Chapitre premier :
L'INFLUENCE DE LA
LIBYE AU SEIN DE LA
CEN-SAD
Réalisé par Olognidé Ronic Enoch
AKPONIKPE
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Impact de la crise libyenne sur la Communauté des
Etats Sahélo-Sahariens (CEN-SAD)
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La Libye, sous l'impulsion de son leader, s'est fortement
impliquée dans la naissance et le fonctionnement de la CEN-SAD, que
d'aucuns appellent le « bébé » de Kadhafi, comme ce fut
le cas dans toutes les autres organisations dont elle est membre. Ainsi, de
l'Union du Maghreb Arabe (UMA) à la CEN-SAD, la Libye a
été un chantre de l'Intégration Africaine et c'est ce qui
lui accorde autant d'influence au sein de la CEN-SAD.
Nous nous attacherons dans le présent chapitre à
exposer dans un premier temps un aperçu de l'emprise libyenne sur la
CEN-SAD (section 1) et dans un second temps à dégager les
composantes de la déstabilisation de la CEN-SAD à la suite de la
crise libyenne qui a emporté l'initiateur et le promoteur de cette
dernière, le colonel Kadhafi (section 2).
Section I : L'emprise libyenne sur la CEN-SAD
La participation active de la Libye à la vie des
organisations d'intégration africaine et l'implication personnelle du
Président Kadhafi dans la création de la CEN-SAD à travers
sa vision et ses nombreuses contributions lui ont permis d'asseoir son emprise
sur ladite communauté. En cela, la Libye jouit d'une position
diplomatique et financière dominante au sein de la CEN-SAD et par
ricochet étale son autorité et sa suprématie de sorte
à transformer la communauté en un point d'appui pour
l'affirmation de son influence dans la partie subsaharienne du continent et
même au-delà.
L'objectif de notre premier paragraphe est de présenter
l'autorité libyenne dans la création de la CEN-SAD d'une part
puis de mettre l'accent sur la manifestation de cette autorité libyenne
dans l'univers institutionnel et structurel de la CEN-SAD d'autre part. Nous
évoquerons dans un second paragraphe le pouvoir financier libyen dans la
CEN-SAD afin de mieux apprécier le poids et la place de la Libye au sein
de la communauté avant le déclenchement de la crise libyenne en
février 2011.
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Paragraphe 1 : L'influence libyenne dans la création
de la CEN-SAD
La présence et les actions de la Libye dans la
création, la survie et le fonctionnement des organisations
d'intégration africaine et les idéaux défendus par le
colonel Kadhafi ont permis à la Libye d'acquérir une grande
autorité dans la CEN-SAD dès sa création. Cette
autorité sera appréhendée tant dans la genèse de la
CEN-SAD (A) qu'à travers son univers institutionnel et structurel
(B).
A. La genèse de la CEN-SAD et les raisons
réelles de sa création
La création de la CEN-SAD n'est rien d'autre que la
concrétisation de l'idée algérienne de créer une
organisation comprenant l'ensemble des Etats riverains du Sahara. Cependant,
dans la reprise de cette idée par le colonel Kadhafi, celui-ci a omis
d'associer l'Algérie. Cette omission de l'Algérie peut être
perçue comme l'expression même d'une quête de leadership
écartant ou prévenant toute velléité
concurrentielle. Le fait pour le colonel Kadhafi de ne pas associer
l'Algérie constitue déjà une démonstration de son
autorité sur les autres Etats signataires du traité de
Tripoli.
Une autre preuve de cette autorité réside dans
les raisons inavouées de la création de la CEN-SAD sous la
houlette de Kadhafi. En effet, la création de la CEN-SAD est un moyen
pour la Libye d'asseoir une autorité sur l'espace subsaharien du
continent. C'est donc pour un meilleur positionnement de la diplomatie
prééminente de la Libye en Afrique que la CEN-SAD a
été créée. Le professeur Frédéric
Joël AIVO ajoute que : « c'est cette posture quasi messianique du
président Kadhafi qui permet d'expliquer le choix de la Libye d'affirmer
son leadership en Afrique et dans le monde au moyen d'une
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organisation aussi ouverte, aussi large et aussi
représentative du continent que l'Union Africaine ».
Dans la quête d'un tel positionnement de sa diplomatie,
la Libye foulera à ses pieds les textes et les idéaux qui sont
à la base de la création de la communauté. C'est le cas de
la liberté de circulation des personnes, des capitaux et des
intérêts des ressortissants des Etats membres. C'est surtout le
cas de la liberté de séjour, de propriété et
d'exercice d'activités économiques des citoyens des pays membres
de la communauté. Mais la plus grande violation des textes, même
si elle profite à certains Etats dont le Bénin, est relative
à l'élargissement concurrentiel de l'espace communautaire en
principe exclusiviste et fermé au gré du Président
Kadhafi.
Cependant, analysée au-delà du métissage
qui caractérise sa composition, la CEN-SAD est, en
réalité, génétiquement une organisation exclusive
et fermée. En principe, son adhésion devrait être
réservée seulement aux États ayant en partage le Sahel et
le Sahara. Dans ces conditions, on imagine mal comment, et sans
difficultés, elle serait ouverte, en qualité d'États
membres, aux pays insulaires ou encore à ceux implantés à
proximité de la forêt équatoriale. Ainsi, comme l'indique
sa dénomination, la Communauté des États
sahélo-sahariens ne peut être une organisation continentale. Elle
ne peut non plus être, stricto sensu, une organisation sous
régionale au sens des communautés et unions chargées de
conduire, selon la formule du professeur Mahiou, « les intégrations
régionales préalables »6. Il est alors tout
indiqué de faire observer qu'« il n'est pas rationnel de mettre les
divers regroupements régionaux sur le même pied
d'égalité »7, car tout en étant une
organisation du générique « sous régional », la
CEN-SAD n'est pourtant structurellement pas du même type que les autres
entités sous régionales, a fortiori l'Union
6Lire l'analyse du professeur Mahiou consacrée
aux logiques et dynamiques d'intégration régionale en Afrique
à travers notamment l'action de la Communauté économique
africaine (op. cit., pp. 798-819). 7 In LA
COMMUNAUTE DES ETATS SAHELO SAHARIENS (CEN-SAD) : ACTEUR COMPLEMENTAIRE OU
CONCURRENTIEL DE L'UNION AFRICAINE ? Frédéric Joèl AIVO.
Annuaire française de droit international. LV-2009-CNRS éditions,
Paris. P 474.
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africaine. Plutôt subrégionale, elle est une
organisation qui a donc vocation à n'accueillir et ne
fédérer que quelques États du continent, sans doute
provenant d'aires géographiques et de sous-régions diverses, mais
essentiellement sahélo-sahariens. La nature « subrégionale
»8 de la CEN-SAD est ainsi théoriquement
conditionnée par sa vocation non continentale et juridiquement
encadrée par son propre acte de naissance. Ce qui n'est pas sans rapport
avec la dynamique formellement complémentaire et non concurrentielle de
son action.
Normalement, à l'instar des organisations sectorielles,
la carte de l'espace communautaire de la CEN-SAD découle de l'adjectif
« sahélo-saharien » contenu dans sa dénomination et
précisé dans le préambule du traité portant
création de la CEN-SAD. Ainsi, l'organisation ne devrait-elle s'ouvrir
en principe qu'aux Etats désignés par la géographie et qui
juridiquement exercent une souveraineté sur une portion de la zone ainsi
désignée. Autrement dit, ne devront être membres de la
CEN-SAD que les Etats établis sur l'aire géographique du Sahel et
du Sahara. Ce principe respecté, on n'aurait pas plus de douze Etats
membres dans cette communauté ; on aurait principalement
l'Algérie, le Burkina Faso, l'Egypte, la Libye, le Mali, le Maroc, la
Mauritanie, le Niger, le Sénégal, le Soudan, le Tchad et la
Tunisie.
C'est donc l'exercice de l'autorité dont jouit la Libye
au sein de la CEN-SAD et la soif d'influence de son ex leader dans sa
perpétuelle quête d'avoir un espace qu'il maîtrise et qu'il
dirige à sa guise qui ont conduit à l'élargissement
anarchique de la communauté et par ricochet de sa zone d'influence. Une
telle autorité et liberté de prendre des actes selon ses humeurs,
son bon vouloir et de faire adhérer qui voulait devenir membre de la
communauté et en formulait la demande, a fini par assimiler la Libye au
seul maître à bord de la communauté.
8 Le professeur Joël AIVO,in «
Communauté des Etats Sahélo-Sahariens (CEN-SAD) : acteur
complémentaire ou concurrentiel de l'Union Africaine ? CNRS
édition, Paris, 2009.
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Enfin, sachant dès la création de la CEN-SAD ce
en quoi lui serait profitable cette organisation qui se veut
intégratrice, la Libye a mis toutes les chances de son côté
en respectant tous les engagements pris dans le cadre du bon fonctionnement de
la communauté. Afin de ne rien avoir à se reprocher ou pour
éviter d'être indexée par les observateurs, elle s'est
empressée de mettre toutes les machines étatiques internes
à contribution. C'est dans ce cadre que, grâce à son
pouvoir législatif interne, la Libye a ratifié presque tous les
accords et conventions de la CEN-SAD comme en témoigne le tableau de
l'état des accords et conventions CEN-SAD au 20 janvier 2010 (voir
annexe III). Mais, comme le souligne le Secrétaire général
de la CEN-SAD, Mohamed AL-MADANI AL-AZHARI, « parmi les textes
adoptés depuis la création de la Communauté, en dehors du
Traité Constitutif, aucun n'est définitivement entré en
vigueur du fait de l'insuffisance du nombre requis de ratifications
»9.
Pour expliciter cette réticence des Etats à
ratifier les textes, une étude menée en 200810 a
révélé que la plupart des Etats membres évoquent
des difficultés internes de ratification. Or, en réalité,
la plupart des Etats ne déclenchent même pas à l'interne la
procédure conduisant à la ratification des accords. Pour
illustration, nous avons le cas du Bénin qui n'a jamais pris un
décret de transmission à l'Assemblée Nationale pour la
demande d'autorisation de ratification des accords signés dans le cadre
de la CEN-SAD.
La Libye étant le seul Etat à avoir
ratifié presque tous les accords, se présente comme un
modèle. Ainsi, forte de cette position, elle exprime son autorité
dans la CEN-SAD, persuadée que nul ne pourra lui reprocher un manquement
à ses devoirs de membre.
L'autorité libyenne au sein de la CEN-SAD ne se
manifeste pas seulement au niveau de son élargissement mais
également à travers l'univers institutionnel et structurel de la
communauté.
9In Rapport annuel d'Activités du
Secrétaire général (juin 2007 - mai 2008) p.70.
10 DONKPEGAN Christel Fourier : « la CEN-SAD en
dix ans d'existence : problèmes et perspectives. »
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