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La carte nationale d'identité dans l'Adamaoua: 1960-2013

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par Gabana Jean Francis
Université de Ngaoundéré - Master Recherches en Histoire 2013
  

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II-RAISONS DU CHOIX DU SUJET.

Plusieurs raisons ont guidé le choix de ce sujet. Premièrement, ces raisons sont personnelles. En effet, lorsque nous travaillions au poste d'identification (PI) du commissariat de sécurité publique de la ville de Meiganga en 2010, nous avions remarqué la réticence de certaines personnes à se faire identifier. Toutefois, nous nous

1M.Mamdani, 1996, Citizen and Subject: Contemporary Africa and the Legacy of Late Colonialism, Princeton: Princeton University Press, p.30.

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sommes rendu compte que dans le département du Mbéré où l'on retrouve plusieurs groupes ethniques, les Peul sont les plus nombreux à se faire identifier. À cela s'ajoute le problème de démarchage dans le processus d'établissement des cartes nationales d'identité (CNI). En fait, certains citoyens, pour se faire identifier, font recours à une personne qui assure l'intermédiation avec l'administration. Ce sont des courtiers localement appelés « Démarcheurs ». Ainsi, il est important de noter que l'intermédiation dans le processus d'établissement de la carte nationale d'identité dans l'Adamaoua crée une distance entre l'administration et les demandeurs de la carte d'identité et pose un problème concernant la fiabilité des informations sur l'individu à identifier. Notre préoccupation est de comprendre les raisons d'une telle intermédiation.

Le choix de ce sujet a aussi une motivation scientifique. Nous avons constaté que malgré les multiples études sur les questions d'identité, de nationalité et de citoyenneté, il n'y a pas jusqu'ici une analyse historienne sur la carte d'identité nationale du Cameroun en général et plus spécifiquement dans l'Adamaoua. En étudiant son contexte d'apparition, son importance et les différents obstacles qui plombent l'identification, ce travail trouve sa place particulièrement dans l'histoire de l'administration au Cameroun. Il établit précisément le lien de causalité entre les pratiques de l'administration coloniale et l'administration postcoloniale. Cette étude contribuera ainsi à enrichir l'historiographie camerounaise.

III-CADRE CONCEPTUEL ET THÉORIQUE.

Dans le cadre de notre étude, l'objet est de lever un pan de voile sur la question de la carte nationale d'identité dans l'Adamaoua. Ainsi, comme le reconnaît J.L, Amselle., « il est nécessaire dans tout travail épistémologique de partir de notions empiriques pour déconstruire et reconstruire un autre espace plus apte à rendre compte d'une réalité donnée»2. Il est donc judicieux voire impératif de définir et de circonscrire le concept de carte nationale d'identité et les notions connexes telles que : identité et identification.

2J.L. Amselle, 1976, Les migrations en Afrique, Paris, Maspero.p.17.

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L'étude sur la question d'identité regorge assez de documents ou de directives pour guider les personnes intéressées à examiner ce domaine. Du latin Carta, la carte désigne le document imprimé officiel constatant l'identité de quelqu'un, son appartenance à un groupement, son inscription sur une liste.3 Analysant cette définition du dictionnaire Larousse, la carte, dans ce contexte, désigne en fait le certificat d'identité d'un individu confirmant son appartenance à un groupe humain ou à un État. L'identité, étymologiquement issue du latin Identitas qui dans son sens premier signifie ce qui fait qu'une chose, est exactement de même nature qu'une autre, est le caractère permanent et fondamental de quelqu'un ou d'un groupe4.

En droit, l'identité est l'ensemble de faits et de droits, tels la date, le lieu de naissance, le nom, le prénom, qui permettent d'affirmer qu'un individu est telle personne sans confusion possible avec une autre.5 La notion d'identité est au croisement de la psychologie et de la sociologie mais intéresse aussi la géographie. La psychologie conçoit l'identité comme une sorte de sentiment d'harmonie : l'identité de l'individu est le « sentiment subjectif et tonique d'une unité personnelle et d'une continuité temporelle ».6

La notion d'identité, en sociologie, renferme toute la problématique du rapport entre le collectif et l'individuel, le déterminisme social et la singularité individuelle. Il n'est pas possible à ce jour, de parler de cette notion sans évoquer les grands courants de la sociologie qui ont des approches différentes. L'identité personnelle « subjective », englobe des notions comme la conscience de soi et la représentation de soi. Codol7, estime qu'il ne s'agit en fait que d'une « appréhension cognitive de soi ». Elle englobe trois caractères qui vont ensemble : « constance, unité, reconnaissance du même ». Il ne s'agit cependant pas d'une constance mécanique et d'une analogie réifiée, ni de l'adhésion stricte à un contenu invariant et figé mais d'une « constance dialectique » et dynamique impliquant le changement dans la continuité, dans une dynamique d'aménagement permanent des divergences et des oppositions.

3 Dictionnaire Universel Larousse, 1997, p.256.

4 Petit Larousse, 1998, p.619.

5 Ibid., p.779.

6E. Lois-Littré, 1877, Dictionnaire de langue française, Paris, Hachette, p .205.

7J.Codol, 2001, « Une approche cognitive du sentiment d'identité », In Information sur les sciences sociales, p.20.

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Plus « objective », l'identité sociale englobe tout ce qui permet d'identifier le sujet de l'extérieur et qui se réfère aux statuts que le sujet partage avec les autres membres de ses différents groupes d'appartenance (sexe, âge, métier etc.). L'identité sociale comprend les attributs catégoriels et statutaires qui se réfèrent à des catégories sociales où se rangent les individus (groupes, sous-groupes : jeune, étudiant, femme, cadre...). C'est souvent une identité « prescrite » ou assignée, dans la mesure ou l'individu n'en fixe pas, ou pas totalement, les caractéristiques.8 Cette identité sociale situe l'individu à l'articulation entre le sociologique et le psychologique. Ainsi, souligne Henri Tajfel :

Le rôle joué par la catégorisation sociale comprend les processus psychologiques qui tendent à ordonner l'environnement en termes de catégories : groupes de personnes, d'objets, d'évènements [...] en tant qu'ils sont équivalents les uns aux autres pour l'action, les intentions ou les attitudes d'un individu 9

Le concept d'identité sociale développé par Henri Tajfel10 en 1981, met en exergue les processus psychologiques impliqués dans le changement social. Il intègre dans sa théorie trois processus fondamentaux : la catégorisation sociale ; l'auto-évaluation à travers l'identité sociale ; la comparaison sociale intergroupe. Ceux-ci permettent d'expliquer différentes formes de comportements groupaux. Cette théorie est devenue l'approche dominante des relations intergroupes et est utilisée comme cadre de référence pour comprendre et expliquer les concepts tels que la nationalité, la citoyenneté ou la solidarité sociale. En effet, les comportements des individus, même en situation interpersonnelle, sont toujours en partie influencés par leur appartenance à l'un ou l'autre groupe. De même, l'influence des caractéristiques individuelles n'est jamais annihilée, même dans le cadre des relations intergroupes. Néanmoins, situer les comportements sociaux sur un continuum 11 interpersonnel-intergroupe permet de considérer les caractéristiques personnelles et groupales comme deux facteurs susceptibles d'influencer une interaction entre individus, de telle sorte qu'elle se rapprochera plus ou moins de l'un des deux pôles. Cette approche nous permet, dans ce

8Ibid., p.21.

9 H. Tajfel, 1981, Humans groups and social categories : Studies in social psychology, Cambridge, UK :Cambridge University Press, p.72.

10Ibid., p.74.

11 En philosophie un continuum est un objet ou un phénomène dont on ne peut considérer une partie que par abstraction.

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travail, d'analyser le comportement des citoyens de l'Adamaoua par rapport à la question de l'identification et de l'identité.

La théorie de « l'égo » et « l'invention de soi » développée par Kaufmann, stipule que :

Si on est entré dans « l'âge des identités » et dans la nécessité de s'inventer soi-même, ce n'est pas que les structures sociales soient devenues moins opérantes ou moins déterminantes que par le passé sous l'effet d'une émancipation magique du sujet, c'est plutôt que ces structures sociales sont devenues plus contradictoires. Face à ces contradictions, le reflet ne pouvait que se transformer en réflexion: la construction identitaire résulte ainsi d'un travail incessant de « réflexivité ». « Ego doit désormais fabriquer (avec la matière sociale disponible) la grille éthique et cognitive conditionnant son action. La construction sociale de la réalité passe par les filtres identitaires individuels »12.

Pour Kaufmann, l'identité biographique ne se réduit pas à l'identité narrative et que les individus, du fait qu'ils ont conscience de leurs ruptures biographiques, s'attachent moins à raconter et se raconter « des belles histoires de vie complètes et limpides » en déniant toute contradiction qu'à tisser un lien entre chacune d'entre elles. Ainsi, si Kaufmann retient de l'interactionnisme symbolique le fait que l'identité ne doit pas être envisagée comme une substance mais comme un processus, il refuse de réduire la trajectoire sociale à la trajectoire biographique (ou encore à la carrière) et de négliger le poids déterminant des cadres sociaux de la socialisation13.

En géographie, la notion d'identité est majoritairement mobilisée pour étudier la relation concrète ou symbolique des individus ou des groupes sociaux à l'espace. La principale particularité disciplinaire de la géographie réside dans sa capacité à appréhender le concept d'identité dans sa dimension spatiale. Certains géographes se sont ainsi penchés sur l'aspect multi-scalaire de l'identité, en s'intéressant aux multiples relations existant entre les différentes échelles identitaires, au niveau de l'individu, de la collectivité ou encore de l'espace mondial. Dans cette perspective, Arjun Appadurai

12 J.C. Kaufmann, 2004, L'invention de soi. Une théorie de l'identité, Paris, Armand Colin/SEJER, p. 88.

13 Ibid., p. 89.

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s'est par exemple intéressé aux phénomènes d'hybridation ethnique et culturelle dans les conditions techno-politiques de la mondialisation14.

La géographie a fait un usage multiple de la notion d'identité, dont on peut distinguer quatre acceptions principales : l'identité numérique, l'identité sociale, l'identité personnelle et l'identité collective. Les géographes s'étant intéressés ainsi à la notion d'identité, se sont saisis du concept de différentes manières. La notion est tantôt abordée dans une perspective essentialiste, tantôt constructiviste. Il ne s'agit pas ici de choisir parmi ces acceptions mais de tenir compte de l'ensemble de celles-ci.

Dans son acception numérique, l'identité répond à une perspective essentialiste. Elle est vue comme un invariant universel : les êtres et les choses existent en soi et leur identité ne varie pas à travers le temps15. Sur le plan historique, on peut rapprocher cette acception aux recherches effectuées sur la singularité des entités géographiques (lieux, pays et régions) et aux conditions de leur persistance dans le temps. Si cette manière de concevoir l'identité en géographie est largement délaissée aujourd'hui, elle a été au centre de la théorie du déterminisme naturaliste, une des théories les plus anciennes et les plus répandues de la discipline. Cette approche suggère que des entités sociales découlent des entités géographiques, qui les inscrivent toutes deux dans la durée.16

On parle d'identité sociale en géographie dès qu'un individu ou un groupe se voit attribuer une caractéristique identitaire par d'autres. Cette forme d'identification répond à une logique classificatoire dans la mesure où elle permet à un individu ou un groupe d'ordonner l'autre sur la base de critères dominants. Si cette catégorisation peut être d'ordre professionnel, sexuel, ou encore générationnel, les géographes se sont surtout intéressés à celles qui renvoient à des logiques de localisation (les quartiers ouvriers, le continent noir).17

14A. Appadurai, 2002, « Après le colonialisme »,inCOMMposite,

http://www.commposite.org/index.php/revue/article/view/58/57. Consulté le 22 mars 2014.

15J. W. Lapierre, 1984, « L'identité collective, objet paradoxal : d'où nous vient-il? », Recherches sociologiques, nos 15, p.195.

16B. Debarbieux, 2005, Prendre position : réflexions sur les ressources et les limites de la notion d'identité en géographie, Paris, CTHS, p. 341.

17Ibid., p.343.

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On pense l'identité comme un processus personnel quand on la conçoit comme le produit d'un exercice de « conscientisation » de soi : « ce que je pense, que je suis ». L'acception personnelle de l'identité suggère que bien qu'elle soit résolument collective, elle n'en reste pas moins un choix individuel, ce qui laisse à l'individu un rôle essentiel d'acteur18. Si cette acception n'a été que très peu mobilisée dans le champ de la géographie, certains chercheurs s'en sont inspirés dans des analyses sur le rôle des expériences des trajectoires individuelles et des lieux et dans la construction de cette identité personnelle. Ainsi, un lieu serait identifiable grâce au rapport qu'il a avec le passé des individus, de la société et de l'espace19.

Dans l'optique constructiviste, l'identité collective se définit comme « le sentiment et la volonté partagés par plusieurs individus d'appartenir à un même groupe ». Ainsi, le groupe ne pourrait exister que si les individus le reconnaissent comme tel20. L'identification collective se définit par l'élévation au rang de symboles identitaires d'attributs comme la langue par exemple, qui deviennent des composantes essentielles de l'identité d'un groupe. En désignant, en combinant et en écartant tour à tour certains attributs, le groupe est en permanente reconstruction. Dans ce processus infini de sélection, ce sont les cas où des référents géographiques ou des objets matériels fonctionnent comme des marqueurs identitaires qui ont particulièrement intéressé les géographes. On parlera dans ce cas d'identité territoriale.

Concept issu de la géographie française, l'identité territoriale est la modalité de l'identité collective la plus étudiée en géographie. Les géographes ont d'ailleurs eu tendance à systématiquement mettre en évidence le rôle que l'espace pouvait jouer dans les processus identitaires. On peut parler d'identité territoriale si on s'intéresse au rapport qui existe entre une entité géographique et les groupements humains ou les identités collectives qui travaillent ces différents groupes. Marie-Christine Fourny définit l'identité territoriale comme la « modalité à partir de laquelle une société fonde la conscience de sa singularité en la référant à un espace qu'elle institue sien »21. En tant

18 G. Lambony, 2001, De l'usage de la notion d'identité en géographie. Réflexions à partir d'exemples sud-africains, Paris, Harmattan, p. 479.

19Ibid., p.483.

20G. Bertrand, 2000, Identités et cultures dans les mondes alpins et italien (XVIIIe-XXe siècle), Paris, l'Harmattan, Pp. 209-226.

21 M. Fourny, 2005, « Identités et dynamiques territoriales. Coopération, différenciation, temporalités », Thèse d'habilitation à diriger des recherches, Université Joseph-Fournier de Grenoble, p. 122.

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que manifestation identitaire collective, l'identité territoriale prend dès lors forme grâce à un rassemblement d'une quantité suffisante de gens par l'identification des croyances personnelles à une croyance commune. L'identité territoriale apparaît comme une forme d'identité collective dont les attributs relèvent d'une territorialité.

Le processus de construction de l'identité nationale au sein des États africains débute après la création de ces États. Partout sur le continent africain, à compter de cette période, des normes de pouvoir sont imposées aux populations qui désormais cohabitent sur des territoires pratiquement créées22. L'État moderne se greffe ainsi sur une pseudo-entité politique et territoriale. C'est donc cette territorialisation qui donne un sens à l'identité nationale23. Cependant, la construction de l'identité nationale au Cameroun n'est pas jusqu'à nos jours un acquis, vu les regains d'intérêt des populations camerounaises à s'identifier davantage à leurs ethnies qu'à la nation camerounaise.24 Cet intérêt, selon certains auteurs comme J.F. Bayart25, P. Gaillard26, J.P.Fogui27 ou encore P.F. Ngayap28 participe du fait que, le Cameroun, bien qu'il ait réussi dans la construction de l'État, a échoué dans celle de la nation. Ainsi, au Cameroun, le débat sur l'identité a donné naissance au concept de multiculturalisme. C'est en fait la reconnaissance de la diversité culturelle du Cameroun, qu'en 1985 le colloque sur l'identité culturelle camerounaise fut organisé29.Ce concept apparaît dans le contexte camerounais de manière globalisante et plus vaste en terme spatial que celui de l'identité ethnique ou régionale.

Nous entendons par identité dans le cadre de ce travail, le fait, pour une personne, d'être un individu donné et de pouvoir être légalement reconnue pour tel sans nulle confusion grâce aux éléments (état civil, anthropométrie) qui l'individualisent. Cette définition est similaire au bertillonnage (système d'identification des criminels,

22 R. Pourtier, 1987, « Encadrement territorial et production de la nation », in E. Terray (éd), L'État contemporain en Afrique, Paris, l'Harmattan, p. 352.

23 Ibid.

24 I. Mouiche, 1996, « Mutations sociopolitiques et replis identitaires en Afrique : le cas du Cameroun », Revue africaine de Science Politique, Vol.1, n°2, Décembre 1996.

25 J. F. Bayart, 1985, L'État au Cameroun, 2e éd., Paris, Presses de la fondation Nationale des Sciences Politiques.

26P.Gaillard, 1994, Ahmadou Ahidjo. Patriote et despote, bâtisseur de l'État camerounais, Paris, Jeune Afrique livre.

27 J.P. Fogui, 1990, L'intégration politique au Cameroun. Une analyse centre-périphérie, Paris, LGDJ. 28P.F.Ngayap, 1983, Cameroun qui gouverne ? De Ahidjo à Biya, l'héritage et enjeu, Paris, l'Harmattan. 29Lire à cet effet Ministère de l'information et de la culture, 1985, l'identité culturelle camerounaise, Yaoundé, Direction des affaires culturelles.

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mis en application à partir de 1882, et fondé principalement sur l'anthropométrie)30 qui, en effet, a permis le développement du système d'identification. C'est dans ce sens que l'on peut parler de : établir, consulter, vérifier l'identité de quelqu'un à travers les papiers d'identité.

La politique s'est, elle aussi, emparée du sujet et de nombreux débats ont lieu sur la notion d'identité et notamment sur le concept de l'identité nationale. À partir des années 1920, en France, la notion d'identité a pris une autre dimension avec l'apparition de la carte d'identité. Sous le régime de Vichy, la carte d'identité va devenir la preuve de l'appartenance à une nation et sa délivrance est particulièrement surveillée31. Enfin, c'est en 1955 que la carte nationale d'identité est instaurée, elle est la première preuve de l'identité dite formelle de l'individu par la loi. Aujourd'hui la notion de « papiers » a pris une place centrale en politique et des groupes se sont formés à partir de cette notion : les « sans-papiers » par exemple. La loi française a été adaptée et elle punit les individus qui « n'appartiennent pas » à la nation, c'est-à-dire qui n'ont pas de papiers d'identité. Elle punit également le fait de cacher son identité dans les lieux publics avec la récente loi interdisant le port de la burqa32. La notion d'identité en politique est centrale, et nous verrons à travers ce travail l'importance du rôle des pouvoirs publics dans la question identitaire.

Dans le cadre de ce travail, la carte nationale d'identité est un document officiel qui permet à une personne physique de prouver son identité. C'est une pièce de la vie civile délivrée par l'État camerounais permettant d'identifier la personne qui en est détentrice. Elle permet à son titulaire de certifier de son identité. L'identité personnelle et l'identité comme instrument politique peuvent être rapprochées. En effet, l'identité de papier est souvent confondue avec l'identité personnelle puisque les papiers d'identité sont devenus incontournables dans notre société. La carte nationale d'identité est un objet que la majorité des Camerounais possèdent et elle est aujourd'hui incontournable dans notre vie de tous les jours. Elle sert de document de base pour la confection des listes électorales, des opérations bancaires et de conscription. Elle est également synonyme du droit à la nationalité, à la citoyenneté, au vote etc.

30Dictionnaire universel Larousse, éd. 1997, p. 74.

31 P. Piazza, 2004, « Septembre 1921 : la première « carte d'identité de Français » et ses enjeux, Genèse, n° 54, p. 75.

32 Une sorte de voile recouvrant tout le visage.

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C'est à la fin des années 1990 que la carte d'identité va être informatisée puis sécurisée à l'aide de différentes techniques telles que : le filigrane, les dégradés de couleur, un graphisme confectionné par ordinateur, etc. En un peu plus de dix ans, le gouvernement est parvenu à se doter d'un dispositif d'identification des Camerounais de plus en plus important. Progressivement unifiée, la carte nationale d'identité est aujourd'hui un moyen efficace pour vérifier l'identité des individus. De ce qui précède, il est important de noter que, les pratiques en vigueur varient d'un pays à l'autre et ont évolué selon le contexte historique propre à chaque pays.

La première forme d'identification remonte, selon Stya Swarrio et Livingston33 à l'Égypte ancienne. Cette forme de document d'identité était en effet l'état-civil qui apparaît aux environs des années 1250 avant Jésus-Christ. C'était un document mis sur pied sous le règne du pharaon Ramsès II à des fins de fiscalité et de recrutement des jeunes pour le service militaire.

L'identification des personnes durant l'Antiquité et le Moyen Âge en Europe est régie principalement par la « reconnaissance interpersonnelle ». Progressivement, les pouvoirs centraux instaurent un état-civil, voulant connaître leurs ressources humaines pour des questions de fiscalité, de police et pour lever des troupes militaires. Ce système d'identification, basé sur l'état-civil, est notamment tenu par l'Église au niveau du registre paroissial34.

Au XVIIIe siècle, alors que la justice royale se substitue à la justice divine, se développent les papiers d'identité : sauf-conduit, extrait baptistaire, laissant place progressivement au passeport qui sert au contrôle par la maréchaussée des « classes dangereuses » (vagabonds et mendiants, registres de déserteurs, carnets sanitaires lors de grandes pestes, étrangers et ouvriers), parallèlement à l'essor du bertillonnage et de la dactyloscopie35.

33Lire à cet effet, S. Swarrio et D. Livingston, 1960, Introduction aux statistiques de santé, Londres, Ltd Edimburg. Cité par R.Harouna, 2009, « L'état-civil au Cameroun de la période coloniale allemande au début du XXIème siècle », mémoire de DEA, Université de Ngaoundéré, p.8.

34 J.P. Gutton, 2010, Établir l'identité : l'identification des Français du Moyen Âge à nos jours, Lyon, Presses universitaires de Lyon, p.212.

35 Ibid.

12

La carte nationale d'identité existe dans tous les pays de l'Union européenne sauf au Danemark et au Royaume Uni, où il existe un registre de la population, et en Irlande. À l'exception de l'Italie, de l'Autriche et de la Lituanie, les pays qui ont institué la carte d'identité ont rendu sa détention obligatoire. Au Portugal, une seule carte d'authentification (personnelle et unique) tient lieu de carte nationale d'identité, de carte de sécurité sociale, de carte de santé, de carte de contribuable et de carte d'électeur.

Les premières traces de papiers permettant de prouver l'identité en France apparaissent au XVe siècle. Ce sont des «passeports» ou «sauf-conduits» qui permettent souvent aux marchands et aux voyageurs de prouver leur identité durant leurs déplacements. Ils sont établis en général sur des feuilles volantes délivrés par des juges, des curés ou des secrétaires d'État. Ce n'est qu'en 1539 que l'édit de Villers-Cotterrêts renforcé en 1579 par l'ordonnance de Blois rend obligatoire la tenue de registres baptismaux, de mariages et de sépulcres et servent à prouver l'identité d'un individu. Mais le système d'identification reposait encore essentiellement sur la reconnaissance orale par des tiers, notables en général, de la commune où réside l'individu.36

C'est en 1921 que le préfet du département de la Seine, Robert Leullier, instaure la première carte d'identité française pour remplacer la pratique qui exigeait la présence de deux témoins pour toutes démarches. Marquant une étape décisive dans la rationalisation et l'uniformisation des pratiques étatiques d'encartement des citoyens, le succès de cette carte fut mitigé : des problèmes d'ordre matériel ralentissent sa mise en place, la presse de gauche condamne la prise de l'empreinte digitale qui assimile le citoyen au délinquant37. Bien que le préfet Leullier projette de la rendre obligatoire, elle ne reste que facultative.

Au début de la Seconde Guerre mondiale, avec la loi du 27 octobre 1940, le gouvernement de Vichy reprend l'idée, la développe et, à la suite des mesures antijuives, la rend obligatoire et l'étend en 1943 à toute la France38. Après la grande guerre, la carte d'identité disparaît partiellement et avec le décret n°55-1397 du 22 octobre 1955, elle devient facultative sur tout le territoire français incluant alors l'Algérie. En décembre

36Ibid., p.214.

37Piazza, 2004, p.54. 38 Ibid.

13

1995, la carte dite « sécurisée », prévue par un décret du 19 mars 1987, est généralisée et devient gratuite le 1er septembre 1998.

En Afrique, il est hasardeux et même démesuré de soutenir qu'il existe un document d'identité avant la colonisation. Néanmoins, il existait un système d'identification des personnes soit par caste, ethnie, par le lieu de provenance (région, royaume etc.) et par généalogie. Le système d'identification a donc été introduit à partir du XIXème siècle notamment sous l'impulsion européenne. L'administration coloniale française, pour contrôler les déplacements, prélever l'impôt de capitation sur les « indigènes », prendre des mesures judicieuses contre des épidémies, des maladies et procéder au recensement de la population, développa le système d'identification, notamment l'état-civil en multipliant les centres d'état-civil au Cameroun. L'état-civil était une sorte de document d'identité permettant d'identifier les indigènes. Après les indépendances, plusieurs pays africains se sont arrimés au système d'identification dit « moderne » en instituant la carte identité. Une manière d'imiter les États modernes de l'occident qui, en concevant l'idée de l'identification de leurs populations, ont tenu compte du contexte social, politique et économique de leurs pays respectifs. Ainsi, la carte d'identité telle qu'elle est aujourd'hui dans les différents États africains, reste un plagiat de celle des Occidentaux. L'Afrique, continent où l'on retrouve une diversité de cultures, se trouve face à une identification étrangère « moderne ». En fait, le problème que nous voulons aborder ici est celui du système d'identification européen dans une Afrique régie par des ensembles traditionnels. En clair, nous voulons traiter de la question de l'acceptation de la carte d'identité nationale dans l'Adamaoua ; car elle se situe dans un contexte beaucoup plus spécifique où elle semble ne pas avoir vocation. Par ailleurs, l'existence de la carte d'identité dans la majorité des pays africains a été concrétisée par des productions législatives en la matière réglementant son organisation, ses caractéristiques, son fonctionnement etc.

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