II- Impact de l'identification dans l'adamaoua.
L'identification est une entreprise publique, visant à
contrôler les personnes et de lutter efficacement contre une
éventuelle insécurité. Ainsi, la carte nationale
d'identité a un caractère ambivalent. Il ne s'agit pas de donner
les avantages et les inconvénients de cette pièce dans cette
partie. Il est question ici de relever les effets et les apports de
l'identification sur la vie sociale des citoyens de l'Adamaoua.
1. Fragilisation de la nationalité camerounaise et
trafic d`identité.
Les pièces officielles actuellement les plus
officieuses au Cameroun sont l'acte de naissance, le certificat de
nationalité et, malheureusement, la carte nationale d'identité.
Ces pièces font l'objet de tant de tripatouillages, au point qu'elles
sont délivrées à des expatriés soit pour des
raisons politiques, soit encore pour des buts purement mafieux. On a ainsi vu
des Tchadiens, des Centrafricains et des Nigérians dans l'Adamaoua,
brandir des cartes nationales d'identité camerounaises, obtenues
grâce à l'influence et à la duplicité de
l'élite politique et administrative de la zone, pour gonfler les listes
électorales et se constituer des armes politiques lors des
échéances dont les issues sont incertaines très souvent.
Les cas de duplicité dans les concours administratifs et d'autres
compétitions pour l'accès à la fonction militaire ou aux
diplômes sont des histoires de tous les jours.
L'opération de délivrance gratuite de la carte
nationale d'identité donne des idées à certains
ressortissants des pays voisins. Ils sont coupables des cas de substitution
d'identité et de fausses nationalités. Un faux sans
précédent s'est installé dans les commissariats de police
de la capitale régionale de l'Adamaoua. En effet, la délivrance
gratuite de la carte nationale d'identité décidée par le
chef de l'État Paul Biya suscite par enchantement des convoitises les
plus inattendues. De fait, il y a comme une volonté
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manifeste d'être camerounais à part
entière de la part de beaucoup de citoyens
étrangers7.
La plupart des étrangers veulent s'arroger le statut de
«Camerounais» sans passer par la procédure en
vigueur8. Selon les révélations faites par certains
personnels d'identification dans l'Adamaoua, il y aurait des tentatives
irrégulières de détention de la carte nationale
d'identité. Les étrangers candidats à ce précieux
sésame usent de toutes sortes de ruses pour obtenir cette pièce.
À plusieurs reprises, les agents les sortent des rangs pour une raison
ou une autre. Le stratagème est simple et désormais connu de
tous. Pour parvenir jusqu'au poste d'identification, ces « candidats
» négocient avec des autorités locales pour disposer d'un
acte de naissance en bonne et due forme. Ironie du sort, certains n'arrivent
pas souvent à situer les villages dont ils sont soit disant originaires
sur la carte du Cameroun. Pour ces derniers, l'acte de naissance suffit
pleinement à ne plus éveiller des soupçons. Le cafouillage
provoqué par la forte demande et la saturation des agents de police est
un facteur facilitant pour échapper à la vigilance. Fidèle
à la tradition du flair de l'argent facilement gagné, des
démarcheurs traînent dans les parages, dans le but de glisser des
dossiers irréguliers dans le système. Très souvent, ils ne
réussissent pas toujours à corrompre toute la chaîne de
délivrance du précieux document. Pour autant, les fameux
intermédiaires disposent de plusieurs tours dans leurs poches. Et ils
finissent parfois à réussir leur coup. C'est le cas, confie un
inspecteur de police dans le département de la Vina, de ce monsieur venu
établir des cartes à une liste de personnes sous la couverture
d'un opérateur économique de la place, avec des actes de
naissance trafiqués9.
L'on s'interroge sur des mesures prises pour éviter
cette situation. Les responsables parlent de plus de vigilance. Pourtant, ils
sont nombreux les Tchadiens et Centrafricains à bénéficier
illégalement de la gratuité. La culture de la double carte
d'identité est réputée dans la région de
l'Adamaoua. Ici les frontières sont poreuses, donnant lieu à la
perméabilité de nationalité. Des doubles, voire triples
identités et nationalités, qui varient en fonction de
l'activité, du lieu et de la circonstance par un simple geste de main
dans la poche. Ce n'est pas un Tchadien qui démentira ou une
7 Entretien avec Bétara Narma Paul, personnel
d'identification, Meiganga, 04 aout 2014.
8 Entretien avec Enama Justine Rose, Chef de poste
d'identification, Ngaoundéré 14 octobre 2014.
9 Cet informateur a requis l'anonymat.
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Centrafricaine qui niera les faits, puisque jouissant de ces
facilités bon marché. « Avec l'entrée en vigueur de
la libre circulation des hommes et des personnes en zone CEMAC, il serait
patriotique pour tous de préserver leur identité véritable
»10s'exclame ce haut cadre rencontré au cours de notre
enquête. A quoi servent donc les passeports et visas s'il suffit d'une
pirouette pour changer d'identité ?
C'est un fait courant et « normal » que de
posséder la carte nationale d'identitéì de
plusieurs pays : celles du Cameroun, du Tchad, de la RCA ou du Nigeria,
notamment parce que cela facilite l'obtention d'un emploi. Un exemple
d'acquisition de cartes d'identitéì a
étéì observé lors des audiences foraines
organisées de manière expéditive dans les Régions
frontalières par le Cameroun afin de procéder à
l'identification des populations. Les populations de l'ethnie Sango
installées à Ngaoui11, par exemple, pourtant reconnues
comme exclusivement centrafricaine, ont pris massivement la
nationalitéì camerounaise tout en conservant
naturellement leur citoyennetéì centrafricaine.
À part la circulation régionale pour le commerce
ou le travail, par exemple, ces cartes d'identitéì
permettent à des bandits de dissimuler leur véritable
identitéì et de se soustraire à la police ou
à la justice. De ce fait, il semble difficile voire impossible de les
poursuivre lorsqu'ils se cachent dans les pays voisins, faute d'accords
d'extradition ou « par souci de préserver une certaine
tranquillitéì diplomatique ». À
défaut de la mise en circulation du « passeport C.E.M.A.C »
tant annoncé pour une intégration régionale
ordonnée des populations et des économies, à un usage des
cartes nationales identités à des fins de trafics
transfrontaliers, ce que favorise la mauvaise gestion de l'état-
civil.
Des candidats, munis de fausses cartes d'identité
établies sur la base d'actes de naissance appartenant à des tiers
et moyennant des rémunérations la plupart du temps, ont
régulièrement été pris en flagrant délit
dans des salles d'examens. Plusieurs fonctionnaires, militaires, policiers et
cadres d'entreprises ont réussi à passer cette épreuve, en
faisant composer des tiers lors des concours et sont actuellement en fonction.
De même que des étrangers, sous l'effet non pas de l'attrait que
le Cameroun exerce sur leur personne, mais par les effets d'une
municipalité et d'une police
10 Entretien avec Henri Sanama, commissaire de police Principal,
Meiganga, 03 Aout 2014
11 Entretien avec Deke Gabriel, agent de la Mairie de Ngaoui,
Meiganga, 06 Aout 2014.
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corrompue, brandissent avec fierté des cartes
nationales d'identité camerounaises parce que, très souvent, un
Camerounais de naissance et de souche leur a vendu l'acte de naissance d'un
parent décédé. Cet acte de naissance d'un frère
déjà décédé permet, avec une autre somme
d'argent si nécessaire, de s'établir une carte d'identité,
un passeport, voire de se présenter à des concours
administratifs. Or, l'article 341 du code pénal camerounais condamne
l'atteinte à la filiation. Toute violation à la loi est
réprimée conformément à l'article 134 relatif
à la corruption. Une corruption de la nationalité camerounaise
est actuellement exacerbée par la gratuité de
l'établissement de la carte nationale d'identité dans
l'Adamaoua.
Pourtant, un tribunal spécial a été
créé, et c'est une instance juridique qui a pour mission, de
délivrer des actes de naissance à tous ceux qui en étaient
dépourvus. Cette grâce s'obtenait après accomplissement
d'une condition unique: le témoignage de deux ou trois membres de la
famille du demandeur, attestant que ce dernier était bel et bien de la
famille, du village, du département, de la région et pourquoi pas
du pays. C'est ainsi que des commerçants nigérians,
nigériens, maliens et tchadiens ont acquis la nationalité
camerounaise dans la région de l'Adamaoua. Contre des sommes d'argent
versées à des «témoins», payés pour avoir
attesté de la «camerounité» de ces
étrangers12.
A ce sujet, plusieurs Nigérians, Tchadiens,
Nigériens et centrafricains se sont fait établir un premier acte
de naissance et ont obtenu par ricochet la nationalité camerounaise. Une
situation gravissime qu'un maire de la Région de l'Adamaoua a
dénoncée, faisant état de ce que les Centrafricains
étaient en train d'acquérir illégalement la
nationalité camerounaise13. S'il est vrai que les
autorités camerounaises, conscientes de la présence massive des
ressortissants des pays voisins sur le sol camerounais, ont pris des mesures
conséquentes pour éviter quelque imbroglio, il n'en demeure pas
moins vrai que poussé par la hantise de la refonte biométrique,
l'État du Cameroun ouvre de fait les vannes à ces
étrangers qui verront par ailleurs certaines des tracasseries
policières qu'ils essuyaient prendre un terme. Dans ce contexte,
plusieurs étrangers établis dans les localités de Djohong,
Ngaoui, Meiganga... finissent par ces stratagèmes d'acquérir des
noms camerounais en pseudonyme ou en se mettant en
12Cet informateur a requis l'anonymat. 13 Cet
informateur a requis l'anonymat
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couple avec des Camerounaises ou des Camerounais pour tromper
la vigilance des autorités. La conséquence est aisément
visible. La question de la gratuite de la carte nationale d'identité, et
celle des actes de naissance pour tous, remet au goût du jour
l'épineux problème de la naturalisation au Cameroun. Car au
regard de ce qui précède, il est un fait que nos jours, des
Tchadiens, Nigérians, Centrafricains et autres peuvent devenir
Camerounais du jour au lendemain. Cette autre trouvaille du gouvernement
camerounais, ouvre le débat sur la double nationalité au
Cameroun. Car comment comprendre, qu'un étranger puisse devenir
facilement camerounais, alors que les Camerounais qui ont la double
nationalité n'ont pas la possibilité d'exercer les droits
civiques.
Dans tous les cas, dans la suite, les maires et les officiers
de police dans les commissariats n'avaient qu'à fermer les yeux ou faire
semblant de n'est rien voir quand il fallait légaliser des pièces
ou établir des cartes nationales d'identité. Les maires
récemment portés à la tête des municipalités
à travers l'Adamaoua devront donc veiller à l'état-civil.
En attendant la venue d'un système moderne et intelligent de
centralisation et de gestion du fichier de l'état-civil national, le
Cameroun doit être habité par des Camerounais et des
étrangers bien accueillis et respectueux des lois de leur pays
d'accueil. Sinon, un ressortissant tchadien pourrait engager un litige foncier
avec un Gbaya, originaire du Mbéré, en brandissant la carte
nationale d'identité attestant qu'il est bel et bien Camerounais et de
surcroît du Mbéré. Néanmoins, l'identification a
permis aux citoyens de l'Adamaoua de participer aux échéances
électorales.
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