Dynamique professionnelle et transformations de l'action publique. Réformer l'organisation des soins dans les prisons françaises. Les tentatives de spécialisation de la « médecine pénitentiaire » (1970-1994).( Télécharger le fichier original )par Eric FARGES Université Lyon 2 - Sciences Po - THESE EN SCIENCES POLITIQUES 2013 |
Le nécessaire recours à la volonté politique via les cabinets ministérielsAfin d'accélérer le projet de réforme, le Conseiller technique du garde des Sceaux, Jean-Paul Jean, et par ailleurs compagnon de Michèle Colin, prend l'initiative d'organiser une rencontre avec le directeur de cabinet du ministre de la Santé, Didier Tabuteau, qu'il avait connu au cabinet de Claude Evin. La réunion entre les deux directeurs de cabinet a lieu le 12 juin. Y assiste également Danièle Jourdain-Menninger, directrice de l'organisation des soins que Jean-Paul Jean avait recrutée dans le cabinet Evin1872(*). Dans le conflit qui oppose la DGS et la DAP, le relevé de décision tranche en faveur de l'Administration pénitentiaire. Le transfert de tutelle, et plus précisément le rattachement des établissements pénitentiaires aux hôpitaux publics, est présenté comme l'objectif « à terme » tout en repoussant la question de son financement : « Se posera dans un second temps la question du transfert du budget "santé" de l'Administration pénitentiaire, par voie de dotation de l'Etat, à la sécurité sociale, pour que la médecine en milieu carcéral passe dans le régime de droit commun »1873(*). La prise en compte du régime de protection sociale des détenus, et ainsi l'implication de la DSS dans les négociations, retarderait une réforme envisagée à court-terme, comme en atteste la référence aux prochaines élections législatives : « C'est un dossier auquel les deux ministres tiennent, et sur lequel on peut aboutir avant mars 1993 ». Pourtant la DGS ne cesse ses avertissements. Quelques jours après cette réunion, une note de la Sous-direction de l'organisation des soins alerte Didier Tabuteau, directeur de cabinet Santé, sur la nécessité de prendre en compte la dimension financière de la question et, pour cela, de travailler en concertation avec le ministère des Affaires sociales jusqu'alors absent des négociations1874(*): « Le transfert du budget "santé" de l'Administration pénitentiaire, par voie de dotation de l'Etat, à la Sécurité sociale, même si elle ne doit intervenir que dans un second temps, implique l'accord de Monsieur le Ministre des Affaires Sociales et de l'Intégration. Il paraît donc difficile que ces deux points soient mentionnés dans une note commune, fût-ce à titre de programme de travail, sans que le Cabinet de Monsieur Teulade en soit informé »1875(*). Si la réunion entre les cabinets Santé/Justice du 12 juin ne résout pas la question du financement de la réforme, elle acte cependant la forme de coopération avec le secteur hospitalier : « A terme, il s'agit d'aboutir, comme pour les SMPR, à la création d'un secteur systématique (par la loi ou le décret) d'un secteur de médecine générale en milieu pénitentiaire, dans la carte hospitalière, en faisant correspondre un service hospitalier à chaque lieu de détention »1876(*). Un calendrier et une méthode sont également fixés avec précision. Conformément à cette demande, une note de synthèse sur la question de la santé en prison est établie le 6 juillet par les trois directions ministérielles1877(*). Quelques jours plus tard, dans une lettre de mission commune, les ministres de la Santé, Bernard Kouchner, de la Justice, Michel Vauzelle, et des Affaires sociales, René Teulade, chargent le HCSP d'un rapport sur cette question1878(*). Bien qu'il ne soit pas fait explicitement référence au transfert, la mission du HCSP est pourtant bien de fournir une expertise venant légitimer le changement de tutelle. * 1872 Jean-Paul Jean, magistrat, Conseiller technique du ministre de la Santé de mai 1988 à mai 1991 puis Conseiller technique des ministres de la Justice de mai 1991 à avril 1992. Entretien réalisé le 6/07/2005, 2H. * 1873 DGS, « Compte rendu de la réunion du 12/06 des cabinets Santé-Justice », 2p. Archives DGS. * 1874 On rappelle que dans le gouvernement Bérégovoy du 2/04/1992 au 29/03/1993, Bernard Kouchner est ministre de la Santé et de l'action humanitaire tandis que René Teulade est ministre des Affaires sociales et de l'intégration dont relève la Direction de la sécurité sociale (DSS). Déjà dans la note du 14 juin, la DGS et la DH soulignaient la nécessité d'engager des négociations, préalablement à toute prise de décision, avec la DSS (DH-DGS/3S, « Note à destination de M. Tabuteau, directeur de cabinet du ministre de la santé », 14/06/1992. Archives internes DGS). * 1875 (DGS/3S/ Mme Khodoss, « Note à l'attention de M. Tabuteau, directeur de cabinet du Ministre de la Santé. Relevé de décisions de la réunion du 12 juin 1992 entre les cabinets du Garde des Sceaux et du Ministre de la Santé », 17/06/1992). La fiche de transmission relève que « cette note est faite sur la suggestion insistante de Tchériatchoukine et du Pr Nicolas, qui sont inquiets que le cabinet Teulade n'ait pas été mis dans le coup ». * 1876 DGS, « Compte rendu de la réunion du 12/06 des cabinets Santé-Justice », 2p. Archives DGS. * 1877 DGS-DH-DAP, « Note aux ministres de la santé et de la Justice. La santé des personnes détenus et la médecine en milieu pénitentiaire », 6/07/1992, p.7. Archives internes DGS. * 1878 « Lettre de mission du 15 juillet 1992 de saisine du Haut Comité de la Santé Publique » in HAUT COMITE DE LA SANTE PUBLIQUE, Santé en milieu carcéral, ENSP Collection Avis et Rapports du HCSP, janvier 1993, 68 p. |
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