II-Institution et évolution de la carte
nationale d'identité au Cameroun
de 1960 à 2007.
Une minutieuse analyse formelle et matérielle des
documents d'identité au Cameroun depuis la période coloniale
permet de découvrir l'évolution de la carte nationale
d'identité qui, de l'état-civil (acte de naissance)
concédé par un officier d'état-civil dès la
naissance d'un individu, se transforme en certificat durable émis par un
bureau créé à cet effet : il s'agit d'un support papier
sur lequel sont annotées des informations de plus en plus
détaillées sur l'identité du possesseur. Bien plus tard,
ce cadre informatif sera renforcé par un support plus
sécurisé. Un tel changement implique nécessairement
l'élaboration d'un code permettant de décrire un individu sur la
base de critères esthétiques et moraux. Dans la poursuite
incessante d'une objectivité maximale
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de tels critères, ce sont surtout les
caractéristiques physiques qui finissent par jouer un rôle
privilégié pour signaler les personnes.
Les années 1960 et 1990 au Cameroun marquent un
tournant historique pour l'identification. C'est au cours de ces années
que s'articulent et s'élaborent des techniques et des instruments
d'identification individuelle. Le critère de l'appartenance à la
communauté nationale défini par la constitution, avec les droits
et les devoirs qui en dérivent, se greffe en réalité sur
un substrat de savoirs et de pratiques qui sont peu connus de la population.
Trois événements majeurs sont tributaires de l'histoire de la
carte nationale d'identité : l'indépendance du Cameroun sous
administration française le 1er janvier 1960 caractérisée
par une réelle volonté de construction d'un État
souverain, la réunification en 1961 notamment avec la question de la
nationalité du Cameroun et 1990 caractérisée par
l'ouverture démocratique et la lutte contre
l'insécurité.
1-Législation et conditions d'établissement
de la carte nationale d'identité au Cameroun.
Le passage de l'identité à l'identification a
permis d'ouvrir toute une série de législations. Les textes ont
constitué un facteur décisif dans le développement du
système d'identification au Cameroun. L'étude des textes relatifs
à l'identification en général et de la carte nationale
d'identité en particulier permet de mettre en relief le processus de la
mise en place du système d'identification des citoyens camerounais. En
effet, l'essor des papiers d'identité est indissociable de la
législation mise sur pied par l'État. C'est en principe
l'État qui définit la politique d'identification dans le but de
sécuriser la nationalité et l'identité des personnes. La
mise en place des textes relatifs à la carte nationale d'identité
reste cependant intéressante à étudier. Par ailleurs, une
manière de réfléchir sur le fonctionnement du
système d'identification du Cameroun, il importe de faire une certaine
analyse de la procédure d'établissement de la carte nationale
d'identité.
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1-1. Les décrets et les lois instituant,
organisant et contrôlant la carte nationale d'identité au Cameroun
(1964-2007).
Au Cameroun, la période postcoloniale qui débute
à partir de 1960, est envisagée comme une période de
configuration politique et sociale particulière. Cette période
présente des caractéristiques spécifiques du point de vue
de la mise en oeuvre de l'action politique et juridique. C'est dans cette
optique qu'est né le système d'identification par le biais des
lois et décrets traduisant ainsi l'idée républicaine du
politique. Il s'agit d'inventorier les textes les plus importants qui
régissent l'établissement de la carte nationale
d'identité, tout en analysant leurs contenus. Ainsi, avant de parler des
textes régissant la carte nationale d'identité, il est important
d'expliciter, au préalable, le texte de base de la nationalité,
puisqu'il s'agit de la sécurisation de cette nationalité.
Chaque État souverainement reconnu définit les
lois régissant l'attribution de la nationalité et
détermine ainsi qui sont ses nationaux. L'accession du Cameroun
français à l'indépendance en 1960 a levé les doutes
sur l'existence d'une nationalité camerounaise et a rendu indispensable
l'édiction d'une législation sur cette matière. Le code de
la nationalité camerounaise comme tous les codes de nationalité,
consacre une série d'articles à la nationalité d'origine,
c'est-à-dire à la nationalité conférée
à un individu au moment de sa naissance. Le problème est de
savoir quel est le critère adopté pour déterminer cette
nationalité d'origine. Les techniques sont en nombre limité ou
bien le législateur tient compte de la filiation (jus
sanguinis) ou bien il se base sur le lieu de naissance (jus
solis); ou bien encore, il combine ces deux critères. Le code de
nationalité camerounaise exige que l'enfant légitime soit
né de « parents camerounais » sans donner une
prééminence quelconque au père. Le pluriel semblerait
indiquer que le père et la mère doivent posséder la
nationalité camerounaise. Mais le rapprochement des articles 7 et 20 du
code de la nationalité camerounaise9 montre que le
père a une prédominance absolue puisque l'enfant possède
sa nationalité même si la mère est étrangère
alors que la nationalité camerounaise de la mère ne suffit pas
à conférer à l'enfant cette nationalité lorsque
le
9 Voir le code de la nationalité camerounaise de 1968.
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père est étranger. Ces règles sont
conformes aux coutumes en vigueur au Cameroun (soudanaises dans le nord,
bantoues dans le sud et Bamiléké dans l'ouest).10
De plus, la combinaison des deux critères dispose que
l'enfant trouvé sur le territoire camerounais et dont les parents sont
inconnus possède la nationalité camerounaise sauf s'il y a
possibilité d'établir ultérieurement sa filiation. Par
ailleurs, la nationalité camerounaise peut être acquise par effet
de mariage, par déclaration de nationalité en raison de
naissance, de résidence ou de l'adoption d'un enfant ou encore par
réintégration des parents11.
Dans la pratique, les magistrats de la juridiction civile sont
les autorités habilitées à délivrer un certificat
de nationalité camerounaise qui, en principe, constitue le document
essentiel pour l'établissement et la délivrance d'une carte
nationale d'identité au Cameroun. Cependant, il est judicieux d'examiner
les lois et les décrets relatifs à l'institution, à
l'organisation et au contrôle de la carte nationale d'identité au
Cameroun.
La loi est une disposition normative et abstraite posant une
règle juridique d'application obligatoire. On distingue d'une part, les
lois constitutionnelles qui définissent les droits fondamentaux, fixent
l'organisation des pouvoirs publics et les rapports entre eux, les lois
organiques qui structurent les institutions de la république et
pourvoient aux fonctions des pouvoirs publics et d'autre part, les lois
ordinaires12. Le décret quant à lui, est un acte, un
arrêté, une décision du pouvoir exécutif ayant pour
but d'assurer le fonctionnement des services publics et l'exécution des
lois. Le décret est donc un complément de la loi, et se
différencie de cette dernière du fait que les lois sont
votées par les Assemblées législatives, tandis que les
décrets sont rendus par les chefs d'État ou de
gouvernement13. Dans le cadre de ce travail, nous allons nous
appesantir sur les lois organiques qui structurent la carte nationale
d'identité au Cameroun.
10 M. Biéville, 1961, «La nationalité en
Afrique : la nationalité camerounaise », Revue
d'outre-mer, p. 600.
11 Voir le code de la nationalité camerounaise,
précisément le chapitre3, les paragraphes 1 ; 2 et 3.
12 Dictionnaire Universel Larousse, 1997, p. 926.
13 Ibid., p.431.
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L'état-civil est le document de base pour
l'établissement d'une carte nationale d'identité au Cameroun.
Né des cendres des arrêtés coloniaux du 30 juin 1917, du 16
mars 1935 et du 17 décembre 1948, la loi n°68/LF/2 du 11juin 1968
portant organisation de l'état-civil dans la république
fédérale du Cameroun est le premier texte relatif à
l'identification officielle au Cameroun. En effet, cette loi définit les
modalités et les caractéristiques d'enregistrement et
d'établissement des actes de naissance qui sont les documents de preuve
de la nationalité camerounaise. Dans la composition de dossier de
l'établissement d'une carte nationale d'identité, l'absence de
l'acte de naissance compromet la délivrance de celle-ci. C'est pourquoi
un intérêt public de cette loi s'attache à ce que toute
personne vivant habituellement au Cameroun, même si elle est née
à l'étranger soit pourvue d'un acte de naissance, ce qui
garantirait, à cet effet, sa nationalité camerounaise. Cependant,
pour mieux appuyer la politique d'identification au Cameroun, la loi
n°69/LF/3 du 14 juin 1969 portant réglementation de l'usage des
noms, prénoms et pseudonymes complète celle sur
l'état-civil. Cette loi vient ainsi sécuriser et officialiser
l`identité des citoyens camerounais. Elle stipule en son article 1 que :
« les agents publics sont tenus de designer les citoyens dans les actes
officiels par leurs noms, prénoms et éventuellement leurs surnoms
». De ce qui précède, il faut noter que le nom est un
élément essentiel pour l'établissement de la carte
nationale d'identité au Cameroun. C'est le premier identificateur.
Le décret n° 64-DF-394 est celui qui institua la
carte nationale d'identité au Cameroun. Par ce décret, la
délégation à la sûreté fédérale
(DSF) est l'organe tutélaire de l'établissement des cartes
nationales d'identité au Cameroun. Ainsi, ce décret
précise que la carte nationale d'identité est
délivrée par les commissaires et les chefs de circonscriptions
territoriales auxquels le directeur de la sûreté
fédérale délègue sa signature. Par ailleurs, la
validité de la carte nationale d'identité est
précisée dans ce décret à 10 ans14. Au
cours de la même année, la loi n° 64-LF15, rend la
possession de la carte nationale d'identité obligatoire pour tout
citoyen camerounais ayant atteint l'âge de 18ans. Désormais, la
carte nationale d'identité doit être présentée
à toute réquisition de l'agent de la force de l'ordre. La
contravention (falsification, cession, contrefaçon du document
d'identité) à ladite loi, est punie soit d'une amende de 60000
FCFA ou d'un emprisonnement ne pouvant excéder un an. Ensuite, la loi
n° 90-54 du 19
14 Voir article 3 et 6 dudit décret.
15 Voir la loi n° 64-LF du 13 novembre 1964 rendant
obligatoire la carte nationale d'identité.
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décembre16institue le contrôle
d'identité des personnes au Cameroun. En fait, l'exégèse
de cette loi permet de déduire qu'il existe deux types de contrôle
d'identité : le contrôle de la gendarmerie et le contrôle
administratif. Elle précise dans son article premier que
l'identité de toute personne peut être contrôlée dans
le cadre des opérations du maintien de l'ordre publique. Ce
contrôle peut être réalisé par les autorités
administratives et par les agents de la force de l'ordre en vue de
rétablir l'ordre public lorsqu'il est troublé. Par ailleurs,
d'après cette loi, le contrôle d'identité peut
également être effectué à tout moment et en tout
lieu notamment au cours de la traversée d'une circonscription
administrative ou par des patrouilles des militaires de la gendarmerie, et de
la brigade quel que soit leurs grades et leurs qualités. Il s'agit
là d'un contrôle préventif d'identité. La
gendarmerie détient en permanence le droit de contrôler
l'identité de toute personne rencontrée. Ce contrôle
concerne aussi les automobilistes et les occupants des
véhicules.17Les attributions similaires sont
conférées à la police camerounaise d'assurer le respect et
la protection des institutions, des libertés des personnes, du maintien
de l'ordre et de la sécurité publique.
Plus de trois décennies après l'institution de
la carte nationale d'identité, le décret du 20 juillet 1999,
redéfinit les caractéristiques, les modalités
d'établissement et de délivrance de la carte nationale
d'identité. C'est en fait, une nouvelle procédure
d'établissement qui, progressivement a été mise en place
dans les postes d'identification. Ce décret fixe ainsi un délai
maximum de 24 mois pour remplacer l'ancienne carte nationale d'identité.
Dès lors, ce décret apporte quelques innovations dans le
processus d'établissement de la carte nationale d'identité au
Cameroun. Désormais la carte nationale d'identité est
établie et délivrée à partir d'un certificat de
nationalité ou d'une attestation d'état-civil. Cependant, ce
décret abroge celui de 1964 précédemment cité, en
confiant uniquement l'établissement et la délivrance de la carte
nationale d'identité à la délégation
générale à la sûreté nationale.
Désormais, le délégué général
à la sûreté nationale est la seule autorité
habilitée à signer les cartes nationales d'identité au
Cameroun. Ce décret est abrogé par celui du 4 septembre 2007 qui
apporte juste une légère modification au niveau de la dimension
de la carte nationale d'identité.
16 Loi n° 90-54 du 19 décembre 1990 relative au
maintien de l'ordre au Cameroun.
17 Article 59 de ladite loi.
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