Titre II: Sources d'inspiration de la nouvelle
juridiction
Dans la mesure où la création d'une juridiction
internationale spécialisée en droit de l'environnement est
susceptible de s'inspirer des tribunaux moraux, il est intéressant
d'étudier à la fois le projet de statut du Tribunal de la Nature
de Michel Prieur, et le fonctionnement actuel du Tribunal international des
droits de la nature. Cette nouvelle juridiction pourrait aussi s'inspirer de
juridictions nationales spécialisées en droit de l'environnement,
telles que la Land and Environment Court australienne.
Chapitre Ier : Le projet de statut du Tribunal de la
Nature
Le Tribunal de la Nature présente de nombreux
avantages. Cependant, il reste un tribunal moral, sans réel pouvoir de
sanction.
Il a pour premier avantage d'être composé d'une
Commission et d'une Cour qui sont toutes deux composées d'experts en
environnement international.
En outre, les réclamations sont examinées par
une Commission composée de 10 experts ou personnalités reconnus
dans le domaine de l'environnement au plan national et international devant
représenter les différentes régions du monde et assurer un
équilibre homme femme197. La Commission désigne en son
sein deux rapporteurs qui proposent à la Commission soit un rejet
motivé soit l'admission de la réclamation198.
196 Site internet du Tribunal Monsanto, Comment?
197 Projet de statut du Tribunal international de conscience de
la nature, Articles 3 et 4.
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198 Projet de statut du Tribunal international de conscience de
la nature, Article 4.
Le bien-fondé d'une juridiction internationale
spécialisée en droit de l'environnement
La Commission désigne les membres de la Cour, dans une
liste d'experts et de personnalités d'au moins 10 noms ayant une
autorité internationale de par les fonctions qu'ils ont exercées
et/ou du fait de leurs travaux scientifiques et/ou juridiques concernant
l'environnement199. Les personnes ou entités mises en cause
par une réclamation peuvent désigner un membre
supplémentaire de la Cour, lorsque la Cour ne compte aucun membre de
leur nationalité200.
De plus, le Tribunal de la Nature a une compétence
large, puisqu'il reçoit toutes les réclamations
dénonçant une grave atteinte à l'environnement sur le
territoire terrestre, maritime ou aérien d'un Etat et/ou dans un espace
ne relevant d'aucune juridiction nationale, commise par une personne physique
ou morale, publique ou privée, y compris dans le cas d'atteintes
commises à l'étranger201.
Cependant, pour être susceptibles d'une
réclamation devant le Tribunal, les dommages à l'environnement
doivent revêtir une certaine gravité et constituer une atteinte,
soit aux droits des générations futures, soit à des biens
communs non appropriés202.
Ainsi, le Tribunal de la Nature a une compétence large
en matière de personnes publiques et privées, physiques et
morales, et en matière civile, administrative et pénale.
Par ailleurs, le projet de statut propose une
définition des éléments de l'environnement, à
savoir l'eau, l'air, les espèces, le patrimoine génétique,
les habitats naturels, les écosystèmes et processus
écologiques, la continuité des corridors écologiques, le
sol et sous-sol et les ressources et milieux naturels203.
Cependant, le Tribunal de la Nature présente aussi des
inconvénients. En outre, il reste un tribunal de conscience ou
d'opinion204.
Ce tribunal n'a en effet pas pour objet de sanctionner ou
stigmatiser les pollueurs mais d'alerter et d'informer la population. Pourtant,
le projet de statut note dans son préambule les carences du
système juridictionnel existant, tant à l'échelle
nationale qu'internationale. Il constate que l'accès effectif aux
recours judiciaires n'est pas réalisé de façon
satisfaisante au plan international et que de nombreuses atteintes à
l'environnement restent encore inconnues et/ou impunies. Le but du tribunal est
d'oeuvrer à la prévention de nouveaux crimes contre
l'environnement en condamnant publiquement et moralement ceux qui
échappent, de droit ou de fait, à la justice nationale et
internationale.
199 Projet de statut du Tribunal international de conscience de
la nature, Articles 5 et 7.
200 Projet de statut du Tribunal international de conscience de
la nature, Article 8.
201 Projet de statut du Tribunal international de conscience de
la nature, Article 12.
202 Projet de statut du Tribunal international de conscience de
la nature, Article 15 (3).
203 Projet de statut du Tribunal international de conscience de
la nature, Article 15 (1).
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204 Projet de statut du Tribunal international de conscience de
la nature, Objectifs généraux.
Le bien-fondé d'une juridiction internationale
spécialisée en droit de l'environnement
Les dommages à l'environnement sont passibles d'une
condamnation morale même si leur(s) auteur(s) a agi par négligence
ou sans intention de nuire et que son comportement soit licite ou illicite en
vertu du droit national205. Le Tribunal apprécie les
responsabilités du ou des auteurs en cause en tenant compte du fait que
les Etats ont des responsabilités communes mais
différenciées.
Dans la mesure du possible, la Cour se réunit sur le
territoire de l'Etat dans lequel une réclamation a été
formulée, afin de donner le maximum de visibilité et transparence
à la situation jugée206.
La Cour prononce une condamnation morale selon la
gravité des faits et le niveau de dommage, de menaces et/ou de
détérioration de l'environnement. Dans tous les cas, elle
préconise des solutions alternatives et/ou des actions
réparatrices et tire les leçons que suggère l'affaire,
examinée dans la perspective d'une éducation pour tous à
l'environnement207.
Le projet de statut définit les condamnations morales
que la Cour peut prononcer, le cas échéant cumulativement,
à savoir, de la plus légère à la plus grave : une
mise en garde; un blâme; la reconnaissance publique d'une violation des
droits humains, la reconnaissance d'un crime contre les
générations futures, la reconnaissance d'un crime contre le
patrimoine culturel mondial ou encore la reconnaissance d'un crime
d'écocide208.
Ainsi, si cette initiative est louable au regard d'un objectif
de protection de l'environnement à l'échelle internationale, elle
est clairement insuffisante dans la mesure où elle ne permet pas la
réparation des préjudices subis par les victimes d'atteinte
à l'environnement, ni la sanction financière des pollueurs.
Par ailleurs, le projet de statut fait référence
aux grands principes du droit de l'environnement, sans les définir.
En effet, le projet de statut précise le droit
matériel que doit appliquer la Cour, à savoir les principes
généraux du droit, la coutume ou encore les conventions
internationales. En particulier, il fait référence aux principes
généraux du droit de l'environnement tels que le principe de
prévention, le principe pollueur-payeur, le principe de
précaution, le principe de participation du public aux décisions
environnementales, le principe d'accès à la justice en
matière d'environnement, le principe de non-régression du droit
de l'environnement. Cependant il ne définit aucun de ces
principes209.
Enfin, le Tribunal de la Nature étant un tribunal
moral, il tient aussi compte de sources non juridiques que ne pourrait
appliquer une juridiction internationale.
En effet, la Cour tient compte aussi du consensus
émergeant de la société civile, traduisant une
communauté de vues ou d'expériences sur l'indispensable
réaction collective en vue de stopper la dégradation continue de
la planète terre210.
205 Projet de statut du Tribunal international de conscience de
la nature, Article 16.
206 Projet de statut du Tribunal international de conscience de
la nature, Article 20.
207 Projet de statut du Tribunal international de conscience de
la nature, Article 26.
208 Projet de statut du Tribunal international de conscience de
la nature, Article 27.
209 Projet de statut du Tribunal international de conscience de
la nature, Article 14.
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210 Projet de statut du Tribunal international de conscience de
la nature, Article 14.
Le bien-fondé d'une juridiction internationale
spécialisée en droit de l'environnement
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