La carte nationale d'identité dans l'Adamaoua: 1960-2013( Télécharger le fichier original )par Gabana Jean Francis Université de Ngaoundéré - Master Recherches en Histoire 2013 |
VII-REVUE DE LA LITTÉRATURE.Plusieurs chercheurs ont consacré des travaux à la question de l'identification et ont également traité de la pièce d'identité dans différents pays. Nous avons eu recours à certains de leurs écrits pour nous imprégner de ce qui a été déjà fait par rapport à ce travail. Certes, ces auteurs n'ont pas spécifiquement orienté leurs études sur la carte 42Elections Cameroon. 17 nationale d'identité au Cameroun, mais la documentation disponible est d'un intérêt certain. Les auteurs se sont intéressés à la naissance de la pièce d'identité. Chiara Lucrezio43 Monticelli analyse de fond en comble la naissance de l'identification en France. Ainsi, Chiara précise le contexte de l'avènement de l'identification en France tout en démontrant l'influence du XVIIIe siècle comme tournant historique pour l'identification en France notamment avec des techniques et des instruments d'identification individuelle encore inédits. Toutefois, l'auteur fait une sociologie des identificateurs, étudie les pratiques d'identification et analyse les comportements sociaux face au système d'identification en place. Pierre Piazza44, à partir de l'exploitation de très nombreuses archives publiques souvent inédites, cerne, dans une perspective historique accordant une large place au régime de Vichy, les enjeux politiques et identitaires qui ont accompagné la mise en oeuvre en France d'une nouvelle procédure d'encartement généralisé des citoyens au travers de la diffusion de la carte nationale d'identité. Retraçant le long processus d'institutionnalisation de ce document, il décrit avec précision le rôle déterminant joué par certains acteurs dans la rationalisation des techniques et des dispositifs d'identification mobilisés par les pouvoirs publics. L'accent est encore mis sur les réactions, les débats et les multiples formes de résistances qu'ont suscitées les différentes entreprises étatiques d'encartement des nationaux. Nicolas Mariot et Claire Zalc45 s'intéressent également à l'identification telle qu'elle fut mise en oeuvre par le régime nazi et ses collaborateurs, mais en prenant pour « objet » les résidents juifs de la ville de Lens, sous-préfecture du Pas-de-Calais, durant la Seconde Guerre Mondiale. Au cours d'une enquête, les deux chercheurs montrent que la déclaration constituait une étape nécessaire à l'identification des Juifs comme tels par les autorités, mais que beaucoup parmi les personnes concernées s'y sont finalement 43 C. L. Monticelli, 2008, « Naissance de l'identification », La Vie des idées, ISSN : 2105-3030, http://www.laviedesidees.fr/Naissance-de-l-identification.html. Consulté le 14 avril 2014. 44 P. Piazza, 2004, « Septembre 1921 : la première « carte d'identité de Français » et ses enjeux », Genèses, n° 54. 45 N. Mariot et C. Zalc, 2010, Face à la persécution. 991 Juifs dans la guerre, Paris, Fondation pour la mémoire de la Shoah. 18 soumis. Comme si elles avaient intégré le fait de ne pas se dire juif ne pouvait en rien les prémunir contre la stigmatisation et les déportations. L'essor des papiers d'identité est donc indissociable de celui de la mobilité. C'est ce que la contribution de Vincent Denis46 vient confirmer. Celui-ci revient en effet sur l'importance que revêt la « nébuleuse » de leurs papiers pour les pauvres au XVIIIème siècle. Vincent Denis rappelle en effet l'importance de la répression policière vis-à-vis du vagabondage et de la mendicité. Les papiers remplissent en effet, selon leur nature, deux fonctions principales : marquer l'appartenance à une communauté et l'autorisation de circuler. Dans un article particulièrement édifiant, Ilsen About47 retrace pour sa part l'essor de la gestion policière de l'immigration en France, qui s'est essentiellement déroulée durant l'entre-deux-guerres. C'est en effet à partir de 1917 que les étrangers installés dans l'Hexagone sont tenus de détenir une carte d'identité, une décision du ministre de l'intérieur qui entraîna corrélativement la généralisation d'une pratique devenue aujourd'hui générale : les contrôles d'identité. Ilsen About retrace ainsi les multiples modifications de la réglementation en la matière : dans la durée et les conditions de délivrance, notamment le montant de la taxe à acquitter pour sa délivrance ; du document, les différentes couleurs que pouvaient revêtir le document, matérialisation de la hiérarchie qui s'établissait - déjà- aux yeux des autorités selon l'origine géographique et le secteur d'activité du porteur. Marie-Annick Mattiolli48, abordant la question de l'identification en Grande-Bretagne, analyse le projet d'une introduction de la carte d'identité en Grande-Bretagne énoncé dans le manifeste du New Labour en 2005. En fait, Mattiolli commence par rappeler l'origine, en évoquant notamment les deux premières cartes d'identité qui ont vu le jour pendant les périodes de guerre, entre 1915 et 1919 pour la première et entre 1939 et 1952 pour la suivante, et, plus récemment, les diverses évocations de cartes d'identité depuis les années 1980. Ensuite elle décrit les principales caractéristiques de 46 V. Dénis, 2008, Une histoire de l'identité 1715-1815, Paris, Champ Vallon. 47 I. About, 2010, Histoire de l'identification des personnes, Paris, La Découverte, coll. « Repères Histoire ». 48M. A. Mattioli, 2008, « L'introduction de la carte d'identité en Grande-Bretagne par le New Labour », Observatoire de la société britannique, URL : http://osb.revues.org/661 ; DOI : 10.4000/osb.66, consulté le 14 avril 2014. 19 cette carte, qui permettent selon l'auteur de mettre en relief les objectifs que cherche à atteindre le gouvernement travailliste avec notamment, la réintroduction de papiers d'identité sur le territoire britannique. Dans son ouvrage, Gérard Noiriel 49 pose logiquement le cadre général, expliquant tout d'abord que l'identification représente un nouveau paradigme en sciences sociales, succédant à celui de l'identité, tel qu'il a pu être développé notamment par l'analyse structuraliste. Après avoir rappelé l'apport décisif de la philosophie en la matière, Gérard Noiriel explique en quoi le passage de la communication orale à celle écrite comme fondement de la culture, ainsi que l'allongement des chaînes d'interdépendance mis en évidence respectivement par l'anthropologue et le socio-historien, ont constitué les facteurs décisifs pour expliquer le développement du souci étatique d'identifier les individus circulant sur son territoire. Ces ouvrages nous sont utiles car, d'emblée, les auteurs dressent un état ponctuel, aussi complet et précis, servant ainsi une grille de lecture pour comprendre l'identification dans son évolution et ses caractères en Europe. Outre ces ouvrages généraux et européens, d'autres présentent pour ce travail l'intérêt de se pencher sur la question de l'identification en Afrique et surtout au Cameroun. Le juriste camerounais s'est penché sur la question de l'identification notamment l'état-civil. Siméon Ombiono50 fait un essai de présentation des dispositions légales ayant trait à l'homme. Comme le remarque si bien l'auteur lui-même, il ne s'agit pas d'un recueil exhaustif car, ce sont des lois héritées de la colonisation française et anglaise qui ne collent pas avec le contexte et les réalités locales camerounaises. Dans son article sur les noms et prénoms en Afrique, Siméon Ombiono51 relève, dans une perspective juridique que, sur le continent, le nom a de fonctions multiples. Il permet d'individualiser la personne, de le classer dans une famille à laquelle elle se rattache et de le situer dans l'histoire. 49G. Noiriel, 1993, « L'identification des citoyens. Naissance de l'état-civil républicain », Genèse n° 13, pp. 3-28. 50S.Ombiono, s.d. Textes et lois relatifs à l'état des personnes, Yaoundé, Multi Media, collection documents Juridiques. 51 S ; Ombiono, 1982, « Les noms et les prénoms »,in encyclopédie juridique de l'Afrique, Vol. 6, Droit des personnes et des familles, Abidjan, NEA, pp. 45-54. 20 Emboitant le pas au droit, la sociologie et l'anthropologie à travers les auteurs tels que Clémentine Faik-Nzuji52abordent la question des noms et prénoms contenus sur les fiches d'identification. Elle examine les différentes circonstances d'attribution des noms et leurs significations dans la société. Henri Tajfel 53 s'intéresse à l'identité sociale. Il s'interroge sur le contexte amenant les individus à adopter des comportements intergroupes. Selon Tajfel, le contexte social et l'identification au groupe sont à la base des comportements et conflits intergroupes. Il pense que la catégorisation sociale est aussi un outil de définition de soi. Elle définit la place de l'individu dans la société. Dans cette optique, les groupes sociaux offrent à leurs membres une identification d'eux-mêmes au niveau social. C'est en ce sens qu'il définit l'identité sociale comme les aspects de l'image de lui-même d'un individu qui proviennent des catégories sociales auxquelles il perçoit qu'il appartient. Turner54et al. s'interrogent sur les circonstances dans lesquelles un individu est capable de se comporter comme membre d'un groupe. Dans cet ouvrage, chaque individu se classe dans un groupe dans lequel se trouvent des références qui lui semblent identiques, similaires ou interchangeables. Ceci permet à l'individu d'organiser son expérience de l'environnement social en classifiant soi et autrui dans des catégories distinctes et exclusives. Dans son ouvrage, Jean Claude Kaufmann55 retient le fait que l'identité ne doit pas être envisagée comme une substance mais comme un processus. Selon lui, l'identité sociale ne devrait pas être réduite à l'identité biographique. Kaufmann prend pleinement conscience des effets négatifs que peuvent engendrer la quête, la revendication d'une identité : repli sur soi ou explosions confuses et violentes. En linguistique, on retrouve une grande partie d'études faites sur les noms et prénoms qui sont les premiers substantifs pour identifier une personne physique. Les 52 C. Faik-Nzuji, 1993, La puissance du sacré. L'homme, la nation et l'art en Afrique noire, Paris, Maisonneuve &Larose. 53H.Tajfel, 1981, Humans groups and social categories: Studies in social psychology, Cambridge, UK : Cambridge University press. 54 Turner et al, 1987, Rediscovering the social group: a self-categorization theory, Oxford : Blackwell. 55 J.C. Kaufmann, 2006, « L'invention de soi. Une théorie de l'identité », revue interrogation ?, n°3, pp.32-71. 21 premiers travaux sur les noms de famille sont dus au philologue et écrivain français Albert Dauzat56. Il en dégagea les grands principes de cette science dès 1925. Retel-Laurentin et Horvath57 s'interrogent sur les motifs de choix de nom en Afrique noire et les classent selon les champs des activités qu'ils évoquent. Cette contribution a le mérite de se pencher sur une étude comparatiste des sociétés africaines notamment les Nzakara de la République Centrafricaine. Sur le plan historique, les écrits sur l'identification ne manquent pas. L'article de Hamadou Adama58 analyse la transformation graduelle des patronymes négro-africains portés par les Peul en noms et prénoms musulmans avant d'aboutir à la situation caractérisée par une arabisation quasi-systématique des prénoms des nouveau-nés dans le septentrion camerounais. L'historien Haman Tukur Sa'ad59 étudie la signification et les caractéristiques des noms peules dans l'Adamawa. Plus fourni apparaît le document du ministère camerounais de l'information et de la culture60 sur l'identité camerounaise. Ici, la question de l'identité trouve son prolongement pratique dans le concept du multiculturalisme qui se donne pour objectif la reconnaissance des diversités ethniques, culturelles, religieuses, linguistiques, etc. Elle se trouve dans le nouveau texte constitutionnel par l'affirmation du bilinguisme égalitaire d'une part, et par la protection et la promotion des valeurs traditionnelles et langues nationales d'autre part. Cette documentation variée est d'un intérêt non négligeable. Ces ouvrages évoquent d'une manière ou d'une autre la question de l'identification. Cependant aucun n'étudie spécialement la carte nationale d'identité dans l'Adamaoua. Ainsi, si nous avons jeté notre dévolu sur ce thème, c'est en raison de ce vide que la littérature 56 A. Dauzat, 1925, Traité d'anthroponymie français-Les noms de famille en France, revu par son élève Marie Thérèse Morlet, réédité en 1977 par Guénégaud. 57 R. Laurentin et Horvath, 1972, Les noms de naissance (indicateurs de la situation familiale et sociale en Afrique noire), Paris, SELAF 30. 58Hamadou. Adama, 1997, « Les nouveaux prénoms des peuls du Nord-Cameroun : historique et essai d'interprétation », Ngaoundéré-Athropos, Révue de Sciences sociales, vol.2, pp. 19-40. 59H.T. Sa'ad, 1987, « Reflection on fufuldetopoymy. A study of fulbe towns in old Adamawa » in Annals of Bornu, vol.4, University of Maiduguri, pp. 7- 24. 60 Ministère de l'information et de la culture, 1985, L'identité culturelle camerounaise, Yaoundé, Direction des affaires culturelles. Ce document est publié suite à un colloque organisé à Yaoundé sur l'identité camerounaise en 1985, sous le haut patronage du Ministère de l'information et de la culture. 22 camerounaise accuse dans ce domaine. Néanmoins, ces ouvrages recensés ne rendant pas véritablement compte des épisodes saillants et de l'évolution de l'identification au Cameroun, nous ont permis tout au moins d'orienter ce travail. |
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