Slow media : émergence d'un journalisme narratif sur le web.( Télécharger le fichier original )par Elena JOSET Université Sciences Humaines et Arts Poitiers - Master Information-Communication, Web éditorial 2016 |
2.3.3- Analyse de la narration? Mode narratif : identification de la distance et de la fonction du narrateur Dans les deux reportages observés, le narrateur utilise un discours rapporté, c'est-à-dire que les paroles sont citées littéralement et sans subir de modifications. Les signes typographiques (deux points, guillemets) ainsi que les verbes introducteurs indiquent que les narrateurs de chacun des reportages utilisent un discours direct. À titre d'exemple, lorsque la reporter du Quatre Heures interroge Naïma au sujet de ses projets professionnels, la narratrice rapporte le discours de l'élève ainsi : « Sur sa fiche de voeux, Naïma a coché «section professionnelle». «La générale, c'est trop dur. Ils vont me manger, là-bas», résume-t-elle tout sourire. Douée en espagnol, elle espère travailler dans le tourisme «pour aller visiter ailleurs». Ses autres options ? «En deuxième choix, j'ai demandé bac pro hôtesse d'accueil et en troisième, bac pro social». » ( https://lequatreheures.com/episodes/sur-les-bancs-des-quartiers-nord-marseille/, consulté le 02/05/2016) On remarque que le discours direct et davantage utilisé au sein du reportage du Quatre Heures que dans celui des Jours. Selon la typologie des discours de Genette, la narratrice des Jours alterne discours rapporté et discours transposé de style indirect libre. Autrement dit, les paroles des personnages sont rapportées sans conjonction de subordination. Par exemple, la reporter retranscrit l'avertissement du professeur principal à ses élèves de la manière suivante : « Lors de la remise des bulletins mardi, Antoine Labaere n'a cessé de répéter la même chose aux élèves et à leurs parents : entre la classe de troisième et celle de seconde, les élèves d'Aimé-Césaire perdent environ 3 à 4 points de moyenne générale. «Un élève qui a 10 de moyenne en troisième va se noyer en seconde.» [...] Les élèves hochent la tête en entendant 46 l'avertissement maintes fois répété ». ( http://lesjours.fr/obsessions/les-annees- college/ep16-parents-prof/, consulté le 02/05/2016) Par ailleurs, la fonction du narrateur dans les deux reportages est testimoniale dans la mesure où le reporter « atteste la vérité de son histoire, le degré de précision de sa narration, sa certitude vis-à-vis des événements et de ses sources d'informations172 ». Cependant, l'apport d'un discours didactique de la part des reporters relève d'une fonction idéologique. On note que la narratrice des Jours interrompt à plusieurs reprises son récit pour apporter des informations qui vont au-delà de l'histoire racontée. Par exemple, alors qu'elle rapporte les propos de la mère de Matéa lors de la remise de son bulletin, la narratrice ajoute une information qui vient connecter le discours de la mère à l'actualité : « Finalement, elle conclut : «Ça ne va pas le système français, c'est trop tôt pour eux pour choisir.» En janvier, la ministre de l'Éducation Najat Vallaud-Belkacem avait annoncé qu'à partir de la rentrée 2016, les élèves orientés en filières professionnelles auraient jusqu'à la Toussaint pour changer d'orientation si cela ne leur plaisait pas. Outre la difficulté de mise en place d'un tel système, l'information n'est pas vraiment redescendue sur le terrain et les collégiens l'ignorent. » ( http://lesjours.fr/obsessions/les-annees-college/ep16-parents-prof/, consulté le 02/05/2016) ? Instance narrative : identification du niveau diégétique, de la focalisation et des temps de la narration Excepté lorsque les narratrices apportent un discours didactique au sein de leur récit respectif, le niveau de diégèse des deux reportages est intradiégétique dans la mesure où les reporters font partie de l'histoire qu'elles racontent et sont de « plain-pied » avec les personnages. La voix des narratrices est quant à elle homodiégétique au sens proposé par Genette : le narrateur est présent comme personnage dans l'histoire qu'il raconte. Mais les narratrices ne sont pas pour autant autodiégétiques dans la mesure où elles n'agissent pas comme les héros de l'histoire. L'identification de la focalisation des narratrices est complexe. En effet, celle-ci tend à se situer entre une focalisation interne et externe. Interne, car les événements des deux histoires sont présentés à travers le regard des journalistes. Le lecteur est donc incité à comprendre les événements à travers la vision des narratrices. Toutefois, les reporters ne peuvent pas connaître les sentiments des personnages puisqu'elles tiennent un rôle d'observatrices et agissent comme l'oeil d'une caméra. Cette focalisation externe pousse le lecteur à imaginer, à partir des éléments fournis par les narratrices, les sentiments et pensées des personnages. À titre d'exemple de focalisation interne, on peut citer les propos de la journaliste des Jours au sujet de la liste des CAP proposés aux élèves : « Il y a les classiques : boucher-charcutier-traiteur, commerce, cuisine ou travaux publics. D'autres, plutôt pointus : prothèse dentaire, perruquier-posticheur, facteur d'orgues ou technicien en expérimentation animale. Mais la plupart sont surtout totalement 172 GUILLEMETTE, Lucie. LEVESQUE, Cynthia. La narratologie. Signo [En ligne]. 2006. [Consulté le 02/05/2016]. Disponible à l'adresse http://www.signosemio.com/genette/narratologie.asp. 47 incompréhensibles : laboratoire contrôle qualité, métallerie, productions aquacoles, technicien d'usinage, pilote de ligne de production... » ( http://lesjours.fr/obsessions/les-annees-college/ep16-parents-prof/, consulté le 02/05/2016) En ce qui concerne les temps de la narration, on remarque que le reportage du Quatre Heures s'appuie en grande majorité sur une narration simultanée dans la mesure où le narrateur raconte l'histoire au moment où elle se produit. Le présent de l'indicatif est principalement utilisé. Le passé composé est uniquement employé lorsque la narratrice rapporte des histoires passées racontées par des personnages. On peut d'ailleurs parler de « récits emboîtés ». La narratrice des Jours, quant à elle, varie les temps de la narration puisqu'elle raconte des événements qui se sont déjà déroulés, notamment le conseil de classe. La narration est donc antérieure et la journaliste emploie le passé composé. Ce désordre chronologique, que Genette désigne par anachronie, s'appuie sur l'analepse, dans la mesure où la narratrice raconte après-coup, un événement survenu antérieurement. Cependant, Alice Géraud utilise également la narration simultanée lorsqu'elle raconte la remise des bulletins du second trimestre à laquelle elle semble assister. En alternant ainsi narration antérieure et simultanée, la reporter s'appuie sur une narration dite intercalée. Enfin, la journaliste utilise une narration ultérieure en s'appuyant sur la prolepse lorsqu'elle anticipe des événements. Par exemple, lorsqu'elle raconte les inquiétudes des professeurs à l'égard des élèves dont les résultats sont insuffisants, la narratrice anticipe l'avenir de certains élèves : « L'an prochain, ces élèves ne seront plus en classe avec leurs copains d'enfance et d'adolescence. Ils seront parfois envoyés loin de chez eux. Mais, surtout, ils auront 16 ans et cette scolarité à laquelle ils ne sont pas très attachés ne sera plus obligatoire. Le fil, déjà fragile, a de fortes chances de rompre. » ( http://lesjours.fr/obsessions/les-annees-college/ep16-parents-prof/, consulté le 02/05/2016) ? Identification du rythme du récit à travers la vitesse narrative On peut remarquer que les deux narratrices procèdent à des accélérations ou ralentissements de la narration vis-à-vis des événements qu'elles racontent. Par exemple, lorsque Marine Courtade raconte ce qui se déroule dans la cour de récréation, sa narration s'appuie sur une pause, dans la mesure où la journaliste décrit ce qu'elle perçoit dans cet espace : « La récréation, un brouhaha continu de dix minutes où se mêlent rires, cris, voix graves, aiguës ou stridentes, rappels à l'ordre, bruits de sacs et de pas. Des groupes se forment de part et d'autre. Ça discute, ça glousse, ça se jauge et ça se drague. Tout ce petit monde s'agite sous l'oeil tantôt amusé, tantôt excédé des Assistants d'éducation (AED), les surveillants. [...] Adossée contre un mur, seule, Naïma, élève en troisième. La tête haute et la mine renfrognée, elle observe les cancanages et chamailleries des uns et des autres. » ( https://lequatreheures.com/episodes/sur-les-bancs-des-quartiers-nord-marseille/, consulté le 02/05/2016) Alice Géraud alterne de la même manière pauses et accélérations dans le reportage des Jours. À titre d'exemple, lorsqu'elle évoque une rencontre d'anciens collégiens avec les élèves de la 3B du collège Aimé Césaire, la narratrice réalise un sommaire, c'est-à-dire un résumé de l'histoire événementielle : 48 « Hier, lors d'une rencontre organisée au collège avec d'anciens élèves d'Aimé-Césaire, ils ont pu vérifier l'avertissement professoral. Ils les ont interrogés sur les changements de niveau entre collège et lycée. «En seconde générale, il y en a qui passe de 16 à 10. En pro, c'est le contraire», résume une élève de 3e B. » ( http://lesjours.fr/obsessions/les-annees-college/ep16-parents-prof/, consulté le 02/05/2016) |
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