Slow media : émergence d'un journalisme narratif sur le web.( Télécharger le fichier original )par Elena JOSET Université Sciences Humaines et Arts Poitiers - Master Information-Communication, Web éditorial 2016 |
Première partieLe journalisme narratif du XIXe siècle à aujourd'hui : le récit au service d'un journalisme de temps longDésigné par les termes « New journalism », « New New journalism », « narrative journalism » ou encore « non-fiction creative », le journalisme narratif est souvent présenté comme une « révolution » ou du moins, comme un genre novateur. En effet, il laisse une place assumée à la subjectivité de l'auteur et s'appuie sciemment sur les techniques d'écriture de la fiction pour faire ressentir les événements au lecteur. Considéré comme l'héritier du journalisme littéraire américain que les spécialistes John Hartsock et Norman Sims identifient comme émergeant à la fin du XIX? siècle17, le journalisme narratif ne serait finalement ni un genre récent ni un modèle qui se serait complètement éteint. Pour Isabelle Meuret, « le journalisme narratif ne disparaît pas, mais il évolue18.» Dans cette première partie, nous nous pencherons sur les origines du journalisme narratif qui a connu ses heures de gloire en France à la fin du XIXe siècle et durant l'entre-deux guerre, mais qui représente dans l'espace anglo-saxon, une longue tradition journalistique. Puis, nous tenterons, en nous appuyant sur les définitions issues d'une pluralité de domaines de recherche de définir ce qu'est le journalisme narratif, du moins, d'en tracer les caractéristiques qui lui sont propres. Enfin, nous nous interrogerons sur les raisons du regain d'intérêt pour le journalisme narratif à l'heure de la surabondance de l'information, en croisant ce genre journalistique particulier avec le concept de Slow media dont le manifeste a été rédigé en 2010. 17 MEURET, Isabelle. Petite histoire du format long. InaGlobal.fr [En ligne]. 20 novembre 2013. [Consulté le 12/10/2015]. Disponible à l'adresse : http://www.inaglobal.fr/presse/article/petite-histoire-du-format-long/ 18 Ibid. 11 1.1- Entre tradition du journalisme littéraire américain et grand reportage à la française1.1.1- Terminologie : journalisme littéraire et journalisme narratifLe journalisme littéraire est désigné dans l'espace anglophone par de nombreux termes tels que narrative journalism, literay journalism, literary non-fiction, creative non-fiction, pour ne citer que les plus courants19. Fondateur de l'International Association for Literary Journalism en 2006, John Bak précise que toutes ces appellations convergent vers l'idée commune d'une écriture fidèle au réel avec pour vocation d'informer par le biais d'un contenu à caractère esthétique20. Par ailleurs, en créant cette association internationale dédiée au journalisme littéraire, John Bak envisage celui-ci comme une discipline à part entière. Son ambition est de stimuler la recherche, d'observer les pratiques et traditions d'autres aires culturelles afin de donner à la discipline toute sa légitimité21. Nous nous inscrirons dans cette démarche et parlerons de « journalisme littéraire » pour parler de ce genre journalistique dans l'espace anglophone puisqu'il renvoie directement à la traduction de l'expression « literary journalism ». Cependant, nous parlerons de « journalisme narratif » pour désigner cette pratique dans l'espace francophone. Ce terme est employé communément par les chercheurs et professionnels français dans la mesure où journalisme et littérature sont deux disciplines qui persistent à s'opposer pour des questions de méthodologie22. En effet, alors que le journalisme littéraire constitue une discipline à part entière dans l'espace anglo-saxon, Isabelle Meuret rappelle qu'en France, la question est de savoir si le journalisme narratif doit être analysé dans le champ des langues et des lettres ou bien dans les filières en journalisme. Dans la même logique que John Bak et Norman Sims, Meuret estime que les textes journalistiques littéraires s'inscrivent dans les deux domaines : il s'agit de croiser regards journalistiques et littéraires pour proposer une méthodologie propre au journalisme narratif, envisagé alors, comme une discipline. En effet, ces productions journalistiques constituent non seulement un objet d'étude en matière d'écriture littéraire, mais invitent également à l'analyse des contextes sociaux, politiques, et culturels dans lesquels elles s'inscrivent. Nous nous positionnerons dans la lignée de Marie Vanoost, chercheure en langage et communication, qui justifie l'emploi du terme « journalisme narratif » de la manière suivante : « journalisme » signifie qu'il s'agit de se concentrer sur des textes qui revendiquent un caractère informatif et qui trouvent leur place au sein de médias d'information ; « narratif » est « le qualificatif employé par les acteurs eux-mêmes [...] et possède le meilleur capital descriptif par rapport au phénomène étudié, sans porter de charge symbolique trop marquée - il ne présente pas le caractère 19 BAK, John, REYNOLDS Bill (dir.). Literary Journalism Across The Globe : Journalistic Traditions and Transnational Influences. Boston and Amherst, University of Massachusetts Press, 2011. 20 Ibid. 21 MEURET, Isabelle. Op.cit. 22 MEURET, Isabelle. Op.cit. 12 présomptueux, ou du moins potentiellement polémique de l'adjectif littéraire23 ». Enfin, Marie Vanoost ajoute que le terme « narratif » est bienvenu « puisque la non-fiction créative consiste en un art de raconter (storytelling) de tout premier ordre24 ». Dans les deux cas, journalisme littéraire et journalisme narratif désignent bien une écriture dont l'ambition est de raconter des histoires fondées sur des faits réels tout en mobilisant les techniques d'écriture littéraire empruntées à la fiction. |
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