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Le design comme moyen de reconstruction d'une identité territoriale. Cas de la ville de Saint-Etienne.

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par Inès Marandon
Kedge Business School - Master Ecole Supérieur de Commerce 2016
  

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1.3 Le renouvellement urbain par les communautés créatives

1.3.1 Les créateurs, un moteur essentiel des mutations urbaines ?

Il est impensable de parler de régénération urbaine par le design sans évoquer la théorie de Richard Florida sur les « classes créatives »6.

La capacité de développement économique des villes dépend de la place qu'y occupe la «classe créative» : scientifiques, ingénieurs, professeurs d'université, romanciers, artistes, gens du show-business, acteurs, designers, architectes, grands penseurs de la société contemporaine» et professionnels des secteurs «à forte intensité de savoir» (nouvelles technologies, finances, conseil juridique, etc.).

En effet, Richard Florida, dans son ouvrage intitulé « The Rise of the Creative Class », élabore une théorie sur le bien-fondé du renouvellement urbain par les industries créatives, notamment en ce qui concerne l'existence d'une « classe créative ». Cette dernière caractérisée par des ménages issus des classes moyennes et supérieures, serait d'après Florida, un moteur essentiel pour la mutation du système économique local. Cette dernière serait définie par trois T : le talent, la technologie, et la tolérance. D'après lui, cinq critères permettent de définir une ville créative : « indices de haute technologie (pourcentage d'exportation des biens et services liés à la haute technologie), d'innovation (nombre de brevets par habitant), de gays, comme représentatifs de la tolérance (pourcentage de ménages gays), de «bohémiens» (pourcentage d'artistes et de créateurs), et de talent (pourcentage de la population ayant au moins le baccalauréat). »

Pour attirer ces classes créatives, il faudrait par exemple, mettre en place des stratégies d'amélioration de l'offre commerciale et résidentielle, puisque ces classes créatives seraient génératrices d'emploi et de développement de la ville. La ville se réinventerait donc par la sélection de ses habitants.

De façon générale, les villes pionnières de ce concept sont principalement celles qui, historiquement, ont subi le plus durement le déclin du secteur industriel, telles que Saint-Etienne ou Lille.

6 Richard Florida, Cities and the creative class (2005), New York-London, Routledge, 198 p.

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D'après Florida, les travailleurs de cette « classe créative » sont attirés par les lieux créatifs qui sont porteurs d'emploi : pour lui, la créativité est le moteur de la croissance des villes.

Le concept de « ville créative » a également été pensé par Charles Landry (Landry, 2000). Les villes détiennent un fort potentiel de créativité, qu'elles se doivent d'optimiser, et d'après lui, sept groupes de facteurs participent à ce concept : « les créatifs, la qualité des dirigeants, la diversité des talents, l'ouverture d'esprit, l'intensité de l'identité locale, la qualité des installations urbaines et les possibilités de mise en réseau. » En quelques mots, la ville créative est, selon Charles Landry, un modèle de développement territorial, une sorte de label visant à attirer les investisseurs.

Cette théorie a été l'objet de nombreuses recherches, notamment concernant ses limites et son développement7. Elle a notamment été pensée par le sociologue Alain Bourdin autour de sa réalité (Bourdin, 2005). D'après lui, Richard Florida commet trois erreurs dans son ouvrage : - L'utilisation de données biaisées (analyse de villes centres pour des régions métropolitaines), imprécises (champ des professions de cette classe créative trop large) et peu discriminantes (« les différences entre les villes sont très souvent sans signification statistique » 8 ). Les indices seraient même « bidons » d'après Marc Levine.

- L'association de cette classe créative au développement économique : « d'après les critiques, l'auteur ne prouve rien » affirme Alain Bourdin.

- L'utilisation du terme classe serait également une faute. « D'après lui, cette classe créative » serait un groupe d'individus n'ayant rien en commun mise à part les modes de consommations, mais « rien ne prouve qu'elle ait une chance quelconque d'exister comme acteur collectif ».

7 Chantelot Sébastien, « La thèse de la « classe créative » : entre limites et développements. », Géographie, économie, société 4/2009 (Vol. 11) , p. 315-334

8 Elsa Vivant. La classe créative existe-t-elle ? Discussion des thèses de Richard Florida. Les Annales de la Recherche Urbaine, Plan Urbanisme - Construction - Architecture, 2006, pp.155-161.

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Mise à part le désaccord d'Alain Bourdin avec le fait que cette classe créative serait un facteur de développement économique, ce débat sur la « classe créative » a selon lui, permis d'introduire de bonnes questions. Qui peut conduire le changement urbain et faire changer les villes ? D'après Alain Bourdin, « l'idée d'une interaction entre des acteurs de l'économie, de l'activité intellectuelle et de la création culturelle est au moins digne d'intérêt. ».

L'avis de Jean-Jacques Terrin rejoint la théorie de Richard Florida. Monsieur Terrin s'est également interrogé sur la place des créateurs dans la ville contemporaine. D'après lui, il est évident que « les créateurs contribuent à l'évolution des modes de vie en proposant de nouveaux usages de l'espace qui affectent la sociabilité, les services, les modes de travailler, d'habiter, de se déplacer et se divertir », mais il faut se poser des questions concernant leur rôle alternatif, et l'influence des créateurs : il a tenté de répondre aux questions suivantes :

Comment y vivent-ils ? Dans quelles conditions ? Quelles formes d'habiter, quels nouveaux usages introduisent-ils ? Dans quels lieux ? Quels rôles jouent-ils dans la vie de la cité ? Comment influencent-ils la fabrique de la ville, du territoire ? Comment contribuent-ils à façonner une industrie créative ?

Il existerait trois rôles importants des créateurs dans les villes : les créateurs habitants, les créateurs inventeurs et les créateurs acteurs (Terrin, 2012).

- Les communautés créatives sont nécessaires pour revaloriser les espaces marginaux ou délaissés (comme les friches industrielles), d'où l'importance d'une ville accueillante pour ces communautés. En effet, la présence de créateurs habitants s'affirme souvent comme « levier de développement d'un point de vue culturel, social et économique contribuant à transformer le territoire et son identité ». Les initiatives de créateurs induisant la production et la diffusion de manifestations culturelles (comme les spectacles, festivals ou expositions) sont génératrices de dynamiques urbaines, qui ont des effets positifs : elles rendent la ville plus attractive pour les habitants, les visiteurs et les acteurs économiques, politiques et culturels.

Les créateurs inventeurs permettent par leur regard « sensible, décalé et souvent critique », de révéler l'identité et le potentiel des lieux. Les créateurs « questionnent les usages existants et en devenir, interrogent l'usage de ces lieux, permettant ainsi la découverte de nouveaux usages et de nouvelles formes d'habiter ». Ils imaginent leurs habitations comme de véritables laboratoires expérimentaux jusqu'à parfois créer de nouveaux modes de vie, en détournant ou en contournant l'affectation initiale de ces espaces.

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Enfin, les créateurs doivent faire partie prenante d'une ville créative, dynamique et solidaire : leur présence se décline de multiples façons : « durable ou éphémère, formelle ou informelle, spectaculaire ou plus discrète ». Les initiatives artistiques transgressent parfois les frontières entre les publics, les spectateurs et créateurs, les espaces et temporalités. Elles sont « créatrices de lien social et favorables à la mise en oeuvre d'une culture urbaine commune ». Les créateurs sont donc des acteurs primordiaux à la régénération urbaine et à la transformation d'une ville pour lui forger une culture, une identité bien particulière et propre à elle-même.

Un autre modèle s'intéresse à l'organisation des créatifs dans la ville, et les rapports qu'ils tissent avec la société et le territoire : celui de la clubbisation9. Il s'agit d'éviter telle ou telle population dans la stratégie de commune périurbaine : sont considérés comme « périurbains tous ceux qui habitent un village mais travaillent dans une métropole ».10 D'après ce modèle, les créatifs doivent être intégrés dans la réflexion sur la ville et « en faire l'un des moteurs du développement et du lien social : l'ouverture devient alors une nécessité, un équilibre à trouver et à préserver ». Les créatifs figurent parmi les forces de travails majeurs de notre siècle.

Pour conclure, même si les avis divergent concernant l'existence d'une « classe créative », le développement d'une ville par les communautés créatives semble être une théorie perçue comme prometteuse par beaucoup de penseurs. La régénération urbaine par les industries créatives est d'ailleurs en harmonie avec les orientations du réseau Unesco des villes créatives.

9 Michel B. (2013). Les villes créatives, entre clubbisation et ouverture du développement territorial. Mémoire de recherche en Géographie, Université d'Angers, 160 pages

10 Charmes Eric, La ville émiettée, Essai sur la clubbisation de la vie urbaine, La ville en débat, 2011, 288 pages

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"Je ne pense pas qu'un écrivain puisse avoir de profondes assises s'il n'a pas ressenti avec amertume les injustices de la société ou il vit"   Thomas Lanier dit Tennessie Williams