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Aspects et enjeux de la mémoire résistante au musée de l'homme.

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par Mihena Maamouri
Université Paris-Ouest Nanterre-La Défense - Master 2 Science Politique -mention sociologie politique  2016
  

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PARTIE 3 / LA SPATIALISATION DE LA MEMOIRE AU MUSEE DE L'HOMME / une substitution aux dérives initiales de l'anthropologie

Tin constat préliminaire simple s'impose : la mise en scène de la Résistance au sein du musée

de l'Homme est reléguée aux espaces extra muséaux. Il n'y a aucune référence explicite à la Résistance dans les collections du musée, du moins les collections permanentes, à moins de considérer que les vagues références humanistes tirées des créateurs du musée soient des évocations lointaines de cette période de l'histoire comme conséquences de celle-ci.

Aux prémices de l'enquête, il y avait une présomption certaine presque aveugle sur une forte présence de la Résistance au sein du musée, comme d'une manière générale, tout ce qui concerne de près ou de loin la période de la Seconde Guerre mondiale. S'il n'en est rien, les seules évocations précises visibles sont donc à chercher du côté des stations historiques et des noms attribués aux différents espaces du musée qui portent souvent ceux de résistants.

L'analyse de ces éléments permettra de saisir les mécanismes qui régissent la pauvreté d'une telle mise en scène portant sur un évènement historique majeur, la démarche dans laquelle elle semble s'inscrire, et de ce fait, les raisons de cette relative forme d'exclusion.

Il convient donc de s'intéresser à la nomination volontaire de ces espaces et à la mise en place des stations historiques comme des traces (choisies) de la Résistance au musée de l'Homme depuis la récente rénovation.

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La nomination des différents espaces du musée comme trace de la Résistance

Les différents espaces du musée portent des noms de personnalité, et ce depuis la réouverture. On peut citer l'atrium Paul Rivet, l'auditorium Jean Rouch, la médiathèque Germaine Tillion et enfin, la bibliothèque Yvonne Oddon. Ne sont prises en compte ici, bien entendu, que les espaces qui portent les noms de personnalités (il n'est pas tenu compte du « balcon des sciences » par exemple). Ces salles font partie intégrante de la mise en récit de la Résistance au musée de l'Homme : Si l'on exclut volontairement de cette liste le café Lucy, qui reste un espace avant tout commercial, trois personnalités parmi les quatre ont un lien avec le réseau de Résistance du musée, bien qu'elles se soient toutes distingués par d'autres accomplissements scientifiques ou autre.

Si nommer un lieu ou un espace est loin d'être un acte anodin, il est dans l'objet qui nous intéresse, l'indicateur d'une certaine intentionnalité dans la mémoire. Nommer un objet c'est non seulement le faire exister1, mais aussi l'assigner à une identité, et l'on retrouve le même mécanisme dans l'attribution de noms aux espaces.

Le noms commun, attribué en seconde main à un lieu, est chargé d'un poids particulier puisqu'il est initialement porteur de l'histoire et de la réputation de la personne qui l'a porté. L'attribution peut donc être perçue comme une sorte de transfert de notoriété qui fonctionne à double sens : le lieu bénéficie d'un rayonnement à la hauteur du personnage dont il porte le nom et la réputation de la personnalité est prolongée puisqu'un lieu en porte le nom. C'est en ce sens qu'elle est une manière comme une autre de faire mémoire.

Nommer c'est aussi classer puisqu'il s'agit -volontairement ou non- de créer une hiérarchie en attribuant des espaces plus ou moins favorisés. Par exemple, la place centrale accordée au sein du musée à Paul Rivet est, comme nous le verrons plus loin, clairement visible dans l'espace auquel on a assigné son nom.

1 Sans donner du crédit à des considérations religieuses, mais en considérant la mythologie religieuse comme indicateur de ce qui est mis en avant par les sociétés, ce n'est pas un hasard si la plupart des récits cosmogoniques à commencer par la Genèse à l'évangile selon Saint-Jean (« Au commencement était le verbe ») débutent par le fait de nommer.

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Michel Foucault, énonce, dans l'introduction de l'un de ses ouvrages majeurs, Les mots et les choses, la fondamentalité d'une telle activité de classement dans l'ensemble des connaissances scientifiques, du savoir d'une époque et ses présupposés, ce qu'il désigne par « épistémè1 ». Certes, il ne s'agit pas d'entrer dans les détails d'une oeuvre majeure et complexe dont l'auteur avait pour ambition de créer une « archéologie du savoir », déterminant ainsi deux grandes périodes (ou discontinuités) identifiées dans l'épistémè occidental, dans une démarche aussi bien épistémologique qu'historique : celle qui inaugure l'âge classique (vers le milieu du XVIIème) et celle qui au début du XIXe marque, selon Foucault, « le début de notre modernité2 ».

Dans les propos introductifs à cette « archéologie des sciences humaines », le philosophe pose, comme des fondations à la construction de sa pensée, une conception presque provocatrice de la classification abordée par une taxinomie, elle-même rapportée par Borges3.

Celle-ci est censée représenter la limite de la pensée occidentale par l'absurdité qu'elle entretient, absurdité qui ne repose pas sur la présence dans la liste d'animaux fantastiques mais sur la proximité présentée avec, par exemple, les chiens en liberté. C'est la juxtaposition qui confère l'impression ou l'illusion de cette proximité. « Ce qui transgresse toute imagination, toute pensée possible, c'est simplement la série alphabétique (a, b, c, d) qui lie à toutes les autres chacune de ces catégories4 ».

Ce premier sous bassement de l'archéologie visée par Foucault va permettre de se risquer à une première mobilisation dans l'attribution des noms de salle, au musée de l'Homme et par là-même l'établissement d'une certaine classification.

Certes, les noms cités ont tous un rapport avec l'histoire du musée de l'Homme : Paul Rivet en est le fondateur, Jean Rouch y a créé l'ethnofiction et l'anthropologie visuelle, Germaine Tillion y a exercé sa profession d'ethnologue et Yvonne Oddon en a été la bibliothécaire. Le fait de juxtaposer, par l'homologie fondée sur le fait d'avoir une salle à son nom, les deux résistantes, le directeur emblématique et l'inventeur d'une ramification télévisuelle de l'ethnologie, fait supposer que l'intention, non avouée de les placer sur le même plan. « On sait ce qu'il y a de

1 FOUCAULT Michel, Les mots et les choses, Paris, Gallimard, 1966

2 Ibid.

3 « Ce texte cite » une certaine encyclopédie chinoise » où il est écrit que « les animaux se divisent en : a) appartenant à l'empereur, b) embaumés, c) apprivoisés, d) cochons de lait, e) sirènes, f) fabuleux, g) chiens en liberté, h) inclus dans la présente classification i) qui s'agitent comme des fous, j) innombrables, k) dessinés avec un pinceau très fin en poil de chameau, l) et cætera m) qui viennent de casser la cruche n) qui de loin semblent des mouches » » (Michel Foucault, op. cit.)

4 Op. cit.

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déconcertant dans le voisinage des extrêmes ou tout bonnement dans le voisinage soudain des choses sans rapport1 » ne manque pas de souligner Foucault : le « voisinage soudain », dans le cas étudié, a ainsi le mérite de donner une idée de l'importance accordée à la mémoire de la Résistance au musée de l'Homme.

Cela confirme donc que la Résistance n'occupe pas une place de premier plan dans la mise en scène muséale, mais qu'elle est tout au plus aussi importante que, par exemple, le musée de l'Homme en tant que siège de la création de l'ethnofiction et de l'anthropologie visuelle. Cette remarque ne vise pas, bien entendu, à sous-entendre un quelconque mépris vis-à-vis de cette partie des sciences ethnologique et anthropologique, mais de tenter de mesurer objectivement l'intérêt que la mise en récit muséale accorde à la Résistance, en la confrontant à l'intérêt qu'elle accorde à d'autres aspects de son passé.

L'activité de nomination donc de classement est, dans ce cadre, comme « instauration d'un ordre parmi les choses ; Rapprocher, créer des analogies est une manière dont on éprouve la proximité des choses, dont on établit leur lien de parenté2 »

Reste une question essentielle dans ce classement implicite, celle de l'attribution des noms à des espaces plus ou moins favorisés au sein du musée, primordiale dans la détection de cet ordre conféré aux choses.

L'espace, à n'en pas douter, le plus central du musée a hérité du nom de Paul Rivet. Il s'agit de ce qui est désigné sous l'appellation, riche de sens, d' « atrium ». La pièce est celle par laquelle tous les visiteurs finissent la visite et certains la commencent puisqu'arrivant par l'ascenseur central.

La dénomination d' « atrium », loin d'être neutre, traine une histoire qui conforte naturellement la position centrale de la figure de Paul Rivet. En effet, dans la Rome antique, l'atrium désigne la pièce centrale d'une maison, généralement de forme carrée, entourée de portiques. Elle constituait la principale source de lumière puisque, bien que possédant un toit, elle était dotée d'une ouverture centrale laissant passer l'eau et la lumière.

Cette première acceptation, qui parle d'elle-même et qui colle parfaitement à la disposition architecturale de la salle, ne doit pas éclipser la dimension religieuse. Un atrium désigne également, toujours dans le contexte de la Rome antique, le parvis de certaines basiliques, parmi

1 Op. cit.

2 FOUCAULT Michel, Op. cit.

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les premières construites au sein de l'Empire Romain (malgré le fait que doter un édifice chrétien d'un atrium ne semble pas avoir été un choix architectural systématique1). L'atrium Paul Rivet a bel et bien des airs d'édifice religieux : une immense pièce carrée entourée de colonnes, très haute de plafond, dans laquelle la lumière filtre par un puit central. L'atrium est vide, hormis les quatre stations historiques placées à quatre coins différents.

Cette dimension religieuse de la pièce, non seulement conforte la figure de Paul Rivet dans son caractère central mais plus fort encore, elle crée autour de sa figure une sorte de mythologie des pères fondateurs, sur laquelle il sera longuement revenu plus loin.

Après la grandeur presque religieuse conférée au nom de Paul Rivet, il est presque inutile d'énoncer que tous les autres espaces nommés après des personnalités du musée sont dans des situations relativement défavorisées.

L'auditorium Jean Rouch, dont l'entrée se situe dans une contre-salle donnant sur l'atrium et destinée à l'accueil des groupes et à quelques expositions éphémères de photographies, n'est que très peu accessibles. Mais il bénéficie néanmoins de l'attrait du comité du film ethnographique, ainsi que des divers évènements et conférences qui y sont organisés. Il est donc connu d'un certain type de public érudit, qui ne constitue probablement pas l'essentiel du public du musée de l'Homme, comme de la plupart des musées.

La salle des ressources Germaine Tillion aurait pu bénéficier d'une situation particulièrement favorisée au sein de l'espace muséal puisqu'il fait partie des espaces ayant une utilité pratique (contrairement à l'atrium qui est un espace de passage dont la fonction est presque exclusivement symbolique).

Malgré ce possible caractère attrayant, il reste dans une situation quasiment invisible des visiteurs (dans un renfoncement en haut des escaliers qui entament la visite). L'appellation même de « centre de ressources » interpelle plus qu'elle n'attire et ledit centre de ressources, malgré sa présentation dans le plan du musée comme un moyen pour « approfondir sa visite » n'est fréquenté que durant les ateliers organisés par les médiateurs essentiellement pour le jeune public.

Contrebalançant cette relative exclusion du lieu portant le nom de Germaine Tillion, une biographie de l'ethnologue, accompagnée d'une photographie, a été posée sur la porte du centre

1 On notera à cet effet, l'article de Picard Jean-Charles. Remarques archéologiques sur l'atrium des églises d'Italie du IVe siècle au VIIe siècle. In: École pratique des hautes études. 4e section, Sciences historiques et philologiques. Annuaire 1967-1968. 1968. pp. 619-622.

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et revient largement et prioritairement sur son implication dans la Résistance à travers le réseau du musée de l'Homme et son expérience de la déportation. Il ne s'agit pas d'une station historique à proprement parler, ce qui justifie son absence du parcours « histoire du musée de l'Homme1 ».

La présence de cette biographie ne suffit pas à défier la position dominante de la figure de Paul Rivet pour plusieurs raisons.

Tout d'abord, sa présentation ne correspond à aucune signalétique dans le musée, ce qui dénote de son caractère superflu, accessoire. Les stations historiques correspondent toutes à la même forme, la même présentation ce qui les inclut dans une certaine logique de visite. Ensuite, pour un visiteur, lire un texte très dense, écrit en petit, dans un lieu de passage est loin d'être aisé. Enfin, le fait même d'apposer cette biographie est l'aveu d'un vide dans la mise en scène muséale, vide sur la figure de Germaine Tillion, reconnue à l'extérieur du musée et presqu'ignorée en son sein.

Quant à la bibliothèque Yvonne Oddon, perchée au dernier étage du musée, elle n'est accessible qu'aux chercheurs du Muséum ou à des personnes justifiant d'une recherche nécessitant ses collections. Elle est donc assignée à la situation la plus isolée. Elle est donc séparée en ce sens de l'espace du musée mais est davantage associée, en termes d'espace comme en termes d'administration, au centre de recherche.

La disposition des espaces du musée selon leur nom, et la hiérarchie tacite tirée de cette disposition, est un indicateur de taille sur l'importance accordée aux différents éléments qui composent le passé du musée et par là, la place accordée à la Résistance.

Il apparait clairement que la création d'une mythologie des pères fondateurs à travers la valorisation constante de la figure de Paul Rivet est privilégiée à l'évocation du groupe de Résistants du musée. L'observation et l'analyse des stations historiques du musée vont permettre de mettre au jour les raisons de cette valorisation, et les intérêts se dissimulant derrière la mise en avant du discours humaniste.

1 Pour description plus poussée et photographie, voir en annexe « Description des stations historiques et références historiques dans le musée de l'Homme » p.100

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Les stations historiques, éléments primordiaux dans la mise en récit muséale :

Les stations historiques, tout comme les espaces portant le nom de personnalité, démontrent des choix faits dans la mise en scène muséale des éléments bien connus du passé : la Résistance, le passé racialiste, le poids des créateurs, etc.

Leur observation a été essentielle dans ma mesure du poids de la Résistance et sa valorisation parmi les autres éléments. Elle a consisté, autant en une observation de leur position dans l'espace du musée (leur spatialisation), que la manière dont les visiteurs s'approprient ces positions.

Il serait utile de rappeler que le musée pose les conditions de la visite et de l'appréhension des objets muséaux (ou extra muséaux dans le cas qui nous intéresse) : la disposition des éléments, la signalétique, les itinéraires de visite conseillés dans les plans, l'éclairage, etc.

Mais que les attitudes de visite des visiteurs non seulement indique ces conditions (les confirme en quelque sorte) mais aussi dénotent d'une part du comportement déambulatoire qui échappe au sentier préétabli de la découverte d'un espace muséal.

Ce qui retiendra notre attention c'est la manière dont les visiteurs s'approprient les codes de la visite ; ce sont ces codes mêmes, proposés par le musée, qui dénoteront de l'intentionnalité dans la mise en récit des éléments du passé étudiés.

Les stations historiques sont au nombre de huit, inégalement dispersées dans différents endroits du musée1. Elles sont la preuve d'un choix dans la mise en récit de certains moments clés de l'Histoire du musée, de la création de son ancêtre le MET aux récents problèmes liés à la remise en question en passant par l'évolution architecturale et la Résistance.

Les stations correspondent toutes à la même présentation, signalétique, typographie, la même logique générale : plusieurs panneaux formant une sorte de tableau, orné d'une citation, des zones de texte, des images, parfois un buste ou des maquettes. Elles ont été conçues pour former un ensemble cohérent, dépeignant un tableau précis de l'histoire du musée.

1 Pour description plus poussée et photographie, voir en annexe « Description des stations historiques et références historiques dans le musée de l'Homme » p.100

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Toutes les stations historiques n'ont pas été observées de la même manière, en ce sens qu'elles n'ont pas toutes été soumises au protocole d'observation1 qui a été mis en place et dont la description a été effectuée précédemment.

Comme propos introductif aux résultats de l'observation, il est d'abord important de noter que toutes les stations ne bénéficient pas de la même affluence, c'est-à-dire des visiteurs qui entrent dans un périmètre dans lequel il leur est possible de les voir.

Un indicateur assez simple le prouve : il a été noté le temps passé pour recueillir le nombre de visiteur suffisant2 à être entré dans le champ de la station historique. Plus ce temps est court, plus il est possible de dire que la station bénéficie d'une affluence.

Cela ne veut pas forcément dire qu'elle est plus attractive, mais qu'elle a été placée dans un espace attractif ou fréquenté. Par exemple, la station « création du Musée de l'Homme » a été observée pendant deux heure trente tandis que celle « Jean Rouch et le cinéma au Musée de l'Homme » a nécessité plus de six heures d'observation (discontinues).

Rappelons également que les statistiques dégagées n'aspirent à aucune vérité générale mais à simplement une image pendant un temps donné. Il conviendrait mener une enquête de plus grande envergure pour obtenir des chiffres entièrement fiables et pouvant être utilisés comme tels.

Si l'on compare l'intérêt supposé des visiteurs à l'égard des stations historiques, à l'aide de l'outil statistique qui a été dégagé des observations3, la figure de Paul Rivet est pleinement confortée dans la dimension centrale qui lui a été accordée par les mécanismes déjà étudiés d'attribution du nom.

En effet, comparons les chiffres obtenus concernant la proportion de visiteurs observés qui « regardent » la station « création et ouverture du musée de l'Homme » et ceux qui « regardent » les autres stations. 56% des visiteurs observés jettent un regard au moins rapide à cet élément de la mise en scène muséale. Sans évoquer les résultats obtenus pour toutes les stations, ce chiffre descend à 15% pour la station « les origines du musée de l'Homme 18781936 » et jusqu'à 9% pour la station « Le réseau de Résistance au Musée de l'Homme ».

1 Il est ici fait référence au fait que la station « Yvonne Oddon et la bibliothèque du Musée de l'Homme » n'a pas été soumise à l'observation pour cause de l'impossible invisibilisation de l'enquêteur, due à l'étroitesse de l'espace dans lequel la station a été située. Son contenu a néanmoins été analysé et le fait même de la placer dans une situation isolée et compliquée pour un observateur en dit long sur le soin qui a été mis à la mettre en valeur.

2 Ce nombre a été fixé à 100 pour chaque station historique observée.

3 Voir Tableau récapitulatif en annexe page 100.

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La proportion des visiteurs observés à approfondir leur regard, c'est-à-dire à s'approcher, lire le contenu de la station ou du moins à faire preuve d'un intérêt plus poussé, est encore plus parlante.

Ces visiteurs sont encore plus rares que les premiers au vu de la situation globalement défavorisée de toutes les stations. Néanmoins, 28% des visiteurs observés s'arrêtent et semblent lire le contenu de la station « création et ouverture du Musée de l'Homme », alors même qu'ils ne sont plus que 10% pour « le nouveau Musée de l'Homme 2003-2015 », et le chiffre obtenu de 1% pour la station « Le réseau de Résistance du Musée de l'Homme » mériterait presque d'être ignoré tant il est infime.

Afin de modérer les effets liés à la situation de visite, il convient d'étudier pour au moins la station qui apparait comme la plus importante (ces chiffres n'étant pas étudiables pour la station sur la Résistance) la proportion de personnes seules qui au moins regardent, et celle des personnes accompagnées qui font preuve du même intérêt.

Ainsi, Sur les neuf personnes seules qui passent dans le périmètre de la station, sept regardent la station historique (équivaut à environ 77%,1 bien que le pourcentage ne soit pas réellement pertinent pour des chiffres aussi bas). Sur les quatre-vingt-onze personnes accompagnées, cinquante-deux regardent la station (environ 57%), chiffre qui ne figure pas une avance assez importante pour réellement parler d'effet de la situation de visite.

De ce fait, il n'est donc perçu ni l'effet de la personne seule qui débarrassée du regard social qui évaluerait sa valeur culturelle, ne prendrait plus la peine de feindre l'intérêt, ni à l'inverse la personne qui accompagnée, serait contrainte par le regard de l'autre de feindre cet intérêt2.

Le musée est, en plus de sa vocation culturelle, également un espace de « présentation de soi3 » dans lequel l'intention de produire une image de soi est primordiale. Naturellement, il ne s'agit

1 Voir tableau n°2 en annexe p.100.

2 Jean-Claude Passeron et Emmanuel Pedler ont choisi d'écarter les « pratiques conjointes (de couple, de groupe, de famille) en ne tenant compte que des personnes seules, « afin d'individualiser, sans complications ou subdivisions superfétatoires du protocole, la mesure des temps de visionnement ou l'identification des arrêts ». Mais c'est leur argument sur la necessaire invisibilisation de l'observateur enquêteur, dont le contrepied est pris ici : « le regard consenti à un tableau constitue, en effet, un comportement particulièrement contrôlé lorsque dans une situation « publique » comme celle d'un musée, un individu se « présente lui-même », se sachant observé, au travers d'une action aussi emblématique de sa valeur culturelle que l'est la « mise en scène » d'un acte de plaisir ou d'admiration artistique » (in « Du musée au tableau », Idées économiques et sociales, 2009/1 (N°155), p. 1218)

3 GOFFMAN E., La mise en scène de la vie quotidienne, Paris, Minuit, 1973.

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pas d'affirmer que la situation de visite ne produit pas d'effet mais simplement de souligner qu'elle n'est pas perceptible à cette échelle et avec les outils que suppose cette enquête.

Pour expliquer cet écart plus que considérable, les chiffres obtenus sur la composition des personnes observés entre visiteurs et employés donnent un début de réponse. Si la proportion d'employés parmi les personnes qui entrent dans le périmètre d'une station historique est situé pour la plupart des stations entre 0 et 30%, trois stations constituent une exception de par la proportion extrême d'employés ou de visiteurs.

En effet, la station « Création et ouverture du musée de l'Homme » ne connait presque pas de visiteurs employés dans son périmètre (le chiffres est à 3%), alors qu'à l'inverse les stations « Jean Rouch et le Cinéma » et « Le réseau de Résistance du Musée de l'Homme » connaissent la tendance inverse, en ayant une grande majorité d'employés autour de leur périmètre durant l'observation : « Jean Rouch » présente un taux d'employé de 82%, et plus étonnant encore, « le réseau de Résistance » à 79%.

Ainsi, il ne serait pas précipité d'affirmer que ces deux dernières stations ont été placées dans des lieux de passage essentiellement pour employés (médiateurs et agents de sécurité en grande partie), alors que la station « création du musée de l'Homme » bénéficie d'un emplacement de choix, ou du moins d'un lieu de passage courant dans une visite standard.

En effet, l'explication est simple, du moins pour les deux stations qui nous intéressent le plus : « Réseau de Résistance » a été placée au Rez-de-Chaussée, dans un espace fréquenté seulement pour les ascenseurs destinés aux employés (y compris les chercheurs du Muséum) et à quelques visiteurs handicapés1, alors même que « Création et ouverture du Musée de l'Homme » est située dans l'atrium central, au pied de l'escalier central qui accueille les visiteurs à la fin de leur visite.

Si l'on s'intéresse de plus près aux éléments qui composent les stations historiques pour les lire à la lumière des statistiques obtenues, la station « Création et ouverture du Musée de l'Homme » est l'une des deux seules, avec « Les origines du musée de l'Homme », à comporter un buste. Il s'agit du buste de Paul Rivet pour l'une et d'Ernest Hamy pour l'autre.

Or, la présence d'un buste est loin d'être anodine dans la mise en scène muséale puisqu'elle laisse entendre à un élément muséal plus traditionnel, surtout au regard des nombreux bustes exposés dans les collections du musée. C'est donc le fait de laisser entendre en une continuité

1 Voir description de la station en Annexe p. 100

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entre les collections du musée et ces deux stations historiques qui expliquent en partie l'affluence1, d'autant plus que cette confusion est encouragée par le fait que ce sont les deux stations situées juste à l'issue de la visite.

Toutes ces observations conduisent à affirmer que la référence à la Résistance est délaissée au profit d'autres références au passé de l'institution muséale. Si l'on considère la seule station exclusivement consacrée à la Résistance, du point de vue de son contenu, elle relate toute l'histoire du réseau, en reconnaissant une place déterminante non seulement aux deux survivantes, Yvonne Oddon et Germaine Tillion, mais aussi à Boris Vildé et Anatole Lévitzky. On ne manque pas de parler de tout ce qui se fabrique dans le sous-sol du musée comme tracts, affiches, bulletins, journal Résistance etc. Une photographie du premier numéro du journal est même reproduite, accompagnée d'une citation des premières lignes2, bien mise en évidence (mais ne correspondant pas à la même présentation que les citations des autres stations historiques). Puis est évoquée l'arrestation, déportation ou exécution des membres du réseau. De courtes biographies sont également présentées en dehors du texte des quatre figures présentées comme centrales, sans pour autant toujours mentionner leur rôle dans la Résistance.

Tout est fait en apparence pour une mise en récit juste de la Résistance, reprenant tous les codes habituels de la glorification, évoquant même la nécessité de commémorer et l'illustrant d'un photographie d'une cérémonie d'hommage au Mont-Valérien en 2012 pour « commémorer le 70ème anniversaire de l'exécution des sept membres du réseau ». L'honneur de l'institution muséale est sauf, puisqu'on ne pourra pas lui reprocher de ne pas évoquer la Résistance.

Mais la situation défavorisée de la station au sein de l'espace muséal n'est pas la seule limite de la platitude de la mise en scène du passé pour cette période particulière. Dans la station « Yvonne Oddon et la bibliothèque du musée de l'Homme », l'implication de la personnalité dans la Résistance, pourtant essentielle, est pratiquement tue (seule son arrestation et sa déportation sont mentionnées de cette période).

1 La station « Les origines du musée de l'Homme » ne bénéficie, bien entendu, pas de la même affluence que celle « création et ouverture du musée de l'Homme ». Néanmoins 15% des visiteurs observés la « regardent », ce qui constitue une proportion importante comparée aux 9% de la station « Réseau de Résistance au Musée de l'Homme ».

2 « Résister ! C'est le cri qui sort de votre coeur à tous, dans la détresse où vous a laissé le désastre de la patrie. C'est le cri de vous qui ne vous résignez pas, de vous qui voulez faire votre devoir »

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Pour toutes les stations, à l'évocation bien souvent secondaire de la Résistance1, se substitue celle très présente de Paul Rivet, comme créateur du musée.

La « mythification des pères fondateurs » préférée à un « mythe de la Résistance » :

Les statistiques tirées des observations le confirment aisément : la station qui, de par sa position centrale dans le musée, attire le plus de visiteurs est celle consacrée à la création du musée de l'Homme par Paul Rivet. Le personnage y est plus que clairement affiché comme figure centrale. Un buste le représente, est affiché son bulletin de candidature aux élections municipales de 1933, soulignant son engagement politique au Front Populaire, des photographies le représentant, etc. Le tout laisse l'impression d'un autel fait de reliques de l'intéressé.

La référence religieuse, dans cette entreprise de mythification, n'est du reste pas à négliger. En plus de cet autel chargé de reliques2 à la gloire de l'intéressé, la charge sacrée du terme « Atrium » déjà évoquée, il est possible de noter ses citations maintes fois rappelées jusqu'à être sacralisées comme parole d'évangile, le mot même de « station » n'est pas sans rappeler les stations du chemin de croix comme étapes d'expiation (terme qui, nous allons le voir, a son importance) et c'est justement ce mot qui a été choisi pour désigner ces panneaux dans lesquels ont été semées les implications diverses du créateur (du musée).

Il parait ainsi naturel de s'appuyer sur les références religieuses pour parler d'une certaine entreprise de « mythification des pères fondateurs » (dans le cas étudié, un en particulier). Le terme « père » est volontairement emprunté à l'imagerie ecclésiastique qui, dans un usage conciliaire, qualifie de « Père de l'Eglise » les évêques qui de par leurs écrits, leurs actes et leur exemplarité morale ont contribué à la défense de la chrétienté en tant que doctrine nouvelle.

1 En contradiction même avec ce qui achève le texte de la station « Le réseau de Résistance du Musée de l'Homme » : « Le réseau du musée de l'Homme, pionnier de la Résistance, est toujours commémoré, et demeure une référence de lutte et d'engagement »

2 On peut noter à cet égard la table « de style chinois » située juste en dessous de la station « Yvonne Oddon et la bibliothèque du Musée de l'Homme, au-dessus de laquelle est posé un écriteau comportant l'inscription suivante : « cette table de style chinois a été construite pour l'ouverture du Musée de l'Homme en 1937. Paul Rivet en a été l'utilisateur. (Plus loin) En attendant une plaque de verre protectrice, merci de ne rien poser sur cette table patrimoniale » (voir photographie en annexe p.100)

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Ce terme choisi en ce qu'il véhicule d'« engendrement spirituel 1», Comme les pères de l'Eglise sont perçus comme engendrant la foi, Paul Rivet est montré comme le créateur d'une nouvelle forme de foi, de « croyance » dans l'étude de l'Homme, autre que l'anthropologie racialiste longtemps de rigueur.

En effet, Paul Rivet est entièrement héroïsé, quitte à réécrire le passé à la lumière de son action qui se voit constamment exagérée. On montre de lui une image idéalisée : « Le musée entend lutter contre le racisme, à l'image de son créateur2» peut-on lire dans le texte de la station qui lui est entièrement consacrée.

De plus, dans la station « réseau de Résistance » qui normalement devrait voir sa présence s'atténuer, la photographie de Paul Rivet est la première en dessous du texte3 et elle est séparée des autres par la photographie du bulletin de Comité de Salut public (document avec lequel il n'a pas grand-chose à voir). La courte biographie qui l'accompagne le présente comme un « savant et un homme politique militant contre le fascisme et le racisme », une « figure de la Résistance intellectuelle » depuis son exil en Amérique latine (reprenant les mots du Général de Gaulle et tout ce que sa figure implique de légitimation des actes considérés ou non comme des actes de Résistance).

La valorisation du passé de la Résistance au musée de l'Homme passe donc par sa réécriture sous le spectre de l'implication de Paul Rivet, rejoignant à nouveau l'idée de « choix du passé4 ». Il est opéré un bricolage avec les éléments du passé, dispersant ici et là l'idée de l'implication centrale de Paul Rivet dans la Résistance (entre autres) sans attribuer une place équitable aux autres figures impliquées.

Il ne s'agit aucunement ici de formuler à notre tour un parti pris sur le passé et de minimiser le rôle qu'aurait joué Paul Rivet dans la résistance, mais dans l'histoire établie de cette période et du réseau étudié, les rôles sont plus souvent attribués à ceux qui sont restés, Paul Rivet, comme rappelé dans la partie historique de la présente enquête, a dû s'exiler car trop exposé. La mise en scène autour de sa personne peut même laisser entendre qu'il était présent.

1 « Nous appelons père ceux qui nous ont catéchisé » in MEUNIER, Bernard, « Genèse de la notion de « Pères de l'Église » aux ive et ve siècles », Revue des sciences philosophiques et théologiques 2/2009 (Tome 93) , p. 315331

2 Même si Rivet s'est très tôt détaché de l'anthropologie physique, il ne s'est pas prononcé contre le racisme (du moins pas à cette époque) mais contre le racialisme différentialiste : il ne niait pas la division de l'Humanité en races tout en réfutant une division hiérarchisée entre elles.

3 Voir photographie en annexe p.100.

4 LAVABRE Marie-Claire, op. cit.

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Dans cette perspective de passé que l'on choisit, plus que celle du passé que l'on subit, le passé est lu à la lumière du présent, ce qui implique que cette relecture comporte des enjeux, sert des intérêts. Cette instrumentalisation semble s'opérer au profit de la défense d'une ligne humaniste prônée par le musée, aussi bien dans ses collections que dans des éléments extra muséaux, telles que les stations historiques.

La défense d'une ligne humaniste au secours du passé controversé de l'anthropologie :

Aucun choix muséal n'étant forcé, Paul Rivet, a été la figure choisie parmi d'autres pour incarner cet humanisme, bien que, certes, d'autres fondateurs (Armand de Quatrefages, Ernest Hamy) sont évoqués et la mise en récit de leur histoire est toute aussi partiale et sélective que ce qui a été entrepris autour de celle de Paul Rivet.

Ainsi, dans la station « les origines du Musée de l'Homme », le texte met en évidence la filiation, quelque peu fictive d'un point de vue épistémologique entre le MET et le musée de l'Homme, pour le décrire comme l'héritier de l'approche scientifique élaborée par Armand de Quatrefages qui toujours selon le texte, avait pour ambition d'établir une science globale de l'Homme, appelée « anthropologie » pour faire la synthèse entre données anthropométriques, préhistoriques, ethnographiques et linguistiques.

C'était oublier que le même scientifique défendait certes l'unicité de l'espèce humaine mais aussi son classement en races différentes, inégales « qui se différencient de toute nature par leur caractère, des races supérieures et des races inférieures au point de vue intellectuel et moral1».

Le texte qui lui est consacré tait sciemment l'aspect racialiste et décrit son approche dans des termes vagues (« une conception synthétique qui associe à l'observation des caractères anatomiques, l'étude des cultures passées et présentes et l'examen des langues »). La seule référence implicite au racialisme réside en ces mots : « Bien que l'anatomie restera la base de sa recherche (...) ».

1 Armand de Quatrefages, L'espèce humaine, coll. « Bibliothèque scientifique internationale », Vol.XXIII, Librairie Germer Baillière et Cie, Paris, 1877 (Douzième édition [archive], Félix Alcan, Éditeur, Paris, 1896)

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D'une manière générale, la mise en scène muséale défend une vaste entreprise de réhabilitation de l'anthropologie et de ses dérives racialistes à travers la promotion d'un humanisme, parfois forcé.

Ainsi, dans les collections mêmes du musée, les bustes exposés dans la galerie de l'Homme servaient initialement aux anthropologues de la fin du XIXème siècle à élaborer leurs théories basées sur les différences physiques entre les races. Ils sont désormais exposés en retraçant une partie de leur histoire en tant qu'humains (toujours en se basant sur les écrit des anthropologues ou quelques rares autres sources) et en les mettant en parallèles avec des bustes artistiques de la même époque (et parfois même des mêmes périodes) de personnes venant également des colonies.

Les stations historiques continuent donc cette démarche de réhabilitation de l'anthropologie. La station « De l'exhibition de la Vénus hottentote à la restitution de Sawtche1 » en est le parfait exemple puisqu'elle n'est destinée qu'à cette ambition.

Le texte raconte l'histoire de Sawtche, « exploitée et exhibée dans une période façonnée par les théories racialistes et coloniales », dont les ossements, après avoir été exposés dans la galerie d'anthropologie du musée jusqu'en 1974, ont été restitués à l'Afrique du Sud au début des années 2000. Sa restitution a fait l'objet d'une vaste mise en scène, faite de cérémonies, de commémorations. On notera que Paul Rivet, malgré sa qualité de principal directeur du musée durant cette période, n'est pas évoqué.

Cette histoire, bien que rappelant les années les plus sombres de l'anthropologie, sert malgré tout l'image humaniste et philanthropique du musée et entend illustrer une anthropologie éthique et respectueuse d'une certaine sacralité des restes humains.

La figure du palimpseste comme révélatrice de la mémoire au musée de l'Homme

Pour résumer, la valorisation excessive de la figure de Paul Rivet, est quelque peu surprenante puisque pas nécessairement attendue2. Elle entend forger une ligne humaniste propre au musée, esquivant ainsi la référence à la Résistance sauf lorsqu'elle participe à cette valorisation.

1 Voir description en annexe p.100

2 Les automatismes mémoriels de valorisation et d'évocation du passé dès lors qu'il s'agit de la seconde guerre mondiale en sont témoins.

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L'affirmation de cet engagement humaniste semble constituer une manière de redorer le blason de l'anthropologie. Cet enchevêtrement de références différentes et plus ou moins visibles, au passé, rend utile l'emprunt de l'image du palimpseste à Patrick Cabanel1 (et à d'autres auteurs2). Emprunter l'emploi de cette figure pour considérer le mécanisme de la mémoire au musée de l'Homme ne signifie pas nécessairement emprunter son exact usage par l'historien.

Tout d'abord, précisons que ce n'est pas le présent qui enfoui le passé mais c'est la lecture du présent qui fait qu'un élément du passé se superpose à l'autre dans une mise en scène muséale.

Le palimpseste fait référence l'utilisation au Moyen Age par les copistes de techniques d'effacement des textes par grattage ou par lavage afin d'y écrire à nouveau. Cette technique formait donc des couches de traces, dont la plupart étaient presque invisibles, se voyaient dans les unes dans les autres, sont transformées par la dernière trace apposée.

C'est ainsi que l'humanisme et Paul Rivet se superposent à la Résistance qui apparait quand même à certains moments dans la mythification de la figure de Paul Rivet en tant que père fondateur, pour à son tour se superposer aux dérives de l'anthropologie. Il s'agit d'un processus continu de destruction et reconstruction successives, tout en gardant des reflets des traces anciennes.

Pour parler de l'institution muséale dans un langage volontairement anthropomorphique, l'anthropologie racialiste, comme passé traumatisant, source de culpabilisation est gommée de la mémoire et est recouverte de plusieurs couches de références au passé.

Si le palimpseste « porte une charge politique et historique en ouvrant le présent au poids du passé3 », il n'est pas pour autant une figure parfaite et l'image ne tarde pas à montrer ses limites pour illustrer le cas étudié. En effet, les différentes couches du passé, bien qu'effacées dans la mise en récit muséale, restent visibles par reflets et apparaissent dans les espaces vides laissés par les lacunes de la ligne humaniste. Les « nappes du passé4 » dans lequel « des images (...) s'incarnent l'une dans l'autre5 » coexistent plus qu'elles ne se remplacent entièrement.

1 L'historien utilise surtout cette image dans son étude du protestantisme français qui selon lui, serait accoutumé aux moments de « résistance » de par leur fréquence dans son histoire à la manière d'écritures palimpsestes ou de poupées-gigognes. (CABANEL, Patrick, Histoire des protestants de France, Paris, Fayard, 2012, à vérifier)

2 On peut citer : Antoine de Baecque, Max Silverman, Deleuze.

3 SILVERMAN Max, « Mémoire palimpseste. La question humaine, Ecorces et Histoire(s) du cinéma », Image [&] Narrative (référence à corriger)

4 DELEUZE, Gilles, « L'image-temps. Cinéma 2 », Collection critique, Paris, 1985, Les éditions de Minuit.

5 DELEUZE, Gilles, Op. Cit.

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Les couches du passé ne sont évidemment pas isolées les unes des autres. La référence à Paul Rivet ne peut éclipser (partiellement) la référence à la Résistance que parce que d'un point de vue historique, il y a malgré tout pris part. De même pour l'anthropologie racialiste qui n'est recouvertes par la figure de Paul Rivet que parce qu'il avait lui-même contribué à sa disparition.

C'est indéniable : il y a « une sorte de continuité ou de communication transversales entre plusieurs nappes, et tisse entre elles un ensemble de relations non localisables1 », créant de cette manière « un temps non-chronologique2 », c'est-à-dire « un temps qui ne se résout pas à la succession3 »

L'image du palimpseste aide à saisir une réalité certaine mais complexe de la question de la mémoire au musée de l'Homme : un enchevêtrement de références au passé, plus ou moins valorisées, plus ou moins assumées, et assurément manipulées par l'institution muséale vers le sens qu'elle veut donner à son histoire.

Néanmoins, une autre réalité de cette mémoire est également saisissable en plaçant le musée dans un champ patrimonial plus large qui a ses propres codes et ses propres luttes.

La division sociale de la fonction mémorielle

La mise en récit muséale confirme donc une relégation au second plan de la référence à la Résistance au profit de la mise en valeur plus générale d'une ligne humaniste, confortée par la figure sacralisée de Paul Rivet comme père fondateur bienveillant et destinée à effacer les années sombres de l'anthropologie.

Placer le musée dans un ensemble plus large du champ muséal permet d'aborder l'explication à cette ambition à une plus grande échelle, et d'élargir ainsi la réflexion.

Il s'agit de partir d'une supposition assez simple ; Si l'idée d'un individu isolé est une fiction, celle d'un musée isolé l'est également. En effet, tout musée se met en place, se construit dans un champ muséal et patrimonial, avec ses enjeux, ses rivalités, l'affirmation de positions dominantes et ses spécialisations imparties. Le considérer comme un espace clos dont les

1 DELEUZE, Gilles, Op. Cit.

2 .DELEUZE Gilles, Op. Cit.

3 DELEUZE, Gilles, Gilles Deleuze - cinéma cours 77 du 29/01/1985

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concepteurs n'auraient pas tenu compte du fonctionnement de ce champ et de ce qu'il implique comme luttes, serait inexact et ne montrerait qu'une vision très partielle de la mise en scène muséale.

Dans cette perspective, l'existence d'espaces différents de mise en récit du passé, que ce soit des musées des mémoriaux ou des monuments, à inclure dans un large champ dit patrimonial, laisse penser à une forme de différentiation de ces espaces pour qu'ils deviennent complémentaires. Sans pour autant s'appuyer entièrement sur la pensée de Durkheim mais sans tout à fait l'ignorer, nous lui emprunteront son concept de « solidarité organique1 » (par opposition à la « solidarité mécanique2 » pour qualifier cette différentiation. La solidarité organique, selon le sociologue, est un type de lien social qui fonde la cohésion sociale et dans lequel la différentiation et l'interdépendance des individus constituent un terrain favorable à la division du travail.

Il en est de même pour l'espace social dans lequel le musée évolue. Bien que l'on ne puisse pas parler, pour décrire les rapports entre les institutions, de lien social proprement dit, chaque musée, monument ou mémorial est assigné à une fonction sociale perçue comme utile et légitime.

Par exemple, si l'on considère l'objet « Résistance », plusieurs institutions se partagent la légitimité de donner à voir une histoire de celui-ci : le mémorial du Mont-Valérien, lieu assumé comme espace à vocation mémorielle3 qui tire sa légitimité de sa charge historique (endroit où ont été fusillé des milliers de résistants dont ceux du musée de l'Homme), le musée de la Résistance nationale, le musée du Général Leclerc et de la libération de Paris, le musée de l'Ordre de la libération, etc. Les références sont nombreuses.

La création d'un musée de l'Homme qui, bien que siège du réseau pionnier de la Résistance, serait trop axé sur une mise en récit de cette période de l'Histoire constituerait une atteinte tacite à l'objet même des musées cités, un empiètement sur une part de l'Histoire dont l'exposition leur a été attribuée.

Parler de la Résistance, hormis les plaques commémoratives de rigueur et quelques allusions intelligemment dispersées et volontairement noyées dans des éléments extra muséaux, ne fait pas partie du rôle social imparti au musée de l'Homme. Le rôle qu'il a légitimité de remplir est

1 DURKHEIM Emile, de la division du travail social

2 DURKHEIM Emile, Op. Cit.

3 Le mémorial du Mont-Valérien est même sous-titré « haut lieu de la mémoire nationale ».

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de tracer une ligne humaniste dans la description de l'humanité et ainsi laver l'anthropologie du racialisme intrinsèque dont ses détenteurs ont fait preuve au croisement du XIXème et du XXème siècle.

L'exercice d'évocation du passé, avec tout ce qu'il comporte de gestion des traces, de commémoration, de mise en récit de l'histoire, de création de miroir avec le présent, se voit ainsi divisé pour une meilleure complémentarité dans la mise en valeur de la mémoire par les institutions dévolues.

Cette division de l'acte de « faire mémoire » ne suppose pas nécessairement de monopole dans la mémoire d'un objet particulier mais plutôt d'une forme de spécialisation. Le musée de l'Homme, qui reste un musée d'ethnographie ne doit pas venir concurrencer les institutions mémorielles de la Résistance mais oeuvrer à construire une image positive des sciences ethnographiques, à savoir l'anthropologie et l'ethnologie.

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Cette enquête s'est attachée à comprendre les mécanismes qui régissent la mémoire dans un

espace muséal atypique, en ce sens qu'il n'est ni tout à fait historique ni tout à fait artistique. Un espace muséal qui se charge de donner un portrait biologique et sociale de l'Homme, sans entrer dans la description de l'histoire récente de l'Humanité.

En effet, le musée de l'Homme est indéniablement un lieu de mémoire, dans une acceptation non métaphorique, qualificatif qui sonne comme une certification attribuée par une autorité légitime de la mémoire et qu'obligent les faits de Résistance dont il a été le siège durant l'occupation par l'armée allemande. Mais bien qu'étant un lieu de mémoire, le musée de l'Homme n'est pas dédié à la mémoire.

Et c'est précisément pour cette raison que l'objet étudié - la Résistance - était difficile à appréhender puisqu'il est loin de constituer l'objet général du musée dans ses collections permanentes, ou même dans ses expositions temporaires.

Ainsi, la cellule de Résistance du musée de l'Homme, bien qu'importante d'un point de vue historique dans son caractère à la fois de pionnière et de chef de file d'autres cellules,

L'étude de la mémoire de cette cellule résistance dans un autre champ que celui de son espace d'origine, a permis de voir qu'il y a une circulation de cette mémoire et que dans cette circulation, la mémoire se transforme, prend d'autres visages. Ce ne sont pas les mêmes figures qui sont mises en avant : Germaine Tillion acquiert une place centrale qu'elle n'a pas dans l'enceinte muséale et le musée de l'Homme et la Résistance en son sein sont également évoqués à travers d'autres figures lointaines (Pierre Brossolette, Jean Zay).

Cette reprise de la mémoire, à travers l'entrée au Panthéon de figures connues, valorise donc le passé résistant au musée de l'Homme mais elle comporte aussi sa part d'usurpation puisque son étude révèle que le champ politique ne fait que l'apposer, la greffer aux intérêts propres de ses acteurs.

Si dans sa circulation entre les champs la référence résistante acquiert en quelque sorte ses lettres de noblesse, il en est tout à fait autrement dans l'espace même du musée de l'Homme où, à travers la mise en scène muséale, la Résistance est reléguée au second plan, dans des lieux extra muséaux, particulièrement défavorisés. Elle n'est plus qu'une pierre à l'édifice aussi symbolique que monumental édifié autour de la figure de Paul Rivet, préférée à celle, pourtant plus connue, de Germaine Tillion.

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Toute mémoire suppose relecture du passé et, dans la mise en scène muséale du musée de l'Homme, le bricolage se fait assez apparent.

Paul Rivet y est ainsi élevé comme le bâtisseur aussi bien moral, que scientifique, du musée en tant qu'espace d'éducation, d'exposition et de recherche. Sa probité scientifique et éthique que la faible référence résistante ne manque pas de servir, vient en appui à un discours humaniste et philanthropique lui-même destiné à masquer les dérives de l'anthropologie physique, longtemps pratiquée au sein du musée (ou plus précisément de son ancêtre le MET) avec tout ce qu'elle comporte de racisme et de racialisme inégalitaire.

Tous ces liens donnent l'image de pans du passé qui s'entremêlent pour se cacher les uns les autres, se couvrir et parfois s'utiliser : La référence générale au passé au musée de l'Homme subit une forme de sédimentation. La mise en scène muséale détache les différentes pièces du passé de l'institution (Paul Rivet, Humanisme, Résistance, Anthropologie) pour les réunir en couches différentes.

C'est ainsi que la figure du palimpseste s'avère intéressante pour illustrer cette manipulation du passé : on efface, met en avant une référence plutôt qu'un autre, superpose, exagère etc. Autant de réécritures superposées du passé pour arriver à laver l'anthropologie et par là, le musée de l'Homme des dérives racialistes.

La mythification de Paul Rivet, à travers des éléments du passé tels que sa participation à la Résistance, accentue le trait de la ligne humaniste engagée par le musée, couvrant ainsi l'anthropologie physique. De ce fait, de par son implication, la Résistance bien que minimisée dans ce qu'il ressort de la mise en récit muséale s'inscrit dans cette vaste entreprise de rédemption.

Le musée de l'Homme, en servant cette vocation humaniste et en promouvant les sciences ethnographiques, s'inscrit davantage dans le rôle social qu'on attend d'une telle institution, à savoir d'un musée. Une mise en valeur, outre que celle minimale déjà entreprise, de la Résistance outrepasserait ce rôle social, et contreviendrait à une certaine division tacite de la fonction mémorielle dans le champ patrimonial.

Aux prémices de l'enquête, le constat de la mise au ban de la mémoire résistante n'était ni espéré, ni attendu. Tout ce qui regarde de près ou de loin l'occupation ou la seconde guerre mondiale fait l'objet de commémoration excessives, constituant le terrain idéal pour formuler

l'injonction stérile de « devoir de mémoire ». La Résistance est évoquée, étudiée, glorifiée dans nombre d'espaces sociaux.

Il est donc d'autant plus surprenant de voir que la référence à la Résistance n'est, au Musée de l'Homme, qu'un morceau du rouage qui consiste à laver l'anthropologie par le masque de l'Humanisme.

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Mythification des pères fondateurs => sert la vocation humaniste => s'inscrit davantage dans le rôle social attendu du musée (division de la fonction mémorielle) => la résistance est minimisée mais elle sert, bien que parmi d'autres éléments privilégiés à laver l'image de l'anthropologie. La Résistance est rattachée par la réécriture du passé à la figure de Paul Rivet. Alors qu'elle est célébrée ailleurs, La référence à la Résistance n'est, au Musée de l'Homme, qu'un morceau du rouage qui consiste à laver l'anthropologie par le masque de l'Humanisme.

Ambition de réécriture de l'histoire du musée (de bricolage avec le passé) : Montrer que la référence à la Résistance est délaissée, ou au mieux, instrumentalisée parmi d'autres références

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au passé, au profit d'une entreprise de rédemption de l'anthropologie comme science raciste portée par le musée de l'Homme.

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