CHAPITRE I : LES FONDEMENTS DE LA POLITIQUE MONETAIRE
INDIENNE
L'étude de l'impact de la politique monétaire
sur les performances macroéconomiques de l'Inde nécessite avant
tout de bien comprendre le cadre général dans lequel elle est
mise (I) et la relation qui existe entre celle-ci et le crédit bancaire
(II).
I. CADRE GENERALE
Le préambule des statuts de 1934 de la RBI stipule que
son objectif consiste à la « réglementation de
l'émission des billets et à la détention de
réserves dans le but d'assurer la stabilité monétaire en
Inde et, plus généralement, à faire fonctionner le
système monétaire et de crédit du pays à son
avantage2 » (Reserve Bank Act, 1934, p.11).
L'analyse des fondements de la politique monétaire consistera à
présenter l'évolution de la politique monétaire (1), les
objectifs poursuivis par la RBI (2) et les instruments (3) de sa mise en
oeuvre.
1. Evolution de la politique monétaire depuis la
période pré-réforme
Selon le FMI, la conduite de la politique monétaire
indienne a évolué au cours de ces dernières
décennies en réponse à la libéralisation
économique et financière du pays entamée au début
des années 1990. En effet, le mandat de la Banque centrale indienne a
évolué pour intégrer simultanément plusieurs
objectifs comme le soutien à la croissance, la stabilité des prix
et la stabilité financière. Les actions des autorités
monétaires ont largement été influencées par la
nature des systèmes économiques qui ont marqué l'histoire
du pays.
Pendant la période de planification économique,
la banque centrale avait perdu son indépendance vis-à-vis du
Gouvernement. Elle intervenait alors massivement dans le financement du
déficit public. Comme le souligne Goyal (2014), la première
responsabilité de la RBI à cette époque était de
« trouver les ressources pour financer les dépenses du
gouvernement ». Il y avait une monétisation automatique du
déficit budgétaire (Mohan, 2008) : la RBI accordait au
gouvernement central des crédits de court terme (n'excédant pas
trois mois) pour financer son déficit. La politique monétaire au
cours de cette période était subordonnée à
![](Politique-monetaire-credit-et-croissance-en-Inde8.png)
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2Traduction de la version anglaise « to regulate
the issue of Bank notes and the keeping of reserves in the view to securing
monetary stability in India and generally to operate the current and credit
system of the country to its advantage » (RBI Act, 1934, p. 11)
la politique budgétaire ; en atteste le ratio du
concours net de la banque centrale au gouvernement qui atteint 92% de ses
crédits en 1980.
Cela n'a rien d'étonnant lorsque l'on sait que cette
période fut également caractérisée par la dominance
des idées keynésiennes qui ont influencé les
décideurs politiques de cette époque. La priorité
était donc accordée aux dépenses publiques, la politique
monétaire apparaissant comme un moyen d'accompagnement du budget de
l'Etat.
Au cours de cette période de pré-réforme,
le secteur financier indien était très fragmenté et
fortement régulé : les taux d'intérêt sur le
marché des titres publics et le crédit étaient
administrés. Le financement du déficit public se faisait alors
par un arrangement institutionnel entre les autorités monétaire
et budgétaire. La banque centrale utilisait le mécanisme du Ratio
de Liquidité Statutaire (Statutory Liquidity Ratio)
-c'est-à-dire la part du passif des banques commerciales investie dans
les titres publics à des taux inférieurs à ceux du
marché - pour apporter son concours au gouvernement.
Plus tard, avec la persistance d'une inflation trop forte, la
stabilité des prix est devenue un objectif important pour la banque
centrale. C'est l'ouverture économique graduelle à partir des
années 1980, qui va modifier de manière importante la conception
et la mise en oeuvre de la politique monétaire. Désormais, la
RBI, pour éviter la dépréciation de la roupie (monnaie
nationale), intervient pour assurer sa convertibilité sur le
marché des changes.
La réforme du secteur financier commence au milieu des
années 1980, mais elle ne connaîtra une accélération
qu'à partir de 1991 suite à la crise des paiements3
qu'a connu le pays. C'est pourquoi Reddy (1999) propose de considérer
l'année 1992 comme celle qui marque la fin de la période
pré-réforme et le début de la période
post-réforme.
La détérioration du déficit public
à partir de 19804, suscite de vives critiques contre les
décideurs politiques (Rangarajan, 1993). Cela conduit le gouvernement et
la RBI à entreprendre des réformes. Entre 1991 et 1993, le pays
est mis sous la tutelle des institutions du Consensus de Washington dont le FMI
qui accorde au gouvernement, un prêt de 1,5 milliards de DTS (droit de
tirage spéciaux) assortit de conditionnalités pour faire face
à la grave crise des paiements que connaissait le pays. Cependant, la
pression des syndicats amène le gouvernement à rejeter dès
1993, le plan de réformes proposé par le FMI et à engager
ses propres reformes de façon graduelle (Drèze et Sen, 2014 ;
Mohan, 2013). La réforme du secteur financier initiée au milieu
des années 1980, a introduit des changements importants dans ce secteur
et conditionné de
![](Politique-monetaire-credit-et-croissance-en-Inde9.png)
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3 Les causes de cette crise sont essentiellement
l'instabilité politique, la guerre d'Irak au Koweït, et
l'utilisation du budget pour des fins électoralistes, la crise de
confiance des créanciers 4Le concours de la RBI au
gouvernement représente 3/4 de la base monétaire
![](Politique-monetaire-credit-et-croissance-en-Inde10.png)
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facto, la conduite de la politique
monétaire.
Le comité Chakravarty de 1985 a préconisé
par exemple, la régulation de l'offre de monnaie selon
l'évolution du rapport prix/PIB. Pour atteindre l'objectif
souhaité de l'expansion monétaire, le comité a
également recommandé le contrôle de la base
monétaire. Toutefois, la monétisation automatique du
déficit public rendait difficile l'application de cette proposition.
C'est ainsi que les autorités monétaires se sont rendues compte
de la nécessité de changer l'arrangement institutionnel qui
gouvernait jusque-là la conduite de la politique monétaire et qui
entravait son efficacité. Un accord historique fut signé entre le
gouvernement et la banque centrale au cours de l'année financière
1994-1995. Cet accord entré en vigueur le 1er avril 1997,
prévoyait notamment la suppression du financement automatique du
déficit de l'Etat.
De plus, pour améliorer la liquidité de court
terme, plusieurs mesures nouvelles ont été introduites telles que
les certificats de participation interbancaires (interbank participation
certificates) ; les certificats de dépôts (certificates
of deposits) ; le papier commercial (commercial paper). Ces
réformes structurelles de l'économie conduisent à des
changements importants dans le financement de l'économie par la banque
centrale : les taux d'intérêts jusque-là administrés
et le taux de change deviennent de plus en plus « market-determined
» (FMI, 2015). En 1998, la RBI s'est détachée peu
à peu des instruments directs de sa politique monétaire pour
appliquer des instruments indirects et pour poursuivre plusieurs objectifs
à la fois tels que la croissance, la stabilité des prix et la
stabilité financière.
Toutefois, Zane (2012) et Cottet (2012) soutiennent que
malgré la dérégulation des taux d'intérêts
depuis 1991, le secteur bancaire reste toujours l'un des pans les plus
régulés de l'économie indienne. La RBI est elle-même
toujours sous l'influence des autorités politiques, et continue
d'imposer aux banques commerciales des contraintes en matière de gestion
de leurs portefeuilles. Par exemple, elle décide toujours du pourcentage
minimum que les banques doivent investir dans les obligations d'Etat ou
prêter aux secteurs jugés prioritaires ; elle réglemente
également la politique d'implantation de succursales des banques dans
les différentes régions de l'Etat fédéral. Selon
Boillot (2012) la distribution du crédit en Inde est toujours
dominée par les banques publiques malgré la libéralisation
de ce secteur.
La persistance de l'inflation dans l'économie indienne
jusqu'à la période récente a conduit plusieurs
observateurs à remettre en cause l'efficacité des actions de la
RBI. En particulier, les critiques portent sur le fait que l'utilisation d'un
panel d'objectifs ne fournit pas un ancrage réel pour la politique
monétaire car elle laisse bon nombre d'acteurs du marché dans une
situation incertaine et confuse (Kramer et al., 2008). Il y a donc
d'une part, ceux qui critiquent le fait que la banque centrale indienne accorde
très peu d'importance à l'inflation et de l'autre, ceux qui
![](Politique-monetaire-credit-et-croissance-en-Inde11.png)
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soutiennent le pragmatisme pratiqué par les
autorités monétaires. Pour mieux comprendre ces critiques, il
convient de détailler les objectifs (2) et les instruments de la RBI
(3).
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