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Politique monétaire, crédit et croissance en Inde

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par Josué BANGA
Université Grenoble Alpes - Gouvernance des organisations pour le développement international (Godi) 2015
  

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3. Contribution du crédit bancaire au produit intérieur brut

En Inde, le crédit domestique occupe une place importante dans la production nationale comme le montre le graphique ci-dessous. Les petites et moyennes entreprises qui dominent l'économie indienne dépendent principalement du crédit bancaire pour leurs activités d'investissement. Seules les grandes entreprises bien structurés peuvent accéder aux financements des marchés financiers. La part du crédit bancaire domestique dans le PIB est passée de 20,18% en 1980 à plus de 51% en 2014. A partir des années 2000, il y a eu une forte progression de la contribution du crédit domestique au PIB. La production des entreprises bénéficie d'un marché intérieur important de plus d'un milliard de consommateurs. Boillot (2014) estime que le décollage économique de l'Inde est dû à deux facteurs principaux : la population qui représente une « fenêtre d'opportunité démographique » et le régime démocratique qui offre une plus grande participation de toutes les castes dans la prise des décisions. Malgré la rigueur monétaire initiée par la RBI entre 2010 et 2011, la part du crédit bancaire dans le PIB a continué à progresser suggérant ainsi qu'une politique monétaire restrictive ne se traduit pas nécessairement par une contraction du crédit offert par le système bancaire.

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Figure 8: Contribution du crédit domestique au PIB (en %)

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40 30 20 10

0

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

1980 1982 1984 1986 1988 1990 1992 1994 1996 1998 2000 2002 2004 2006 2008 2010 2012 2014

Source : Fait par nos propres soins avec les données de la Banque mondiale

4. Impact social de la politique monétaire A. Impact sur l'emploi et les salaires

L'inde est également un géant démographique qui doit faire face aux besoins croissants de sa jeunesse, notamment en termes de création d'emplois. Malheureusement, sa montée en puissance s'est traduite par une « croissance sans emplois » (Drèze et Sen, 2014 ; Boillot, 2006). Comme le souligne Dejouhanet (2016), depuis le tournant néolibéral, la diffusion de la croissance est restée « limitée à certaines régions, à certaines catégories de la population et à certains réseaux sociaux économiques ». L'accélération de la croissance a été suivie par une faible création d'emplois (Papola et Sahu, 2012).

La majorité de la population active indienne est employée dans les secteurs non organisés tandis que seulement 10% se retrouvent dans les secteurs organisés (Reddy, 2007). Pour Kotwal et al. (2011), il y a « deux Indes » : d'un côté il y a l'Inde des gestionnaires et des ingénieurs instruits qui ont pu saisir les occasions offertes par la mondialisation et de l'autre, celle d'une masse de gens insuffisamment instruits qui gagnent leur vie dans les emplois peu productifs. L'Inde détiendrait ainsi le record du nombre de pauvres et occupe pourtant la troisième place mondiale en effectif de milliardaires (Dejouhanet, 2016).

Quelles en sont les raisons ? Il existe plusieurs explications plausibles à ce paradoxe.

La première explication tient au fait que la croissance de l'Inde est tirée par des secteurs faiblement intensifs en main d'oeuvre. Contrairement à certains pays où l'essor économique s'est d'abord traduit dans l'agriculture puis dans l'industrie, la croissance indienne a été

principalement portée par le secteur de l'industrie et celui des services (conception de logiciels, les services financiers et autres métiers spécialisés) faiblement intensifs en main d'oeuvre.

Deuxièmement, ce paradoxe de la « croissance sans emplois » s'explique par le développement de la sous-traitance en Inde. En effet, les grandes entreprises bien structurées sont soumises à une législation du travail très rigides à leur égard. Pour échapper à cette réglementation, elles développement des relations de sous-traitance avec les PME à l'abri de la législation du travail. Comme le soulignent de manière formelle Landy et Varrel (2015), « si le sous-développement général et la rareté des emplois sont facteurs de croissance par le bas du secteur informel, c'est par le haut que le secteur formel lui-même a tendance à favoriser l'informel, externalisant sa production par la sous-traitance, afin d'échapper aux lois sociales et d'adopter suffisamment de flexibilité ». En effet, les petites et moyennes entreprises sont dispensées, contrairement aux grandes, de respecter la loi sur le secteur industriel ( Factories Act de 1948) qui impose certaines conditions de travail dont huit heures de travail journalier, l'âge minimum de travail à 14ans, le respect du salaire minimal (570 dollars USD), la protection sociale des travailleurs (assurance, retraites), le respect des quotas d'emplois réservés aux basses classes dans les grandes entreprises et l'administration11.

Pour échapper à toutes ces contraintes, les grandes entreprises indiennes font recours aux petites et moyennes entreprises du secteur inorganisé pour développer certaines de leurs activités. Très hétérogène, ce secteur emploie 90%12 de la population active et regroupe aussi bien des sous-traitants d'entreprises informatiques que des fabricants d'allumettes à domicile (Landy et Varrel, 2015). La plupart des emplois dans ce secteur sont saisonniers et occupés par des « chasseurs-cueilleurs de salaire » selon l'expression de Jean Breman (2009). De plus, les salaires y sont bas et les conditions de travail, précaires.

L'élasticité de l'emploi dans les secteurs organisés est devenue presque nulle selon les estimations de la Commission du Plan en 2002. La conséquence en est que l'Inde connait une forte croissance économique mais il s'agit d'une croissance qui génère très peu d'emplois. L'importance croissante du secteur des services (moins intensifs en main d'oeuvre) dans l'économie indienne et le développement de la sous-traitance sont les principaux freins à la création d'emplois malgré les bonnes performances économiques.

La répartition sectorielle de l'emploi se présente comme suit entre 1999 et 2010 : la part de l'emploi dans l'agriculture est passée de 61,7% à 51,8%, mais ce secteur reste largement

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11 Il faut aussi préciser en plus que le syndicalisme n'existe pas dans les secteurs inorganisés indiens.

12 En excluant l'emploi dans le secteur agricole, ce ratio est de 75%.

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celui qui occupe le plus grand nombre des indiens actifs (58% environ). Au cours de la même période, la part de l'emploi dans le secteur des services est passée de 22,5% à 26,3%. Quant à celle du secteur industriel elle passée de 15,9% à 21,9% au cours de la même période. Il y a certes un accroissement de l'emploi dans les secteurs des services et de l'industrie mais cet accroissement reste encore faible.

Figure 9. Répartition de l'emploi par secteur d'activité (en %)

 

70 60 50 40 30 20 10 0

 
 

Emploi par secteur (en %)

 
 

1994 2000 2005 2010 2012 2013

Agriculture Industrie Services

 

Source : Auteur, données Banque mondiale

Quant aux salaires, ils ont fortement augmenté ces dernières années en Inde mais seulement dans les secteurs qui exigent une qualification élevée comme dans la construction et les services financiers. Si dans d'autres pays émergents comme la Chine la hausse des salaires a été l'oeuvre de l'Etat pour soutenir le consommateur-salarié, en Inde cette hausse est principalement due à une pénurie d'une main d'oeuvre qualifiée. Le taux d'alphabétisation en Inde, bien qu'il soit au-dessus de la moyenne (soit 63%), reste encore inférieur à certains émergents comme la Chine où il atteint 90%.

Tableau 2. Taux de croissance de l'emploi par secteur d'activité (en %)

Secteurs

1999-2000 à 2000-2004

2004-2005 à 2009-2010

Agriculture

15,2%

-8,2%

Mines

27,7%

4,7%

Manufacturier

43,3%

-6,3%

Electricité et gaz

32,5%

-5,3%

Construction

65,0%

70,0%

Commerce et hôtellerie

37,3%

4,5%

Transport et logistique

43,3%

10,8%

Servies financiers et business

90,6%

31,4%

Ad. Publique, services sociaux

25,5%

5,4%

Total

25,3%

0,4%

Source : ILO (2015), p.4

B. Impact sur la pauvreté et les inégalités

Plusieurs auteurs dont Drèze et Sen (2014) ont montré que la pauvreté a moins diminué en Inde que dans l'ensemble des pays émergents au cours des deux dernières décennies malgré une croissance économique forte. Selon la Banque mondiale, la part de la population indienne vivant en dessous du seuil de pauvreté (poverty line) estimé à 1,25 dollars par jour s'élevait à 60% en 1981 ; 41,6% en 2005 et 23,6% en 2011. Malgré cette tendance à la baisse de la pauvreté, il y a une discordance entre les performances enregistrées en termes de croissance économique et l'amélioration du niveau de vie des populations. Les estimations de la banque centrale en 2013, révèlent qu'environ 21,9% de la population indienne (soit 269,783 millions de personnes) vivent encore en dessous du seuil de pauvreté revu à la hausse (1,9013 dollars par jour).

Au niveau des indicateurs du développement humain, il y a certes, une amélioration cependant, la diminution de la pauvreté cache d'énormes disparités sur le plan national. La pauvreté reste plus sévère en zone rurale qu'en zone urbaine où les possibilités d'emplois sont plus nombreuses. L'indice de développement humain en Inde a connu une forte croissance entre 1990 et 2010, puis s'est stabilisé autour de 0,60 depuis 2011 (voir figure 10). Le Rapport de 2015 sur le développement humain du PNUD classe l'Inde 130ème sur 188 pays avec un IDH de 0,609. L'orientation néolibéral de la politique économique s'est accompagnée comme dans la plupart des autres émergents, d'un creusement des inégalités entre villes et campagnes, entre riches et pauvres, entre Etats (Jaffrelot, 2010 ; Leroy, 2011). L'indice de Gini de l'Inde est évalué à environ 34% en 2009.

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13 Le seuil de pauvreté qui était initialement de 1,25 dollars par jour a été revue à hausse pour se situer à 1,90 dollars par jour (soit 130 roupie par jour en monnaie nationale)

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Figure 10: Evolution de l'IDH

0,700

0,600 0,500 0,400 0,300 0,200 0,100 0,000

 

1990 2000 2010 2011 2012 2013 2014

Source : Fait par nos propres soins avec les données du PNUD

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"Il y a des temps ou l'on doit dispenser son mépris qu'avec économie à cause du grand nombre de nécessiteux"   Chateaubriand