Yann WENDEL
INSTITUT SUPERIEUR DE L'ARMEMENT ET DE LA DEFENSE
Master II - Défense et Dynamiques
Industrielles
La responsabilisation du secteur privé dans le
contrôle
des exportations de défense en France.
Quelles
perspectives pour la commercialisation
d'armements ?
Yann WENDEL
Composition du jury
Renaud BELLAIS (Directeur de
Mémoire)
Bertrand de CORDOUE (Maître
d'Apprentissage) Arnaud IDIART (Export Compliance
Advisor)
Année Universitaire 2015-2016
Yann WENDEL
Yann WENDEL
REMERCIEMENTS
Je tiens à exprimer toute ma reconnaissance aux
personnes qui m'ont aidé dans la rédaction de ce travail
universitaire, et en premier lieu à Monsieur Renaud BELLAIS, mon
directeur de mémoire et professeur d'économie, pour sa
disponibilité ainsi que pour la pédagogie dont il a constamment
fait preuve.
Je remercie tous mes collègues d'Airbus Group, en
particulier l'équipe des affaires publiques France dirigée par
Monsieur Philippe BOTTRIE, qui m'a permis d'évoluer dans un
environnement de travail très stimulant.
J'adresse également mes sincères remerciements
à Monsieur Bertrand de CORDOUE, mon maître d'apprentissage, pour
son soutien indéfectible lors de cette année d'apprentissage ;
ainsi qu'à Monsieur Arnaud IDIART, qui m'a transmis son
intérêt pour les questions liées au contrôle des
exportations.
Je tiens à remercier tous les étudiants et
encadrants du Master 2 Défense et Dynamiques industrielles de
Panthéon-Assas, avec qui j'ai partagé cette année des
expériences très riches.
Je remercie également toutes les personnes que j'ai eu
l'occasion d'interroger pour le besoin de ce travail universitaire, sans qui
mes réflexions n'auraient pas pu être aussi abouties.
Enfin, je tiens à remercier mes parents ainsi que
Clémence pour leur écoute et leur soutien au cours de ces
derniers mois.
Yann WENDEL
GLOSSAIRE
AEMG Autorisation d'exportation de matériel de guerre
AFCI Autorisation de fabrication, de commerce, et
d'intermédiation de matériel de
guerre, armes, munitions
BITD Base industrielle et technologique de défense
BITDE Base industrielle et technologique de défense
européenne
CED Communauté européenne de défense
CIEEMG Commission interministérielle pour l'étude
de l'exportation de matériels de
guerre
CJUE Cour de justice de l'Union européenne
CMCAP Comité ministériel de contrôle a
posteriori
CUF Certificat d'utilisation finale
CNR Clause de non-réexportation
COARM Working party on conventional arms export
DASI Dispositif d'assurance de sécurité
industrielle
DGDDI Direction générale des douanes et droits
indirects
DGRIS Direction générale des relations
internationales et de la stratégie
DPSD Direction de la protection du secret-défense
MAEDI Ministère des Affaires Etrangères et du
Développement international
MTCR Missile Technology Controle Regime
OEA Opérateur Economique Agréé
PASI Plan d'Assurance de la Sécurité des
Informations.
SGDSN Secrétariat général de la
défense et de la sécurité nationale
Yann WENDEL
TABLE DES MATIERES
I. LE CONTROLE DES EXPORTATIONS DE PRODUITS DE DEFENSE
EST PLEINEMENT
CONSTITUTIF DE LA POLITIQUE DE DEFENSE D'UN PAYS
4
A. LA COMMERCIALISATION D'ARMEMENTS, UNE DEMARCHE
TRADITIONNELLEMENT POLITIQUE 4
1. Les armements, vecteurs de puissance dont le transfert
doit être régulé. 4
2. La BITD, en tension permanente entre
nécessité économique et impératifs
stratégiques 6
B. L'EVOLUTION PROGRESSIVE DE LA PLACE DE L'ETAT DANS LE SECTEUR
DE L'ARMEMENT. 7
1. Les entreprises de défense ont été
confrontées à trois mouvements : privatisation,
transnationalisation et dualisation. 7
2. L'adaptation des outils du contrôle aux
coopérations industrielles européennes. 11
C. UNE REGULATION DES EXPORTATIONS D'ARMEMENT DE MOINS
EN MOINS INFLUENCEE PAR LE CADRE
NATIONAL TRADITIONNEL. 15
1. La remise en cause progressive de la souveraineté
nationale comme seule base juridique des
armements. 15
2. Une européanisation limitée du
contrôle des exportations d'armement. 19
II. L'EMERGENCE DE NOUVEAUX ACTEURS DANS LE CONTROLE DES
EXPORTATIONS DE
PRODUITS DE DEFENSE. 22
A. L'EXTENSION DES PREROGATIVES EUROPEENNES DANS UN DOMAINE
TRADITIONNEL DE SOUVERAINETE DES
ETATS : LES BIENS A DOUBLE USAGE. 22
B. L'IMPULSION EUROPEENNE EN FAVEUR D'UN DEPLACEMENT DU CONTROLE
AU NIVEAU DU SECTEUR PRIVE.
26
1. Le développement d'une logique a posteriori dans
le contrôle. 26
2. Des prérogatives de la puissance publique plus
ciblées. 30
C. DES ENTREPRISES DE PLUS EN PLUS CONCERNEES PAR LES PROCEDURES
DE CONTROLE. 32
1. Une baisse progressive de la pertinence des
frontières physiques dans les opérations d'exportation
et de transfert. 32
2. La mise en place d'une approche « risques » :
l'attribution des contrôles les moins stratégiques au
secteur privé. 34
III. L'EVOLUTION DE LA RELATION ENTRE ETATS ET
ENTREPRISES DANS LE CADRE DU
CONTROLE DES EXPORTATIONS DE PRODUITS DE DEFENSE.
37
A. UN NECESSAIRE RECOURS A LA PUISSANCE PUBLIQUE DANS LE
PROCESSUS DE CONTROLE, QUI REDEFINIT SA
RELATION AVEC L'ENTREPRISE DANS UN MOUVEMENT DE
RESPONSABILISATION DU SECTEUR PRIVE. 37
1. Le passage à une logique a posteriori encourage le
rôle de l'Etat à nouer une relation de confiance
avec les entreprises de la BITD. 37
2. L'investissement accru de l'Etat dans l'organisation
interne des entreprises. 41
3. Une redéfinition du contrôle par une
concentration accrue sur les étapes les plus risquées du
processus d'exportation. 42
B. PERSPECTIVES D'EVOLUTION ET NOUVEAUX ENJEUX LIES AU CONTROLE.
44
1. Le renouvellement des problématiques de
contrôle par la montée en puissance des services
associés
aux livraisons d'armement. 44
2. Les effets de la responsabilisation du secteur
privé dans le financement des exportations
d'armement. 45
a. Un secteur privé de plus en plus exposé aux
risques. 45
b. Un changement de paradigme du contrôle facteur de
risque pour les opérations de financement des
exportations d'armement. 47
c. La nécessité de redéfinir le
rôle de l'Etat dans le contrôle, afin de redonner de la confiance
aux
différents acteurs de la transaction. 50
1
Yann WENDEL
Introduction
Biens de haute technologie, particulièrement sensibles
et primordiaux pour la sécurité globale, les armements
requièrent une attention toute particulière des Etats, en ce que
leur exportation incarne l'expression de la souveraineté nationale et de
la mise en oeuvre d'engagements internationaux. Le contrôle des
exportations reste donc un exercice régalien par nature, dans la mesure
où il contribue directement à la stabilité des relations
entre Etats à travers la surveillance des flux de matériels,
technologies et savoir-faire militaires et sensibles1. Dans le cadre
de sa diplomatie, il peut en effet être utile pour un Etat de disposer
d'une BITD à même de fournir des produits et des services
liés à la défense à un Etat allié, qui sont
autant de moyens de politique étrangère.
Cet exercice hautement stratégique de par la nature des
produits échangés doit toutefois être mis en perspective
avec le besoin pour les entreprises de la BITD, depuis la fin de la guerre
froide, de procéder à des exportations d'armement et de
répondre à des impératifs économiques, de plus en
plus prégnants à mesure que la présence d'actionnaires
privés au capital des entreprises de défense augmentait. Les
entreprises de défense françaises ont en effet dû s'adapter
à de nombreux changements de paradigme, du fait notamment de la baisse
des budgets domestiques de défense2, et ont redéfini
leurs relations avec la puissance publique en conséquence. Ainsi, alors
que jusqu'aux années 1980 les exportations ne tenaient qu'une place
relativement marginale dans les activités de la plupart des entreprises
de défense, leur poids dans le chiffre d'affaires de l'industrie de
défense a considérablement progressé3. En 2015,
on comptait même 10,7 Mds€ de dépenses militaires domestiques
(Programme d'équipements 146) contre 16,9 Mds € de prises de
commandes à l'exportation4. Cette évolution les a
également amenées à diversifier leurs activités et
à se consolider sur une base nationale et européenne, pour gagner
en compétitivité et s'ouvrir de nouveaux marchés en
internationalisant leurs chaînes de valeur, modifiant par-là
même les modalités de commercialisation de leurs produits.
1 BAUER S. (2010), Post-cold war control of
conventional arms, The Global Arms Trade: A Handbook, London,
Routledge.
2 QUEAU Y. (2014), Erreur 404 : the European defence
project you were looking for does not exist, Les Publications du GRIP.
Disponible sur :
http://www.grip.org/en/node/1154
[Accès le 17 mars 2016].
3 Voir Annexe 2.
4 Conférence de presse Bilan 2015 de la DGA, 10
février 2016.
2
Yann WENDEL
Progressivement, les intégrations industrielles en
Europe et les institutions Bruxelloises ont fait valoir l'interconnexion entre
matériels de haute technologie et matériels de défense, le
poids économique des biens duaux par rapport à leur valeur
stratégique relative enjoignant les Etats à avoir une approche
moins impérieuse à leur égard en termes de contrôle.
Les compétences européennes se sont alors étendues
au-delà des traités grâce à la jurisprudence de la
CJUE, et les institutions européennes se sont peu à peu
dotées de nombreuses prérogatives dans des domaines
stratégiques pourtant traditionnellement réservés à
l'Etat. D'un autre côté, les entreprises civiles de haute
technologie, du fait de leur participation de plus en plus importante au
complexe militaro-industriel, se sont peu à peu retrouvées dans
un système administré, dans la mesure où l'Etat a
considéré que certaines technologies développées
représentaient un capital national nécessitant d'être
particulièrement encadré.
En parallèle à ce mouvement de restructuration
industrielle, le contrôle des exportations d'armement en France et plus
largement en Europe a été sujet à de nombreuses
évolutions. Le dépassement de la stricte logique d'arsenal, de
par la transnationalisation des échanges concernant les produits de
défense, a entrainé un besoin de redéfinition de leur
réglementation vers davantage de simplification et d'harmonisation au
niveau européen. D'une manière similaire, le
phénomène de dématérialisation des échanges
a rendu caduque la logique de contrôle selon l'axe
matériel/frontière. Ainsi, alors que les échanges les plus
risqués restaient soumis aux contrôles administratifs
traditionnels, le contrôle des opérations les plus courantes s'est
déplacé au niveau des entreprises exportatrices, dans la mesure
où ces dernières étaient les plus à mêmes de
vérifier ces opérations très fréquentes. Ces
évolutions se sont opérées dans un souci
d'efficacité économique et de rationalisation des moyens de
l'Etat, mais également de protection du patrimoine technologique du pays
et des garanties des objectifs internationaux de non-prolifération
d'armement, qui ne sont pas compatibles avec une libéralisation totale
des échanges.
La privatisation de certains contrôles a en
conséquence entraîné une redéfinition par l'Etat de
la légitimité de ses actions concernant la maîtrise de ses
armements, qui s'est exprimée d'une manière renouvelée
vis-à-vis des entreprises de défense. Les liens entre les
secteurs public et privé se sont alors approfondis dans un esprit
collaboratif, l'Etat se concentrant davantage sur ses compétences
régaliennes dans une approche « risques » en intégrant
directement des règles administratives au niveau de l'organisation
interne des entreprises. L'Etat intervient également a
posteriori, en évaluant les pratiques commerciales des entreprises
par rapport aux procédures de contrôle interne qu'il leur a
imposé. C'est dans cette
3
Yann WENDEL
logique qu'est abordée la certification d'entreprise,
introduite par la Directive européenne 43/2009, qui incarne l'esprit de
la relation renouvelée entre le public et le privé dans le
contrôle des exportations.
Le mouvement de transnationalisation de la production
industrielle d'armements a donc entraîné la mise en place
d'alliances transfrontalières entre les entreprises, mais la
décision d'exporter concernant les armements, en ce qu'elle porte en
elle des conséquences stratégiques très lourdes, reste
pour le moment toujours sous la responsabilité et le contrôle
d'une instance étatique. Si une certaine « européanisation
» du contrôle des exportations a pu être perçue,
celle-ci a en définitive toujours été réglée
par l'Etat, qui a organisé la libéralisation des échanges
au niveau européen pour les biens à double usage, et qui garde la
main par rapport au niveau supranational en termes de contrôle de
matériels de guerre, de par les risques et la symbolique
associés. Un meilleur partage des prérogatives du contrôle
passera donc forcément par une politique industrielle européenne
de défense volontaire et renouvelée, entraînant une
harmonisation des politiques d'acquisition ainsi qu'une politique de
régulation cohérente au niveau européen en termes
d'exportations.
Yann WENDEL
4
I. Le contrôle des exportations de produits de
défense est pleinement
constitutif de la politique de défense
d'un pays
A. La commercialisation d'armements, une démarche
traditionnellement politique
1. Les armements, vecteurs de puissance dont le transfert
doit être régulé
Les armements participent à la défense
nationale, qui elle-même se trouve à la base de l'existence de
l'Etat et de toute notion de souveraineté. Le fait pour un pays
d'être en capacité de produire des équipements de
défense sur son sol, à travers une BITD5
fonctionnelle, assure son autonomie stratégique, en ce qu'il ne
dépend ainsi pas de la volonté de pays étrangers de lui
exporter de l'armement, fussent-ils des partenaires
stratégiques6. Cette volonté de l'Etat de
prévaloir en termes de technologie militaire se manifeste par des
investissements continus et de longue date dans les entreprises de
défense. Ces dépenses publiques dépassent une
rationalité économique stricto sensu pour atteindre un
objectif politico-sécuritaire, représenté par le dilemme
« beurre-canon »7.
L'intervention de l'Etat dans ce secteur tire ses racines du
monopole de la violence légitime8, qui se manifeste par une
délivrance d'une « Autorisation de Fabrication, de Commerce, et
d'intermédiation de matériel de guerre, armes, munitions »
(AFCI) par l'administration, document sans lequel une entreprise productrice de
systèmes d'armes serait illégale et son propriétaire
passible de poursuites pénales9. Ainsi, les pouvoirs publics
et les entreprises d'armement sont soumis à une dépendance
réciproque. D'un côté, l'Etat est le régulateur, le
soutien, et le client de référence et la vitrine à
l'export de l'industrie d'armement; et de l'autre, il a besoin d'elle pour
garantir l'approvisionnement de ses armées, et donc assurer ses
fonctions régaliennes Un monopsone fait donc face à un oligopole,
même si cette logique, qui prévalait très largement
à l'époque des arsenaux nationaux, s'est désormais
atténuée sous l'effet d'un recours plus massif des entreprises de
défense aux exportations du fait d'un budget de défense
domestique en baisse, si bien que nombre d'entre
5 Base Industrielle et Technologique de
Défense. « Elle rassemble les entreprises qui contribuent, de
façon directe ou indirecte, au développement, à la
production ou au maintien en condition opérationnelle des
équipements ou services participant à l'organisation de la
défense nationale » In : DUNNE (1995), The defense industrial
base. In : HARTLEY K. et SANDLER T, Handbook of defense economics, vol I,
Amsterdam, Elevier, pp. 399-430
6 KOLODZIEJ E. (1987), Making and Marketing
Arms. The French experience and its implications for the international
system, Princeton University Press.
7 BELLAIS R., FOUCAULT M., OUDOT J-M. (2014),
Economie de la Défense, Paris, Collection Repères,
pp.14
8 WEBER M. (1919), Politics as a Vocation
9 Article L.2332-1 du Code de la Défense
5
Yann WENDEL
elles réalisent la plupart de leur chiffre d'affaires
à l'étranger. La production d'armements étant toutefois
difficilement viable économiquement par rapport aux domaines civils, du
fait des nombreuses contraintes inhérentes au secteur (faibles
débouchés à l'export, contrôles administratifs
omniprésents,...), cette activité est incitée par les
Etats, à travers la garantie d'un certain volume d'achat dans les Lois
de Programmation Militaire (LPM) et assurant notamment le financement d'une
partie de la recherche et développement. Dans ce système
très administré, la demande crée donc sa propre
offre10.
Par construction, le fait pour un pays de disposer de sa
propre capacité de production d'armements l'oblige d'autre part à
contrôler la destination et l'utilisation des produits qu'il
commercialise par l'intermédiaire de ses entreprises domestiques.
Premièrement, il est pertinent pour lui de chercher à
protéger son savoir-faire national ainsi que des procédés
industriels dans lesquels il a consacré des ressources de manière
durable sur plusieurs années. Deuxièmement, l'Etat a le devoir
devant la communauté internationale de veiller à la
non-prolifération des capacités de destruction qu'il produit. Il
doit ainsi veiller à contrôler ses exportations en fonction du
produit et du destinataire. Cette précaution passe par la mise en oeuvre
de quatre éléments : une liste de produits, une liste de
destinations, des licences d'exportation, et des sanctions applicables.
Historiquement, ces principes ont été organisés en France
avec le décret-loi du 18 avril 1939 et le décret n°55-965 du
16 juillet 1955, autour desquels s'articule le dispositif de contrôle, la
règle de base étant que l'exportation sans autorisation de
matériels de guerre et matériels assimilés est
prohibée11. On ne peut déroger à cette
règle qu'après avoir déposé une demande de licence
auprès de la Direction Internationale de la Direction
Générale de l'Armement (DGA/DI), qui est ensuite instruite par la
Commission interministérielle pour l'étude des exportations de
matériels de guerre (CIEEMG), à laquelle prennent part le
Ministère des Affaires Etrangères et du Développement
International (MAEDI), le Ministère des Finances (Douanes et
Trésor), et le Ministère de la Défense (EMA, DGA, DGRIS).
Sur avis de cette commission, le Premier ministre notifie sa décision
à la Direction Générale des Douanes et Droits Indirects
(DGDDI) qui, en cas d'acceptation sous conditions particulières,
délivre la licence.
L'autorisation est en fait une dérogation
exceptionnelle à la prohibition, ce qui souligne la sensibilité
des produits commercialisés. Le contrôle parlementaire reste quant
à lui faible sur ces opérations, la représentation
nationale étant depuis 1998 informée a posteriori par
un
10 BELLAIS R. (2000), Production d'armes et
puissance des nations, Paris, L'Harmattan.
11 Article 13 du décret-loi du 18 avril 1939
6
Yann WENDEL
rapport annuel du Ministère de la défense au
Parlement sur les exportations, sans possibilité de débat
parlementaire à ce sujet. Cet état de fait découle d'un
besoin de confidentialité et de rapidité de traitement des
opérations de commercialisation d'armements, mais aussi pour
l'exécutif de la volonté de garantir l'efficacité
diplomatique du soutien de la France.
2. La BITD, en tension permanente entre
nécessité économique et impératifs
stratégiques
La commercialisation d'armements, en ce qu'elle constitue
l'exportation de capacités de destruction, est soumise à de
fortes restrictions administratives. Ces impératifs sécuritaires,
bien qu'indispensables à la stabilité du monde, sont toutefois
à mettre en perspective avec le besoin pour la pérennité
de la BITD de recourir aux exportations afin d'atteindre un niveau minimal de
production que la commande nationale n'est plus à même de
garantir. Ce basculement constitue un changement de paradigme pour les
industriels, alors que les décisions d'exportation étaient
auparavant majoritairement guidées par des considérations de
politique étrangère.
Après la guerre froide, la composante économique
a connu un regain de légitimité, le politique s'alignant
davantage sur les intérêts industriels, alors qu'auparavant les
justifications stratégiques prévalaient quant aux ventes d'armes,
la France retirant un avantage diplomatique à l'exportation du fait de
son statut de puissance « non alignée » par rapport à
l'URSS ou aux Etats-Unis. Les pouvoirs publics coordonnent ainsi, le soutien
à l'exportation et son contrôle, de manière à
assurer l'équilibre économique des programmes et des
économies d'échelle pour permettre des coûts unitaires
moindres pour certains produits, à l'avantage de l'Etat producteur. La
DGA, en tant qu'acteur du contrôle et du soutien, est très
impliquée auprès de la BITD nationale, car elle s'occupe aussi
bien de la délivrance des licences et de leurs conditions que des
campagnes de soutien à l'exportation des entreprises de défense.
Les intérêts entre l'Etat et l'industrie peuvent donc converger,
la BITD entraînant la valorisation d'emplois qualifiés et
faiblement délocalisables, elle est également la colonne
vertébrale de l'outil industriel français et son impact sur la
balance commerciale est largement positif12. Ainsi, les financements
apportés par les exportations redonnent un sens économique au
maintien de certaines lignes de production stratégiques, donnée
d'autant plus importante que les budgets publics sont rarement
linéaires, les effets de cycle étant difficiles à
gérer pour
12 BELLAIS R., FOUCAULT M., OUDOT J-M. (2014),
Economie de la Défense, Paris, Collection Repères
7
Yann WENDEL
les industriels en cas de monopsone. En conséquence,
l'industrie de défense française exporte actuellement entre 25 et
40% de son chiffre d'affaires, et cette part est en constante
augmentation13, du fait aussi bien d'une contraction tendancielle
des budgets de défense dans les pays développés, que
d'ouverture de nouveaux débouchés à l'export chez les pays
émergents.
L'intérêt économique d'une transaction,
même s'il entre en jeu, ne saurait toutefois être le
déterminant majeur de la décision d'exportation face aux
impératifs stratégiques et aux décisions de l'Etat en
termes de politique étrangère. Alors que les entreprises de
défense comptent majoritairement sur les exportations pour se
développer et croître, les licences constituent de plus en plus un
enjeu mais également un risque commercial incompressible pour les
acteurs privés du secteur14. L'incertitude politique s'ajoute
en effet au risque commercial classique, alors que des efforts sont investis
par les industriels dans de longues négociations, qui peuvent être
rendus caduques par une décision politique. Ces derniers
intègrent donc ce risque particulier dans leur décision de
dépôt de projet15.
B. L'évolution progressive de la place de l'Etat
dans le secteur de l'armement
1. Les entreprises de défense ont été
confrontées à trois mouvements : privatisation,
transnationalisation et dualisation
Depuis la fin de la guerre froide, l'industrie de
défense a connu des transformations qui ont modifié son rapport
à l'Etat. Le caractère public de la plupart des entreprises de
défense permettait auparavant d'aligner de façon immédiate
les intérêts du client et ceux du producteur, mais ce mode de
gestion ne se révélait pas efficient sur le long terme. Cette
logique d'arsenal ne plaçait en effet pas l'efficacité
économique au coeur de la démarche productive des entreprises. La
privatisation des moyens de production de défense en termes
d'organisation, puis de capital a donc progressivement permis à ces
dernières d'être compétitives en incitant à
davantage d'innovation et de rentabilité économique16.
Les
13 BELLAIS R., FOUCAULT M., OUDOT J-M. (2014),
Economie de la Défense, Paris, Collection Repères
14 WARUSFEL B. (2004), L'adaptation des
marchés publics de défense, Contrats publics -
L'actualité de la commande et des contrats publics, n°32,
pp.44-46
15 IDIART A. (2014) Essai sur l'évolution
du contrôle des exportations de produits militaires et à double
usage depuis les années 1990 in ACHILLEAS P., MIKALEF W. (2014),
« Pratiques juridiques dans l'industrie aéronautique et spatiale
», Editions A. Pedone, pp.275
16 BELLAIS R. (2000), Production d'armes et
puissance des nations, Paris, L'Harmattan, pp.109-119
8
Yann WENDEL
autorités nationales ont alors dû adapter leur
approche de cette industrie de souveraineté très liée
à la chose publique.
Le mouvement d'internationalisation et de consolidation de la
BITD à l'échelle européenne a débuté par une
privatisation relative des entreprises de défense17. A titre
d'exemple, la fusion récente de KMW et Nexter a nécessité
au préalable un mouvement de privatisation de Nexter par la
création de KNDS18 (le groupe KMW étant quant à
lui déjà privé), afin que les homologues industriels
allemands acceptent la transaction. Historiquement, la privatisation des
entreprises de défense en France a été
contrôlée par l'Etat, qui renouvelle son mode de gestion de ces
acteurs stratégiques, sans pour autant se désengager du
domaine19. L'administration garde en effet des prérogatives
sur le fonctionnement des entreprises de défense, avec des
mécanismes actionnariaux tels que la « golden share
», ouvrant des droits particuliers au régulateur sur les
décisions de l'entreprise sans que cette part n'ait de valeur marchande,
ou bien l'administration conserve une participation minoritaire au-dessus du
seuil de blocage pour garder un droit de veto sur les décisions
stratégiques. Ainsi, l'Etat garde des participations boursières
dans la plupart des entreprises de défense, passant d'une logique d'Etat
stratège à celle d'Etat actionnaire et évoluant d'un mode
de régulation administrée à un système de
rentabilité et de soutenabilité20. L'entreprise peut
alors s'épanouir sur le marché tout en donnant à l'Etat un
droit de regard sur ses décisions, à des fins d'alignement avec
les intérêts nationaux, dans la mesure où certains enjeux
majeurs peuvent dépasser l'entreprise en tant qu'acteur privé.
Certaines activités qui ne sont par exemple pas rentables
économiquement peuvent constituer un vecteur stratégique
indispensable à la souveraineté nationale. L'actionnariat
étatique peut toutefois freiner certains mouvements de consolidation
industrielle, de peur que l'Etat ne guide la marche d'entreprises
consolidées au-delà de ses frontières dans des objectifs
politiques et non économiques. De manière similaire, la
CJUE21 considère que les droits associés tels que la
« golden share » sont autant de restrictions au droit des
autres actionnaires, même si cela est autorisé dans le cas de
groupes liés au secteur de la défense22. Le pouvoir de
l'Etat sur
17 BELLAIS R., FOUCAULT M., OUDOT J-M. (2014),
Economie de la Défense, Paris, Collection Repères
pp.24
18 Krauss Nexter Defence Systems
19 HEBERT J-P. (2006), Le débat
stratégique sur l'armement 1992-2005, Cahier d'Etudes
Stratégies 38-39, EHESS.
20 Rapport Public Thématique (2013), Les
faiblesses de l'Etat actionnaire d'entreprises industrielles de défense,
Cour des Comptes.
21 Cour de Justice de l'Union Européenne
22 CJCE, 4 juin 2002, affaires C-367/98, C-483/99
et C-503/99, Commission/Portugal, Commission/France et Commission/Belgique
9
Yann WENDEL
l'entreprise prend alors une nouvelle forme, qui s'inscrit
dans un mouvement plus large de redéfinition des relations entre l'Etat
et sa BITD, alliant flexibilité et responsabilité.
Les entreprises de défense européennes
s'internationalisent et se consolident pour s'adapter à une baisse des
budgets de défense sur le continent ; la période 1990-2001, dite
des « dividendes de la paix », ayant vu les dépenses
militaires réelles diminuer de 1,8% par an23. Ce mouvement
constitue une réponse des sociétés européennes pour
rechercher des débouchés à l'export et gagner en
compétitivité notamment face à une industrie
américaine consolidée sur une large base nationale, capable de
pratiquer d'importantes économies d'échelle alors que les
produits sont de plus en plus coûteux à
développer24. Les Etats européens ont donc
progressé dans la mise en commun de connaissances techniques en
développant des champions de produits de haute technologie, tels que le
franco-germanique Eurocopter, devenu Airbus Helicopters par la suite. Ce
mouvement ne provient pas à la base d'une impulsion intégratrice
politique, mais bien d'une nécessité économique, qui a eu
un impact direct sur la gestion des problématiques de contrôle par
les pouvoirs publics européens25. Les problématiques
capacitaires de défense s'internationalisent donc par le biais
industriel, en réponse à des pressions budgétaires, le
fonctionnement de ces entreprises étant de moins en moins centré
autour de leur pays d'origine.
La dualisation des entreprises de défense a
également entraîné une redéfinition du
contrôle étatique, d'autant plus que les produits de très
haute technologie se confondent désormais avec des biens à double
usage. Les entreprises de défense ont en effet vu la part de leurs
activités civiles augmenter à la fin de la guerre froide, pour
combler la baisse des budgets de défense, et diversifier leurs profits
et leurs débouchés. C'est ainsi que Dassault Aviation a par
exemple développé une gamme d'avions d'affaires civils, ou
qu'Aérospatiale lanceurs (dorénavant Airbus Defence & Space)
a développé son programme Ariane. Cette approche plus
globalisée et moins spécifique des entreprises de défense
leur a permis de satisfaire leurs actionnaires privés en lissant les
cycles de commandes, mieux réparties entre clients étatiques et
privés. Les procédures de gestion des entreprises de
défense se sont donc alignées sur celles du civil,
privilégiant la logique économique à celle
stratégique, et évitant autant que possible
23 BELLAIS R., FOUCAULT M., OUDOT J-M. (2014),
Economie de la Défense, Paris, Collection Repères
pp.12
24 MEIJER H. (2010), Post-cold war trends in the
European defence industry : implications for transatlantic industrial
relations, Journal of Contemporary European Studies 18(1), pp.
63-77.
25 BROMLEY M. (2011), The EU common position on arms
export and national export control policies. In : BAILES A., DEPAUW S., The
EU defence market : balancing effectiveness with responsibility, Brussels
: Flemish Peace Institute, pp.39-45
10
Yann WENDEL
les contraintes administratives afin d'optimiser la
commercialisation de produits. Les procédures propres à
l'industrie de défense s'inspirent de plus en plus du civil, en ce que
ces dernières s'appliquent aussi bien au cadre du marché
international qu'au national. Ainsi, la logique de marché s'inscrit
progressivement dans les procédures des entreprises concernées,
car leurs débouchés à l'export sont de plus en plus
importants par rapport aux traditionnelles ventes à l'Etat. D'ailleurs,
alors que les « spin off »26 étaient monnaie
courante à l'époque de la guerre froide, on observe
dorénavant une émergence de « spin in » le prolongement
de technologies civiles permettant d'obtenir des applications militaires
(électroniques, informatiques, optroniques ...)27. Dans la
même veine, l'avion multi rôle ravitailleur transport de troupes
A330 MRTT d'Airbus Group est par exemple une adaptation d'avions commerciaux
A330. Certaines entreprises civiles qui développent des produits de
haute technologie peuvent en conséquence avoir une réelle
implication dans la BITD nationale. Les Etats ont donc dû apprendre
à s'adapter à ces nouveaux fournisseurs, dont les méthodes
de fabrication perdent leurs spécificités militaires dans une
logique d'uniformisation industrielle de la production. Cette prise de
conscience a débuté avec le règlement européen sur
les biens à double usage de 199428, qui a dans un premier
temps permis aux instances nationales de contrôler les activités
civiles dotées d'un potentiel militaire. Par la suite, la
catégorie des biens à double usage est devenue le reflet de
l'inscription des biens produits par les entreprises de défense dans une
logique civilo-militaire (surveillance, numérisation du champ de
bataille ...). En plus de l'existence de régimes de protection de type
Wassenaar englobant les biens à double usage, les limitations se sont
peu à peu renforcées concernant les entreprises duales, qui
même si elles ne sont pas toutes soumises à l'AFCI, doivent
être contrôlées car elles représentent un patrimoine
national, en termes militaires ou technologiques. Cette logique duale a
d'ailleurs été exploitée par la Commission
européenne pour pénétrer la souveraineté nationale
des Etats membres sur les produits stratégiques. Depuis 1994, un
Règlement communautaire oblige les Etats à se concentrer
davantage sur les produits militaires « purs » que sur les biens
à double usage.
26 Fertilisation technologique du militaire vers le
civil (internet, NASA ...), in BRANSCOMB L.M. (1992), Beyond Spinoff :
Military and Commercial Technologies in a Changing World, Harvard Business
School Press.
27 IDIART A. (2014), Essai sur l'évolution du
contrôle des exportations de produits militaires et à double usage
depuis les années 1990. In : ACHILLEAS P., MIKALEF W.,
Pratiques juridiques dans l'industrie aéronautique et spatiale,
Editions A. Pedone, pp.260.
28 Règlement (CE) n°3381/94 du Conseil
du 19 décembre 1994 instituant un régiment communautaire de
contrôle des exportations de biens à double usage.
11
Yann WENDEL
Une logique transnationale est donc désormais à
prendre en compte dans l'univers traditionnellement très étatique
des entreprises de l'armement. Le fonctionnement économique
compétitif éclipsant peu à peu la perception des
entreprises comme faisant partie d'un arsenal national, celles-ci
s'étant internationalisées et dualisées. D'un autre
côté, le fait que les entreprises de défense soient
implantées dans plusieurs pays leur donne accès à de
nombreux interlocuteurs étatiques différents, ce qui constitue un
levier par rapport à la seule décision d'exportation de la France
par exemple, mais limite les capacités d'exportation aux destinations
acceptables à la fois pour tous les pays d'implantation.
2. L'adaptation des outils du contrôle aux
coopérations industrielles européennes
Suite à l'échec de la CED (Communauté
Européenne de Défense), les prérogatives liées
à la défense sont restées jusqu'à récemment
résolument nationales29. Les contrôles étaient
uniquement pensés sur une base nationale, dans un axe
matériel/frontière, la chaîne d'approvisionnement
transfrontalière n'étant pas prise en compte car elle demeurait
marginale dans les activités de défense. Cela a
résulté en une fragmentation économique et juridique de
l'Europe en matière de défense. L'intégration plus ou
moins poussée de certains groupes au niveau européen, ainsi que
l'émergence de programmes militaires communs entre plusieurs Etats ont
toutefois contribué à mettre en avant la question de la
définition de la nationalité des biens (en fonction de la
localisation des activités de production, de la nationalité de
l'entreprise, ou du pays de provenance de composants).
Les coopérations d'armement ont en effet
constitué la première étape de l'évolution du
paysage industriel et réglementaire en ce qui concerne la défense
en Europe. Leur cadre a d'abord été inter-gouvernemental, la
structure juridique appliquée différant en fonction du programme.
C'est par exemple le cas des accords Debré-Schmidt (1972) entre la
France et l'Allemagne concernant quelques programmes en cours à
l'époque de matériels de guerre produits en commun, qui stipulent
que chaque pays producteur peut conduire de son propre chef l'ensemble des
opérations d'exportation, dans un « esprit de coopération
», malgré le fait qu'un des deux gouvernements puisse refuser une
exportation de composants30. Dans ce cas,
29 BRONER R. (2014), La Directive n°2009/43/CE du
6 mai 2009 sur les transferts intra-communautaires de produits liés
à la défense et sa transposition en droit français :
perspectives industrielles. In : ACHILLEAS P., MIKALEF W.,
Pratiques juridiques dans l'industrie aéronautique et spatiale,
Editions A. Pedone, pp.285.
30 Accords Debré-Schmidt (1972), Article 2 :
« Aucun des deux gouvernements n'empêchera l'autre gouvernement
d'exporter ou de laisser exporter dans des pays tiers des matériels
d'armement issus de
12
Yann WENDEL
le pays partenaire doit permettre à celui qui veut
exporter de produire les composants chez lui ou de faire appel à
d'autres sous-traitants31. Les politiques d'exportation sont ainsi
liées, mais chaque Etat préserve la souveraineté de sa
décision. Dans les faits, l'application de l'accord Debré-Schmidt
a abouti à la règle coutumière entre la France et
l'Allemagne qu'un partenaire ne met pas de veto à une décision
d'autorisation accordée par le partenaire acceptant. Une des principales
limites à ces accords est que ces derniers ne constituent pas un
traité officiel, n'ayant jamais été publiés. Ils ne
peuvent donc pas s'appliquer de manière contraignante et ont une
vocation intergouvernementale davantage que de droit positif32.
Cette procédure pourrait d'ailleurs être rénovée par
le pilotage d'un groupe bilatéral à des fins de conciliation
rapide au niveau politique en cas de problème lié à des
exportations de produits communs. Cette question pourrait ressurgir dans les
prochains temps à l'heure des modalités de définition du
rapprochement industriel entre Nexter et KMW33 et de la
révision de la Directive européenne sur les Transferts
Intra-Communautaires34.
Le traitement des matériels produits en
coopération dans le cadre de l'entreprise franco-britannique MBDA, tels
que les missiles « Scalp/EG » et « Storm Shadow », est
à ce titre particulièrement remarquable. Les deux produits ayant
la même base sont pourtant chacun fabriqués dans leur pays
respectif avec des spécificités techniques qui leur sont propres.
Cet état de fait démontre que dans ce cadre bien précis,
le but principal de la coopération ne provient pas d'une volonté
d'intégrer complètement les produits, mais plutôt de
partager une partie des coûts de production et des parts de marché
export entre pays. Cette logique de progression en «petits pas »,
pragmatique mais ne symbolisant pas une décision politique claire pour
l'industrie, a le mérite de faire avancer le processus d'harmonisation
des décisions d'exportation. Ce système a constitué une
première étape vers l'élaboration d'une politique
cohérente d'exportation de matériel militaire au niveau
multilatéral, sans pour autant que cette décision ne soit
directement transférée à un échelon
supranational.
développement ou de production menés en
coopération. Chacun des deux gouvernements s'engage à
délivrer sans retard et selon les procédures prévues par
les lois nationales les autorisations d'exportation nécessaires pour la
fourniture de ces composants au pays exportateur. Il ne pourra
être fait usage qu'exceptionnellement de la possibilité de refuser
l'autorisation d'exporter les composants d'un projet commun ».
31 Accords Debré-Schmidt (1972), Article 4 :
« En cas de refus d'autorisation d'exporter les composants d'un projet
commun, l'industriel du pays exportateur serait autorisé à
rechercher, pour une partie ou pour l'ensemble des fournitures
considérées, le concours d'autres sous-traitants ».
32 L'article 3 du décret n° 53-192 du
14 mars 1953 relatif à la ratification et à la publication des
engagements internationaux souscrits par la France dispose que « les
conventions, accords, protocoles ou règlements, (...) de nature à
affecter, par leur application, les droits ou les obligations des particuliers,
doivent être publiés au Journal officiel de la République
française »
33TTU Online (2015), Un Premier Pas. Disponible sur
:
http://www.ttu.fr/exportations-franco-allemandes-un-premier-pas/
[Accès le 10 février 2016].
34 Directive européenne 43/2009
transposée par la France dans la loi 702/2011.
13
Yann WENDEL
De manière plus institutionnalisée, le cadre de
l'OCCAr35 a constitué un dépassement de l'encadrement
strictement bilatéral, en ouvrant la voie à une approche
multilatérale, entre pays européens désireux de
déléguer la maîtrise d'oeuvre des projets d'armement en
coopération à une organisation ad hoc, sans toutefois
aller jusqu'à une intégration du contrôle des exportations
de programmes réalisés en commun. Ces contrôles restent
donc du ressort des Etats, dans un « esprit de coopération
»36, et l'Etat producteur d'un composant peut s'opposer
à une décision d'exportation du matériel par l'assembleur
final37. Les parties se consultent ainsi en amont pour se
prémunir d'objections éventuelles à une vente. Cette
façon de procéder a ouvert la voie à un débat sur
la justification de l'exclusivité de la compétence nationale
concernant le contrôle, et cette enceinte pourrait à ce titre
constituer un cadre idéal en ce qui concerne l'harmonisation des
pratiques d'exportation de matériels de guerre.
Un processus de contrôle export bien défini est
primordial à la bonne réussite des projets industriels, dans la
mesure où des échanges commerciaux de composants entre des
entreprises partenaires implantées dans plusieurs pays différents
peuvent être restreints par la volonté des Etats.
L'intégration ou la coordination des activités industrielles de
part et d'autre des frontières est donc subordonnée à une
décision politique. Ainsi, certaines entreprises transnationales sont
amenées à conserver certaines de leurs activités les plus
stratégiques sur le territoire d'un pays donné, comme par exemple
la dissuasion française pour le groupe Airbus. Les entreprises
d'armement ne peuvent donc pas être véritablement perçues
comme entièrement internationales, mais plutôt multidomestiques.
Au final, l'internationalisation des entreprises de défense
relève davantage d'une logique financière par
fusions-acquisitions ayant eu un impact relativement faible sur leur
organisation industrielle, la volonté politique incarnée par le
contrôle étant encore strictement attachée à une
base nationale, ce qui peut contraindre la stratégie d'évolution
des entreprises sur une base européenne. Ainsi, malgré le
désengagement apparent des Etats dans la production directe
d'équipements de défense, ces derniers gardent des leviers dans
le domaine de la réglementation des exportations38.
Si beaucoup d'entreprises participent à la chaîne
d'approvisionnement au niveau européen, toutes ne sont pas
transnationales. La fabrication de produits de défense communs par des
entreprises européennes nécessite un échange
fluidifié et sécurisé de composants. Il est cependant
difficile pour les entreprises de concilier un espace commercial unifié
avec un
35 Organisation for Joint Armament Cooperation
36 OCCAr Article 8
37 OCCAr Article 8 al 3
38 BELLAIS R., FOUCAULT M., OUDOT J-M. (2014),
Economie de la Défense, Paris, Collection Repères
14
Yann WENDEL
espace juridique constitué d'un ensemble de
différents régimes réglementaires comme cela est le cas
actuellement en Europe, ce qui augmente leur charge administrative et influe
négativement sur leurs délais et donc directement sur leur
compétitivité par rapport à celles évoluant dans un
espace juridique plus unifié. Ainsi, il convient de limiter les
contraintes administratives nationales et de simplifier les échanges
entre Etats membres, car ce sont autant d'obstacles à la mise en place
d'une « supply chain » intégrée au niveau
européen39. Cette fluidité du marché
intérieur et cette harmonisation des contrôles sont des conditions
essentielles à la prospérité des entreprises de
défense européennes au niveau mondial par rapport aux concurrents
traditionnels (Etats-Unis) ou émergents (Chine, Turquie ...), d'autant
plus que la croissance de ces entreprises dépend de plus en plus de
leurs exportations40. Le niveau du contrôle des exportations,
composante nationale, doit donc s'adapter à cette nouvelle donne en
favorisant les échanges peu risqués entre entreprises dans
l'espace européen, pour permettre l'établissement d'un espace
industriel fluidifié et compétitif, tout en se concentrant sur
les livraisons de matériels particulièrement sensibles aux pays
tiers, en adoptant une logique « risques » adaptée à
l'augmentation des flux d'échanges. Cette évolution est d'autant
plus pertinente que sur 12 672 demandes de licence en 2003 au niveau
européen pour les transferts intracommunautaires, seules 15 licences ont
été refusées41. Cette nouvelle façon de
penser le contrôle, de manière ciblée et limitée
permettrait d'éviter un phénomène de distension des enjeux
entre Etats et entreprises de défense42. L'allègement
des procédures n'empêche donc pas un strict cadre de
contrôle, à partir du moment où les biens en question sont
peu sensibles et où les Etats partenaires disposent de procédures
efficaces. Les logiques de non-prolifération et de souveraineté
s'appliquent alors avec la même force l'une que l'autre, et même si
la prohibition reste la règle dans le contrôle export national,
ces procédures doivent évoluer pour prendre en compte
l'environnement juridique global des armements43.
39 Document de travail des services de la
Commission accompagnant la Proposition de directive du Parlement et du Conseil
simplifiant les conditions des transferts de produits liés à la
défense dans la Communauté - Résumé de l'analyse
d'impact {COM(2007) 765 final} {SEC(2007) 1593} /* SEC/2007/1594 final
*/
40 Commissariat Général du Plan
(1993), L'avenir des industries liées à la
défense, Rapport du groupe de stratégie industrielle
présidé par Marcel Bénichou.
41 EU Code of Conduct on Arms Export. In : DUFOUR N.,
SCHMITZ P-E. (2005), Intra-Community Transfers of Defence Products,
Final report of the study «Assessment of Community initiatives related to
intra-community transfers of defence products»,
UNISYS, Brussels, pp.15.
42 HARTLEY et al. (2008), The evolution and future
of European defence firms. In : CHATTERJI M. et FONATENEL J., War, Peace
and Security, Emerald, New York, pp.83-104
43 Art L.2331-1 du Code de la Défense
15
Yann WENDEL
C. Une régulation des exportations d'armement de
moins en moins influencée par le cadre national traditionnel
1. La remise en cause progressive de la souveraineté
nationale comme seule base juridique des armements
La légitimité de l'action de l'Etat dans
l'économie a été ces dernières années
profondément remise en cause, du fait de pratiques entrepreneuriales
privées réputées plus efficaces en termes de gestion et de
rationalisation des coûts, alors que les budgets publics sont toujours
plus contraints. D'autre part, le phénomène de mondialisation
contribue à sa manière à mettre en lumière des
enjeux qui dépassent les pays en tant que tels, dans la mesure où
les flux économiques sont perçus comme de plus en plus
indépendants de la volonté de la puissance publique. Aussi,
à l'organe traditionnel du contrôle qu'est l'Etat dans la
commercialisation d'armement se substituent de nouveaux acteurs supranationaux,
dans la mesure où le processus est désormais fortement
influencé par des normes européennes et
onusiennes44.
Le modèle basé sur la prééminence
de l'Etat dans l'autorisation d'exporter a débuté son
évolution avec la mise en place d'embargos sur les armes par les Nations
Unies, ou plus récemment par l'Union Européenne45, les
approches multilatérales venant compléter l'approche
étatique, qui doit les prendre en compte même s'il reste souverain
dans ses choix. L'environnement international influence alors les politiques
nationales de manière plus ou moins contraignante, les pays exportateurs
mettant en place des groupes de contrôle pour se concerter, concernant la
commercialisation de produits sensibles et ainsi éviter toute
prolifération (Wassenaar, MTCR, groupe Australie ...). Ces instances
mettent en oeuvre, dans une logique de soft power, des instruments de
transparence internationaux46 et la publication de listes communes
de contrôle avec l'arrangement de Wassenaar. Plus récemment, la
mise en place du TCA47 a insisté sur le besoin de
traçabilité des transferts d'armes légères
notamment
44 HOEFFLER C. (2011), Les politiques d'armement
en Europe : l'adieu aux armes de l'Etat nation ? Une comparaison entre
l'Allemagne, la France, le Royaume-Uni et l'Union européenne de 1976
à 2010, Thèse de doctorat en Science Politique, IEP
Paris.
45 On peut à ce titre remarquer le débat
au Parlement Européen portant sur un éventuel embargo sur les
armes envers l'Arabie Saoudite au début de l'année 2016, qui
aurait des conséquences certaines sur les industriels européens.
In : MASON R. (2016), David Cameron boasts of «brilliant» UK arms
exports to Saudi Arabia, The Guardian. Disponible sur :
https://www.theguardian.com/world/2016/feb/25/david-cameron-brilliant-uk-arms-exports-saudi-arabia-bae
[Accès le 25 mai 2016].
46 A savoir le registre de l'ONU de déclaration
par les Etats de leurs transferts d'armement conventionnel.
47 Traité sur le Commerce des Armes
16
Yann WENDEL
dans les pays dépourvus de réglementation de
contrôle export48. Ces mécanismes ont pour principal
objet de lutter contre la prolifération accrue des armes permise par la
mondialisation et la multiplication des flux, qu'ils soient humains et
commerciaux. Le rôle de l'Etat doit alors se redéfinir en fonction
des influences extérieures, en accord avec un cadre multilatéral
de plus en plus pertinent pour le contrôle.
Les intégrations industrielles au niveau
européen ont elles aussi contribué à la remise en question
progressive du mode national de contrôle d'exportations de
matériels pour aller vers une plus grande harmonisation, en lieu et
place de l'établissement de règles discrétionnaires au
niveau de chaque Etat. Les réglementations devaient s'uniformiser
à des fins de création d'un marché unique de l'armement
cohérent, comme le soutient la France dans une résolution des
Nations Unies de décembre 2009 : « L''interdépendance
croissante des systèmes de contrôle est inéluctable, tant
pour des raisons industrielles que diplomatiques. Elle est
particulièrement importante avec nos partenaires européens et
contribue à l'efficacité d'ensemble des efforts de lutte contre
la prolifération et la dissémination des armements
»49. En effet, les contrôles strictement nationaux
n'étaient plus adaptés à la transnationalisation de la
production d'armements, ceux-ci pouvait freiner la compétitivité
des pays producteurs en leur imposant plusieurs règles nationales
différentes50. Ces problématiques liées aux
armements n'étant pas abordées frontalement par les institutions
européennes, cet objectif d'harmonisation a été atteint
par l'intermédiaire de la PESC51 et poussé dans le
même temps par le COARM (Working party on conventional arms export),
organisme ad hoc créé par le Comité Politique
(aujourd'hui Comité Politique et de Sécurité), qui
prépare depuis 1991 les décisions de conseil des ministres dans
les transferts internationaux d'armes52.
48 Séminaire (2016) « Lutte contre le
trafic d'armes : Quel rôle pour les acteurs privés et la
société civile ? »
février
http://www.defense.gouv.fr/dgris/la-dgris/evenements/seminaire-lutte-contre-les-trafics-d-armes-2-
fevrier-2016/seminaire-lutte-contre-les-trafics-d-armes-2-fevrier-2016
49 Résolution 64/40 des Nations Unies «
Législations nationales relatives au transfert d'armes, de
matériel
militaire et de produits et techniques à double usage
»
http://www.un.org/disarmament/convarms/NLDU/docs/NDLU2010/France(F).pdf
50 Une harmonisation des règles de
contrôle entre pays européens est d'ailleurs
bénéfique à la lutte contre la prolifération, dans
la mesure où elle rend impossible pour certaines entreprises de
s'implanter dans un pays moins strict en termes de réglementation afin
d'exporter certains produits particulièrement sensibles.
51 Politique Etrangère et de
Sécurité Commune.
52 DAVIS I. (2002), The regulation of arms and
dual-use exports : Germany, Sweden and the UK , Oxford University Press
17
Yann WENDEL
La Commission Européenne a quant à elle
étudié assez tôt l'idée d'un Code de Conduite des
exportations à travers une Communication de 199653, ainsi que
dans une Communication dite « Bangemann » en
199754 concernant la mise en oeuvre de la stratégie
économique de l'Union Européenne sur les entreprises liées
à la défense (qui sera par la suite complétée par
une Communication de 2003 «Vers une politique de l'Union européenne
en matière d'équipements de défense » 55).
Il en est ressorti que dans le contexte d'une mutation du paysage industriel,
un décloisonnement des marchés nationaux à travers un
système simplifié de circulation des biens d'armements selon des
règles strictement commerciales était souhaitable en
intra-européen56, et ne pouvait être
véritablement efficace qu'en harmonisant les conditions d'exportation de
matériel de guerre entre les pays membres.
Le Code de Conduite, mis en place en 1998 sous la pression de
nombreuses ONG suite notamment aux ventes d'armes européennes lors de la
guerre Iran-Irak57, a donné une base minimale de
contrôle pour les exportations des pays européens avec huit
critères à respecter58, et les a enjoint à
échanger des informations en vue d'une transparence accrue des
décisions et donc d'une convergence des politiques d'exportation. De
manière assez remarquable, cette initiative a entraîné pour
la première fois l'introduction de principes de sécurité
humaine dans le champ du contrôle export. Le Code de Conduite a
été transformé en Position Commune dix ans plus tard,
rendant ainsi contraignants les huit critères communs mis en place entre
les pays à des fins d'harmonisation des politiques nationales
d'exportation d'armement au sein de l'Union Européenne. Le Code de
Conduite n'était en effet à la base qu'une déclaration du
Conseil européen, dotée d'une valeur déclarative sur un
modèle infra-juridique et donc non susceptible de recours devant la
CJCE. Ainsi, même si le traitement des exportations reste
53 COM (1996), Communication de la commission au
conseil et au parlement : Les défis auxquels sont confrontées
les industries européennes liées à la défense -
Contribution en vue d'actions au niveau européen, COM 10 final.
54 COM (1997), Communication de la Commission au
Conseil, au Parlement européen, au Comité économique et
social et au Comité des régions : L'industrie
aérospatiale européenne face au défi mondial,
COM/97/0466 final.
55 COM (2003), Communication de la Commission :
Vers une politique de l'Union européenne en matière
d'équipements de défense, COM 113 final.
56 BALZACQ T., DEPAUW S., LEONARD S. (2014),
The political limits of desecuritization : security, arms trade and the
EU's economic targets, London, Routledge, pp.104-121
57 STAVRIANAKIS A. (2010), Taking aim at the arms
trade. NGOs, Global Civil Society and the world military order, Zed Books,
London.
58 Critères du Code de Conduite : (1)
respect par le destinataire des engagements internationaux ; (2) respect des
droits de l'Homme ; (3) situation interne dans le pays de destination finale ;
(4) préservation de la paix, de la sécurité et de la
stabilité régionales ; (5) sécurité nationale des
États membres et des États alliés ou amis ; (6)
comportement du pays acheteur à l'égard de la communauté
internationale et notamment son attitude envers le terrorisme ; (7) existence
d'un risque de détournement du matériel à
l'intérieur du pays acheteur ou d'une réexportation dans des
conditions non souhaitées ; (8) compatibilité des exportations
d'armes avec la capacité technique et économique du pays
bénéficiaire.
18
Yann WENDEL
malgré tout national, la portée supranationale
de la procédure est désormais bien tangible, comme gage de bonne
foi de la part des Etats devant la Commission Européenne. Les huit
critères extranationaux de la Position Commune 2008/944/PESC sont
intégralement repris dans la procédure de contrôle
nationale de CIEEMG, ce qui constitue une preuve supplémentaire de
l'influence de ces normes dans le droit interne59. De la même
manière, la plupart des Etats membres, dans les certificats
d'utilisation finale qu'ils demandent aux importateurs, font
référence directement à la Position Commune.
L'adoption d'une liste commune européenne
d'équipements militaires le 13 juin 2000 par le COARM a enfin permis
d'obtenir une référence identique de contrôle, ce qui a
contribué à harmoniser les notifications du Code de Conduite, et
de rapprocher les politiques d'exportation des Etats, sur le modèle des
biens à double usage60. La CJCE61 a, dans le
même temps, légitimé le rôle du COARM dans sa
jurisprudence « Hautala », lorsque les Etats ont
refusé de faire parvenir le rapport du COARM à M. Hautala sous
couvert de sécurité publique, alors que celui-ci désirait
étudier le critère des droits de l'homme62 63. La CJCE
a à cette occasion pu affirmer sa compétence en tant que
juridiction sur un texte touchant directement à un pilier
stratégique traditionnel des Etats.
Le procédé de notification de refus introduit
par le Code de Conduite sensibilise les pays européens et les enjoint
à communiquer entre eux préalablement à l'exportation.
Ainsi, si un Etat refuse une exportation, il en informe les autres Etats
membres, et si un Etat désire exporter un bien similaire vers une
destination auparavant refusée par un autre Etat membre dans un
délai de trois ans, les deux Etats doivent se consulter. Au cas
où l'exportation est réalisée, l'Etat exportateur doit
justifier publiquement sa position64. La volonté
européenne de responsabiliser les Etats européens producteurs
d'armement au moyen de standards d'exportation homogènes est alors
claire, afin d'arbitrer entre les préoccupations économiques et
stratégiques liées aux ventes d'armes, tout en laissant une
souplesse nécessaire aux Etats. Ainsi, il n'y a pas de liste d'Etats
interdits à l'exportation, mais des critères de réflexion
sur des situations plus ou moins sensibles, qu'il faut respecter afin d'assurer
la stabilité internationale. Le code de conduite a aussi permis
d'harmoniser et d'institutionnaliser des
59 Rapport au Parlement 2014 sur les
exportations d'armement de la France (2014), Délégation
à l'information et à la communication de la Défense.
60 La référence au Code de Conduite
apparaît dans l'article 8 du Règlement CE 1334/2000 (et suivants)
régissant le contrôle des biens à double usage. JOUE
n° L159/1 du 30/06/2010.
61 Cour de Justice des Communautés
Européennes
62 CJCE, Hautala c/Conseil, 1999
63 CJCE, Hautala c/Conseil, 2001
64 Point 3 de la Position Commune 944/2008.
19
Yann WENDEL
engagements extérieurs : le critère de
sécurité régionale européenne permettant par
exemple de faire converger les politiques étrangères des Etats
membres. D'autres instruments de convergence ont par ailleurs aidé
à sa bonne application par les Etats, tels que l'élaboration par
le COARM d'un guide d'utilisation de la Position Commune pour aider à
interprétation des critères65. Il reste toutefois
possible pour un Etat d'outrepasser ces critères pour prendre en compte
ses intérêts propres dans sa décision d'exportation, car
les textes européens s'inscrivent dans une logique de convergence
progressive, précédant une éventuelle harmonisation
complète66. Ces critères ont donc un impact politique
et médiatique davantage que pratique, même si les pays
européens s'efforcent de les appliquer.
L'intégration au niveau européen de l'industrie
de défense a entraîné une certaine redistribution des
compétences entre les institutions européennes et les Etats
membres67. Concernant les armements, on ne peut donc pas
réellement parler d'européanisation, mais plutôt
d'uniformisation progressive de la décision d'exportation. Les Etats ont
donc perçu la nécessité d'adapter un certain niveau
supranational de contrôles, tout en gardant leur prérogative au
niveau national. Il n'y a en effet pas à ce jour de collège
européen décisionnaire concernant les licences d'exportation
d'armement. Ainsi, les décisions des Etats se font de manière
unilatérale, mais concertée.
2. Une européanisation limitée du
contrôle des exportations d'armement
L'européanisation de l'exportation de matériels
produits en commun se heurte à la diversité des profils des Etats
membres, en termes de composition de BITD et de divergences de politique
étrangère. Le cadre européen était en effet
perçu comme trop inertiel par rapport aux contraintes liées
à la circulation de composants entre les Etats producteurs et au besoin
de s'accorder sur des pratiques d'exportation unifiées vers les Etats
tiers.
65 Conseil de l'UE (2009), Guide d'utilisation de
la Position Commune 2008/944/PESC du Conseil définissant des
règles communes régissant le contrôle des exportations de
technologie et d'équipements militaires, PESC 545/COARM 25.
66 Point 10 du Code de Conduite
67 Art 346 du TFUE « Tout État
membre peut prendre les mesures qu'il estime nécessaires à la
protection des intérêts essentiels de sa sécurité et
qui se rapportent à la production ou au commerce d'armes, de munitions
et de matériel de guerre ; ces mesures ne doivent pas altérer les
conditions de la concurrence dans le marché commun en ce qui concerne
les produits non destinés à des fins spécifiquement
militaires ».
20
Yann WENDEL
L'absence de PESC, jusqu'au TFUE68, a
encouragé la mise en place de groupes ad hoc, encadrés
par l'accord de la LoI69 signé en 2000 à Farnborough
par la France, l'Allemagne, l'Italie, l'Espagne, la Suède et le
Royaume-Uni, qui sont des pays ayant une BITD sensiblement similaire et qui
composent près de 90% de l'industrie de défense
européenne. La LoI a permis de souscrire à des
coopérations ad hoc entre gouvernements, en fonction de chaque
programme, pour structurer l'industrie européenne de défense.
S'en est suivi la mise en place d'une licence globale de projet,
destinée à faciliter les transferts entre pays de la LoI
participant à un projet commun. Ce cadre contraignant, mais auquel les
pays participent sur une base volontaire, a permis une intégration plus
forte dans le secteur des armements.
Ainsi, la LoI se déroule dans une logique de
simplification pragmatique plutôt que de discussions théoriques,
chaque Etat demeurant souverain dans le contrôle de ses exportations. Ce
cadre de travail part du principe que les entreprises peuvent coopérer
entre elles, mais que la politique étrangère de chaque Etat
membre doit prévaloir. Il n'y a donc pas de recherche de politique
commune dans ce cadre, mais plutôt une logique de praticité.
La LoI prévoit par exemple l'établissement de listes
communes d'exportation qui varient en fonction du programme associé, et
qui sont constituées en amont après consultation entre tous les
Etats concernés, qui décident ensuite de la juridiction nationale
qui s'applique pour le programme. Leur objectif n'est donc pas de
déterminer la doctrine d'exportation des Etats membres, mais de fournir
un cadre de travail assoupli respectant les prérogatives nationales en
termes d'exportation.
Actuellement, la LoI est une organisation assez peu dynamique
en termes de réglementation, par opposition au cadre européen
très actif dans l'harmonisation des contrôles avec le rôle
prépondérant de la Commission Européenne. La coexistence
entre les initiatives intergouvernementales de la LoI et le droit
européen a toutefois l'avantage de fournir un forum pour les pays
européens souhaitant davantage d'harmonisation au niveau
intracommunautaire70. Pour la suite, les problématiques de
contrôle au niveau européen pourraient d'ailleurs être
abordées en prenant les pays de la LoI comme base de
référence dans la mesure où ce sont les premiers
concernés par les conséquences de ces politiques, en y incluant
progressivement les autres Etats membres en fonction de la maturité de
leur industrie.
68 Traité sur le Fonctionnement de l'Union
Européenne - Traité de Lisbonne, 2007.
69 Letter of Intent
70 Document de travail des services de la
Commission accompagnant la Proposition de directive du Parlement et du Conseil
simplifiant les conditions des transferts de produits liés à la
défense dans la Communauté - Résumé de l'analyse
d'impact {COM(2007) 765 final} {SEC(2007) 1593} /* SEC/2007/1594 final
*/
Yann WENDEL
L'élargissement progressif de l'enceinte de la LoI
à des pays volontaires et disposant d'un outil industriel adapté
permettrait d'établir petit à petit un cercle de confiance entre
les pays de la BITDE71, afin d'atteindre une véritable
intégration industrielle.
21
71 Base Industrielle et Technologique de
Défense Européenne.
22
Yann WENDEL
II. L'émergence de nouveaux acteurs dans le
contrôle des exportations de produits de défense
A. L'extension des prérogatives
européennes dans un domaine traditionnel de souveraineté des
Etats : les biens à double usage
Les biens à double usage font l'objet d'une
surveillance particulière de la part des autorités en vertu de
leur fort potentiel de prolifération, provenant de la diversité
de leurs finalités d'utilisation et de leur temporalité plus
étendue que celle des armes de guerre. De plus, les biens à
double usage étant souvent des produits de haute technologie, ils
partagent des critères de sensibilité avec les armements.
Historiquement, le contrôle des biens à double
usage était assuré par le COCOM (Coordinating Committee for
Multilateral Export Controls)72, une organisation de lutte contre la
prolifération de technologies en direction du bloc de l'Est au temps de
la guerre froide. Après la chute du communisme, ce texte sans
véritable existence juridique a été remplacé par
l'arrangement de Wassenaar, plus formalisé. Cet arrangement n'est pas un
traité en tant que tel, mais repose sur la démarche volontaire de
ses membres et prend la forme d'un forum politique et technique à
portée multilatérale, menant à la rédaction de
listes de produits recensés en biens à double usage et en
armement conventionnel. Celles-ci sont réévaluées
annuellement par un groupe d'experts d'évolution des technologies, et la
mise à jour de listes est ensuite reprise par l'Union Européenne
lorsqu'elle actualise son Règlement sur les biens à double usage
et la Directive TIC.
L'interprétation très extensive des Etats de
l'article 346 du TFUE, excluant le commerce des armes et de matériel de
guerre du principe de libre circulation des marchandises, les a amenés
dans un premier temps à considérer les biens à double
usage comme des biens sensibles qui restaient en conséquence pleinement
de leur ressort. La Commission européenne a quant à elle
abordé la problématique des biens à double usage sous un
angle davantage économique et commercial, justifiant ainsi ses
prérogatives en la matière. Ainsi, par rapport à
l'arrangement de Wassenaar, l'européanisation du contrôle des
biens à double usage avait pour vocation d'affirmer une doctrine
européenne dans la gestion de ces produits. D'autre part, une
justification au passage de ce contrôle à un niveau
européen est que cette évolution permet de lutter plus
efficacement contre la prolifération de ces produits très
difficiles à
72 Etats membres du COCOM : Allemagne, Australie,
Belgique, Canada, Danemark, Espagne, Etats-Unis, France, Grèce, Italie,
Japon, Luxembourg, Norvège, Pays-Bas, Portugal, Royaume-Uni, Turquie.
23
Yann WENDEL
contrôler, de par leur nature très variée
et la structure industrielle internationalisée de leur production.
En 1994, les biens à double usage passent sous un
régime intégré, de manière à concilier la
PESC, qui est du ressort des Etats, et la politique commerciale commune, objet
d'un Règlement communautaire73. La liste des biens
concernés est commune aux 28 Etats membres européens, et se
fondant directement sur le régime multilatéral de contrôle
de Wassenaar, elle est en fait le reflet de la décision unanime des
Etats membres siégeant aussi à l'Arrangement. La logique «
transpilier » propre à cette répartition de
compétences voulait que le Règlement de 1994 définît
les principes du contrôle des biens à double usage ; alors que la
liste des biens et technologies visés faisait l'objet d'une «
Action Commune » dans le cadre de la PESC74. Ce
Règlement est juridiquement contraignant, et constitue le premier pas
vers une confiance mutuelle entre Etats européens pour leurs relations
sécuritaires. Même si une marge d'appréciation
discrétionnaire pour les Etats concernant le contrôle des biens
à double usage est préservée, en particulier pour les plus
sensibles regroupés à l'annexe IV du Règlement, celle-ci
est limitée et son usage doit rester exceptionnel.
Ce mouvement s'inscrit dans la stratégie de fond de la
Commission Européenne, qui a préféré se saisir de
la question des biens à double usage sous l'angle de
l'aéronautique civile et du spatial dans un premier temps, plutôt
que sous celui plus direct de l'armement, ce secteur étant perçu
comme trop stratégique par les Etats pour en déléguer le
contrôle. Ainsi, la Commission Européenne en particulier a pu
s'intéresser à l'industrie aérospatiale européenne
sous son angle économique, l'intégration duale de ces entreprises
évoquée précédemment rendant artificielle la
séparation des prérogatives entre Union Européenne et
Etats au titre de l'article 346 du TFUE. Les activités civiles dans les
entreprises de défense ont alors été soutenues en
matière de R&D par des fonds européens, ce qui a permis aux
institutions européennes d'exercer une emprise plus importante sur les
questions de défense de manière indirecte et
détournée75. D'une manière similaire, en
contrôlant les concentrations d'entreprises duales dans leur partie
civile, ces institutions se révèlent également
compétentes concernant le contrôle du volet militaire de
l'opération, la partie militaire pouvant avantager
73 Article 113 du traité de Rome / Titre 5 du
traité de Maastricht.
74 IDIART A. (2014), Essai sur l'évolution du
contrôle des exportations de produits militaires et à double usage
depuis les années 1990. In : ACHILLEAS P., MIKALEF W.,
Pratiques juridiques dans l'industrie aéronautique et spatiale,
Editions A. Pedone, pp.265.
75 PCRD (Programmes Cadres de R&D).
24
Yann WENDEL
celle civile dans une logique de fertilisation
croisée76. C'est de cette manière que l'Union
Européenne s'est peu à peu imposée comme l'acteur
réglementaire de référence dans le spatial, ce qui lui a
fourni une « tête de pont » pour faire progresser son
autorité dans les industries de souveraineté.
En addition au mouvement initié par la Commission
Européenne, la jurisprudence de la Cour de Justice des
Communautés Européennes (CJCE) a elle-aussi affirmé les
compétences de la Commission concernant la commercialisation des biens
à double usage. La CJCE s'est en effet déclarée
compétente pour aller à l'encontre de l'article 223 du
traité CEE77 si cela faussait la concurrence dans le
marché intérieur de manière abusive78, ainsi
que pour apprécier les dérogations à la libre circulation
de biens à double usage du fait de risques sécuritaires
avancés par les Etats79. Ainsi, alors que les Etats usaient
des dérogations prévues de manière quasiment automatique,
la CJCE en a eu une interprétation beaucoup plus
restrictive80. Au final, cette jurisprudence a conclu que les biens
à double usage relevaient de la politique commerciale commune, mais que
les Etats disposaient d'un pouvoir discrétionnaire exceptionnel pour
protéger leur sécurité.
En 2000, un texte plus intégrateur résultant
d'une série de progressions jurisprudentielles a été
adopté81. Les listes de contrôle sont alors devenues
directement dépendantes de la Commission Européenne, en devenant
une annexe au règlement, en lieu et place d'être annexées
à la PESC dans un cadre intergouvernemental comme ce qui se faisait
auparavant sous le règlement de 1994. Ce changement est également
le résultat de la jurisprudence de la CJCE, qui a progressivement
affirmé sa compétence pour vérifier les contrôles
ainsi que le principe du libre commerce de ces biens82 et a
opéré une conception extensive de la politique
76 Commission Européenne. Cas n°
IV/M.1309, Matra/Aérospatiale, 28 avril 1999.
77 Traité instituant la Communauté
Economique Européenne, 1957 dit « Traité de Rome ».
78 Article 223 CEE. « Les
dispositions du présent traité ne font pas obstacle aux
règles ci-après : aucun Etat membre n'est tenu de fournir des
renseignements dont il estimerait la divulgation contraire aux
intérêts essentiels de sa sécurité ; tout Etat
membre peut prendre les mesures qu'il estime nécessaires à la
protection des intérêts essentiels de sa sécurité et
qui se rapportent à la production ou au commerce d'armes, de munitions
et de matériel de guerre; ces mesures ne doivent pas altérer les
conditions de la concurrence dans le marché commun en ce qui concerne
les produits non destinés à des fins spécifiquement
militaires. »
79 CJCE, Johnston, 1986. « Le
Traité [de Rome] ne prévoit des dérogations applicables en
cas de situations susceptibles de mettre en cause la sécurité
publique que dans ses articles 36, 48, 56, 223 [296 du TICE] et 224 qui
concernent des hypothèses exceptionnelles bien délimitées.
En raison de leur caractère limité, ces articles ne se
prêtent pas à une interprétation extensive et ne permettent
pas d'en déduire une réserve générale,
inhérente au Traité, pour toutes mesures prises au titre de la
sécurité publique.»
80 CJCE, Campus Oil Limited et autres c/Ministre pour
l'Industrie et l'Energie, 1984.
81 Règlement (CE) n°1334/2000 du
Conseil du 22 juin 2000 instituant un régime communautaire de
contrôle des exportations de biens et technologies à double
usage.
82 CJCE, Fritz Werner Industrie-Ausrüstungen
GmbH c/RFA, 1995; et CJCE, Peter Leifer, Reinhold Otto Krauskopf, Otto Holzer,
1995.
25
Yann WENDEL
commerciale commune par rapport aux impératifs de
politique étrangère des Etats membres. Ainsi, alors que les Etats
membres se chargent des autorisations d'exportation, les instances
communautaires centralisent et coordonnent les règles et les listes de
contrôle export des biens à double usage. Des autorisations
générales communautaires d'exportation sont d'ailleurs mises en
place, ainsi qu'un mécanisme de notification multilatérale (un
mécanisme d'information entre les Etats membres) concernant la «
clause attrape-tout »83, à laquelle une autorité
peut recourir en cas de doute sur l'utilisation d'un bien à double usage
sensible. Cette clause est une décision unilatérale restrictive
qui institue l'Etat, en collaboration avec l'entreprise exportatrice, comme
barrière ultime contre la prolifération d'un bien. Le
Règlement de 2000 permet donc de glisser progressivement de
l'intergouvernemental au supranational en ce qui concerne les biens à
double usage, en restreignant les capacités d'interprétations
nationales. Enfin, ce Règlement a aussi une portée certaine quant
à l'utilisation finale à des fins militaires, car il rend le
respect des critères du Code de Conduite (1998) obligatoire.
La montée en puissance de la multilatéralisation
des enjeux du contrôle des biens à double usage a abouti au
Règlement européen 428/2009 dont les annexes I et IV sont les
listes de contrôle annuellement mises à jour. De plus, ce
Règlement instaure un standard de procédures de contrôle de
l'intermédiation en matière d'exportations vers des Etats tiers
qui s'ajoute aux licences individuelles, générales et globales.
En définitive, le Règlement de 2009 a approfondi les
avancées de ceux de 1994 et 2000 pour adopter définitivement un
cadre européen de contrôle concernant la catégorie des
biens à double usage, même si les Etats membres délivrent
eux-mêmes les licences d'exportation à travers le Service des
biens à double usage (SBDU)84. La libéralisation
accrue qu'a connue la circulation de ces produits, dont les plus sensibles
d'entre eux sont susceptibles d'être détournés à des
fins de prolifération constituent de ce fait un véritable enjeu
de sécurité pour les Etats qui les produisent. Il est donc
important dans certains cas de permettre aux Etats de déroger à
la libre circulation communautaire les concernant, l'octroi des licences les
plus sensibles étant effectué seulement après avis de la
Commission interministérielle pour les biens à double usage
(CIBDU)85. Depuis 2009, les plus sensibles sont
répertoriés dans l'Annexe IV du Règlement double usage
européen, et
83 Article 4 du Règlement 1334/2000 et du
Règlement 428/2009 ; et Règlement 1332/2011 du 16/11/2011. JOUE
n°2336/26 du 08/12/2011.
84 Décret n°292 du 18 mars 2010 relatif
aux procédures d'autorisation d'exportation, de transfert, de courtage
et de transit de biens et technologies à double usage et portant
transfert de compétences de la DGDDI à la direction de la
compétitivité, de l'industrie et de services. Arrêté
du 18 mars 2010 portant création d'un service à compétence
nationale dénommé « Service des Biens à Double-Usage
».
85 Décret n°294 du 18 mars 2010 portant
création d'une commission interministérielle des biens à
double usage.
26
Yann WENDEL
rend l'utilisation d'une licence nationale nécessaire y
compris pour leur circulation intracommunautaire.
Le déroulement de l'évolution
réglementaire à propos des biens à double usage
démontre donc qu'ils ont été isolés des biens
militaires par les institutions européennes afin de pouvoir être
traités de manière commerciale dans des objectifs
résolument économiques, dans un contexte de forte dualisation des
entreprises de technologie du continent. Cette dynamique a pour finalité
la libre circulation en Europe des biens à double usage, ce qui implique
que les Etats membres respectent désormais des critères
d'exportation communs et des règles et une liste
commune86.
B. L'impulsion européenne en faveur d'un
déplacement du contrôle au niveau du secteur privé
1. Le développement d'une logique a posteriori dans
le contrôle
Malgré des velléités du Parlement
Européen d'organiser le contrôle des exportations d'armements
à un niveau supranational dès la fin des années
198087, les avancées en la matière n'ont
été que marginales par rapport aux évolutions qu'ont
connues les biens à double usage, du fait de la
prééminence des prérogatives nationales dans le secteur de
l'armement. Pour preuve, un Règlement européen a pu directement
être mis en place en 1994 au sortir de la guerre froide concernant les
biens à double usage, alors que les transferts intracommunautaires de
matériels militaires ne sont régis que par une Directive, dont
l'application n'est pas encore uniforme dans l'Union Européenne, qui a
été mise en place en 2009 et qui laisse une certaine
liberté de transposition aux Etats membres. Les institutions
européennes doivent donc trouver l'équilibre entre la recherche
d'un cadre de traitement plus global et efficace pour les produits de
défense et le besoin de ménager la souveraineté des Etats
de manière à ne pas bloquer ces derniers dans la progression vers
davantage d'intégration88.
86 COM (1992), Communication de la commission au
conseil et au parlement: Contrôles à l'exportation de biens et
technologies à double usage et achèvement du marché
intérieur, SEC/92/85/FINAL
87 Résolution du 14 mars 1989.
88 COM (2007), Communication de la Commission au
Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et
social européen et au Comité des régions :
Stratégie pour une industrie européenne de la defense plus
forte et plus compétitive, COM 764 final.
27
Yann WENDEL
Ce besoin de fluidité s'est traduit par l'harmonisation
des évolutions réglementaires en termes de licence,
impulsée par la Directive européenne 43/2009 dite Directive sur
les transferts intracommunautaires (TIC). En pratique, cette Directive devait
être le point de départ de la simplification et de l'harmonisation
de l'ensemble des pratiques de contrôle export en France, qu'elles
concernent les transferts entre Etats européens (TIC) ou bien des «
exportations » vers des pays tiers. Dans sa transposition dans les
procédures françaises de contrôle des transferts,
dès l'été 2012, en ce qui concerne les échanges
entre pays européens, les « matériels de guerre et
matériels assimilés » (terminologie conservée pour
les exportations) sont devenus des « produits liés à la
défense ». Pour les échanges intra-communautaires, les
exportations sont devenues des « transferts » et les exportateurs
sont devenus des « fournisseurs »89. Des licences
générales « TIC » ont été mises en place
ainsi qu'un processus de « certification » des
entreprises90. Plus largement, les modalités du
contrôle ont évolué, le principe du contrôle a
posteriori étant posé par la loi de transposition 702/2011
du 22 juin 2011. Ce principe est ainsi directement prévu aux articles
L.2335-6 et L.2339-1 du Code de la Défense, et a pour but de
vérifier, une fois que la licence a été
délivrée, que les opérations qui ont été
réalisées dans son cadre sont bien conformes aux conditions qui
s'y attachent. L'industriel doit pour ce faire tenir systématiquement un
registre des prises de commande, transferts et exportations, mettre en place un
contrôle sur pièces avec obligation de compte rendus semestriels,
en plus de ceux toujours possibles effectués au fur et à mesure
des transactions91. Ces contrôles sur pièces et sur
place92 sont placés sous la responsabilité du
Comité ministériel de contrôle a posteriori
(CMCAP) des exportations.
Les licences générales de
transfert93, instaurées par la loi 702/ 2011 pour une mise en
pratique à partir du 30 juin 2012, prennent la forme
d'arrêtés décidés au niveau national et ne
concernent que certains produits objets de listes propres à chacune et
de certains destinataires ou de certaines utilisations finales mais sans
limitation de quantité ni de montant. Il existe quatre licences
générales obligatoires qui doivent assurer l'approvisionnement
concernant : les forces armées des Etats membres, les entreprises
certifiées, les réparations, et les expositions. Cela permet aux
opérateurs d'exporter ou de transférer des produits
spécifiques sans recourir à une licence individuelle pour chaque
opération, ce qui sécurise la chaîne d'approvisionnement
entre pays européens en réduisant le poids administratif
associé à
89 Art 3 de la Directive européenne 43/2009
90 Art 9 de la Directive européenne 43/2009
91 Art L.2335-14 et L. 2336-6 du Code de la
Défense.
92 Art R.2335-17 du Code de la Défense
93 Art 5 de la Directive européenne 43/2009
28
Yann WENDEL
chaque échange. Tous les exportateurs peuvent en
bénéficier sous réserve d'une primo-déclaration
d'intention d'utilisation, suivie par la délivrance d'un numéro
d'enregistrement de la DGA lors de la première utilisation de cette
licence. Cette étape est donc le seul contrôle a priori
effectué par l'administration concernant ce type de licence, son
utilisation n'étant pas étudiée en CIEEMG et les
contrôles s'effectuant uniquement a posteriori, la licence
générale ne concerne que les matériels les moins
sensibles, dont les transferts sont effectués à destination de
pays fiables.
Il existe actuellement dix licences générales de
transfert et une d'exportation en France, très ciblées. Elles ne
concernent qu'une livraison sur mille en Europe94, leur faible
utilisation étant liée à la complexité de leur
utilisation, dans la mesure où chaque Etat membre a adopté un
contenu différent et où les conditions associées sont
relativement lourdes (primo-enregistrement, clauses techniques ...). En effet,
ces listes ne sont pour le moment pas harmonisées, en raison
d'interprétations concernant les composants les moins sensibles qui
diffèrent selon les pays. En conséquence, les pays membres de la
LoI, sous la présidence française pour la partie concernant le
contrôle des exportations, ont proposé la définition de
listes minimales communes de produits éligibles aux licences
générales de transfert à la Commission
Européenne95. A des fins de fluidité, il est
également envisagé de prévoir des conditions communes
d'utilisation des licences générales, incluant la
réexportation hors UE, sur la base d'une liste de destinataires de
confiance extra européens, comme ce qui se fait avec l'Autorisation
générale d'exportation de l'Union européenne
EU00196 pour les biens à double usage. Un des besoins
primordiaux de l'industrie n'a d'ailleurs pas été pris en compte
dans ces licences, celui d'échanger au sein de l'Union européenne
les flux de données techniques, ces dernières étant encore
soumises à autorisation préalable de par leur statut de «
technologie » au sein de la liste commune d'équipements militaires,
ce qui complique les coopérations avec des sous-traitants
européens97. Enfin, un travail de communication serait
à fournir de la part des autorités étatiques vers les
entreprises, qui ne connaissent pour la plupart pas les procédés
ni les avantages liés à ce type de licence. Cela provient en
partie d'un
94 Chiffres du séminaire « contrôle
export » de la DGA du 13 mai 2016.
95 MAMPAEY L., MOREAU V., QUEAU Y., SENIORA J. (2014),
Final Report, Study on the Implementation of Directive 2009/43/EC on
Transfers of Defence-related Products, Group for Research and Information
on Peace and Security (GRIP) Commissioned for the European Commission,
Brussels.
96 Destinataires de l'Autorisation
générale d'exportation de l'Union européenne EU001 :
Norvège, Suisse (dont le Liechtenstein), Etats-Unis, Canada, Australie,
Nouvelle-Zélande, Japon. A ces 7 pays, pour les exportations de produits
liés à la défense, s'ajouterait l'Islande.
97 BRONER R. (2014), La Directive n°2009/43/CE du
6 mai 2009 sur les transferts intra-communautaires de produits liés
à la défense et sa transposition en droit français :
perspectives industrielles. In : ACHILLEAS P., MIKALEF W.,
Pratiques juridiques dans l'industrie aéronautique et spatiale,
Editions A. Pedone., pp.290
29
Yann WENDEL
manque de standardisation de ces dernières, en termes
d'accès et de compréhension (très peu sont disponibles en
langue anglaise).
Depuis le 4 juin 2014 et l'application complète de la
loi n°2011-702 du 22 juin 2011, qui transpose la Directive TIC 43/2009,
l'agrément préalable et l'autorisation d'exportation de
matériels de guerre ont fait place à la licence d'exportation
(hors UE) ou de transfert (intra UE)98. L'Agrément
Préalable (AP) et l'Autorisation d'Exportation de Matériel de
Guerre (AEMG), nécessaires respectivement pour les négociations
commerciales et le passage physique de la frontière, suivaient une
approche systématique, dont les délais d'obtention étaient
particulièrement rigides et longs mais qui après des
années de pratique avaient des processus clairs. La licence individuelle
est délivrée pour une opération unique, limitée en
quantité et en montant, pour un ou plusieurs matériels
déterminés et un destinataire identifié. Les
opérations concernant les matériels les moins sensibles sont
simplifiées et placées sous la responsabilité de
l'industriel, qui peut, sans conditions particulières, exporter. Cette
autorisation peut être soumise à des conditions, qui peuvent
être bloquantes ou non pour l'exportation. Les « conditions non
bloquantes » associées font l'objet d'un contrôle a
posteriori reportant dans le temps le moment où l'entreprise doit
fournir des informations exigées par la licence, tandis que les
conditions « bloquantes » sont soumises à une
vérification préalable par la DGA avant l'exportation, comme lors
d'une AEMG, du fait de leur sensibilité particulière, ce qui
implique dans une certaine mesure un maintien de la logique de contrôle
a priori. Ainsi, le dialogue entre l'entreprise et l'administration
doit être renouvelé, pour assurer une plus grande fluidité
commerciale dans le respect du contrôle.
La licence globale de transfert99, également
mise en place le 4 juin 2014, est délivrée pour une ou plusieurs
opérations, sans limite de quantité ou de montant, pour un ou
plusieurs matériels déterminés et un ou plusieurs
destinataires identifiés. Son obtention est assez complexe du fait de la
nécessité de soumettre un « dossier d'organisation »
à l'administration pour y être éligible. Les obligations
associées sont les mêmes que pour la licence individuelle, avec
notamment un compte rendu semestriel à fournir pour les contrats
supérieurs à 200 000€, ce qui limite l'intérêt
lié à l'utilisation de cette licence. Ainsi, les licences
globales concernaient 3% de toutes les livraisons en 2015100.
98 Art. 7 de la Directive européenne 43/2009
99 Art. 6 de la Directive européenne 43/2009
100 Chiffres du séminaire « contrôle export
» de la DGA du 13 mai 2016.
30
Yann WENDEL
2. Des prérogatives de la puissance publique plus
ciblées
En contrepartie de cette libéralisation des
contrôles, la puissance publique applique plus systématiquement
ses prérogatives concernant les entreprises privées. Le
contrôle sur pièces d'une part est effectué par la DGA de
manière systématique pour les licences individuelles, globales et
générales. Il implique de vérifier qu'une Fiche Analytique
accompagnée de la copie du contrat et de la licence a bien
été transmise à la DGA préalablement à
l'envoi de matériel. Le contrôle porte en particulier pour les
licences individuelles sur les CNR (Certificat de Non-Réexportation),
qui représentent l'engagement pris par un client de ne réexporter
vers un tiers les matériels ou prestations achetés à la
France que s'il y est préalablement autorisé par le gouvernement
français. Le contrôle sur pièces porte également sur
la transmission des comptes rendus semestriels101, qui sont
communiqués par l'industriel à la DGA/DI (direction
internationale de la DGA) dans la logique du contrôle a
posteriori. En ce qui concerne les licences globales et
générales, le contrôle porte sur la vérification des
comptes rendus semestriels communiqués par l'industriel à la
DGA/DI. Le contrôle sur place a lieu de manière ponctuelle pour
les licences individuelles et de manière systématique en ce qui
concerne les licences globales et générales. Il implique la
vérification dans les locaux de l'industriel de la conformité des
opérations (par rapport aux autorisations reçues et aux
conditions associées), avec des factures, bordereaux de livraisons qui
ont été déclarés dans les compte rendus
semestriels.
Ces contrôles sur pièces et sur place ont lieu
pour vérifier que les entreprises ont satisfait à leurs
obligations de registre, qu'elles ont bien transmis à la DGA/DI un
compte rendu semestriel reprenant leurs prises de commandes et exportations et
que leurs opérations commerciales sont en conformité avec les
autorisations délivrées (clause d'utilisateur final et
d'utilisation finale)102. Le contrôle sur pièces
insiste sur la cohérence entre les licences détenues, les comptes
rendus effectués et les pièces transmises à
l'administration pour les contrats supérieurs à 200 000€,
alors que le contrôle sur place vérifie les opérations
commerciales et le respect des conditions non suspensives. De toutes
manières, les fournisseurs sont contraints de conserver les traces des
transactions effectuées à travers la tenue d'un registre des
transferts et des exportations ; il est d'ailleurs recommandé de s'en
101 Le compte rendu semestriel est prévu par
l'arrêté du 30 novembre 2011 et répertorie les commandes et
les livraisons des exportateurs de matériels de guerre ou
assimilés ou qui transfère des produits liés à la
défense, et ce qui s'applique également aux échanges
immatériels.
102 Art R.2335-17 du Code de la Défense.
31
Yann WENDEL
servir de base pour extraire les comptes rendus semestriels.
Tous les documents commerciaux doivent de plus être conservés pour
une durée de 10 ans.
Suite à ces contrôles, l'administration
rédige un procès-verbal transmis au comité
ministériel de contrôle a posteriori des exportations
(CMCAP), qui transmet lui-même un rapport annuel au ministre de la
défense et au SGDSN sur son appréciation des procédures de
contrôle des entreprises et des suites à leur donner. Il est
composé de la DGRIS, de la DGA, de la DPSD, de l'EMA et il est
présidé par le Contrôle Général des
Armées. Le CMCAP prend en compte plusieurs facteurs dans le
contrôle : il évalue la nature de l'exportation, la
capacité militaire des produits, le destinataire final des
matériels, et la zone d'exportation. Ces risques sont pour la plupart
analysés par les membres de la CIEEMG dans le cadre du contrôle
a priori. Un autre axe de contrôle est celui de la nature de
l'autorisation, les risques de non-respect variant en fonction du type de
licence utilisé et des conditions qui y sont associées. Ainsi,
plus le périmètre de la licence est large, plus il y aura de
recours au contrôle a posteriori, car les risques
associés y sont perçus comme supérieurs. Enfin, le CMCAP
prend également en compte la qualité du contrôle interne
des sociétés et de leur passif à l'égard du respect
de la réglementation.
Des sanctions pénales sont prévues en cas
d'exportation sans autorisation, de non-respect des termes de la licence, de
l'absence du registre (5 ans de prison et 75 000 € d'amende) ou d'entrave
aux investigations, obtention de licence par déclaration
mensongère (3 ans de prison et 45 000€ d'amende)103. La
non-déclaration de la première utilisation d'une licence
générale ainsi que la non-transmission des comptes rendus sont
également passibles d'amendes. Toutefois, les infractions
relevées par ce comité proviennent la plupart du temps d'erreurs
du fait de la nouveauté du processus et n'ont jusqu'alors la plupart
qu'été peu sanctionnées.
En définitive, la Directive européenne 43/2009
crée des outils pertinents, dont l'application reste perfectible afin
d'obtenir une BITDE intégrée en complément de la Directive
81/2009 sur les marchés publics de défense104. La
principale limite de cette évolution réside dans une certaine
lourdeur administrative qui touche les entreprises, provenant d'une
accumulation de charges plutôt que d'un allègement, la
simplification
103 Art L.2339-11 du Code de la Défense.
104 TRYBUS M. (2013), The tailor-made EU Defence and Security
Procurement Directive: limitation, flexibility, description, and substitution,
European law review 38(1):3-29.
32
Yann WENDEL
concernant davantage l'administration que
l'industrie105. Ainsi, le contrôle a posteriori s'est
superposé au contrôle a priori plus qu'il ne l'a
remplacé, dans la mesure où il est par exemple toujours
nécessaire d'obtenir une licence avant l'acceptation d'une commande ou
la signature d'un contrat. La simplification que devait engendrer la Directive
TIC a eu lieu de manière très limitée en pratique, du fait
du manque d'harmonisation des politiques de contrôle au sein de l'UE,
empêchant par là même d'unifier la BITDE. Les licences
générales, qui sont des initiatives allant dans le sens d'une
intégration accrue, n'ont pour le moment qu'une utilité
réduite du fait de la tenue de différentes listes de produits
dans les pays européens, ainsi que de l'absence de ces listes de
certains produits pour lesquels il faut obtenir, en plus, des licences
individuelles. On ne peut donc pas parler pour le moment d'un mouvement global
de simplification des flux entre industriels européens. Enfin, le fait
que la responsabilité du contrôle incombe aujourd'hui de
manière directe à l'entreprise implique de faire partager les
risques au secteur commercial, ce qui a des conséquences en termes
financiers et de garantie lors d'opérations d'exportation, notamment
pour les PME, qui ne disposent pas forcément de la taille critique
adaptée pour faire face.
Ces problématiques d'ordre réglementaire sont
toutefois à mettre en perspective avec les initiatives en faveur de la
diplomatie économique initialisées avec la mise en place du MAEDI
notamment l'accès facilité des PME aux attachés de
défense dans les ambassades de France à l'étranger, qui
constitue une réelle amélioration en termes de soutien à
l'exportation.
C. Des entreprises de plus en plus concernées
par les procédures de contrôle
1. Une baisse progressive de la pertinence des
frontières physiques dans les opérations d'exportation et de
transfert
Le traitement juridique des intangibles était
déjà implicitement couvert par le décret-loi de 1939, dans
la mesure où la nature de l'échange n'y était pas
précisée. La tangibilité ne se définit en effet pas
en fonction du fond, mais de la forme de la diffusion. Les intangibles ont
été dénommés de manière claire dans
l'arrêté du 2 octobre 1992, ce qui a entraîné le
besoin de demander une autorisation avant de partager des informations sur des
matériels106. Depuis 2000, le Règlement sur les biens
à double usage prévoit quant à lui la demande d'une
licence
105 Recommandation n°23 du Rapport d'information au
Parlement sur le dispositif de soutien aux exportations d'armement du 17
décembre 2014.
106 Art 3 de l'arrêté du 2 octobre 1992.
33
Yann WENDEL
d'exportation préalablement à tout transfert de
technologie, même par voie électronique. La licence
générale permet elle-aussi d'aborder les transferts intangibles,
du fait de la plus grande flexibilité de ses critères que ceux
des licences individuelles. L'arrêté du 27 juin 2012 et ses mises
à jour (16 mars 2015) qui définissent une liste des
matériels de guerre et matériels assimilés soumis à
une autorisation préalable d'exportation et des produits liés
à la défense soumis à une autorisation préalable de
transfert, définissent 22 catégories dont les dernières
concernent les logiciels (ML 21) et les technologies qui peuvent être
échangées par voies intangibles (ML 22), dans le cadre par
exemple de transfert de documentation technique ou de formation (même si
cette liste ne concerne pas la technologie strictement nécessaire au
fonctionnement d'une plateforme, laquelle est comprise dans la licence du
matériel principal). La licence est donc nécessaire pour diffuser
des informations pouvant permettre la fabrication de matériels ou en
compromettre l'efficacité107.
Le contrôle se structure de moins en moins sur un axe
frontière-matériel, mais se démultiplie plutôt sous
une forme intangible et déterritorialisée difficile à
contrôler pour l'Etat. La montée en puissance des communications
numériques a en effet largement densifié le flux de
données intangibles ayant lieu notamment dans les phases amont de
commercialisation de matériel, c'est-à-dire avant la
délivrance de la licence. Afin de mieux aborder la problématique
du contrôle, car le besoin de régulation demeure, cette
dernière doit être adaptée aux évolutions des
pratiques commerciales des entreprises ainsi qu'à leur structure
interne, les échanges étant encouragés intra-entreprise,
indépendamment du pays où elles sont physiquement
localisées, ce qui nécessite des opérations de
sensibilisation pour éviter un transfert non contrôlé
d'informations. Le caractère continu et immatériel des flux
d'informations échangés dans le cadre de transferts de
technologie entraîne donc un besoin de contrôle au niveau de
l'entreprise exportatrice elle-même, de manière à agir en
amont de la transaction. L'Etat n'étant pas en capacité technique
et financière d'assurer cette supervision, dans la mesure où les
services des douanes ne peuvent pas contrôler les échanges
intangibles aux frontières, il est nécessaire de repenser le
processus de suivi en responsabilisant les entreprises quant aux informations
qu'elles échangent. Le contrôle a posteriori ne suffisant
pas à lui seul à empêcher des échanges
d'informations sensibles, il faut surveiller les flux en les encadrant
davantage. L'administration se doit alors de s'adapter à la
fluidité des échanges et de diminuer la charge des
contrôles ponctuels, pour se concentrer sur le contrôle de
l'organisation interne des entreprises sensibles dans une logique de
partenariat public-privé, la
107 Décret n°2012-901 du 20 juillet 2012.
34
Yann WENDEL
DGA donnant des prescriptions claires quant au processus de
contrôle tout en laissant une certaine flexibilité aux
opérateurs privés.
2. La mise en place d'une approche « risques » :
l'attribution des contrôles les moins stratégiques au secteur
privé
Afin de faire face efficacement aux nouveaux enjeux
découlant des changements industriels en Europe, l'Etat doit faire
évoluer ses modalités de contrôle et donc se recentrer sur
les points durs de sa compétence régalienne dans une logique
« risques », en déléguant les procédures les
moins sensibles aux acteurs privés, l'entreprise devenant
l'échelon le plus pertinent pour le contrôle de base. Le mouvement
de privatisation des entreprises régaliennes, mais également la
baisse progressive des budgets de l'Etat, ont constitué une
opportunité pour ce dernier de rationaliser ses moyens, en reportant sur
les entreprises le coût induit par le contrôle et en prenant un
rôle d'accompagnement du secteur privé dans ses missions. Les
moyens de l'Etat dans le contrôle se sont donc ajustés dans une
logique de modernisation et de simplification de l'action publique (dans la
droite ligne de la Révision Générale des Politiques
Publiques108 débutée en 2007), dans la mesure
où il est préférable pour ce dernier d'être un bon
régulateur qu'un mauvais acteur du contrôle109. Ainsi,
le désengagement de l'Etat dans le contrôle ne s'effectue pas sur
le fond, mais sur la forme, dans la mesure où le contrôle a
posteriori remplace un contrôle systématique a priori
par un principe d'échantillonnage.
Dans les faits, les licences sont désormais presque
toutes délivrées sans problème. A titre d'exemple, en
France en 2015, sur 5346 licences notifiées, 5208 ont été
traitées par voie numérique ; le passage en réunion
plénière CIEEMG ne concerne donc que 5% des licences
notifiées. Les licences générales de transfert, quant
à elles, regroupent, rationnalisent et fluidifient les opérations
les plus simples, en les soustrayant au contrôle systématique de
l'Etat dans tous les cas et en les soumettant au contrôle de
l'entreprise. Le contrôle administratif s'effectue donc sur l'entreprise
dans son ensemble plutôt que sur les opérations individuelles, ce
qui demande un dialogue permanent entre secteur privé et puissance
publique. Ainsi, pour s'aligner avec les intérêts
stratégiques de la France tout en permettant
108 Révision Générale des Politiques
Publiques.
109 MIGEON F-D. (2010), La méthode RGPP : placer le
changement au coeur de l'administration, Revue française
d'administration publique, 2010/4 n°136, pp.944-985
35
Yann WENDEL
une fluidité du marché de l'armement à
des fins économiques, les entreprises de défense se voient
attribuer la part des contrôles les moins stratégiques, l'Etat se
concentrant à travers le passage en CIEEMG sur les opérations les
plus risquées au moyen de conditions restrictives associées aux
licences, qui concernent environ 39% des licences délivrées
actuellement110.
En France, la prééminence des
prérogatives étatiques dans le contrôle export se manifeste
à travers le contrôle de la destination finale
(CNR111), qui formalise l'engagement de l'acheteur à
respecter les réserves de destination émises par le vendeur ;
ainsi qu'avec le contrôle de l'utilisation finale du bien vendu
(CUF112), qui peut être, au même titre que le CNR, une
obligation à part entière du contrat que le client doit remplir,
et qui identifie le type, la quantité, la valeur du matériel, le
nom et l'adresse des contractants, et la destination finale du matériel.
L'industriel se chargeant de récupérer localement ces documents
auprès de l'Etat importateur et de les faire authentifier par les
autorités françaises, le secteur privé reste maître
de sa relation commerciale, tout en rendant des comptes à l'Etat du fait
d'enjeux sécuritaires induits. Ces conditions sont en effet
nécessaires dans la mesure où le contrôle export
français, contrairement à celui des Etats-Unis avec les
règles ITAR113 et EAR114 « de minimis
», n'a pas une application extraterritoriale automatique. Dans le cas
de matériel spécifié ITAR, le gouvernement acheteur doit
en effet demander l'autorisation aux Etats-Unis avant d'utiliser son
système d'armes, ce qui assure un contrôle permanent de la part de
l'exportateur américain.
A cet effet, la généralisation de la clause
attrape-tout est particulièrement révélatrice.
Destinée au contrôle des biens à double usage qui ne sont
pas identifiés sur les listes, elle permet aux entreprises qui, de par
leur expertise de leur produit et leur connaissance du client, sont à
même d'alerter le pays avec lequel elles sont en affaire, en cas de
risque de détournement du produit exporté, afin de lutter contre
la prolifération d'armes chimiques, biologiques ou nucléaires.
L'entreprise devient donc un acteur du contrôle à part
entière et joue un rôle dans la sécurité des
pays.
De manière similaire, les licences globales fournissent
un meilleur cadre réglementaire au contrôle à des fins de
sécurité collective, tout en donnant une plus grande
liberté aux industriels. Les modalités applicables à ces
dernières sont toutefois très strictes et bien
110 Chiffres du séminaire « Contrôle export
» de la DGA du 13 mai 2016.
111 Certificat de non-réexportation.
112 Clause d'utilisation finale.
113 International Traffic in Arms Regulations.
114 Export Administration Regulations.
36
Yann WENDEL
délimitées, ce qui compense la réduction
des contrôles. Les entreprises doivent, quel que soit le type de licence
utilisé, tenir des registres de leurs exportations et en rendre compte
chaque semestre, l'entreprise devenant un acteur à part entière
de la détection de partenaires commerciaux ne respectant pas les
règles115. Ainsi, l'Etat ne se désengage pas du
contrôle, mais entreprend une redéfinition de ses rapports avec
l'entreprise, en redistribuant de manière plus collaborative les
périmètres de contrôle entre les deux secteurs.
115 GIACOMETTI M. (2006), L'évolution des
dispositifs de contrôles des exportations de produits de défense
de l'Europe : conséquences sur les relations entre Etats et entreprises,
Presses Universitaires de France, pp.358
37
Yann WENDEL
III. L'évolution de la relation entre Etats et
entreprises dans le cadre du contrôle des exportations de produits de
défense
A. Un nécessaire recours à la puissance
publique dans le processus de contrôle, qui redéfinit sa relation
avec l'entreprise dans un mouvement de responsabilisation du secteur
privé
1. Le passage à une logique a posteriori encourage
le rôle de l'Etat à nouer une relation de confiance avec les
entreprises de la BITD
Le contrôle a posteriori devait permettre la
suppression des contrôles systématiques formels, tout en
maintenant la crédibilité du contrôle du fait de la
responsabilisation des entreprises116. Ainsi, la CIEEMG n'examine
pas le contrat avant que la livraison ne soit effectuée, sauf en cas de
conditions bloquantes117. A des fins d'efficience économique
et de fluidité de la supply chain, les contrôles s'effectuent dans
une logique d'évaluation en amont des risques et de définition de
référentiels globaux plutôt que sur des cas particuliers.
Les autorités administratives évaluent ainsi la capacité
des entreprises à contrôler des biens et des services grâce
à leurs procédures de gestion interne, puis leur accordent des
licences. Les industriels sont donc désormais des acteurs centraux de la
lutte contre la prolifération.
Cette responsabilisation des entreprises s'accompagne
toutefois de la charge du contrôle. En effet, même si la puissance
publique reste in fine le garant des engagements internationaux, la
délivrance de son autorisation n'exonère plus l'industriel de sa
responsabilité dans l'opération118. Les
modalités de ce contrôle doivent donc être adaptées,
afin que l'entreprise soit en mesure de vérifier les garanties
d'utilisateur et d'utilisation finaux. Le contrôle export doit donc
être effectif à chaque étape commerciale et l'organisation
interne des entreprises doit s'adapter à ce besoin en formalisant les
étapes de contrôle.
L'évolution actuelle du contrôle l'incite
à ne plus porter que sur les exportations les plus sensibles,
délégant la majorité des actes au secteur privé. La
dématérialisation des procédures et l'instauration du
contrôle a posteriori ne doit toutefois pas pousser
l'administration à ne faire peser la charge du contrôle que sur
les entreprises. D'un point de vue de la compétitivité
116 Rapport au Parlement 2016 sur les exportations
d'armement de la France (2016), Délégation à
l'information et à la communication de la Défense.
117 Voir II.B.1.
118 GENARD Q. (2012), L'extraterritorialité de la
législation américaine du contrôle du commerce des biens
sensibles : entre prétention juridique, intérêt public et
réalité économique, Université de
Liège, Belgique.
38
Yann WENDEL
internationale, le signal donné par l'Etat d'un
transfert de responsabilité dans le processus d'octroi de la licence
d'exportation pourrait être interprété par nos partenaires
commerciaux comme un intérêt moindre de la puissance publique
concernant le suivi de nos opérations stratégiques. Ce processus
doit donc être assorti d'une nouvelle façon d'aborder le
contrôle afin d'assurer la crédibilité de l'autorisation
délivrée et la corrélation entre les intérêts
de la France et ses acteurs privés de l'armement. Cette
répartition claire des prérogatives est une condition essentielle
pour éviter de désavantager les industriels nationaux par rapport
à ceux de pays pratiquant de manière plus extensive les contrats
de gouvernement à gouvernement (comme les Etats-Unis avec le Foreign
Military Sales), qui permettent d'aligner de manière très
évidente les intérêts politiques et industriels.
Enfin, les effectifs dégagés par la
responsabilisation du secteur privé doivent être consacrés
à l'accompagnement des entreprises de défense dans les campagnes
internationales, dans une logique partenariale davantage que
régulatrice. La dimension politique des exportations n'est en effet pas
privatisable, malgré une répartition du contrôle plus large
entre secteurs privé et public.
La réforme du contrôle avait initialement pour
objectif de diminuer le nombre d'autorisations d'exportations, qui sont autant
de lourdeurs administratives à gérer. Toutefois, depuis la mise
en oeuvre de la Directive européenne, les industriels de la
défense déposent de plus en plus de licences, ce qui est
contradictoire par rapport à l'effet final
recherché119. Dans la mesure où la délivrance
d'une licence n'oblige pas l'exportateur à vendre, les entreprises, qui
ont la responsabilité de leur contrôle, cherchent à
sécuriser leurs exportations en demandant préventivement des
licences. De plus, ce report de charges sur le secteur privé peut
être à double tranchant pour les industriels de la défense.
Dans la mesure où leur responsabilité est davantage
engagée, leurs services internes de contrôle prennent de
l'importance dans l'entreprise120, ce qui mobilise des ressources
humaines et financières et peut potentiellement entraîner un
désavantage compétitif. Les avantages apportés par la
réforme pourraient au final être contrebalancés par la
difficulté pour les entreprises les plus petites à gérer
ce contrôle en termes d'outils et de moyens, alors que les règles
se multiplient
119 Rapport au Parlement 2015 sur les exportations d'armement
de la France (2015), Délégation à l'information et
à la communication de la Défense.
120 CHABANNE N., FOULON Y. (2014), Rapport n°2469 fait
au nom de la Commission de la Défense Nationale et des Forces
Armées en conclusion des travaux d'une mission d'information sur le
dispositif de soutien aux exportations d'armement, Assemblée
Nationale de la République Française.
39
Yann WENDEL
et que les procédures deviennent de plus en plus
denses121. Les procédures de contrôle a posteriori
pourraient cependant évoluer dans le sens d'un alignement sur les
impératifs des entreprises. La marge de manoeuvre accrue fournie aux
entreprises concernant l'obtention de leurs licences peut inciter l'Etat
à réallouer ses ressources dans le soutien aux entreprises
plutôt qu'à leur contrôle. Le développement du
contrôle export interne pourrait être valorisé au moyen
d'audits de la part de l'administration et d'un label pour attester de la
qualité du contrôle, dans une démarche de système de
contrôle fondé sur un partenariat de confiance avec la puissance
publique122.
La certification était une recommandation phare de la
Directive TIC, mentionnée dès les premiers rapports de la
Commission Européenne123. La certification de la
conformité des procédures de contrôle d'une entreprise
constitue une preuve de la fiabilité de ses procédures. Ce
dispositif est essentiel au respect des bonnes pratiques et à la
réputation des entreprises de défense à travers leur
partenariat avec l'Etat dans lequel elles se trouvent, alors que les produits
commercialisés sont particulièrement sensibles124. Les
fournisseurs européens des entreprises certifiées, dont la DGA a
estimé qu'elles étaient dotées d'un contrôle interne
suffisamment solide et qu'elles respectaient les restrictions associées
aux réexportations par exemple, disposent de la part de leur
gouvernement en conséquence de séries de contrôles
allégés125. Ainsi, les entreprises qui désirent
recevoir sans attendre une licence de transfert individuelle des produits
liés à la défense par le biais de licences
générales d'autres Etats membres sollicitent une certification
qui atteste de la fiabilité de leurs processus internes126.
Actuellement, chaque entreprise certifiée est inscrite dans la base de
données CERTIDER127, elle-même directement
administrée par la Commission Européenne.
Ce mécanisme devait à la base être le fait
d'un organisme indépendant (Commission Européenne ou Agence
Européenne de Défense) pour donner un référentiel
commun de
121 FROMION Y. (2011), Rapport n° 3311 fait au nom de la
Commission de la Défense Nationale et des Forces Armées sur le
projet de loi relatif au contrôle des importations et des exportations de
matériels de guerre et de matériels assimilés, à la
simplification des transferts des produits liés à la
défense dans l'Union européenne et aux marchés de
défense et de sécurité, Assemblée Nationale de
la République Française.
122 CHABANNE N., FOULON Y. (2014), Rapport n°2469 fait
au nom de la Commission de la Défense Nationale et des Forces
Armées en conclusion des travaux d'une mission d'information sur le
dispositif de soutien aux exportations d'armement, Assemblée
Nationale de la République Française.
123 DUFOUR N., SCHMITZ P-E. (2005), Intra-Community Transfers
of Defence Products, Final report of the study «Assessment of
Community initiatives related to intra-community transfers of defence
products», UNISYS, Brussels
124 WILLIAMSON O. (1996), The Mechanisms of Governance,
Oxford University Press.
125 LGT FR 102 : licence générale de transfert
dans l'Union européenne de produits liés à la
défense à destination d'une entreprise certifiée d'un Etat
membre.
126 Art L.2335-16 du Code de la Défense.
127 CERTIfication DEfence Register.
40
Yann WENDEL
confiance aux Etats, reconnu de tous, mais les Etats ont
gardé cette responsabilité en l'attribuant à des acteurs
nationaux. Pour être viable au niveau européen, la certification
doit rassembler les mêmes critères afin d'harmoniser les
contrôles, dans la mesure où la décision de certification
d'une entreprise est une décision nationale, afin d'assurer une
reconnaissance mutuelle et d'améliorer la confiance réciproque
entre les différents Etats-membres concernant le statut de ces
entreprises128. Il importe également de renforcer
l'attractivité de la certification des entreprises, qui est un
instrument utile mais pas assez incitatif, d'autant plus que la charge de la
certification en matière financière et organisationnelle peut
s'avérer prohibitive pour les entreprises les plus petites. Enfin, la
faible visibilité associée aux licences générales
de transfert dans les pays membres ainsi que leur complexité due
à une faible harmonisation ont eu un impact négatif sur le
processus de certification. Dans la mesure où le processus est pour le
moment optionnel, les seules entreprises pour lesquelles la certification
constitue en l'état un outil avantageux sont celles qui livrent à
une entreprise certifiée. Afin de permettre une plus grande convergence
dans la mise en place de la Directive TIC, la Commission Européenne a
publié au moment de sa transposition une recommandation qui
détaille des lignes de conduite spécifiques à la
certification129.
Les bonnes pratiques entrepreneuriales sont également
encouragées par les actions de gouvernements étrangers. Ainsi, le
système de « dispense de licences » en place aux Etats-Unis
permet à certaines exportations de se soustraire aux contraintes
étatiques en fonction des Etats destinataires et de la nature des
produits. De la même manière, les harmonisations des
procédures de contrôle avec les Etats alliés, à
travers des « Declarations of Principle », permettent aux Etats-Unis
de mettre en place des zones de circulation simplifiée de
matériels militaires130. En définitive, les
entreprises disposant de bons processus de contrôle interne sont
avantagées d'un point de vue commercial par les acteurs
Américains, qui de par leur présence sur le marché,
influencent les autres entreprises du monde dans leur perception des bonnes
pratiques.
128 GIACOMETTI M. (2006), L'évolution des
dispositifs de contrôles des exportations de produits de défense
de l'Europe : conséquences sur les relations entre Etats et
entreprises, Presses Universitaires de France, pp.358
129 Commission Recommendation (2011) on the certification of
defence undertakings under Article 9 of Directive 2009/43/EC of the European
Parliament and of the Council simplifying terms and conditions of transfers of
defence-related products within the Community [2011] O.J. L11/62, January.
130 Notamment avec le Royaume-Uni dans le cadre de ses
coopérations industrielles.
41
Yann WENDEL
2. L'investissement accru de l'Etat dans l'organisation
interne des entreprises
Depuis la fin de la guerre froide, le rôle de l'Etat
s'est progressivement amoindri dans les entreprises de défense en raison
de leur plus grande ouverture aux marchés, ce qui a contribué
à peu à peu remettre en cause le cadre national du
contrôle. Toutefois, dès le début des années 1990,
la nécessité de laisser une marge de manoeuvre plus importante au
secteur privé se faisait sentir, tout en renforçant le
contrôle de l'Etat à travers le contrôle des exportations
d'armement131. En effet, du fait de leurs activités, qui
répondent directement à une demande publique de mise en oeuvre de
politique de défense et de sécurité, les entreprises de
défense doivent être encadrées bien en amont du processus,
au niveau de l'entreprise même132. Après le 11
septembre 2001, la puissance publique s'est réinvestie dans le
contrôle des exportations, vecteur de réaffirmation de la
souveraineté de l'Etat dans ce domaine régalien.
Cette évolution s'est toutefois réalisée
de manière renouvelée, car aujourd'hui, l'Etat n'est plus
présent seulement au moment du passage en douanes, qui est d'ailleurs de
moins en moins pertinent pour une grande partie des problématiques de
contrôle, mais s'implique directement dans la vie commerciale de
l'entreprise et dispose d'un droit de regard dans leurs processus internes, du
fait d'une redéfinition de ses priorités de contrôle. Les
entreprises sont alors d'une part dotées d'une plus grande autonomie
à l'aide de procédures allégées de contrôle
pour les transactions peu risquées, alors que d'autre part les Etats se
concentrent davantage sur les transactions les plus sensibles en termes
d'utilisateur final et d'utilisation finale, pour lutter contre la
prolifération. De ce fait, les entreprises d'armement, souvent
privatisées, adoptent une structure interne adaptée aux
contraintes étatiques qui s'appliquent à elles.
Ainsi, dans le cadre de coopérations industrielles
interétatiques, l'Etat renforce sa présence en traitant des
questions de sécurité industrielle dans un Mémorandum of
Understanding, afin d'encadrer les échanges d'informations qui
correspondent à un savoir-faire national par un texte officiel. Les
programmes de souveraineté concernant des entreprises de défense
multinationales sont alors réservés aux seuls nationaux
(programmes « French eyes only ») et les risques de
transfert de technologie sont identifiés et contrôlés en
131 SCHWARTZBROD A. (1992), Industries d'armement : le rôle
de l'Etat appelé à s'inverser, Les Echos. Disponible sur
:
http://www.lesechos.fr/08/12/1992/LesEchos/16282-047-ECH_industries-d-armement--le-role-de-l-etat-appele-a-s-inverser.htm
[Accès le 16 janvier 2016].
132 MAMPAEY L. (2016), Herstal : le piège de la
privatisation, Les publications du GRIP. Disponible sur :
http://www.grip.org/fr/node/1923
[Accès le 12 avril 2016].
42
Yann WENDEL
priorité. C'est le cas du groupe Airbus, entreprise
multinationale dont les activités liées à la dissuasion
nucléaire ne sont gérées que par des ressortissants
français.
Le passage à un mode de fonctionnement plus
collaboratif affecte également les entreprises duales. En effet,
même une entreprise dont les activités de défense sont
marginales devra développer de nouvelles relations avec les instances
publiques à travers la dimension du contrôle des exportations,
obligatoire concernant les biens à double usage. A cet effet, elle devra
intégrer un certain degré de logique administrative dans son
organisation interne et mettre en place des processus de gestion et validation
pour tenir compte des risques sécuritaires engendrés par la
sensibilité des produits qu'elle commercialise. Ces entreprises doivent
identifier leurs produits sensibles sur des listes et identifier les situations
potentiellement problématiques, en introduisant une démarche
d'évaluation des risques liés au client. Les Règlements
des biens à double usage ont ainsi changé les procédures
de contrôle de certaines entreprises civiles, avec le recours au «
French eyes only » ou « black programs »,
soulignant le rôle de l'Etat pour protéger le secret lié
aux technologies de défense à travers des audits de
sécurité notamment133.
Il y a ainsi une double implication du contrôle : d'un
côté, certaines compétences industrielles s'étendent
dans un domaine régalien nouveau et, de l'autre, l'Etat s'implique
davantage dans la vie des entreprises. L'Etat et l'industrie se rapprochent
donc pour analyser les risques et les traiter de manière conjointe et
rationalisée.
3. Une redéfinition du contrôle par une
concentration accrue sur les étapes les plus risquées du
processus d'exportation
Si d'un côté, les licences encadrent les
transactions de manière assouplie, l'Etat se doit de garder le
contrôle sur les opérations les plus risquées, afin
d'éviter que des produits ou des informations n'échappent
à sa vigilance. Pour ce faire, la puissance publique doit s'adapter au
caractère continu des flux d'informations échangés entre
les différentes entreprises de défense, du fait de la
transnationalisation induite par les nouvelles compositions industrielles
européennes et du recours massif aux exportations. Par exemple, le
recours de plus en plus courant aux compensations (offsets) par les entreprises
en marge des contrats d'armement,
133 Lors de l'achat par BAE systems de GEC/Marconi Electronic
Systems en 1998, l'opération a été
précédée d'un accord spécial de
sécurité avec le gouvernement américain à des fins
de protection des technologies nationales.
43
Yann WENDEL
afin d'obtenir des marchés à l'export
auprès de clients toujours plus demandeurs de transferts de technologie,
constitue un facteur de risques en ce que des données sont de plus en
plus échangées par voie immatérielle, en dépit de
frontières physiques et administratives134. Il est donc
primordial pour l'Etat fournisseur d'être en pleine capacité de
contrôler l'échange d'informations ainsi que l'exploitation de
technologies sensibles sur un territoire étranger, en assurant la
maîtrise des informations échangées et leur supervision.
Les garanties industrielles prennent alors la forme de
procédures de contrôle des échanges par voie
immatérielle et passent par un document créé par une
Directive CIEEMG en 2005 sous le nom de DASI (Dispositif d'Assurance de
Sécurité Industrielle), effectif lorsqu'une licence implique une
coopération industrielle, un transfert de technologie ou encore un
échange d'informations sensibles. Il a récemment
été remplacé par le PASI (Plan d'Assurance de la
Sécurité des Informations). Ce dernier contient différents
éléments : la présentation de l'organisation de la
société concernant la protection des informations ; la
présentation de l'opération d'exportation et des acteurs
impliqués ; une identification de tous les risques de transfert
d'informations sensibles associés à l'opération, notamment
par voie intangible ; et la description bien détaillée des moyens
organisationnels, humains et techniques mis en oeuvre pour parer à ces
risques (chaîne de responsabilités, audit interne, sensibilisation
des personnels, contrôle des accès, sécurisation des
communications, archivage et traçabilité des
transferts)135. Alors qu'auparavant, l'AEMG permettait à
l'administration de vérifier que les documents transférés
ne contenaient pas d'information classifiée, l'entreprise procède
désormais elle-même (sauf condition bloquante) au diagnostic du
risque lié à l'exportation pour la sécurité
nationale. Ainsi, l'entreprise et l'Etat se concentrent sur les étapes
les plus risquées à l'export, lors notamment du transfert de
données dans le pays acheteur, dans une démarche collaborative
pour contrôler les informations transférées afin de
préserver la BITD nationale. Le PASI remet ainsi la DGA au centre du
contrôle, en lui permettant de procéder à des
évaluations sur pièces et sur place de son dispositif.
A une échelle plus politico-diplomatique, dans le cadre
de l'exportation de technologies très sensibles qui s'accompagnent de
données classifiées confidentiel défense ou secret
défense, l'administration peut demander à mettre en place un
accord particulier ou général de
134 BELANGER Y., FLEURANT A-E., MASSON H., QUEAU Y. (2012), Les
mutations de l'industrie de défense : regards croisés sur trois
continents. Amérique du nord, Europe, Amérique du sud,
Cahiers de l'IRSEM, n°10. pp.81-114.
135 Le PASI, Portail de l'armement du Ministère de
la Défense. Disponible sur :
https://www.ixarm.com/-PASI-[Accès
le 28 janvier 2016].
44
Yann WENDEL
sécurité entre les Ministères de la
Défense de la France et du pays partenaire préalablement à
la délivrance d'une licence. La dimension politique de l'échange
est à ce niveau indissociable de sa gestion commerciale.
B. Perspectives d'évolution et nouveaux enjeux
liés au contrôle
1. Le renouvellement des problématiques de
contrôle par la montée en puissance des services associés
aux livraisons d'armement
Les exportations de produits de défense s'inscrivent de
plus en plus dans une logique de service au-delà de la livraison
d'armement. Pour preuve, alors qu'en 2011 la BITD exportait l'équivalent
de 8 M€ de services, elle en a exporté en 2015 l'équivalent
de 10,5 Mds€. La croissance des services a été en
comparaison deux fois supérieure à celle des marchandises sur la
période136.
Cette offre nouvelle, au travers de la formation par exemple,
est externalisée, ce qui induit de nouvelles problématiques de
contrôle des exportations. L'exemple de l'entreprise DCI137
est à ce titre particulièrement révélateur. Cette
entreprise se charge de la commercialisation de formations
opérationnelles (doctrine d'emploi, chaîne de commandement), alors
que les industriels vendent de la formation technique en lien avec les
plateformes exportées (maintenance, utilisation des appareils). La
formation technique est incluse dans la licence de livraison de
matériel, alors que la formation opérationnelle requiert une
licence à elle seule, dont DCI doit s'occuper. Jusqu'alors dans ce
cadre, les licences générales ne sont pas utilisées, car
les formations sont exportées à des pays tiers à l'Union
européenne et non transférées à des pays
européens.
Depuis l'instauration de la licence unique, DCI est elle aussi
davantage responsabilisée dans le contrôle des exportations de
formations. Son autonomisation est maillée par un vrai dialogue avec
l'administration et des ajustements se font encore au jour le jour pour aborder
le complexe contrôle de l'immatériel. Il est en effet encore plus
important dans le cas des services que les entreprises s'auto-disciplinent,
dans la mesure où le contrôle de la douane est inexistant, les
flux étant immatériels. Le basculement dans
l'illégalité est donc très facilement
136 OUDOT J-M. (2016), Enjeux et mesures des
activités internationales des entreprises de défense,
Présentation à la Direction des Affaires Financières du
Ministère de la Défense, 16 juin, pp. 13 (voir Annexe 1).
137 Défense Conseil International.
45
Yann WENDEL
atteignable dans le cas de procédures internes mal
rodées, qui aurait des répercussions désastreuses directes
sur l'entreprise. Cela mène DCI à être
particulièrement rigoureux en termes d'archivage, l'absence de bons de
livraison de matériel rendant la mise en place d'un système de
standardisation de documents particulièrement prégnante. En
effet, il convient d'organiser toutes les preuves de bonne pratique, afin
d'être en mesure de démontrer auprès de l'administration
que les procédures ont bien été respectées au
moment du contrôle a posteriori. Toutefois, du fait de la
sensibilité des prestations offertes par cette entreprise, les
conditions suspensives associées aux licences, qui doivent être
respectées avant l'exécution des prestations, demeurent
très nombreuses. Ainsi, en fonction des risques associés aux
opérations, le basculement vers un contrôle a posteriori
seul n'est pas totalement effectif.
2. Les effets de la responsabilisation du secteur
privé dans le financement des exportations d'armement
a. Un secteur privé de plus en plus
exposé aux risques
Les enjeux relatifs aux exportations d'armement se retrouvent
tout particulièrement au niveau du financement de ces opérations.
Dans la plupart des opérations, ce n'est pas la licence qui
représente un point d'accrochage, mais le montage financier
associé. Par exemple, en ce qui concerne les transferts
intracommunautaires, c'est la solvabilité des Etats qui est
déterminante de l'opération. La licence ne représente pas,
malgré son caractère essentiel pour procéder à
l'exportation et obtenir un financement bancaire, une étape suffisante
à elle seule au déroulement de la transaction. Elle n'est en
effet pas synonyme d'un soutien actif de la part de l'Etat, mais plutôt
d'une autorisation de principe. Certains critères bancaires autres que
la licence sont utilisés pour apprécier la décision
d'octroi de crédit (situation financière du client, risque
bancaire et risque pays).
L'aléa incarné par l'action de la puissance
étatique dans le processus peut s'avérer bloquant pour les
banques, la plupart des décisions d'exportation étant empreintes
d'une logique politique en plus de celle économique. En cas de refus de
licence ou de restrictions associées trop importantes par rapport au
besoin du client, le retour sur investissement peut être nul pour
l'exportateur, il est donc important d'en minimiser les risques. C'est pour
cela que l'Etat peut apporter des garanties financières afin de
réduire le risque pays. En parallèle, certaines entreprises de
défense évaluent elles-mêmes, en interne, les risques dans
le cas
46
Yann WENDEL
d'opérations peu sûres, préalablement au
dépôt de licence. De manière plus drastique, le fait que
les transactions liées aux armements ne concernent qu'une petite partie
du marché mondial (2-5%)138 enjoint certaines banques
à se désengager complètement du secteur de la
défense ; que cela soit par manque de moyens matériels à
consacrer aux enjeux contraignants qui en découlent pour les plus
petites d'entre elles ou en vertu de principes éthiques, afin
d'éviter les problématiques d'image auxquelles les banques ne
souhaitent pas être associées alors que leur compliance
est particulièrement scrutée depuis 2008139 et que les
ONG sont de plus en plus actives à revendiquer le respect des droits de
l'homme. En conséquence, depuis quelques années, les banques sont
réticentes à émettre des crédits documentaires ou
des crédits acheteur en direction de certaines opérations,
notamment du fait de précédents liés à des
sanctions financières en vertu de l'extraterritorialité du droit
américain140. Ces réticences du secteur privé
à investir dans ce domaine proviennent d'une surinterprétation
des restrictions liées aux armements ainsi que d'une frilosité
des comités de direction à l'égard de ces produits.
La licence, en tant que condition sine qua non au
financement d'une opération d'exportation, est la seule protection
légale des banques, qui endossent le risque lors de la transaction. Elle
est également nécessaire à la prise en compte de la
demande d'une entreprise devant la commission des garanties de la Coface. Les
banques ont eu à affirmer depuis deux décennies leur rôle
actif dans la compliance, en témoigne leur implication dans la lutte
contre la finance criminelle depuis le G7 de 1989, puis le Patriot Act,
qui les a rendues responsables de l'interdiction des transactions avec les
terroristes (dans le cas contraire, elles pourraient être jugées
complices des actes commis). L'Union Européenne a d'ailleurs suivi le
mouvement avec l'émission de Directives sur les services
d'investissements des marchés réglementés141.
La convention OCDE a également amené à une
responsabilisation progressive des banques dans la lutte contre la fraude
fiscale, le financement pouvant par exemple être
138 DGRIS (2016), Séminaire « Lutte contre le
trafic d'armes : Quel rôle pour les acteurs privés et la
société civile ? » Disponible sur :
http://www.defense.gouv.fr/dgris/la-dgris/evenements/seminaire-lutte-contre-les-trafics-d-armes-2-fevrier-2016/seminaire-lutte-contre-les-trafics-d-armes-2-fevrier-2016
139 JOLYS
M-C. et BELLAKHDAR K. (2016), L'affirmation
d'un nouveau modèle bancaire, La Revue des
Affaires, Février. pp.26?9. Disponible sur
:
https://www.google.fr/url?sa=t&rct=j&q=&esrc=s&source=web&cd=1&ved=0ahUKEwjXl_yO1O3OAhWLVh
oKHXeXDmwQFggeMAA&url=http%3A%2F%
2Fwww.vapress.fr%2Fshop%2Fdownload%2F9%2F1%2F&us
g=AFQjCNE_BGAu9-W-w_J7SYk_mpOwmEaqkQ&sig2=Y5eMkb-yNIhYOJSj_N7Tow
[Accès le 21 mars 2016], ,
140 Exemple de l'amende infligée à la banque
française BNP Paribas, l'extraterritorialité du droit
américain s'appliquant à partir du moment où le Dollar US
est utilisé dans la transaction.
141 Directive sur les marchés d'instruments financiers -
2004/39/CE, MiFID 1 & 2.
47
Yann WENDEL
bloqué au cas où un intermédiaire ou
l'exportateur ne convient pas142. Au final, les banques n'ont donc
plus pu se prévaloir de la responsabilité de leurs clients pour
se protéger des conséquences d'une opération bancaire. Par
conséquence, la licence d'exportation obtenue par l'industriel ne
légitime pas à elle seule l'opération de financement de
contrat d'armement, d'autant plus que les pratiques de naming &
shaming se sont répandues et peuvent affecter très fortement
l'organisme bancaire impliqué.
b. Un changement de paradigme du contrôle facteur
de risque pour les opérations de financement des exportations
d'armement
Ainsi, dans la droite ligne du passage de l'Etat d'un
rôle d'acteur dans le processus de contrôle à celui d'un
vérificateur, les opérateurs privés sont de plus en plus
responsabilisés et se prémunissent en conséquence contre
tout risque. Ces précautions ont enjoint les banques à
systématiser les contrôles sur opérations et sur leurs
clients, telles que le fait d'enquêter sur l'importateur, de rassembler
des preuves d'identité de leurs clients avec des procédures KYC
(know your customer), de mettre en place des critères de
sélection et d'exclusion (armes controversées, pays,
personnalités143 ...) et d'échanger des informations
entre elles pour disposer d'un réseau d'information
international144. Si ce contrôle de la part d'un réseau
privé de banques peut être bénéfique pour des pays
ne disposant pas d'une présence diplomatique aussi étendue que la
France, il constitue toutefois une concurrence avec les Directives de haut
niveau décidées par le SGDSN, qui prennent quant à elles
en compte la dimension stratégique de la commercialisation de ces
produits particuliers pour les Etats.
En effet, cette redéfinition du contrôle
entraîne les banques à mettre en avant des éléments
« éthiques » pour déterminer leur décision en
ajoutant aux critères financiers (comité de crédit) des
critères reprenant ceux de la CIEEMG (comité de compliance). Cela
amène les banques à sortir de leur rôle financier et
à contrôler la due diligence des procédures, en s'octroyant
la possibilité par exemple de refuser des opérations sur des
critères autres que bancaires, même si l'autorité publique
autorise l'opération avec une licence. Ainsi, même si un client
est solvable et que l'opération est autorisée par une licence,
des raisons liées au sous-
142 SAINT RAPT (de) J-A. (2016), Banques et exportations
d'armes, Les Publications du GRIP. Disponible sur :
http://www.grip.org/en/node/1968
[Accès le 30 avril 2016].
143 Les noms de certains dirigeants étrangers pouvant
apparaître sur les contrats, cela peut amener à des sanctions
s'ils sont recensés sur des listes internationales de sanctions.
144 SAINT RAPT (de) J-A. (2016), Banques et exportations
d'armes, Les Publications du GRIP. Disponible sur :
http://www.grip.org/en/node/1968
[Accès le 30 avril 2016].
48
Yann WENDEL
jacent (c'est-à-dire à l'actif financé)
peuvent entraîner une banque à renoncer au financement, de
manière à minimiser les risques juridiques notamment
extraterritoriaux. De la même manière, certaines banques refusent
de donner un crédit pour des opérations si leur client n'est pas
un établissement public, ce qui les protège quant à
l'usage final des armes livrées. La banque étant une personne
privée responsable devant des actionnaires, il est en effet primordial
pour cette dernière que l'utilisateur final ainsi que l'utilisation
finale du produit soient respectés lors des transactions ; alors qu'un
Etat peut assumer ces risques au titre de sa politique étrangère.
Le banquier défend en effet sa réputation avant la
réalité de la transaction. Le risque de réputation est
toutefois à minimiser, alors que les scandales liés à
l'armement des vingt dernières années n'ont jamais amené
à la mise en avant du nom d'une banque dans une transaction. La
responsabilisation des banques les entraîne donc à avoir une
interprétation extensive de la réglementation, en raison d'une
perception d'un soutien moindre de l'Etat et d'une méconnaissance assez
répandue du secteur de l'armement dans la plupart d'entre elles.
A titre d'exemple, même si les banques
européennes sont en droit de financer les projets d'entreprises
européennes en Iran, dans la mesure où les sanctions sur ce pays
ont été levées en janvier 2016, on constate une
frilosité de la part des banques à s'exécuter, du fait du
précédent de l'amende colossale que BNP Paribas a dû verser
aux Etats-Unis pour avoir utilisé des dollars US dans une transaction
avec l'Iran. Ainsi, le MoU145 signé entre la France et l'Iran
portant sur la vente de 188 Airbus est approuvé politiquement mais ne
peut se réaliser, car les solutions de financement sont bloquées
par des organismes ne désirant s'engager qu'après confirmation du
département du Trésor américain de leur non poursuite
judiciaire en cas de participation. Cette situation génère une
entrave à la compétitivité de notre continent, nos
exportations étant dépendantes de la décision d'un pays
tiers. Pour remédier à cette situation de frilosité des
acteurs privés dans un contexte sécuritaire tendu, il est
nécessaire pour la puissance publique de combler les imperfections du
marché. La BCE ou la Banque de France pourraient ainsi faire directement
un prêt146, en débloquant une ligne de crédit
pour les banques iraniennes afin de financer les projets français dans
ce pays et donc affirmer la souveraineté de nos exportations dans leur
composante financière147. De manière similaire,
l'embargo russe a renforcé la conviction de la Coface que les
opérations
145 Memorandum of Understanding.
146 Art 23 du protocole n°4 sur les « Statuts du
Système européen de banques centrales et de la Banque centrale
européenne », annexé au TFUE
147 GIRARD R. (2016), Airbus à l'Iran : résistons
à Washington, Le Figaro. Disponible sur :
http://www.lefigaro.fr/vox/monde/2016/06/20/31002-20160620ARTFIG00264-airbus-a-l-iran-resistons-a-washington.php
[Accès le 21 juin 2016].
49
Yann WENDEL
d'armement étaient risquées. Il est donc
important pour l'Etat de rassurer les opérateurs financiers avec une
garantie de la DGA/DI dans le cadre de vente d'armes, car une procédure
aussi contrainte et politique implique un besoin de relation de confiance entre
l'industriel, l'organisme de crédit, et l'Etat.
L'instauration du contrôle a posteriori et de
licences générales nécessite de repenser le rôle de
la licence, cette dernière ne pouvant plus être mise en avant par
les entreprises auprès des banques aussi clairement qu'auparavant pour
faire valoir leur respect des procédures en vigueur. L'Etat doit donc
trouver un moyen d'associer une garantie à l'autorisation
octroyée, qui doit être un véritable vecteur de confiance.
Ainsi, les banques vont vouloir s'assurer de la fiabilité des
entreprises de défense en vérifiant leurs processus de
contrôle export interne, dans une logique d'audit et d'externalisation
progressive du contrôle export, dans la mesure où l'obtention de
la licence export ne suffit plus à fournir une preuve de la
fiabilité d'une entreprise à la banque. Ce mouvement va au bout
de la logique a posteriori, en calquant le contrôle sur les
processus d'entreprise.
Le statut de la licence est donc à la croisée
des chemins de la problématique de confiance entre les entreprises et
les banques. Le renforcement de la tension sécuritaire mondiale ainsi
que l'affirmation des sanctions extraterritoriales ont amené les acteurs
du contrôle à sur-interpréter la réglementation,
malgré la délivrance de licences par l'administration. Afin de
permettre une fluidité des activités et d'empêcher les
blocages, il est important de bien diffuser l'information et de redonner
confiance aux différents acteurs. Afin de mieux concilier analyse
interne des banques et délivrance de licences par l'Etat, les banques
pourraient publier les listes auxquelles elles se réfèrent, afin
de rendre plus transparent leurs systèmes de due diligence, et
les partager avec les autorités chargées de l'octroi de licence
d'exportation, dans une logique de partenariat afin d'aligner les
interprétations étatiques et bancaires, respectivement
représentées par la licence et le crédit. La
délivrance d'une licence étant rendue inutile en cas d'absence de
financement pour une opération d'exportation.
50
Yann WENDEL
c. La nécessité de redéfinir le
rôle de l'Etat dans le contrôle, afin de redonner de la confiance
aux différents acteurs de la transaction
Les banques utilisent traditionnellement des « assureurs
de crédit » qui bénéficient de la signature de
l'Etat, comme la Coface, qui leur permettent de s'assurer contre le risque de
défaut de leur client. Le contrat du Rafale en Egypte a
été par exemple financé par des banques françaises,
elles-mêmes garanties par la Coface suite à l'intervention de
l'Etat français148. La Coface permet de faire participer
l'Etat à la transaction en la lui faisant garantir, ce qui permet
à la banque de justifier de l'économie générale de
l'opération. La banque, organisme privé soumis à des
actionnaires, ne prend en effet sa décision que selon la pertinence des
critères financiers de l'opération, sans tenir compte de la
politique stratégique du pays. L'incitation constituée par la
garantie permet donc d'aligner les intérêts du privé et de
la puissance publique. Il n'est d'ailleurs pas possible d'assurer un
financement directement public des opérations d'armement car l'Etat ne
dispose pas des ressources pour financer lui-même ces projets, ce qui l'a
amené jusqu'alors à recourir à des garanties indirectes
par le biais de Coface. De plus, dans la mesure où l'argent public ne
doit pas financer des intérêts privés, fussent-ils des
intérêts nationaux, il est préférable de recourir
à de telles garanties.
Alors que les risques dans le blocage du crédit se
multiplient concernant les armements, il est nécessaire d'adapter
l'intervention de l'Etat dans une logique de dialogue et de partenariat avec
les acteurs privés, en proposant une aide au financement des
exportations des PME de défense149 ou bien une garantie
étatique élargie afin d'assurer une confiance réciproque
lors de la transaction150. Cette nouvelle interface entre public et
privé s'inscrit dans une conception élargie de la
redéfinition actuelle du rôle de la Coface vers la
BPI151. Le rôle de guichet unique incarné par Bpifrance
est particulièrement important pour les PME, en ce qu'il facilite le
dialogue entre banques et petites entreprises. La réforme avec Bpifrance
permet à ce titre à l'Etat de fournir directement des
crédits exports jusqu'à 25M€, pouvant monter jusqu'à
70 M€ dans le cadre d'un partenariat avec plusieurs banques. Cela permet
de combler une
148 GALLOIS D. (2015), Comment la vente de Rafale à
l'Egypte a-t-elle été organisée ?, Le Monde.
Disponible sur :
http://www.lemonde.fr/economie/article/2015/02/16/le-contrat-de-vente-du-rafale-a-l-egypte-en-cinq-questions_4577395_3234.html
[Accès le 03 mars 2016].
149 DGRIS (2016), Séminaire « Lutte contre le
trafic d'armes : Quel rôle pour les acteurs privés et la
société civile ? », février.
http://www.defense.gouv.fr/dgris/la-dgris/evenements/seminaire-lutte-contre-les-trafics-d-armes-2-fevrier-2016/seminaire-lutte-contre-les-trafics-d-armes-2-fevrier-2016
150 CABIROL M. (2016), Financement des PME à l'export : le
coup de gueule du patron de Manurhin, La Tribune. Disponible sur :
http://www.latribune.fr/entreprises-finance/industrie/aeronautique-defense/financement-des-pme-a-l-export-le-coup-de-gueule-du-patron-de-manurhin-563073.html
[Accès le 12 mai 2016].
151 En vertu de la loi de finances rectificatives du 29
décembre 2015.
51
Yann WENDEL
imperfection du marché, alors que certains montants
sont trop bas par rapport aux risques associés pour les banques, qui ne
préfèrent ne pas financer les exportations de certaines PME. Cela
est particulièrement problématique alors que ces contrats sont
nécessaires pour la survie du tissu de PME nationales, elles-mêmes
indispensable à la BITD, que ce soit en termes d'innovation ou
d'emplois. Le paradoxe actuel est que les banques commerciales ne sont
présentes que dans les transactions stratégiques garanties par la
France donc très peu risquées, alors que les exportations de PME
sont directement financées par l'Etat. Cela est contraire à ce
qu'il se passe dans d'autres pays, les banques commerciales étant mieux
placées de par leur flexibilité pour répondre aux besoins
des PME et l'administration gérant les plus gros contrats. Cette
situation serait d'ailleurs bénéfique, alors que de plus en plus
de clients de la France réclament des procédures
G2G152, avec un achat direct à la France plutôt
qu'à un industriel.
De par la redéfinition de son rôle et son passage
d'un rôle de régulateur à celui d'un acteur du
contrôle, l'Etat doit faire le lien entre les entreprises et les banques
en formalisant les accords qui sont réalisés entre ces acteurs.
L'Etat pourrait s'assurer que les industriels disposent de bons processus de
compliance export et qu'ils respectent le contenu des licences sous peine de
sanction de la part de la DGA. Les entreprises fiables se verraient
décerner un label qualité de type ISO pour le financement des
armes couplé à un système d'audit régulier,
qualification que la DGA se chargerait de gérer, ce qui irait au bout de
la logique de certification153. Cette « banalisation » du
contrôle export donnerait un bon signal aux banques, désireuses de
minimiser leurs risques, alors que l'Etat souhaite dans le même temps
responsabiliser les industriels dans le contrôle.
Une manière de redéfinir totalement le
contrôle serait pour l'Etat d'agir très en amont, de
manière à vérifier l'authenticité des documents
liés à la licence (CUF, CNR). Les Etats-Unis ont par exemple mis
en place le programme « Blue Lantern », dont le but est de
vérifier la bonne foi des destinataires étrangers de biens de
défense. Ainsi, grâce au concours des réseaux
diplomatiques, des vérifications sur pièce et sur places sont
mises en oeuvre avant et après l'octroi de licence et l'envoi des
articles pour attester de la sûreté de la transaction et de
152 Gouvernement à Gouvernement.
153 Amnesty International (2016), Luxembourg: Serious gaps
exposed in banking regulations to stem reckless arms trade that fuels
atrocities. Disponible sur :
https://www.amnesty.org/en/latest/news/2016/01/luxembourg-serious-gaps-exposed-in-banking-regulations-to-stem-reckless-arms-trade/
[Accès le 25 mars 2016]
52
Yann WENDEL
l'utilisation finale des matériels154. Les
résultats sont ensuite intégrés à une base de
données (Watch List) contenant environ 100 000 entités
suspectes ou sanctionnées, ce qui permet par la suite d'identifier
rapidement les demandes de licences susceptibles de nécessiter des
vérifications. Ce système de contrôle s'intègre donc
dans un effort global par lequel les acteurs privés et public
collaborent pour établir les risques liés à la
délivrance de licences.
Au niveau européen, on peut imaginer une
évolution similaire, comme ce qui se fait avec le mécanisme de
notification et de refus avancé par la Position Commune, qui ne concerne
cependant que le cas où les licences sont refusées. Il faudrait
que les Etats membres mettent en commun des informations sur leurs motifs de
réserve quant à la fiabilité de leurs clients en termes de
respect des conditions associées aux licences lors du processus de
décision, même dans le cas où ces dernières sont
approuvées, afin de savoir lesquels sont particulièrement
risquées. Une telle initiative serait bénéfique afin
d'éviter le détournement de matériel de guerre, et serait
dans l'esprit du TCA, entré en vigueur en 2014, qui fait
référence à la « responsabilité de chaque Etat
de réglementer, dans le respect de ses obligations internationales, le
commerce international d'armes classiques et d'en prévenir le
détournement et, au premier chef, celle d'instituer et d'appliquer un
régime de contrôle national »155.
154 VRANOKX A. (2016), Contrôle de l'utilisation finale
des armes - Pratiques et perspectives, Les Publications du GRIP,
Bruxelles. Disponible sur :
http://www.grip.org/fr/node/2017
[Accès le 10 juin 2016].
155 Traité sur le Commerce des Armes.
53
Yann WENDEL
Conclusion
Selon la Directive européenne 43/2009, le rapport de la
Commission européenne sur l'examen de la mise en oeuvre de cette
dernière aurait dû intervenir avant le 30 juin 2016156.
Ce réexamen, que les spécialistes attendent impatiemment,
pourrait ouvrir la voie à une redéfinition du texte en faveur
d'une plus grande cohérence de la BITDE vis-à-vis des transferts
intracommunautaires, mais également des exportations.
La supply chain entre les industriels doit être
assurée grâce à une simplification des procédures et
à un allègement ciblé des contrôles
intracommunautaires ; tout en veillant à ce que les exportations soient
harmonisées afin de ne pas créer de distorsions de concurrence au
sein de l'Union européenne. Au regard de la réforme du
contrôle export américain de 2010157, ayant
entraîné un basculement de 99% des composants ITAR (Department of
State - US Military List) dans le registre EAR (Department of Commerce -
Commerce Control List)158, l'Europe doit s'adapter en ne
considérant plus les biens peu sensibles (comme les fixations par
exemple) comme « spécialement conçus pour l'usage
militaire », mais comme relevant du régime communautaire de
biens à double usage. Cet objectif peut dans un premier temps être
atteint par l'harmonisation des licences générales de transfert,
dont l'utilisation n'est pour le moment pas assez incitative pour les
entreprises en vertu de la fragmentation de leur contenu en fonction des pays.
Enfin, pour compléter l'intégration de la BITDE, il
apparaît nécessaire de faciliter les exportations de programmes
produits en coopération en supprimant les CNR entre pays
européens les concernant159.
La certification, véritable symbole de la Directive
européenne 43/2009, devrait être mieux harmonisée au niveau
européen et associée à un label qualité
contrôle export afin de permettre à l'administration de formaliser
des audits destinés à vérifier les processus internes mis
en oeuvre par les entreprises de défense pour alléger leur
contrôle, de la même manière que le
156 Art 17 de la Directive européenne 43/3009
157 Export Control Reform Initiative
158 SHALAL A. (2016), US officials cite progress on export
control reforms, more to do, Reuters. Disponible sur :
http://www.reuters.com/article/us-usa-exports-reform-idUSKCN0VK1KT
[Accès le 20 février 2016].
159 L'instauration d'une règle « de minimis
» entre pays européens, qui remettrait en cause la
liberté d'exporter d'un pays en fonction du pourcentage de composants
étrangers présents dans le matériel en question, serait
préjudiciable à la compétitivité de la BITDE.
54
Yann WENDEL
statut OEA (Opérateur Economique
Agréé)160 octroyée par la douane. Ce label
pourrait être reconnu à l'échelle de l'Union
Européenne et aux Etats-Unis, ainsi que par les organismes bancaires.
Ces derniers valideraient ainsi la certification et l'obtention de label, de
manière à ce que les entreprises certifiées puissent
disposer de cautions bancaires facilitées. Les opérations
commerciales pourraient alors être standardisées malgré les
produits de souveraineté sous-jacents à la transaction. Ces
procédures seraient tout à fait adaptées au contrôle
a posteriori, et suivraient en droite ligne le mouvement induit par la
réforme TIC, en mettant en oeuvre un modèle managérial
basé sur des procédures d'audit externalisées
appliquées à la certification. La conformité deviendrait
donc un avantage concurrentiel, et on peut imaginer qu'à l'avenir,
certains appels d'offres seront exclusivement ouverts aux entreprises
certifiées.
Le contrôle a posteriori
développé suite à la Directive européenne
43/2009 implique que l'industrie s'occupe de son autocontrôle selon les
instructions de l'administration, tout en développant d'autre part ses
activités technologiques et commerciales. L'administration, dont la
charge est moindre, pourra concentrer ses efforts sur le soutien aux
entreprises dans leurs démarches (classement des produits,
procédures, instruction de dossiers), dans la mesure où le
contrôle a posteriori n'exclut pas le soutien en amont de
l'industrie par son administration. Les actions devront principalement
être ciblées sur les PME, qui devront pouvoir accéder
à un guichet unique recensant le MAEDI, les douanes, et la DGA, afin de
pouvoir bénéficier d'un soutien facilité et rapide
à l'exportation.
Ainsi, le centre de décision s'est
déplacé au coeur de l'acteur industriel, qui participe à
la décision politique, de par son expertise sur le sujet et sa
connaissance des marchés. Le contrôle interne des entreprises se
substitue au contrôle régalien pour les décisions les moins
sensibles politiquement à des fins de fluidité de la chaîne
d'approvisionnement et de compétitivité industrielle. Le
rôle de l'Etat se concentre alors dans la détermination de
règles d'exportation, la délivrance de licences plus englobantes
et le contrôle du respect des règles par les entreprises. Ce
mouvement de responsabilisation du secteur privé peut donc redonner un
nouveau souffle à la souveraineté des Etats, en leur permettant
de se concentrer sur les opérations sensibles plutôt que
d'être noyé dans la masse des échanges liés aux
biens militaires. On se retrouve alors dans un système
sécuritaro-industriel, où les capacités
160 Le statut OEA apporte à l'opérateur des taux
réduits de contrôle, des simplifications au titre de la
procédure de dédouanement.
Yann WENDEL
d'intervention de l'Etat ont évolué sans pour
autant être amoindries, mais se retrouvent mieux adaptées aux
nouveaux enjeux des exportations d'armement.
En définitive, comme le souligne le rapport
d'information sur le dispositif de soutien aux exportations d'armement
enregistré à l'Assemblée Nationale le 17 décembre
2014, « un système de contrôle crédible, bien
ciblé, robuste et efficace peut participer pleinement du soutien aux
exportations : pour les industriels, en ce qu'il autorise concrètement
le flux commercial ; pour les clients, dont l'achat se voit
sécurisé dès lors que l'autorisation
délivrée par l'autorité de contrôle vaut respect des
procédures. Dans l'hypothèse où le contrôle est bien
calibré, le contrôleur n'est pas celui qui empêche
l'exportation ; c'est celui qui permet qu'elle se réalise,
conférant une sécurité juridique à
l'opération »161.
55
161 CHABANNE N., FOULON Y. (2014), Rapport n°2469 fait
au nom de la Commission de la Défense Nationale et des Forces
Armées en conclusion des travaux d'une mission d'information sur le
dispositif de soutien aux exportations d'armement, Assemblée
Nationale de la République Française.
56
Yann WENDEL
Liste des entretiens*
Lucie BERAUD-SUDREAU (25 mai 2016) Chercheuse en science
politique
Paris 2
Romain BRONER (15 février 2016) Export Compliance
Operations Manager
Airbus Helicopters
David CORVINA (23 juin 2016) Export Compliance Operations
Manager
MBDA
Pierre-Elie FROSSARD (8 juin 2016) Responsable Financement
Export
MBDA
Arnaud IDIART (24 février 2016) Export Compliance
Advisor
Airbus Group
Bernard MOULIN (21 juin 2016) Département des
Garanties Publiques
Coface
Elsa NICOLAS-SUTTER (31 mai 2016) Export Control
Officer
DCI
Jean-Annet de SAINT RAPT (30 mai 2016) Chercheur
GRIP
Julien SAUVAGEOT (17 mai 2016) Export Control
Officer
SNECMA
Guillaume VERNEY-CARRON (18 mai 2016) PDG
Verney-Carron
David VERRECCHIA (11 juin 2016) Export Control
Officer
Airbus Defence & Space
*Les propos recueillis pour les besoins de l'étude
n'engagent que leurs auteurs et nullement l'institution à laquelle ils
appartiennent.
57
Yann WENDEL
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Présentation
OUDOT J-M. (2016), Enjeux et mesures des activités
internationales des entreprises de défense, Présentation
à la Direction des Affaires Financières du Ministère de la
Défense, 16 juin.
Yann WENDEL
ANNEXES
Annexe 1 : OUDOT J-M, « Les flux des entreprises de
la BITD », Enjeux et mesures des activités internationales des
entreprises de défense, Présentation à la Direction des
Affaires Financières du Ministère de la Défense, 16 juin
2016.
20
18
16
14
12
10
4
2
6
0
8
1998 2000 2002 2004 2006 2008 2010 2012 2014
Composition du CA des Industries de Défense en France (en
milliards d'euros courants)
CA Total Livraisons Nationales Exportations
61
Annexe 2 : Composition du Chiffre d'Affaires des
Industries de Défense en France entre 1998 et 2015, Source :
GIFAS.