Chapitre III : Le modèle de la Land and
Environment Court
Une juridiction spécialisée en droit de
l'environnement uniquement aurait une expertise précieuse
nécessaire à la réalisation de l'objectif de protection de
l'environnement. C'est l'approche retenue lors de la création de la Land
and Environment Court de l'Etat de Nouvelle-Galles-du-Sud en Australie.
La Land and Environment Court (LEC) de l'état de
Nouvelle-Galles-du-Sud222 a
1er
été créée le septembre 1980 par une
loi nommée « Land and Environment Court
Act 1979223 »
(ci-après nommée loi de création de la LEC). Le but
était de créer une juridiction spécialisée en droit
de l'environnement, selon une approche anglo-saxonne appelée «
one stop shop ». Cette approche consiste à permettre au
justiciable d'avoir accès à plusieurs services en un même
lieu. Dans le cas présent, ces services concernent le droit de
l'environnement, le droit de l'urbanisme et le droit foncier.
En effet, avant la création de la LEC,
différents tribunaux224 étant compétents dans
le domaine de l'urbanisme et le droit de l'environnement n'existait pas en tant
que tel. Le Parlement de la Nouvelle-Galles-du-Sud a donné à la
LEC la compétence pour traiter de tous les sujets qui relevaient
auparavant de la compétence de ces différents tribunaux. Une
large juridiction a été conférée à la LEC en
matière environnementale, d'urbanisme et foncière. Cette
juridiction est exclusive, dans la mesure où aucun autre tribunal ne
peut empiéter sur la juridiction conférée à la
LEC.
La LEC est compétente dans tous les domaines
définis par la loi de création de la LEC ou une autre
loi225. Elle est aussi compétente pour toutes les affaires
qui ne font pas expressément partie de son champ de compétence
mais qui sont rattachées à un de ses domaines de
compétence226. En vertu de la loi de création de la
LEC, elle est compétente dans huit domaines227 à
savoir:
- les appels en matière de planification et de protection
environnementales
- les appels en matière de droit des collectivités
et autres
- la propriété foncière, l'évaluation
foncière, l'estimation foncière et les compensations
financières
- les mesures d'exécution civile de planification et
protection environnementales et des contrats de
développement
222 La Nouvelle-Galles-du-Sud est un des six Etats
fédérés qui composent l'Australie, avec l'état de
Victoria, de Queensland, de Tasmanie, de l'Australie méridionale et de
l'Australie occidentale. A cela s'ajoutent deux territoires : le Territoire du
Nord et le Territoire de la capitale australienne.
223 Site internet de la LEC, History.
224 à savoir la Land and Valuation Court, le Valuation
Boards of Review, le Local Government Appeals Tribunal, la Local Court and la
District Court of New South Wales et la Supreme Court of New South Wales.
225 Land and Environment Court Act 1979, article 16 (1)
226 Land and Environment Court Act 1979, article 16 (2)
56
227 Land and Environment Court Act 1979, article 16 (3)
Le bien-fondé d'une juridiction internationale
spécialisée en droit de l'environnement
- les mesures sommaires d'exécution de la planification et
la protection environnementales - les appels des condamnations à des
infractions environnementales
- les autres appels relatifs à des infractions
environnementales
- les affaires minières.
En vertu de la loi de création de la LEC, la LEC est
compétente en droit administratif de l'environnement en première
instance et en appel228. Elle est
compétente en droit civil de l'environnement en
première instance, appel et cassation229. Enfin, elle est
compétente en droit pénal de l'environnement en
appel230.
Ainsi, la LEC a une compétence large, qui couvre aussi
bien le droit administratif, le droit civil que le droit pénal de
l'environnement. La liste des matières dans lesquelles la LEC est
compétente est très détaillée et de ce fait
longue.
En s'inspirant de la LEC, il est possible de concevoir une
juridiction internationale avec une compétence large pour
déterminer la responsabilité civile ou pénale de personnes
physiques ou morales, publiques ou privées, ayant commis un dommage
volontaire ou involontaire à l'environnement.
Cependant, il est peu probable que les Etats acceptent une
telle soumission à une juridiction internationale, en raison de la
restriction à leur souveraineté nationale que cela entraine. En
revanche, il est plus probable qu'ils acceptent la création d'une
juridiction internationale compétente uniquement pour connaître de
la responsabilité pénale des personnes privées (physiques
ou morales) ayant commis des dommages graves à l'environnement.
Titre III : Les avantages et inconvénients de la
création de cette juridiction Chapitre Ier : Le risque de
conflit de juridictions
La création d'une nouvelle juridiction internationale
spécialisée en droit de l'environnement comporte un
inconvénient juridique : elle risque de causer un conflit de
juridictions.
Il existe en outre une multiplication des juridictions
internationales, non plus seulement au niveau régional mais aussi
universel231, parmi lesquelles se trouvent la CPI, le Tribunal
international du droit de la mer et l'ORD de l'OMC.
228 Land and Environment Court Act 1979, article 17 et 18.
229 Land and Environment Court Act 1979, article 19, 20 et 21.
230 Land and Environment Court Act 1979, article 21 A et 21 B.
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231 Pierre-Marie Dupuy et Yann Kerbrat, Droit international
public, p 21.
Le bien-fondé d'une juridiction internationale
spécialisée en droit de l'environnement
En effet, l'aspiration à soumettre les manquements des
Etats aux droits allégués au jugement d'une autorité
tierce a connu un développement certain au cours des dernières
décennies, notamment à l'échelon
régional232. Dans le cadre des Organisations Internationales
à vocation universelle de la famille des Nations Unies, des juridictions
administratives destinées à régler des différends
survenus entre les OI, concernant leur fonctionnement ou leurs agents, sont
apparues. C'est aussi le cas du Tribunal international du droit de la mer et de
la Cour Pénale Internationale vus précédemment, ainsi que
des juridictions ad hoc, telles que le Tribunal Pénal International pour
le Rwanda et celui pour l'ex-Yougoslavie.
Par conséquent, la création d'une nouvelle
juridiction internationale spécialisée en droit de
l'environnement risque de conflit de juridictions, notamment avec la CIJ, la
CPI, le Tribunal international du droit de la mer, et les quasi-juridictions en
matière de droits humains ou l'ORD de l'OMC.
Cette multiplication des juridictions internationales
permanentes pourrait à terme, poser certains problèmes, de
caractère institutionnel mais aussi substantiel233. Cela pose
en théorie la question de la garantie d'une suffisante unité
d'interprétation des normes internationales appliquées par ces
diverses juridictions, à savoir le droit international
général mais aussi les conventions internationales faisant
l'objet d'un examen judiciaire.
Cependant, en pratique les juridictions internationales
hésitent de moins en moins à se référer les unes
aux autres. Elles veillent à une sorte d'harmonisation d'ensemble de
leurs jurisprudences respectives sur des sujets identiques ou voisins.
A titre d'exemple, dans l'affaire du boeuf aux
hormones précitée, l'Organe d'appel de l'ORD de l'OMC
n'a pas hésité à se référer à
l'arrêt de la CIJ dans l'affaire relative au projet
Gabèikovo-- Nagymaros (aussi précitée),
pour constater que la CIJ s'était abstenue de se prononcer sur le
caractère d'ores et déjà coutumier du principe de
précaution en droit international de l'environnement.
Ainsi, en pratique, l'expérience des dernières
années manifeste que les alarmes
relatives à la fragmentation du droit international du
fait de jurisprudences discordantes ne sont pas confirmées de
façon déterminante234.
La doctrine propose par ailleurs d'instituer un
mécanisme de question préjudicielle au profit de la CIJ sur la
détermination, l'interprétation ou l'application d'une
règle conventionnelle ou coutumière de droit international public
dont l'élucidation est nécessaire à une juridiction pour
rendre son jugement235. Cependant, cette solution se heurterait en
pratique à de sérieux obstacles, d'ordre technique, psychologique
et politique. En revanche, des solutions plus souples et moins
formalisées sont concevables, telles que la rencontre entre juges de
différentes juridictions, pour veiller à l'interprétation
des normes intéressées.
232 Pierre-Marie Dupuy et Yann Kerbrat, Droit international
public, p 633.
233 Pierre-Marie Dupuy et Yann Kerbrat, Droit international
public, p 635.
234 Pierre-Marie Dupuy et Yann Kerbrat, Droit international
public, p 636.
58
235 Pierre-Marie Dupuy et Yann Kerbrat, Droit international
public, p 637.
59
Le bien-fondé d'une juridiction internationale
spécialisée en droit de l'environnement Chapitre II: Une
chance de combler les lacunes du droit international de
l'environnement
Cependant, la création d'une nouvelle juridiction
internationale spécialisée en droit de l'environnement offre de
nombreux avantages. En outre, la rédaction de son statut serait
l'occasion de :
- définir la notion d'environnement en vertu du droit
international
- définir les grands principes et les termes
utilisés en droit international de l'environnement (devoir de diligence,
principe de précaution, principe de prévention, principe
pollueur-payeur, principe de participation du public aux décisions
environnementales, principe d'accès à la justice en
matière d'environnement, principe de non-régression du droit de
l'environnement, notion de développement durable et de
générations futures, évaluation environnementale...)
- rappeler l'obligation des Etats de protéger
l'environnement en droit international en vertu de leur devoir de diligence,
dont découle l'obligation coutumière des Etats de prendre des
mesures nécessaires et proportionnées, destinées à
s'assurer que les activités exercées dans les limites de leur
juridiction ou sous leur contrôle ne causent pas de dommage à
l'environnement dans d'autres Etats ou dans des régions ne relevant
d'aucune juridiction nationale
- rappeler l'obligation coutumière des Etats de
réaliser une évaluation environnementale pour tous les grands
projets susceptibles d'avoir un impact transfrontalier majeur sur
l'environnement et définir son contenu pour les projets communs à
plusieurs Etats
- rappeler la nécessité pour les Etats de
coopérer entre eux afin de protéger l'environnement, en
particulier l'obligation des Etats développés de coopérer
avec les Etats en voie de développement pour assurer la
répression des atteintes à l'environnement
- renforcer les moyens et les pouvoirs des institutions
environnementales existantes
- créer une juridiction internationale à
compétence large, à savoir une juridiction composée
d'experts en droit international de l'environnement, compétente pour
engager la responsabilité civile ou pénale de personnes publiques
ou privées, physiques ou morales, ayant commis un dommage volontaire ou
involontaire à l'environnement.
Pour établir une nouvelle juridiction internationale, il
faudrait définir:
- Sa composition/son organisation : Qui compose la juridiction
? Comment ces personnes sont-elles désignées ? Sont-elles
nommées ou élues ? Par qui sont-elles désignées ?
Sur quels critères ? Pour quelle rémunération ? Pour
combien de temps ? Combien de juges composent la Cour? Où la Cour
siège-t-elle? En quelles formations siège-t-elle? La Cour
mette-elle en place une COP / une assemblée des parties? Dispose-t-elle
d'un secrétariat / un greffe ? Qui préside la Cour et selon
quelle procédure cette personne est-elle désignée? La Cour
dispose-t-elle d'un Procureur chargé de mener l'enquête?
- Sa compétence : Dans quels domaines la Cour est-elle
compétente? Est-elle compétente pour juger des Etats, des
personnes physiques, des personnes morales autres que les Etats? Peut-elle
juger de la responsabilité civile et/ou pénale de ces personnes?
Une autre convention internationale autre que celle qui crée la Cour
peut-elle attribuer une compétence à la Cour? La Cour est-elle
compétente en première instance uniquement ou aussi en appel et
cassation ? Qui gère la recevabilité des demandes? Sur quels
critères les demandes sont-elles irrecevables? La Cour peut-elle rendre
des avis consultatifs?
60
Le bien-fondé d'une juridiction internationale
spécialisée en droit de l'environnement
- Les procédures : Dans quelles langues la Cour
rend-elle ses décisions ? De quelle manière la Cour exerce-t-elle
sa compétence ? Quelles sont les règles relatives aux
enquêtes et aux poursuites, au procès et aux peines applicables?
La Cour peut-elle prendre des mesures conservatoires ? Quelle est la force
juridique de ses décisions? Quels moyens de preuve sont admis?
- Les appels de ses décisions : Les décisions de
la Cour sont-elles susceptibles d'appel ? Selon quelles règles? Dans
quels délais?
- L'exécution de ses décisions : La Cour
opère-t-elle une surveillance de l'application de ses décisions?
Quelles sont les sanctions en cas de non-application des décisions de la
Cour?
- Le financement : Par qui la Cour est-elle financée?
- Les modifications de son statut : Quelles sont les
règles d'amendements de son statut ? Son statut peut-il être
modifié par la Cour elle-même et/ou ses parties?
Le statut de cette nouvelle juridiction peut prendre plusieurs
formes. En outre, les éléments de droit international de
l'environnement matériel peuvent être inclus directement dans le
statut de la juridiction, comme c'est le cas pour le statut de la CPI avec des
éléments de droit international pénal matériel. Par
ailleurs, le statut peut être une annexe à une convention
internationale environnementale générale, comme c'est le cas du
statut du Tribunal international du droit de la mer, annexé à la
Convention de Montego Bay. Le PNUE pourrait être chargé du
secrétariat de cette nouvelle juridiction.
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Le bien--fondé d'une juridiction internationale
spécialisée en droit de l'environnement
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