SECTION3. CAUSALITE ENTRE CHOMAGE ET INFLATION
Pour les économistes libéraux la courbe de
Phillips conçue comme liaison inflation-chômage n'existe
pas. C'est d'ailleurs parfaitement cohérent avec leur conception de
l'analyse économique.
En effet, pour les libéraux, le chômage traduit
un mauvais fonctionnement du marché du travail. Pour chaque pays il y a
un niveau de chômage normal, habituel, «naturel»,
reflétant la qualité du marché du travail : certains pays
sont caractérisés par une plus grande flexibilité du
marché du travail, leur «taux de chômage
naturel» est donc plus faible ; de même la modification dans le
temps des rigidités observées peut expliquer le
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déplacement du niveau structurel du chômage. La
courbe de Phillips représenterait une variation autour de ce «taux
de chômage naturel».
Aux États-Unis, Milton Friedman
est le plus célèbre représentant de ce
courant de critique de la courbe de Phillips et il l'exprime avant même
que les déformations de la liaison statistique apparaissent. En 1968, il
propose d'appeler «taux de chômage
naturel», le taux de chômage « qui
s'établirait dans une économie à partir d'un
système d'équations d'équilibre de marché dans
lequel on pourrait intégrer les caractéristiques réelles
des marchés, c'est à dire : le coût de la collecte
d'information, le degré d'incertitude et le taux d'accroissement naturel
de la population ».
C'est un taux pivot incompressible. Le chômage
constaté s'écarte de ce taux «naturel» parce que : Les
salariés anticipent mal le salaire réel en période
d'expansion à un moment où les salaires nominaux proposés
par les firmes augmentent rapidement. Ils ne sont victimes cependant que
temporairement de l'illusion monétaire.
Figure 2 : La critique de Friedman et celle
de Lucas
Taux d'inflation
B
D
E
C
A
Taux de chômage
Si les pouvoirs publics considèrent que le niveau de
chômage observé, A, est trop élevé et
décident de soutenir l'activité économique par une
politique de relance, ils vont donner naissance à une croissance
inflationniste. La «relance» a toujours des effets inflationnistes
pour
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Friedman, parce que pour l'analyse monétariste, le
financement du déficit budgétaire ne peut pas se faire sans
création monétaire.
Au point B, les salariés constatent
avec retard que les prix ont augmenté en même temps que les
salaires nominaux. Ils modifient leur comportement de détention de
monnaie (qui correspond à une proportion déterminée des
achats qu'ils s'apprêtent à faire), ils vont donc chercher
à reconstituer leur épargne et ils réduisent leur
consommation.
Au point C le constat initial d'un
chômage excessif conduit à reprendre l'initiative de soutien de la
croissance. Les conditions sont réunies pour passer à D puis E.
S'il existe une liaison entre inflation et chômage, elle doit pour
Friedman être analysée dans le long terme.
À long terme la courbe de Philips est une droite
verticale A, C, E, telle que le taux de chômage soit indépendant
du taux d'inflation. L'action visant à réduire le chômage
est inutile et nuisible parce qu'elle se traduit par une
élévation de l'inflation sans qu'on s'éloigne
réellement du taux naturel de chômage. Pour résumer les
conclusions de Milton Friedman il faut dire que l'arbitrage entre inflation et
chômage n'existerait qu'à court terme, à long terme le taux
de chômage est indépendant du taux d'inflation.
Pour Lucas anticipations parfaites, plus d'illusion
monétaire, passage direct de A à C puis à E.
a. Arbitrage entre inflation et chômage
à court terme
Comment utiliser la courbe de Phillips pour des
recommandations de politique économique ? La décroissance de
la courbe de Phillips (la relation négative entre inflation et
chômage) laisse penser qu'il existe une possibilité d'arbitrage
entre inflation et chômage. D'où provient cette
possibilité d'arbitrage ?
Pour répondre, il faut en fait avoir recours à
un modèle beaucoup plus complet que la seule courbe de Phillips, mais on
peut tout de même présenter les grandes lignes de l'argumentation
: la possibilité d'arbitrage entre inflation et chômage vient du
fait que les salaires sont négociés sur la base des anticipations
d'inflation :
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+ Pour un niveau anticipé d'inflation, entreprises et
salariés s'accordent sur des augmentations de salaires nominaux.
+ Si la politique économique est telle qu'une fois les
salaires fixés, les prix augmentent davantage que ce qui avait
été anticipé, le recours au travail est meilleur
marché (en termes réels) que ce qui avait été
anticipé.
+ Les entreprises souhaitent alors embaucher davantage et le
chômage se trouve réduit
Dans un tel schéma, une politique monétaire
expansionniste qui accroît le niveau général des prix
au-delà de ce qui avait été anticipé par les agents
permet de réduire le chômage, d'où l'arbitrage entre
inflation et chômage.
Quels sont les effets de la croissance de la masse
monétaire sur l'inflation et sur l'activité ? Les
interactions entre la production, le chômage et l'inflation sont
résumées dans 3 relations :
> la loi d'OKUN (qui lie variation du taux de chômage et
déviation du taux de croissance du PIB par rapport à sa
tendance)
> la courbe de Phillips (qui lie variation d'inflation et
déviation du taux de chômage par rapport à son niveau
structurel)
> la relation de demande globale (qui lie la croissance du PIB
à celle de la masse monétaire nette de l'inflation)
b. Arbitrage entre inflation et chômage
à plus long terme
Le mécanisme d'arbitrage qui a été
décrit dans le cas où on étudie le court terme suppose des
erreurs d'anticipations concernant l'inflation. Il est difficile de penser que
ces erreurs puissent se perpétuer indéfiniment (Jean Magnan ;
2008)
Supposons que le taux d'inflation courant soit de 5% conforme
aux anticipations des agents, et que le taux de chômage soit égal
à un. Comme supposé plus haut, les agents se contentent
d'anticiper le taux d'inflation courant pour la période à venir.
Que se passe-t-il ?
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V' Pour bénéficier de l'arbitrage entre
inflation et chômage, les autorités peuvent mener une politique
monétaire expansionniste, son effet sera de réduire le
chômage et d'augmenter le niveau d'inflation, à 10% par
exemple.
V' Toutefois, pour la période suivante, les
agents anticipent un niveau d'inflation identique à celui qu'ils
observent couramment. Tout se passe alors comme si l'économie
«changeait » de courbe de Phillips (passant d'une courbe de Phillips
à anticipations d'inflation de 5% à une courbe de Phillips avec
anticipations d'inflation de 10%).
V' Si les autorités monétaires
mènent une politique monétaire engendrant une inflation
cohérente avec ces anticipations, le chômage retrouve le niveau
un.
V' Les autorités peuvent aussi choisir de
maintenir le niveau de chômage à un niveau inférieur au
taux de chômage structurel, mais cela requiert de mener une politique
monétaire qui amène l'inflation au delà du niveau
anticipé (Jean Magnan ; 2008)
A long terme donc, l'arbitrage entre inflation et
chômage disparaît donc puisque le maintien d'un taux de
chômage inférieur au taux de chômage structurel
nécessite des niveaux d'inflation toujours plus élevés
(c'est la thèse accélérationniste de Friedman).
Graphiquement, cela est représenté par une courbe de Phillips
verticale, qui exprime le fait qu'il est impossible d'échapper
durablement au niveau de chômage structurel mais que n'importe quel
niveau d'inflation est compatible avec ce taux de chômage structurel : la
courbe de Phillips de long terme se réduit à ut = un, qui stipule
que le taux de chômage est à long terme égal au taux de
chômage structurel.
c. La courbe de PHILIPS
De la relation entre croissance des salaires nominaux et
chômage à la relation entre croissance des prix et
chômage.
En 1958 l'économiste néo-zélandais Alban
William Phillips, publie un article dans la revue Economica pour rendre compte
de son travail mené à la London School of economics. La recherche
porte sur une liaison
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éventuelle entre le taux de croissance du taux de
salaire nominal et le taux de chômage, elle repose sur l'observation de
l'économie anglaise de 1861 à 1913 puis de 1867 à 1957. La
relation statistique observée est forte et négative. ... (Jean
Magnan ; 2008)
Dans son article de 1958, Phillips explique la liaison
négative entre croissance du salaire nominal et taux de chômage
comme un simple effet d'un ajustement entre offre et demande : « Lorsque
la demande d'un bien ou d'un service est relativement élevée par
rapport à son offre, nous devons nous attendre à une hausse de
son prix.... Il est raisonnable de penser que l'un des déterminants du
taux de variation des salaires nominaux, soit le prix des services du travail
». (Valérie Mignon 2011)
Dans les dernières décennies, les analyses
économiques se sont largement préoccupées du
problème de la recherche du plein-emploi et de la stabilité des
prix (absence d'inflation). Les politiques économiques inspirées
du cadre IS-LM ont supposé au départ que les prix
pouvaient être considérés comme fixes,
hypothèse qui a été par la suite largement remise en
cause. Le point de départ contemporain de cette réflexion est
sans doute la relation de Phillips. En 1958, l'économiste
néo-zélandais A.W. Phillips a proposé une estimation de la
relation expliquant les variations du taux de salaire nominal à partir
du taux de chômage observé en Grande-Bretagne sur la
période 1861-1957.
Il ressort de ce travail empirique que le taux de
chômage peut-être considéré comme le
déterminant principal des variations du salaire nominal. Ce que
l'on a appelé depuis lors la courbe de Phillips est une
découverte importante dans la mesure où elle constitue
l'équation manquante de la théorie keynésienne.
Elle permet de passer d'une macroéconomie statique à une
macroéconomie dynamique.
En effet, l'équilibre macroéconomique relatif
à une période décrit dans le modèle offre
globale-demande globale se modifie dans le temps en fonction de la dynamique
des salaires nominaux.
A ce phénomène de la dérive des courbes
de Phillips, deux explications :
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? Les chocs pétroliers de 1973 et 1979. Ces chocs ont
entraîné une hausse des coûts des entreprises, ce qui a
induit une augmentation des marges et des prix des entreprises quelque soit le
taux de chômage.
? Il y a eu un changement dans la formation des anticipations
des partenaires sociaux, lors des séances de négociation des
salaires. A partir des années 1970, on a observé une persistance
de l'inflation à des taux élevés (une inflation forte en
t était susceptible d'être suivie par une inflation
élevée en t+1).
La relation mise en évidence par Phillips est
rapidement réinterprétée, dès 1960, par Robert
Lipsey comme une relation entre inflation et chômage. La même
année deux des principaux représentants de la
«synthèse néoclassique» (interprétation de
Keynes par le schéma IS-LM) Paul Samuelson et Robert Solow
développent une analyse semblable. Le taux d'inflation peut facilement
être substitué au taux de variation du taux de salaire nominal,
parce que la liaison entre les deux grandeurs est forte.
D'une part, la hausse des salaires nominaux entretient des
tensions sur la demande des produits donc sur les prix (inflation par la
demande)
d'autre part, elle se traduit par une pression sur les marges
qui ne peut être levée que par la hausse des prix (inflation par
les coûts) si les entreprises fixent leurs prix en conservant des marges
constantes (comportement de «mark up»).
Plus indexation des salaires sur l'inflation pour la
préservation du pouvoir d'achat.
Sachant que la théorie de la courbe de Phillips stipule
ce qui
suit : « il ya inflation lorsque le taux de
chômage diminue, la production augmente ; l'indice des prix à la
consommation augmente aussi ».
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