III-Obstacles liÉs À
l'établissement et À l'obtention des cartes
nationales d'identité dans l'Adamaoua.
Comme nous l'avons évoqué
précédemment, l'identification des citoyens qui inclut aussi bien
le fonctionnement de l'administration que la mise en oeuvre des politiques
publiques ne se résume pas seulement à des
phénomènes de « pouvoir de, pouvoir sur », de
domination ou de contrôle de corps. Il s'agit en même temps de
forme de gestion du service d'identification. Cette dimension de la politique
d'identification au Cameroun a souvent été oubliée.
L'administration en général, les agents, les dispositions
d'identification au Cameroun sont perçues comme un processus des
structures caractérisées par la corruption, le népotisme,
le clientélisme, le manque
17 Cette information a été relayée par la
CRTV-Radio, station de l'Adamaoua à l'émission « Gazette
régionale » à 19 h 15 minutes, en date du 05 mai 2013.
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de professionnalisme etc. Or, quand bien même ce serait
vrai, partiellement, le service d'identification au Cameroun, assure plus ou
moins bien efficacement, sa mission qui est celle d'identifier les citoyens. Il
importe de préciser que la délivrance de la carte nationale
d'identité au Cameron est assurée conjointement par la
délégation générale à la sûreté
nationale (DGSN), la société d'assistance et de conception en
électronique (SACEL)18 et la société THALES. Le
service d'identification pris dans cette situation, constitue, un champ
semi-autonome qui n'est certes pas indépendant de la nature de services.
Diverses recherches ont été menées depuis plusieurs
années sur l'identification et ont en effet, mise en évidence la
convergence des difficultés de l'identification des citoyens. Aux
trajectoires des pratiques d'identification assez similaires à celles de
la France, au Cameroun depuis l'institutionnalisation, l'établissement
et la délivrance des cartes nationales d'identité, connaissent de
nombreuses difficultés. Pour examiner les
origines des difficultés, il faut remonter la
période coloniale. C'est en effet la colonisation qui non seulement a
mise en place l'État en Afrique, particulièrement, au Cameroun,
mais aussi, à y regarde de prêt à également jeter
les bases de la forme contemporaine d'identification. Ainsi, le système
d'identification au Cameroun semble être inadapté dans les
sociétés régies par des valeurs traditionnelles. La
présente partie devrait contribuer à une meilleure connaissance
des obstacles qui plombent l'établissement des cartes nationales
d'identité dans l'Adamaoua. Ces obstacles se situent à plusieurs
niveaux : administratif, politique, économique, géographique,
professionnel etc.
1. Barrières administratives, politiques et
économiques.
La majorité des pays colonisés par la France
sont dotés des mécanismes d'identification des populations. Par
ailleurs, bon nombre de citoyens au Cameroun, dans l'Adamaoua
précisément, n'ont pas accès aux postes d'identification.
Pour comprendre une telle situation, il s'agit d'analyser les obstacles
administratifs, politiques et économiques.
18Société française issue du
Groupe Fabre
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1-1. Les obstacles administratifs.
Sur le plan administratif, il se pose un problème au
niveau de la relation entre bureaucrates et usagers. En effet, l'on remarque
que les pratiques de l'administration coloniale ont introduit une très
grande marge de l'arbitraire dans la rationalité procédurale de
la bureaucratie classique de la métropole officiellement importé
dans les colonies en Afrique. Jean-Pierre Olivier de Sardan le remarque si bien
en ces termes :
Il n'y a pas eu de rupture importante entre l'administration
coloniale et l'administration postcoloniale, bien au contraire. Avec les
indépendances, les nouveaux États se sont construits dans une
logique de continuité et d'amplification du modèle colonial. Les
innovations postcoloniales ont plutôt été dans le sens d'un
élargissement ou d'un approfondissement du modèle colonial que de
sa transformation ou de son abolition.19
De ce qui précède, l'on constate qu'il y a une
continuité des pratiques de l'administration coloniale dans
l'administration postcoloniale au Cameroun. En fait, au-delà du
mépris souvent affiché de beaucoup de fonctionnaires
européens pour les administrés africains pendant la colonisation,
ce sont des générations d'auxiliaires et de commis africains qui
ont appris auprès des colonisateurs à édifier une
barrière entre eux même et les populations locales, à
multiplier les signes affirmant leur statut de « privilégiés
», à construire la supériorité par l'affirmation de
l'infériorité des autres et à user de l'arbitraire.
S'inscrivant dans le même sillage, il faut noter que,
les services d'identification dans l'Adamaoua sont caractérisés
par une bureaucratie de mépris, des pratiques de corruption, de
népotisme et même de clientélisme. L'on note à la
fois une sous-administration qui perdure malgré l'évolution du
système d'identification et un décalage entre normes et usages
locaux et usages officiels. Diverses formes de sous-traitance, de
clientélisme et d'informalité loin des règles officielles
d'identification telles que définies par les textes, font le quotidien
des postes d'identification de l'Adamaoua. Cette situation débouche sur
les négociations et l'intermédiation se traduisant par des
multiples arrangements et sans doute à l'origine des premières
formes de corruption faisant la part belle aux « démarcheurs »
presque omniprésents dans les postes d'identification.
19 Intervention de J.P. Olivier de Sardan au colloque IRG/ARGA,
janvier 2007, Bamako(Mali).
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Le clientélisme bureaucratique dans les postes
d'identification de l'Adamaoua se manifeste par le comportement des personnels.
En effet, pendant les périodes d'affluence dans les postes
d'identification, certains personnels accordent des faveurs à leurs
protégés comme ceux avec qui ils partagent le même groupe
ethnique ou ceux qui les rendent peut être des services ou encore
à leurs parents et connaissance20.
Par ailleurs, l'un des principaux problèmes de
l'identification dans l'Adamaoua est celui de la couverture de services sur
l'ensemble de la Région. En effet, l'on a l'impression, sans risque de
se tromper, que les postes d'identification de l'Adamaoua ont été
créés sur une base discriminatoire. Les zones urbaines telles que
les chefs- lieux de département ont été mieux couvertes
par des postes d'identification que les zones rurales. Jusqu'ici, les zones
rurales de l'Adamaoua tels que Belel, Ngaoui pour ne citer que
celles-là, n'ont pas de poste d`identification. L'absence de poste
d'identification dans ces zones est un obstacle non seulement pour la
population mais aussi pour l'administration. Le constat de ce manquement se
traduit par les propos du responsable ELECAM de Belel : « Si on avait un
poste d'identification dans l'arrondissement de Belel, on ne serait pas dernier
de la classe des inscrits sur les listes électorales dans la
région de l'Adamaoua »21.
Bien plus, l'on note une absence de surveillance et de
supervision adéquates qui assureraient le respect des lois relatives
à l'établissement des cartes nationales d'identité.
Souvent, les informations essentielles ne sont pas scrupuleusement
enregistrées sur les formulaires. Des informations frauduleuses telles
que la limitation d'âge, des changements illégaux de noms,
prénoms lieu de naissance sont enregistrés sur les
formulaires.
En somme, la corruption, le clientélisme, les fraudes,
l'inertie et le laxisme qui caractérisent l'administration camerounaise
sont autant d'obstacles qui plombent l'établissement des cartes
nationales d'identité dans l'Adamaoua. Cependant, la question
d'identification au Cameroun relève surtout de la volonté du
politique. Il se
20 Entretien avec Djouldé Thomas, cultivateur, Tignere, 13
août 2014.
21 Entretien avec Mohamadou Hassan, responsable d'antenne ELECAM
de Belel, Ngaoundéré, 20 aout 2014.
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trouve donc que dans l'Adamaoua, l'établissement des
cartes nationales d'identité se heurte aux barrières
politiques.
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