3-Inconvénients de la carte nationale
d'identité.
Plusieurs auteurs ou organismes privés ou publics
rapportent les difficultés les plus fréquentes que l'on rencontre
avec les moyens actuels d'identification. Au niveau du nom de chacun des
individus, il faut bien constater que plusieurs individus peuvent porter le
même nom; plusieurs résidents sont appelés à
déménager sur une base régulière ce qui rend
aléatoire l'adresse qui figure sur leurs cartes d'identité. La
carte nationale d'identité camerounaise a été rendue
obligatoire pour tous les citoyens en 1964.De ce caractère obligatoire,
il s'ensuit des pénalités encourues par ceux qui ne pourraient
l'exhiber une fois interpellés par un agent des forces de l'ordre ;
donc, en tout temps, un citoyen peut se voir demander par un policier, sa carte
nationale d'identité ; s'il ne l'a pas, l'agent des forces de l'ordre
peut lui dresser une contravention et même l'amène au poste de
police pour enquête. De même si un citoyen oubliait d'avertir
l'Administration de son changement de nom, encore là, on pourrait lui
dresser une contravention50. L'instauration d'un tel système
serait de nature à amener de
50 Entretien avec Woulkane Norbert, tailleur, Banyo, 15 juin
2014.
73
nombreux excès et acheminer la société
vers le harcèlement policier, créant une névrose
collective d'État policier.
Par ailleurs, il faut noter qu'il existe des points d'ombre
concernant l'utilisation de carte nationale d'identité. L'officier de
police d'un commissariat de la région de l'Adamaoua soulignait que dans
de très nombreux cas, les renseignements personnels concernant les
citoyens sont fichés à leur insu pour des fins qu'ils ignorent
sans qu'ils en soient postérieurement informés et sans qu'ils
puissent donc s'y objecter efficacement51. La multiplication de
données personnelles détenues dans le secteur privé et
public est susceptible de brimer ou de porter atteinte à la vie
privée des citoyens. Comme l'ont souligné avec justesse Edith
Deleury et al :
La vie privée participe de la dignité humaine.
La vie privée permet à l'individu de s'épanouir par
l'affirmation de ses singularités, d'acquérir un sens de soi
à l'abri de l'indiscrétion ou du jugement d'autrui. Le
développement d'une personnalité propre et unique passe
obligatoirement par le respect d'une sphère individuelle au travers de
laquelle l'individu assume et cultive ses différences52.
La vie privée est donc intimement liée à
l'autonomie individuelle et constitue l'essence même de notre
société libre et démocratique. Il y a en Europe une
résistance réelle à l'idée d'une carte
d'identification universelle, d'une carte d'identité obligatoire. Parmi
les valeurs qui sont remises en question par une carte d'identité, on
retrouve notamment les suivantes : l'autonomie individuelle,
l'autodétermination en matière d'information, l'accès
exclusif au contrôle de la sphère privée de l'individu, le
droit à l'anonymat et à la solitude. Ainsi, Simon Rogerson
justifiait par ailleurs que l'instauration d'une carte d'identité
obligatoire est susceptible d'affecter les rapports entre l'État, la
police et les citoyens, entre les demandeurs de renseignements personnels et
les personnes concernées53.
51 Cet informateur a requis l'anonymat
52 E. Deleury, 1997, « Mémoire sur la carte
d'identité et la protection de la vie privée »,
présenté à la commission de la culture de
l'Assemblée nationale du Québec, Québec, Barreau du
Québec, p. 7.
53There are many countries where it's become
almost impossibly inconvenient not to have an ID card, because so many benefits
and services depend on it. And by inexorable logic of «nothing to hide
nothing to fear anyone not in possession of an ID card, or unwilling to produce
one could easily become an object of suspicion-for a range of officials, from
police to bank clerks. So even a voluntary scheme could easily increase the
risk of harassment of minority groups.
74
Par ailleurs, Simon Rogerson 54 renchérit
que les groupes démunis et les minorités subissent davantage les
inconvénients et le coût social de ces technologies. Ainsi
concrètement :
- La carte nationale d'identité peut engendrer des abus
quant à l'obligation pour le détenteur de la produire à
tout moment à toute personne qui la requiert ;
- La carte nationale d'identité obligatoire pourrait
altérer les relations entre les citoyens et policiers, si ceux-ci
l'exigent en tout temps sans raison valable ;
- En plus, la carte d'identité porte un numéro
unique permanent rattaché au détenteur, le fichier peut devenir
l'objet de convoitise de beaucoup d'entreprises et d'organismes. Les
entreprises et organismes voudront avoir accès au fichier afin de
comparer les données qu'ils détiennent avec celles contenues dans
le fichier pour vérifier l'éligibilité des citoyens aux
services et programmes ou pour retracer ceux qui ne s'acquittent pas de leurs
obligations. Le fichier pourrait également servir à la
constitution de profils sur la consommation de services. Dans certains cas, la
comparaison peut se faire à l'insu de la personne concernée et
lui causer des préjudices si, à la suite de la comparaison, la
personne se voit retirer un service ou une prestation sans qu'on lui ait
donné la possibilité de se faire entendre55.
- La carte nationale d'identité peut s'avérer un
document attrayant pour les criminels et favoriser la fraude et le crime en
développant un marché pour cartes volées ou
contrefaites.
- La carte nationale d'identité est onéreuse
pour le gouvernement qui l'émet ou pour le citoyen qui doit se la
procurer et la renouveler.
- la non-possession prive les citoyens de certains services
publics et privés.
-Elle peut s'avérer très coûteuse à
produire et à mettre à jour. Tel n'est pas toujours le cas, mais
les coûts augmentent à mesure que s'ajoutent des
éléments de sécurité et que la carte s'impose comme
la principale pièce d'identité du citoyen.
-La production de la carte exige une structure administrative
importante.
54We live in age where citizens are becoming
more and more dependent on digital icons, such as credit card, national
insurance numbers and PIN numbers, in order to live and work. Those not in
possession of such icons will fin did difficult to exist and will become
increasingly disadvantaged. The identity car did see as yet another icon but on
which more embracing and having greater potential to alter society radically.
S.Rogerson, 1995, « The Green paper on Identity cards, A response
from the Center for Computing and social responsability »,United Kingdom,
Center for Computing and social Responsibility, p. 1.
55Deleury, 1997, p.8.
75
-Elle doit être produite avec une technologie
appropriée. S'il n'y a pas d'électricité là
où l'établissement se fait et où les cartes sont
délivrées.
En somme. Bien qu'elle soit obligatoire, la carte nationale
d'identité n'est pas à la portée de tous les citoyens
à cause de son coût. Certaines minorités assument les
conséquences de façon plus sensible que les autres citoyens. Une
réglementation efficace de la transmission des renseignements personnels
pose aussi un réel défi. Tout Camerounais résidant au
Cameroun est, sous peine des sanctions prévues à l'article 370 du
Code Pénal, tenu de déclarer à l'officier
d'état-civil territorialement compétent les naissances, et plus
tard à l'âge de 18 ans de se faire établir une carte
nationale dans un poste d'identification de sa localité. Ceci concourt
à l'identification de la personne physique. Ainsi, il y a trois
manières de concevoir la carte nationale d'identité : il y a
d'abord cet angle subjectif qui est celui de l'individu, et qui peut relever de
la déclaration de l'identité individuelle. Là, on va
précisément parler d'identité. Puis, il y a le point de
vue de l'État qui, lui va se fonder plutôt sur des critères
objectifs, voire des critères scientifiques qui sont aujourd'hui au
centre de débats politiques et là, on va plutôt parler
d'identification. La première conception débouche sur la
sécurisation de l'identité et la seconde sur la base de
données de population. Un troisième pan, qui va retenir notre
attention est sa fonction d'ordre social. L'état des personnes recense
donc des mesures de police prises pour identifier les personnes, pour assurer
leur unicité. Pour cette raison, la carte nationale d'identité
est constituée de règles d'ordre public et un instrument de
contrôle et régulation de la sécurité, d'où
la déclaration de Thierry Braspenning56,
L'institutionnalisation de l'identité et de la menace
apporte, paradoxalement, la sécurité. Lorsque l'objet de la peur
a été clairement identifié, on sait mieux ce qui est
menacé et quelle attitude, quelle stratégie peut aider à
s'en prémunir. La survie est une question d'identification. Elle est une
interrogation sur le « qui », le « quoi », le «
pourquoi » et le « comment ». Qui ou qu'est ce qui est
menacé ? Par qui ou quoi ? Pourquoi ? Comment en sortir ? Les
représentations sociales que sont les institutions insèrent la
peur dans un cadre qui sécurise l'environnement systémique.
56T. Braspenning, 2000, « Group identity and
the disintegration of the modern link between Security and fear »,
contribution présentée à l'occasion de la graduate
conference in Political Theory à l'Universitéd'Essex du 12 au 13
mai 2000, p.12.
76
Ces propos traduisent l'importance de la carte nationale
d'identité dans la lutte contre le phénomène de
l'insécurité.
Après avoir étudié le contenu de la carte
nationale d'identité et appréhendé les différents
éléments que le droit civil considère pour distinguer les
personnes, il en ressort que l'autorité publique aurait
intérêt à ce que ces différents
éléments ne disparaissent pas pour que l'individualisation d'une
personne ne puisse être reproduite sans autorisation, sauf usage
personnel. En tout cas, le droit civil a toujours organisé un
système de constatation de l'identité malgré les multiples
contentieux qui l'émaillent.
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