de la valorisation des différences comme objet de droit, la
citoyenneté devient sous l'influence des droits culturels collectifs une
« citoyenneté multiculturelle ».
Toutefois, à partir de la valorisation des
différences ou mieux à partir du « droit à la
différence » une difficulté demeure. C'est qu'en
réalité, une stricte observation des revendications identitaires
(encouragées par le droit à la différence) nous
amène à distinguer entre « différences
légitimes » et « différences nuisibles ». Le
vocabulaire rawlsien ne disait pas autre chose lorsqu'il précisait qu'
« il se peut qu'une société comporte aussi des doctrines
déraisonnables et irrationnelles, voire folles166
». Dans ce cas, quelle attitude faut-il adopter vis-à-vis de la
résurgence des différences dans les espaces démocratiques
contemporains? Jusqu'à quel niveau devrait-on accepter l'affirmation des
différences dans les États actuels ? Bref, pour
164 S. Mesure et A. Renaut, Alter ego, op.
cit., p. 54.
165 C. Taylor, Multiculturalisme, différence et
démocratie, op. cit., p. 56.
166 J. Rawls, Libéralisme politique, op.
cit., p. 4.
84
emprunter cette inquiétude à Lochack : «
Jusqu'à quel point peut-on consentir des dérogations à
la loi commune ?167 ». À toutes ces questions,
l'héritage renautien d'un humanisme ouvert à la diversité
nous offre des perspectives éclairantes par elles-mêmes à
partir du moment où il distingue clairement entre le traitement
politique et le traitement éthique de la diversité.
|