ASPECTS ET ENJEUX DE LA MEMOIRE
RESISTANTE AU MUSEE DE L'HOMME
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Sous la direction de Marie-Claire Lavabre
1
Sommaire :
Introduction P.2
Propos préliminaires P.12
- L'analyse préalable de l'image publique du
musée
? L'image que le musée donne à voir
? Le contexte muséal au moment de l'enquête
- Les difficultés directement liées au travail de
terrain
? La tentative infructueuse des entretiens
? L'observation comme source de recueil des informations
Partie 1 : Mise au point sur l'histoire de la
Résistance au musée de l'Homme
- Le « feutre social » de l'entrée en
Résistance
- « L'Histoire d'une trahison »
- La Résistance au musée de l'Homme lue comme
rupture
Partie 2 : La mémoire de la Résistance au
musée de l'Homme hors-les-murs
- La mainmise légitime sur la mémoire comme
illusio du champ politique - Les « conditions de la circulation
» de la mémoire
Partie 3 : La spatialisation de la mémoire
résistante au musée de l'Homme - Une substitution aux
dérives de l'anthropologie.
- La nomination des différents espaces du musée
comme traces de la Résistance
- Les stations historiques, éléments primordiaux de
la mise en récit muséale
- La mythification des « pères » fondateurs
préférée à un mythe de la Résistance
- La défense d'une ligne humaniste au secours du
passé controversé de l'anthropologie
- La figure du palimpseste comme révélatrice de la
mémoire au musée de l'Homme
- La division sociale de la fonction mémorielle
Conclusion
2
« Le musée est un des lieux qui donne la plus
haute idée de l'homme »1 affirme, en 1947,
l'écrivain André Malraux.
Le Musée de l'Homme endosse cette affirmation jusque
dans son nom, affichant ainsi, dès sa création, la volonté
de dévoiler une image de l'homme aussi bien dans son aspect biologique
que dans sa vérité sociale. L'un de ses principaux
créateurs, Paul Rivet, assume clairement cette ambition initiale :
« En créant ce titre, j'ai voulu indiquer que tout ce qui
concernait l'être humain, sous ses multiples aspects, devait et pouvait
trouver place dans les collections2. »
Installé sur l'aile sud-ouest du Palais Chaillot qui
domine la Colline du même nom, l'espace physique du Musée de
l'Homme prend place dans ce bâtiment aux façades monumentales
construit à l'occasion de l'exposition universelle de 1937. Entre les
deux ailes du palais, dans ce qui était initialement le coeur de la
structure dont on n'a gardé que les ailes, se tient le
parvis des Droits de l'Homme, ouvert par la dalle scellée proclamant
l'article 1 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen de
1789. C'est en effet sous le parvis du Trocadéro qu'a été
adoptée le 10 décembre 1948 la déclaration universelle des
Droits de l'Homme. Y trônent également huit sculptures
dorées allégorisant à travers sept femmes et un jeune
garçon, différentes étapes de la vie humaine et de la
nature (la jeunesse, le printemps, etc.). La place du Trocadéro,
officiellement renommée « place du Trocadéro-11-novembre
», en référence à l'armistice de 1918, jouxte cette
esplanade. Tout dans l'aménagement de l'espace et la toponymie des lieux
a été fait pour faire une référence commune
à un certain humanisme, une philanthropie affichée à
travers la défense de ces Droits de l'Homme.
C'est justement de cet humanisme que le musée de
l'homme entend se positionner comme le garant. En tant que musée
ethnographique, l'ancêtre du Musée de l'Homme, le Musée
d'ethnographie du Trocadéro (MET), était lui destiné,
à sa création, à entreposer les objets
1 MALRAUX André, Le musée
imaginaire, Gallimard, Paris, 1947.
2 Cité par LAURIERE Christine, Paul Rivet :
le savant et le politique, Paris, Publications scientifiques du
Muséum national d'histoire naturelle, 2008, 723 p
3
importés des colonies et à entreprendre une
typologie des différents physiques humains pour mieux comprendre
d'où l'objet en question est issu.
La muséographie se basait sur les conceptions
évolutionnistes et ethnocentriques dominantes à l'époque.
Il a fallu attendre 1938 pour que cette approche soit remise en question
lorsque le MET a muté en Musée de l'Homme. Bien que le
musée d'ethnographie du Trocadéro ne soit pas l'ancêtre
idéologique ou épistémologique du musée de l'Homme,
la relative stabilité du personnel scientifique et technique a permis
d'assurer la transition et de concevoir une filiation au moins institutionnelle
entre les deux musées.
La refonte, totale ou partielle, des musées
d'ethnologie obéit, si l'on croit Christine Laurière, à un
rythme cyclique. En effet, environ tous les soixante ans, la
légitimité du Musée de l'Homme (ou de son ancêtre le
MET) est remise en question aussi bien par l'administration politique en charge
que par ses propres acteurs. L'historienne de l'anthropologie explique par ces
mots cette étrange mais certaine régularité :
« La remise en question, tous les soixante ans des
musées d'ethnologie obéit à des enjeux politiques bien
réels, comme si la nation, ses dirigeants et ses savants, mais aussi la
société avaient du mal à s'identifier à ses lieux
finalement jugés problématiques en ce qu'ils interrogent la
réalité du monde, sa mise en ordre symbolique jusqu'à
retentir sur le roman national français dont les échos se
trouvent alors plus ou moins déformés, comme s'il fallait
régulièrement redéfinir l'identité et la place de
ce couple que forment l'autre et nous dans un contexte géopolitique,
social, culturel en évolution1 »
Le musée de l'homme interroge donc le rapport à
l'autre, la proximité ou la distance entre les civilisations, et c'est
cette interrogation qui le rend, plus que tout autre institution scientifique
ou culturelle, perméable à toutes les évolutions
géopolitiques, sociales et culturelle.
La dernière vague de ce cycle a manqué de peu
d'emporter le musée de l'Homme. Dès la fin des années
1990, est décidé le démantèlement des collections
du musée en vue de les transférer à un futur nouveau
musée des « arts primitifs ». L'une des principales raisons
invoquées est de redonner leur place, en tant qu'oeuvres d'art à
part entière à des objets délaissés et injustement
scientificicés.
1 LAURIERE Christine, «1938-1949 : un
musée sous tension » in Musée de l'Homme, histoire d'un
musée laboratoire, sous la direction de Claude Blanckaert,
Éditions Artlys / Muséum national d'Histoire naturelle, Paris
2015.
4
Le personnel aussi bien scientifique que non scientifique du
musée est en grève et c'est comme si tout son
intérêt scientifique et historique de laboratoire de recherche, de
berceau de l'ethnologie et de lieu de résistance était
ignoré. On semble oublier dans cette volonté de créer un
musée d'art à partir des collections du musée de l'Homme
dont la scienticité est dénigrée comme
révélatrice d'une démarche raciste, que le regard
ethnologique n'empêche nullement le regard esthétique.
La mobilisation porte ses fruits et l'institution est
préservée, bien qu'une grande majorité de
ses collections (60% des objets) soit transférée au futur
musée du Quai Branly, sur l'autre rive de la Seine. Il est donc
décidé d'une rénovation pour faire vivre le musée
amputé de ses objets, en lui insufflant une direction encore plus
pédagogique et scientifique. Les travaux ont eu lieu entre 2009 et 2015
et ont été en grande partie financés par le
ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche.
Le musée abrite désormais une collection des
plus hétéroclites. En autre choses sont exposés : les
objets initialement récoltés durant les missions ethnographiques,
pas nécessairement de contrées lointaines, exposés selon
des thématiques particulières censées trouver une ligne
commune à toutes les civilisations (le rapport à la
maternité, à la mort, au milieu naturel, les transformations
corporelles, etc.), des ossements réels ou reproduits de
représentants des premières formes d'humain, des objets
préhistoriques, des animaux empaillés, des bustes moulés
pendant les premières études racialistes anthropologiques, des
sculptures diverses et variées, etc.
L'absence d'une grande partie des collections,
transférées au Quai Branly, est ainsi comblée tant bien
que mal par une muséographie interactive, technologique et didactique
destinée à éduquer les visiteurs sur tout ce qui concerne
l'Humain tout autant d'un point de vue biologique que social et culturel.
Les secousses créées par cette menace de
fermeture et le projet de rénovation ont entrainé une remise en
question de l'identité de l'institution, puisque les menaces
sous-entendaient un déni d'une histoire longtemps affirmée et
affichée en tant que centre de recherche influent, en tant que
théâtre de la création de la discipline ethnologique mais
aussi en tant que lieu central de la Résistance.
Si le musée a réussi à se maintenir en
tant que centre de recherche, la valorisation du lieu en tant que lieu de
résistance n'est pas aussi aisément identifiable depuis la
récente rénovation. Du 30 mai au 8 septembre 2008, durant la
période trouble qui a précédé la rénovation,
est organisée,
5
au musée de l'Homme, une exposition consacrée
à Germaine Tillion, intitulée « Germaine Tillion, Ethnologue
et résistante » et dans laquelle sont présentés des
éléments de la vie de l'ethnologue (ses missions ethnographiques
en Algérie, son engagement dans la Résistance, son militantisme
contre la guerre d'Algérie, son étude militante de la condition
des femmes en méditerranée, etc.).
L'organisation de cette exposition indique assez clairement
que l'institution jetait alors un regard construit et volontaire sur son
passé, l'incluant même dans ses entreprises muséographiques
(bien qu'éphémères).
La tentation d'ériger la mémoire en enjeu, en
particulier lorsqu'il s'agit d'évènements liés à la
seconde guerre mondiale, est en grande partie liée à celle
d'associer la mémoire à la construction de l'identité. Au
risque de tomber dans des « explications circulaires »1,
c'est ce regard porté sur son passé et ce qu'il reflète
dans l'espace muséal, qui forge l'identité de l'institution comme
légitime dans une description large de l'humain et c'est effectivement
cette même identité qui lui donne les moyens de mettre en
scène cette mémoire. En effet, lorsque l'on parle de
mémoire, c'est bien en transparence la question des identités qui
est posée.
La notion de mémoire, aussi
polysémique2 soit elle, est ici invoquée en tant que
trace du passé, en ce sens que tout ce qui est affiché comme
rappelant de quelque manière que ce soit la résistance est
à mettre en relation avec une certaine mémoire de la
résistance.
Il pourrait s'agir aussi bien d'élément
strictement muséaux tels que des objets des collections, que
d'éléments extra muséaux (extérieurs aux
collections mais présents dans l'espace physique du musée) tels
que les tableaux historiques, les plaques commémoratives ou les noms
attribués aux salles du musée.
Ces éléments n'étant pas des traces
directes laissées par l'évènement historique mais des
traces créées en référence à cet
évènement historique, il est possible de parler de traces
choisies, comme révélateurs d'une possible intentionnalité
dans la mémoire.
S'intéresser à ce qui dans la mise en
scène muséale relève de la mémoire de la
résistance contribue ainsi à qualifier et mesurer ce degré
d'intentionnalité.
Cependant la mise en récit de la résistance au
musée de l'homme, bien que non centrale dans le récit
muséal, permet-elle de parler de lieu de mémoire ? Alors,
même que l'acceptation de
1 LAVABRE Marie-Claire, « Paradigmes de la
mémoire », Transcontinentales, , 2007, pp.139-147
2 Ibid.
6
cette expression apparait comme assurément
galvaudée, emmenée sur des terrains différents de ceux
initiaux, elle reste néanmoins utile pour saisir une certaine
réalité des enjeux liés à la mémoire au
musée de l'Homme.
En effet, la perception institutionnelle d'un musée en
lieu de mémoire reste « indispensable pour éclairer les
choix des concepteurs et gestionnaires, aussi bien quant aux contenus que quant
aux moyens mis en oeuvre pour les communiquer 1».
Initiée dans une toute autre acceptation par Pierre
Nora, qui dans une entreprise explicitement «
contre-commémorati(ve)2 » (bien qu'ambigüe de par
une certaine glorification du grand roman national français) , les lieux
de mémoires désigneraient les « lieux au sens
précis du terme, où une société quelle qu'elle soit
nation, famille, ethnie, parti, consigne volontairement ses souvenirs ou les
retrouve comme une partie nécessaire de sa personnalité : lieux
topographiques, comme les archives, les bibliothèques et les
musées, lieux monumentaux, comme les cimetières ou les
architectures, lieux symboliques comme les commémorations, les
pèlerinages, les anniversaires ou les emblèmes, lieux
fonctionnels comme les manuels, les autobiographies ou les associations : ces
mémoriaux ont leur histoire3 ».
Bien qu'il soit précisé que les lieux sont
utilisés « au sens précis du terme », il faut
entendre lieu à la fois au sens le plus concret et au sens le plus
élaboré du terme, aussi bien des lieux matériels que des
lieux immatériels. Cette volonté d'élargir la notion de
lieu aux lieux non physiques trouve son origine dans la nécessité
de ne pas se limiter à des lieux de mémoire « dont on se
souvient » mais de s'intéresser aussi à ceux «
où la mémoire travaille4».
La démarche de Pierre Nora oscille entre ambition de
réforme d'ordre épistémologique et injonction sociale
d'éclaircissement du rapport à la nation et à
l'identité (nationale), bien que les deux soient extrêmement
liées : il montre ainsi la « circularité5»
bien longtemps entretenue entre histoire, mémoire et nation, et par
là même, la circularité entre histoire, mémoire et
identité.
1 HEIMBERG Charles, « Musées, histoire
et mémoires », Le cartable de Clio. Revue suisse sur les
didactiques de l'histoire, n°11, 2011, 304 p., Lausanne, Éditions
Antipodes
2 LAVABRE Marie-Claire, « Paradigmes de la
mémoire », Transcontinentales, , 2007, pp.139-147
3 NORA Pierre, « Mémoire collective
» in La nouvelle histoire, Le Goff 1. (dir.), Paris, Retz-CPL,
1978, pp.398 - 401
4 LEPELTIER Thomas, Compte rendu des lieux de
mémoire de Pierre Nora , Sciences Humaines, Hors-série 42, «
La bibliothèque idéale des sciences humaines », 2003.
5 NORA Pierre, « Mémoire collective
» in La nouvelle histoire, Le Goff 1. (dir.), Paris, Retz-CPL, 1978,
pp.398 - 401
7
Dans cette acceptation poussée jusques aux espaces
symboliques de ce que pourrait être un lieu de mémoire, le
musée de l'homme est un lieu de mémoire, terme emprunté
dans son appréciation non métaphorique, tant dans l'espace
muséal physique proprement dit que dans ce qu'il convoque comme ambition
philanthropique, scientifique et historique. Les « traces » de la
résistance ne sont pas seulement des traces physiques dans
l'archéologie du lieu, mais aussi et surtout, des traces dans ce que
l'institution diffuse (ou s'affiche comme diffusant) comme idées
humanistes et antiracistes, et dans ce qu'elle ne diffuse pas telles que les
pages sombres de son histoire.
L'histoire factuelle de la Résistance au musée
de l'Homme, aussi importante à rappeler soit-elle, ne doit pas
éclipser qu'il a été entrepris ici d'analyser «
des lieux et non des récits, des traces et non plus un mouvement
dont l'historien serait partie prenante1 ». L'exactitude
des faits historiques liés à la Résistance est
nécessaire à prendre en compte afin de voir en miroir (bien
souvent déformant) ce qu'il en reste, ce qu'il en est fait puisqu'il
parait difficile d'étudier les traces du passé sans connaitre ce
qui a été historiquement établi de ce passé.
L'établissement de ces faits historiques ne
soulève pas de difficulté particulière, cette
période de l'histoire étant, bien que foyer de quelques
controverses historiographiques concernant des points précis,
fréquemment l'objet d'innombrables recherches historiques. Ces
recherches se nourrissent des facilités contextuelles qui leur sont
offertes : l'époque n'est pas si lointaine ce qui facilite le
recueillement de témoignages et la réelle volonté
après la guerre d'entreprendre un travail de collecte des preuves
(orales ou matérielles) est indéniable, et ce même si l'une
des volontés sous-jacentes est de créer un certain mythe de la
France résistante.
Les traces du passé répondent à une
double dimension, presque intrinsèquement contradictoire, bien que
complémentaire. Tout d'abord, l'évidence historique de
l'évènement fondateur apparait comme incontournable car
indélébile, et obéit à la « logique de
l'archéologie dans laquelle l'accent est mis sur les effets du
passé dans le présent2 ». Puis son
évocation (délibérément) partielle constitue une
sorte de bricolage avec ce passé et obéit lui à «
une logique de la téléologie dans laquelle le futur et le
présent donnent visage et sens au passé3 ».
Il s'agit clairement de ce second pan des traces du passé qui est
analysable puisqu'aisément constituable en enjeu.
1 NORA Pierre, Les lieux de mémoire,
T1 « La Nation », Gallimard, Paris 1978.Pas la bonne
référence)
2 LAVABRE Marie-Claire, « Du poids et du choix
du passé : lecture critique du Syndrome de Vichy », Histoire
politique et sciences sociales, Complexe, pp.265-278, 1991
3 Ibid.
8
De ce fait, la manière dont la mémoire de la
Résistance s'inscrit dans ce lieu va déterminer les enjeux qui se
construisent derrière ces traces choisies. En effet, si toute
mémoire, prise dans sa dimension de « choix du passé
1», implique des enjeux, ces enjeux sont bien souvent
l'instrument de luttes politiques (au sens large). Il apparait que toute
autorité politique, institution ou groupe va tenter de faire main basse
sur l'apport mémoriel en termes de légitimité,
déculpabilisation ou en termes d'influence réelle ou
supposée sur l'identité.
Aussi, la mémoire de la Résistance au
musée de l'Homme peut simplement s'inscrire dans un mouvement
mémoriel officiel d'initiative politique correspondant à
l'injonction relativement récente et stérile de « devoir de
mémoire », comme prescription contre naturelle par essence à
la mémoire qui se constitue comme échappant à un
quelconque contrôle rationnel.
Ainsi formulé, ce « devoir de mémoire
» est mêlé à une forme d'automatisme mémoriel
qui pousse à signaler d'une manière presque machinale tous les
théâtres de la seconde guerre mondiale et en particulier ceux de
la résistance. L'instrumentalisation n'est alors plus aux mains de
l'institution mais elle est déplacée au champ politique qui peut
en faire à son tour un objet de légitimation par un rappel du
rôle de la Résistance dans la construction de l'identité et
en posant le pouvoir politique comme garant de ce rôle.
De ce fait, la récente entrée au Panthéon
de l'ethnologue Germaine Tillion, en même temps que trois autres
personnages historiques, illustre ce glissement et invite à
considérer la mémoire résistante au musée de
l'Homme dans une politique mémorielle plus large, signalant par
là une forme de circulation de la mémoire entre les divers champs
(muséal et politique essentiellement).
La mise en récit muséale de la Résistance
au musée de l'Homme peut également, d'une certaine
manière, être abordée en tant que possible objet de
déculpabilisation au regard du passé racialiste de l'institution.
Rappeler les faits de résistance serait dans cette perspective un moyen
d'éclipser les dérives de l'anthropologie physique, dont les
défenseurs animaient la direction raciste prise par
l'institution avant la lente réforme entreprise, entre grande partie,
par Paul Rivet.
Cette même mise en scène peut également
être envisagée comme objet de légitimation d'un discours
humaniste qui peine parfois à être construit en raison de
l'ethnologie encore perçue comme une science coloniale. La
mémoire de la résistance s'inscrit dans cette ambition
1 Ibid.
9
largement affichée d'élaborer une sorte de grand
roman de l'humanité au sens large, louant son unité dans l'espace
et dans le temps1, l'égalité entre les hommes
et la participation pédagogique à la construction d'un avenir
bienveillant pour cette humanité.
La référence aux faits de Résistance qui
se sont produits dans le musée viendrait assoir cette ambition comme
étant partie intégrante de l'identité de l'institution.
Une certaine entreprise de mythification ou d'héroïsation de
l'action des pères fondateurs dans le groupe de résistants
correspond au même type de mécanismes que cette ambition anime.
Ces deux dernières hypothèses laissent penser
à la primauté d'une entreprise mémorielle destinée
à laver non seulement le musée de l'Homme mais aussi l'ethnologie
portée par cette même institution des dérives initiales de
l'anthropologie.
Dans une perspective plus large que celle de l'espace physique
muséal, la manière dont la résistance est mise en
récit depuis la récente rénovation interroge sa
manière de se positionner au sein du champ mémoriel concernant la
Résistance.
En effet, dans le cas du musée de l'Homme, ce qui se
trouve être problématique c'est de percevoir la manière
dont la résistance est mise en scène alors même que l'objet
initial du musée diffère complètement, dans ses
collections (du moins à prime abord) de cette ambition de provoquer le
souvenir de cette période de l'Histoire.
D'autres institutions muséales paraissent plus aptes
à construire une mise en récit perçue, dans le rôle
qui leur est socialement imputé, comme plus légitime, tel que,
par exemple, le musée de la Résistance. Les mécanismes qui
régissent d'une certaine manière cette « division » de
la mémoire répondent à des mouvements particuliers et il
s'agit d'en déceler ou d'en déconstruire les rouages.
Mise en scène et mise en récit de la
résistance : sans pour autant créer une réelle distinction
clivante entre ces expressions, il est quelque peu nécessaire d'en
souligner les nuances. Les deux formules presque équivalentes sont ici
utilisées pour faire référence à la mémoire
de la résistance au musée de l'Homme et la manière dont on
la donne à percevoir dans l'espace muséal. Mais la mise en
récit suppose que les traces de la résistance élaborent
presque d'elles-mêmes une forme de narration de l'histoire de la
résistance que l'espace physique du musée donne à lire.
Tandis que la mise en scène invite à penser que l'on ait quasi
délibérément
1 « L'humanité est un tout indivisible non
seulement dans l'espace mais aussi dans le temps » : citation
communément prêtée à Paul Rivet dans un discours de
1948.
10
rassemblé ces traces pour en faire une
représentation de la même histoire, représentation dont le
caractère subjectif parait un peu plus assumé.
L'ensemble des aspects évoqués illustrent la
manière dont la mémoire de la résistance est
constituée (ou pas) en enjeu aussi bien dans le processus
muséographique que dans les différents champs dont les acteurs
entendent faire écho de cette histoire du cercle résistant du
musée de l'Homme.
Ainsi, si la plupart des interrogations soulevées ont
trait à la diffusion d'un idéal humaniste et philanthropique,
loin d'avoir été historiquement toujours diffusé par
l'institution muséale, la question principale reste
intrinsèquement liée au lien avec la discipline anthropologique
et de sa quasi mutation en ethnologie :
La référence à la
résistance au musée de l'Homme sert-elle seulement à laver
le péché originel de l'anthropologie ?
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