Le conflit de 2012 et la détonation malienne. Les ressorts de la crise.( Télécharger le fichier original )par Myriam ARFAOUI Université Lyon 3 Jean Moulin - Master 2 Sciences Politiques : Relations Internationales et Diplomatie. 2015 |
1. L'islam dans la modernité : les métastases de la contestation.La configuration politique qui domine dans l'histoire de l'islam est la liaison entre le pouvoir politique (émir, sultan, roi) légitimé par un corps d'oulémas, et le dialogue sans cesse renouvelé avec la théologie405. Le souverain gouverne une société régie par la charia, tout en maintenant le droit coutumier local adapté aux nouvelles configurations406. Avec l'occidentalisation du monde et la prolifération du système rationnel d'Etat-nation, ces modes de gouvernance faiblissent, disparaissent chaque fois qu'elles ne s'adaptent pas aux structures modernes des relatons internationales. L'« islamisme » est devenu le vocable type désignant la tendance de ces peuples de tradition musulmane à renouer, dans le système moderne, c'est-à-dire dans l'Etat-nation, avec les coutumes ancestrales de gouvernance. Cette terminologie occidentale illustre la dualité imbriquée religion/politique, mais nécessite d'être nuancée, notamment parce qu'elle se réfère à une réalité conceptionnelle. Ultra médiatisée depuis le 11 septembre 2001, cette pulsion fondamentale ou radicale, se manifeste dès le XXème siècle (1930 - 1940), puis en Afrique du nord sous la forme de réaction et d'opposition à la domination occidentale. Elle est la résultante elle-même processuelle, d'un processus d'adaptation manqué à la modernité, voire d'un rejet. Les islamismes mettent en exergue la tradition politico-religieuse musulmane inadaptée aux nouvelles formes de gestion du politique importées (démocratie, laïcité, identité nationale) - et deviennent, dans ce paradigme, un élément perturbateur du statu quo international. Définit comme dogmes religieux idéologisés, les islamismes se fondent sur le lien indissociable entre religion et politique, là où la rationalité s'imposent comme norme ; ce sont donc deux visions du monde qui sont en concurrence. Les islamismes sont multiples ; « D'où aujourd'hui la métastase interminable des « istes » : l'islamiste n'est pas l'intégriste, lequel n'est pas le fondamentaliste, qui n'est pas salafiste, qui n'est pas forcément le djihadiste, lequel n'est pas toujours un terroriste ... Même si elle traduit une vague réalité, cette division cellulaire entraîne la confusion totale dans l'esprit de l'observé comme dans celui de l'observateur, ce qui rend la restitution des sens premiers une tâche urgente et salutaire »407. 405ABBES, Makram, « L'art de gouverner en islam », CAIRN, [En Ligne], 2014 URL : http://www.cairn.info/zen.php?ID_ARTICLE=ESPRI_1408_0163 406 Le prophète Mohamed n'a pas supprimé certaines coutumes païennes d'Arabie, mais les a assimilé à l'islam. L'islam ne s'exporte pas dans une homogénéité parfaite - les réalités locales souvent se maintiennent et s'adaptent. 407AMIR-ASLANI, Ardavan, « Islam-Islamisme, quelle différence ? », Huffington Post, [En Ligne], avril 2013 URL : http://www.huffingtonpost.fr/ardavan-amiraslani/difference-islam-islamisme_b_3108641.html 88 De la même manière qu'il existe de nombreux courants de l'islam suivant l'époque et le lieu - « parler géopolitiquement d'un « islam uni » ou du monde « arabo-musulman » ne correspond pas à une analyse même sommaire de la réalité »408 - les islamismes sont tout autant de dissidences métastasées. Les premières contestations à l'égard des gouvernements maghrébins se manifestent dans les années 1970 - elles proviennent des gauches nationalistes et sont mêmes parfois contrées par les fondamentalistes islamistes. La révolution iranienne en 1979 marque un tournant déjà bien entamé dans la géopolitique des islams, puisqu'il s'agit d'une révolution islamique « nationaliste, anticapitaliste, antisioniste, et anti-impérialiste, dont la législation s'inspire de la charia » 409. « L'émergence des mouvements islamistes me paraît être une réponse à la modernisation proposée par les Etats-nations. Face à l'insupportabilité de la modernité perçue comme allogène, les islamistes vont, en une dizaine d'années (en gros, de 1970 à 1980), refuser de moderniser l'islam et proposer au contraire d'islamiser la modernité. Contrairement à ce que soutiennent les mass media occidentaux, la date clé dans l'imaginaire arabo-musulman qui marque le retournement des esprits, du nationalisme progressiste vers l'islamisme, n'est pas celle de la révolution iranienne, mais la défaite de 1967, dont l'Occident, incorrigible, n'a pas saisi toute l'importance symbolique. Les masses arabes ont compris définitivement que l'Occident serait toujours du côté d'Israël et des despotes arabes, tandis que le soutien de l'Union soviétique n'était pas inconditionnel. »410 Parallèlement, en Afrique du nord les gouvernements autoritaires issus des décolonisations ne laissent comme libre espace d'expression que les mosquées. Une réislamisation par le bas est suivie de mouvements politiques411. Les partis islamistes se multiplient et définissent un projet limité aux frontières de l'Etat. Cette alternative politique, plus ou moins conservatrice, affirme la nécessité d'un retour à l'Etat religieux pour une société musulmane, et se qualifie de salafiste ; « Comme l'indique son étymologie, le salafisme prétend revenir aux sources de la religion, à l'islam originel, en prenant pour référence suprême la manière dont les premiers musulmans - les « pieux ancêtres » (salaf al salih) selon l'expression consacrée - ont compris 408ZAJEC, Olivier, Introduction à la Géopolitique, Histoire, Outils, Méthodes, op. cit., p.115 409BURESI, Pascal, « RÉVOLUTION ISLAMIQUE IRANIENNE (1979) », Encyclopædia Universalis, [en ligne], consulté le 19 mai 2015 URL : http://www.universalis.fr/encyclopedie/revolution-islamique-iranienne/ 410ETIENNE, Bruno, L'islamisme radical, Paris, Hachette, 1987, p.108 411« De plus, la tradition historique rapporte que la mosquée fut dès le début un lieu politique, au sens plein de ce mot : la gestion de la Cité. », Ibid., p.58 89 et appliqué l'islam dans l'Arabie du VIIème siècle »412. Bien que le mouvement soit un projet politico-religieux, il ne renie pas, à ce stade, l'Etat dans ses formes. Le tournant s'effectue avec l'émergence et l'émancipation depuis 2001 d'islamismes non seulement fondamentaux, mais surtout radicaux. « L'ensemble des théories du développement font du sous-développement un phénomène naturel, lié au retard de certaines sociétés périphériques. Les islamistes soutiennent que le retard est le produit de l'occident et de son imitation. Leur analyse est radicale en ce sens qu'elle remet en cause l'ordre économique mondial et la domination de l'Occident. Elle propose comme solution à tous les maux de la modernité/modernisation le retour aux racines de l'islam politique [...] »413. La fin de la Guerre Froide dégel les tensions larvées sur l'ensemble du globe, et contribue à l'explosion de conflits identitaires, territoriaux, et politiques. Parallèlement, certaines branches des islamismes se transforment et revêtent des visées transnationales. Une « obligation manquante »414, sixième pilier, est insufflée aux musulmans, faisant du djihad, en tant que résistance et lutte dans le dar el harb, le commandement premier de la foi. Ces nouvelles doctrines prennent alors une dimension contestataire proactive parasite - c'est-à-dire, qu'elles ne se limitent plus aux territoires, mais reviennent à une vision géopolitique islamique du monde, et vivent au dépens des conflits déjà installés, les transformant en canaux d'émancipation. Dans cette mosaïque, le projet nationaliste islamique est abandonné par certaines branches dissidentes au profit de velléités plus large. Les attentats du 11 septembre 2001 ont permis la médiatisation du réseau Al-Qaïda devenu la bannière de cette nébuleuse contestataire, lui permettant d'exister sur la scène internationale. Les rébellions chaotiques, qui agissent comme finalité en elles-mêmes et non comme moyen au service d'une fin déterminée, ainsi que les confusions sémantiques, brouillent l'évaluation pertinente de ces doctrines islamistes en mouvements, adaptées à leur temps et à leur contexte. Or, dans le conflit malien par exemple, cet islamisme djihadiste agit comme un parasite média, masquant la réalité profonde de problématiques géopolitiques classiques, qui constituent la plaie à désinfecter : la défaillance de l'Etat et la revendication touareg en l'espèce. Nonobstant le fait qu'il ait été pensé dans ses premières heures en termes politiques et géopolitiques concrets, le djihadisme, c'est-à-dire la résistance et la lutte violente légitimée dans le dar el 412ROUGIER, Bernard (dir.), Qu'est ce que le salafisme ?, Paris, Presses Universitaires de France, 2008, p. 3 413ETIENNE, Bruno, L'islamisme radical, op. cit., p.22 414.Muhammad Abdus Salam Faraj, « Jihad, l'obligation absente », traduit de l'arabe par Abdallah ibn Abdallah, Al Mourabitine.com Publications, [En Ligne], PDF http://alfatihoun.edaama.org/Fathul%20Moubin/FathulMoubin/Stuff/French/Pdfs/AlFarida.pdf harb, se révèle être une contestation constante « polémomorphe » qui suit les flux de conflictualités classiques, les médiatisent, les fait exister, sans autre finalité que la déstabilisation de l'ordre établi. La dimension mondiale donnée à cette contestation est favorisée par l'exaltation de l'Umma, qui devient dans les paradigmes modernes, une configuration transnationale de la société ; « L'islamiste n'est pas le citoyen d'un pays mais le fidèle à une communauté »415. « Dans cette vision, l'islam a pour mission d'être le ciment identitaire de tous les musulmans, quels que soient leur origine et leur milieu social ou culturel. Le fantasme d'une Umma (« communauté ») homogène est soutenu par l'imposition de règles fondées sur les principes du licite et de l'illicite, du hallal et du haram. Cet ordre islamiste construit ainsi une double frontière : entre les musulmans et les non-musulmans, mais aussi entre les bons et les mauvais musulmans. Et celles et ceux qui sont du côté de l'illicite risquent gros : des pressions, des menaces, des violences, la mort. »416 Les islamismes sont multiples et ne doivent pas être confondus en une seule et même entité rebelle. Cette terminologie Occidentale sert aujourd'hui de concept confus pour désigner et exprimer les différentes tendances politico-musulmanes qui luttent avec une violence plus ou moins exacerbée, contre un ordre international établi dominé dans ses formes et dans ses fonds, par l'Occident. Les islamismes ne sont pas nouveaux, les conflits qu'ils habillent leur préexistent. Ils sont une énième division et subdivision d'un noyau conflictuel souche : le temps de l'islam confronté aux temps du monde dominé par l'Occident. 90 415AMIR-ASLANI, Ardavan, « Islam-Islamisme, quelle différence ? », op. cit. 416CHAFIQ, Chahla, « L'islamisme, une lecture totalitaire du monde », Le Monde, [En Ligne], février 2015 URL : http://www.lemonde.fr/idees/article/2015/02/05/l-islamisme-une-lecture-totalitaire-du-monde_4570661_3232.html |
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