3. Contribution du crédit bancaire au produit
intérieur brut
En Inde, le crédit domestique occupe une place
importante dans la production nationale comme le montre le graphique
ci-dessous. Les petites et moyennes entreprises qui dominent l'économie
indienne dépendent principalement du crédit bancaire pour leurs
activités d'investissement. Seules les grandes entreprises bien
structurés peuvent accéder aux financements des marchés
financiers. La part du crédit bancaire domestique dans le PIB est
passée de 20,18% en 1980 à plus de 51% en 2014. A partir des
années 2000, il y a eu une forte progression de la contribution du
crédit domestique au PIB. La production des entreprises
bénéficie d'un marché intérieur important de plus
d'un milliard de consommateurs. Boillot (2014) estime que le décollage
économique de l'Inde est dû à deux facteurs principaux : la
population qui représente une « fenêtre d'opportunité
démographique » et le régime démocratique qui offre
une plus grande participation de toutes les castes dans la prise des
décisions. Malgré la rigueur monétaire initiée par
la RBI entre 2010 et 2011, la part du crédit bancaire dans le PIB a
continué à progresser suggérant ainsi qu'une politique
monétaire restrictive ne se traduit pas nécessairement par une
contraction du crédit offert par le système bancaire.
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Figure 8: Contribution du crédit domestique au PIB
(en %)
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50
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40 30 20 10
0
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1980 1982 1984 1986 1988 1990 1992 1994 1996 1998 2000
2002 2004 2006 2008 2010 2012 2014
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Source : Fait par nos propres soins avec les données de la
Banque mondiale
4. Impact social de la politique monétaire A. Impact
sur l'emploi et les salaires
L'inde est également un géant
démographique qui doit faire face aux besoins croissants de sa jeunesse,
notamment en termes de création d'emplois. Malheureusement, sa
montée en puissance s'est traduite par une « croissance sans
emplois » (Drèze et Sen, 2014 ; Boillot, 2006). Comme le souligne
Dejouhanet (2016), depuis le tournant néolibéral, la diffusion de
la croissance est restée « limitée à certaines
régions, à certaines catégories de la population et
à certains réseaux sociaux économiques ».
L'accélération de la croissance a été suivie par
une faible création d'emplois (Papola et Sahu, 2012).
La majorité de la population active indienne est
employée dans les secteurs non organisés tandis que seulement 10%
se retrouvent dans les secteurs organisés (Reddy, 2007). Pour Kotwal et
al. (2011), il y a « deux Indes » : d'un
côté il y a l'Inde des gestionnaires et des ingénieurs
instruits qui ont pu saisir les occasions offertes par la mondialisation et de
l'autre, celle d'une masse de gens insuffisamment instruits qui gagnent leur
vie dans les emplois peu productifs. L'Inde détiendrait ainsi le record
du nombre de pauvres et occupe pourtant la troisième place mondiale en
effectif de milliardaires (Dejouhanet, 2016).
Quelles en sont les raisons ? Il existe plusieurs explications
plausibles à ce paradoxe.
La première explication tient au fait que la croissance
de l'Inde est tirée par des secteurs faiblement intensifs en main
d'oeuvre. Contrairement à certains pays où l'essor
économique s'est d'abord traduit dans l'agriculture puis dans
l'industrie, la croissance indienne a été
principalement portée par le secteur de l'industrie et
celui des services (conception de logiciels, les services financiers et autres
métiers spécialisés) faiblement intensifs en main
d'oeuvre.
Deuxièmement, ce paradoxe de la « croissance
sans emplois » s'explique par le développement de la
sous-traitance en Inde. En effet, les grandes entreprises bien
structurées sont soumises à une législation du travail
très rigides à leur égard. Pour échapper à
cette réglementation, elles développement des relations de
sous-traitance avec les PME à l'abri de la législation du
travail. Comme le soulignent de manière formelle Landy et Varrel (2015),
« si le sous-développement général et la
rareté des emplois sont facteurs de croissance par le bas du secteur
informel, c'est par le haut que le secteur formel lui-même a tendance
à favoriser l'informel, externalisant sa production par la
sous-traitance, afin d'échapper aux lois sociales et d'adopter
suffisamment de flexibilité ». En effet, les petites et
moyennes entreprises sont dispensées, contrairement aux grandes, de
respecter la loi sur le secteur industriel ( Factories Act de 1948)
qui impose certaines conditions de travail dont huit heures de travail
journalier, l'âge minimum de travail à 14ans, le respect du
salaire minimal (570 dollars USD), la protection sociale des travailleurs
(assurance, retraites), le respect des quotas d'emplois réservés
aux basses classes dans les grandes entreprises et
l'administration11.
Pour échapper à toutes ces contraintes, les
grandes entreprises indiennes font recours aux petites et moyennes entreprises
du secteur inorganisé pour développer certaines de leurs
activités. Très hétérogène, ce secteur
emploie 90%12 de la population active et regroupe aussi bien des
sous-traitants d'entreprises informatiques que des fabricants d'allumettes
à domicile (Landy et Varrel, 2015). La plupart des emplois dans ce
secteur sont saisonniers et occupés par des «
chasseurs-cueilleurs de salaire » selon l'expression de Jean
Breman (2009). De plus, les salaires y sont bas et les conditions de travail,
précaires.
L'élasticité de l'emploi dans les secteurs
organisés est devenue presque nulle selon les estimations de la
Commission du Plan en 2002. La conséquence en est que l'Inde connait une
forte croissance économique mais il s'agit d'une croissance qui
génère très peu d'emplois. L'importance croissante du
secteur des services (moins intensifs en main d'oeuvre) dans l'économie
indienne et le développement de la sous-traitance sont les principaux
freins à la création d'emplois malgré les bonnes
performances économiques.
La répartition sectorielle de l'emploi se
présente comme suit entre 1999 et 2010 : la part de l'emploi dans
l'agriculture est passée de 61,7% à 51,8%, mais ce secteur reste
largement
39
11 Il faut aussi préciser en plus que le
syndicalisme n'existe pas dans les secteurs inorganisés indiens.
12 En excluant l'emploi dans le secteur agricole, ce
ratio est de 75%.
40
celui qui occupe le plus grand nombre des indiens actifs (58%
environ). Au cours de la même période, la part de l'emploi dans le
secteur des services est passée de 22,5% à 26,3%. Quant à
celle du secteur industriel elle passée de 15,9% à 21,9% au cours
de la même période. Il y a certes un accroissement de l'emploi
dans les secteurs des services et de l'industrie mais cet accroissement reste
encore faible.
Figure 9. Répartition de l'emploi par secteur
d'activité (en %)
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70 60 50 40 30 20 10 0
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Emploi par secteur (en %)
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1994 2000 2005 2010 2012 2013
Agriculture Industrie Services
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Source : Auteur, données Banque mondiale
Quant aux salaires, ils ont fortement augmenté ces
dernières années en Inde mais seulement dans les secteurs qui
exigent une qualification élevée comme dans la construction et
les services financiers. Si dans d'autres pays émergents comme la Chine
la hausse des salaires a été l'oeuvre de l'Etat pour soutenir le
consommateur-salarié, en Inde cette hausse est principalement due
à une pénurie d'une main d'oeuvre qualifiée. Le taux
d'alphabétisation en Inde, bien qu'il soit au-dessus de la moyenne (soit
63%), reste encore inférieur à certains émergents comme la
Chine où il atteint 90%.
Tableau 2. Taux de croissance de l'emploi par secteur
d'activité (en %)
Secteurs
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1999-2000 à 2000-2004
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2004-2005 à 2009-2010
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Agriculture
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15,2%
|
-8,2%
|
Mines
|
27,7%
|
4,7%
|
Manufacturier
|
43,3%
|
-6,3%
|
Electricité et gaz
|
32,5%
|
-5,3%
|
Construction
|
65,0%
|
70,0%
|
Commerce et hôtellerie
|
37,3%
|
4,5%
|
Transport et logistique
|
43,3%
|
10,8%
|
Servies financiers et business
|
90,6%
|
31,4%
|
Ad. Publique, services sociaux
|
25,5%
|
5,4%
|
Total
|
25,3%
|
0,4%
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Source : ILO (2015), p.4
B. Impact sur la pauvreté et les
inégalités
Plusieurs auteurs dont Drèze et Sen (2014) ont
montré que la pauvreté a moins diminué en Inde que dans
l'ensemble des pays émergents au cours des deux dernières
décennies malgré une croissance économique forte. Selon la
Banque mondiale, la part de la population indienne vivant en dessous du seuil
de pauvreté (poverty line) estimé à 1,25 dollars
par jour s'élevait à 60% en 1981 ; 41,6% en 2005 et 23,6% en
2011. Malgré cette tendance à la baisse de la pauvreté, il
y a une discordance entre les performances enregistrées en termes de
croissance économique et l'amélioration du niveau de vie des
populations. Les estimations de la banque centrale en 2013,
révèlent qu'environ 21,9% de la population indienne (soit 269,783
millions de personnes) vivent encore en dessous du seuil de pauvreté
revu à la hausse (1,9013 dollars par jour).
Au niveau des indicateurs du développement humain, il y
a certes, une amélioration cependant, la diminution de la
pauvreté cache d'énormes disparités sur le plan national.
La pauvreté reste plus sévère en zone rurale qu'en zone
urbaine où les possibilités d'emplois sont plus nombreuses.
L'indice de développement humain en Inde a connu une forte croissance
entre 1990 et 2010, puis s'est stabilisé autour de 0,60 depuis 2011
(voir figure 10). Le Rapport de 2015 sur le développement humain du PNUD
classe l'Inde 130ème sur 188 pays avec un IDH de 0,609.
L'orientation néolibéral de la politique économique s'est
accompagnée comme dans la plupart des autres émergents, d'un
creusement des inégalités entre villes et campagnes, entre riches
et pauvres, entre Etats (Jaffrelot, 2010 ; Leroy, 2011). L'indice de Gini de
l'Inde est évalué à environ 34% en 2009.
41
13 Le seuil de pauvreté qui était
initialement de 1,25 dollars par jour a été revue à hausse
pour se situer à 1,90 dollars par jour (soit 130 roupie par jour en
monnaie nationale)
42
Figure 10: Evolution de l'IDH
0,700
0,600 0,500 0,400 0,300 0,200 0,100 0,000
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1990 2000 2010 2011 2012 2013 2014
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Source : Fait par nos propres soins avec les données du
PNUD
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