CHAPITRE IV : LA PERSISTANCE DE QUESTIONS MAJEURES
ET LES PERSPECTIVES POUR LA CONSTRUCTION D'UNE UNION
EUROPÉENNE FORESTIÈRE
Dans le chapitre précédent, nous avons pu
observer que, dans le cadre de sa politique extérieure, l'Union
Européenne est engagée sur plusieurs terrains en vue de la
gestion durable des forêts et la lutte contre l'exploitation
illégale des ressources ligneuses. Plus grand marché mondial de
bois, elle privilégie le bois récolté dans des conditions
légales. Au titre de ses engagements et de ceux de ses États
membres, elle encourage le respect de la législation forestière
et la mise en place d'une gouvernance forestière dans les pays avec
lesquels elle a développé des partenariats. D'ailleurs, elle
milite pour l'adoption d'un accord international contraignant sur les
forêts afin que leur gestion partout dans le monde obéisse aux
principes du développement durable. Cependant, l'on peut constater un
écart entre ses ambitions internationales et ses initiatives
communautaires dirigées vers les forêts et le secteur forestier.
En effet, il existe un contraste important entre le discours politique et les
actions implémentées. Les positions des États membres, des
entreprises forestières et des propriétaires privés
divergent de celle du Parlement Européen, d'où la persistance de
questions majeures (Section 1). Afin de parvenir à une Union
Européenne forestière, il est nécessaire que ces
problématiques soient examinées et que de nouvelles perspectives
soient envisagées (Section 2).
SECTION 1 : LA PERSISTANCE DE QUESTIONS MAJEURES
La stratégie forestière de l'Union
Européenne fixe un cadre à toutes les actions qui touchent de
près ou de loin les forêts et le secteur forestier. Son ambition
est de veiller à la gestion durable des forêts et de leurs
ressources, afin de garantir leur rôle multifonctionnel. Cependant, elle
fait face à des problématiques qui entachent sa bonne mise en
oeuvre. Ces dernières ont fait jour
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LA STRATÉGIE FORESTIÈRE DE L'UNION
EUROPÉENNE
dès la mise sur pied de la stratégie
forestière. Mais, nous pouvons dire que l'Union Européenne a
choisi de les ignorer afin d'éviter des divisions en son sein. L'on peut
observer qu'il y a un conflit entre les volontés environnementales de
l'Union Européenne et les égoïsmes économiques de ses
États membres. Ce conflit ne permet pas l'émergence d'une
politique forestière commune (Section 1) et conduit à la
fragmentation des politiques ayant un impact sur le secteur forestier de l'UE
(Section 2).
I- La base juridique de la stratégie
forestière
Le Dr. Angel ANGELIDIS pense que le problème
fondamental qui se pose pour le secteur forestier de l'Union Européenne
est l'élaboration d'une politique forestière commune. En effet,
dans leur contribution au livre vert de la Commission, les services du
Parlement Européen ont rappelé la nécessité de
créer dans les Traités de l'UE une base juridique
spécifique pour les forêts124.
Dans sa Communication sur une nouvelle stratégie pour
les forêts et le secteur forestier, la Commission rappelle que le
Traité sur le Fonctionnement de l'Union Européenne ne fait aucune
mention d'une politique communautaire pour le secteur forestier. Mais cette
absence n'interdit pas la conception d'une politique forestière
européenne officielle qui nécessite, toutefois, que les
décisions soient prises à l'unanimité et non à la
majorité qualifiée, comme le rappelle le Dr. ANGELIDIS. C'est
pourquoi cette volonté s'est toujours heurtée au véto de
certains États membres125 :
- L'Allemagne et l'Autriche qui estiment que les forêts
doivent relever uniquement de la compétence nationale/régionale
;
- Le Royaume Uni qui est hostile à toute extension des
compétences au niveau européen à cause du coût
budgétaire que cela peut produire ;
- Les pays scandinaves (Suède, Finlande, Danemark) qui
préfèrent un laisser-faire commercial favorisant leurs
entreprises agroforestières nationales telles que IKEA ;
124 Dr. Angel ANGELIDIS et Christian PINAUDEAU, «
Remarques sur la stratégie forestière de l'Union
Européenne », Doc 2013-081, Décembre 2013, P.9.
125Réponses recueillies lors d'un entretien
avec le Dr. Angelidis le 10/05/2016.
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LA STRATÉGIE FORESTIÈRE DE L'UNION
EUROPÉENNE
- La plupart des nouveaux États membres (Bulgarie,
Hongrie, Pologne) faisant partie de la zone d'influence allemande.
C'est ce qu'explique le Dr. ANGELIDIS à travers ces
termes « A cet égard, la Commission a
préféré suivre les États membres (Allemagne,
Autriche, Suède, Finlande, Grande-Bretagne...) qui s'opposent
frontalement à une ingérence de l'UE dans le secteur forestier,
considéré comme fondamental du point de vue économique et
de compétence administrative interne »126. De ce
fait, ils requièrent toujours le respect du principe de
subsidiarité. En effet, l'Union Européenne ne peut agir que dans
le cadre des compétences attribuées à elles par les
États membres dans les Traités. La forêt ayant
été ignorée par les Traités sur l'UE, cette
compétence relève du domaine national.
Par ailleurs, il convient de relever que la première et
la deuxième stratégie forestière de l'UE sont
basées sur des sources juridiques du droit européen non
contraignantes. En effet, la résolution du Conseil, suggère
« une volonté politique d'agir dans un certain domaine
127 ». Quant à la communication de la Commission,
elle fait partie de son pouvoir d'initiative et forme de base au Conseil et au
Parlement pour agir sur les Traités. En effet, « toutes les
politiques communes, toute la législation européenne, tous les
programmes de l'UE sont adoptés par les organes législatifs
après initiative de la Commission sous forme de
communications128». Toutefois, il demeure que la
stratégie forestière a un pouvoir juridique faible car elle n'est
pas contraignante. Elle est limitée par le principe de
subsidiarité qui rappelle que seuls les États sont responsables
du domaine forestier et garants de la mise en oeuvre de la stratégie
forestière. De ce fait, l'on peut dire que « la
stratégie forestière n'est qu'une `ligne de conduite' non
contraignante pour les États membres »129. En
d'autres termes, la stratégie forestière n'est qu'un ensemble de
principes que l'Union Européenne invite les États membres
à suivre. Cette action dépend alors de la volonté et de la
bonne foi
126 Dr. Angel ANGELIDIS et Christian PINAUDEAU, op.cit, P.2.
127www.europedia.moussis.eu,
consulté le 03/06/2016. 128Ibid.
129 Dr. Angel ANGELIDIS et Christian PINAUDEAU, op.cit, P.4.
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LA STRATÉGIE FORESTIÈRE DE L'UNION
EUROPÉENNE
de chaque État car il n'existe aucune sanction qui
pourrait les contraindre à se plier aux exigences de l'UE.
Par conséquent, « Pour autant que ce
déficit persiste, les actions communautaires pour les forêts
continueront à dépendre d'autres politiques et pâtir de
problèmes de conception, de planification et de coordination
»130. Il apparaît donc primordial de clarifier la
base juridique de la stratégie forestière. Pour ce faire, il faut
déterminer quelle forme juridique peut permettre à la
stratégie forestière de s'inscrire dans les lignes directives des
stratégies de Lisbonne et de Göteborg. En d'autres termes, il faut
se demander sous quelle base juridique la stratégie forestière
peut aider de façon efficace et efficiente l'UE à avoir une
économie compétitive respectueuse de l'environnement,
c'est-à-dire faible en émissions de gaz à effet de serre,
et qui permet d'améliorer durablement les conditions de vie des
populations au sein de l'UE.
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