Conclusions et perspectives
Dans les années 1980, des Etats riverains du fleuve
Sénégal dans le cadre de l'OMVS, ont construit à grand
frais des ouvrages très importants pour maitriser l'eau et promouvoir le
développement socio-économique de la vallée dans son
ensemble. Bien que les aménagements effectués à ce jour,
aient atteint certains objectifs de développement, ils ont
malheureusement eu des effets négatifs sur l'environnement, les
systèmes de production et les populations. La pullulation de certains
macrophytes aquatiques fait partie de ces conséquences négatives.
Les incidences des ouvrages sur le milieu naturel et le développement
socio-économique ne sont pas jusqu'ici suffisamment bien connues et bien
maîtrisées.
La présente étude est une contribution à
la connaissance de la flore, de la végétation et des principaux
macrophytes aquatiques du Delta du Fleuve et le lac de Guiers. Ces importantes
composantes du milieu naturel ont été très
affectées par les changements engendrés par la mise en place des
barrages.
La zone d'étude est assez complexe et présente
une grande diversité liée aux disparités des
différents milieux et écosystèmes qui la composent. En
effet, elle se situe à l'interface de l'eau salée et de l'eau
douce. Elle comporte des milieux secs voire désertiques au nord, des
zones relativement plus humides au sud et subit les influences du climat
océanique sur le littoral. Cette position influe grandement sur la
diversité des espèces végétales, la
végétation et les écosystèmes.
Au plan floristique, les milieux humides du Delta du fleuve
Sénégal et le lac de Guiers sont relativement diversifiés,
comparativement à d'autres milieux à écologie semblable en
Afrique sahélienne. Au total, 151 espèces réparties en 102
genres et 47 familles ont été recensées. Les
dicotylédones représentent 56,2%, les monocotylédones
41,7% et les ptéridophytes 2,1%. Les familles les plus
diversifiées sont les Poaceae, les Cyperaceae, les Fabaceae et les
Amaranthaceae principalement, auxquelles on peut ajouter les Asteraceae, les
Chenopodiaceae et les Convolvulaceae. Les zones basses inondables sont les plus
riches en espèces, suivent ensuite le lac et le fleuve. Cette grande
diversité est liée aux changements hydrologiques et de
qualité des eaux. Elle se manifeste souvent par l'apparition de
nouvelles espèces qui n'avaient pas été signalées
auparavant et à la prolifération des plantes aquatiques comme
Typha domingensis. La plupart de ces espèces sont de
thérophytes, des phanérophytes et des hélogéophytes
qui sont les types biologiques dominants dans la composante terrestre et
semi-aquatique (zones basses inondables). Mais cette flore est surtout
caractérisée par les
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hydrophytes sensu stricto (18%) constitués de taxons
exclusivement aquatiques et regroupées dans les familles des
Alismataceae, Hydrocharitaceaee, Lemnaceae, Najadaceae,
Potamogetonaceae et Pontedariaceae chez les
Monocotylédones, des Avicenniaceae, Ceratophyllaceae, Lentibulariaceae,
Menyanthaceae, Nympheaceae et Rhyzophoraceae chez les dicotylédones. Il
s'agit généralement d'espèces à large
répartition géographique pantropicales, paléotropicales ou
cosmopolites bien adaptées aux écosystèmes aquatiques et
aux variations du climat.
La typologie basée sur le mode de développement
et le type de relation avec le substratum a permis d'organiser les macrophytes
aquatiques en :
- macrophytes fixés,
o émergents sur les rives, plus nombreux, avec
principalement des Poaceae et Cyperaceae,
o submergés, en eaux profondes constitués par
les Potamogetonaceae et Najadaceae,
- macrophytes flottants,
o fixés à feuilles flottantes avec les
Nympheaceae et Oenotheraceae comme composantes majeures,
o libres avec des espèces comme Pistia
stratiotes, Azolla, Lemna, Marsilea et
Salvinia molesta.
L'étude de la végétation a montré
qu'il existe une zonation qui dépend fortement de la salinité du
substrat, de la déclivité, de la hauteur d'eau et de la
durée de la submersion. A la typhaie
succède généralement la nymphaie ensuite
les potamots en eaux profondes. Neuf groupements
végétaux ont été identifiés
dont deux des milieux salés humides et sept des milieux faiblement
salés voire doux. Ces derniers sont en extension rapide. La faible pente
dans le
delta et sur les rives du lac et l'abondance de l'eau douce
ont été favorables à l'extension des peuplements de
Typha domingensis qui imprime sa physionomie à la
végétation des milieux humides. Il occupe de grandes
étendues au détriment d'autres macrophytes notamment Tamarix
senegalensis. L'agressivité de Typha domingensis
vis-à-vis des principaux macrophytes restent à
préciser.
Par manque d'information sur la période avant les
barrages, il est impossible de faire une étude diachronique des
macrophytes des milieux humides du Delta. Toutefois, les données
présentées sur la flore et la
végétation ainsi que celles sur la typologie et l'étude de
chacune des 48 espèces récensées, permettent de saisir les
grands traits de la diversité végétale et
l'écologie des milieux humides de la zone, au moins durant les deux
premières décennies
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après les barrages. Ces données constituent un
référentiel qui peut aider dans le suivi de l'évolution
des taxons et les groupements végétaux des milieux d'eaux douces
et salées de la région. De plus, les renseignements fournis sur
les espèces végétales peuvent constituer la base pour la
réalisation d'un manuel pratique simple d'identification et de
détermination des macrophytes d'eau douce en milieux secs
sahéliens.
Concernant la biologie et l'écologie des macrophytes
aquatiques, la croissance de Typha domingensis paraît
très rapide dans les conditions actuelles dans le Delta. La
multiplication végétative à partir des rhizomes est
importante et domine dans les peuplements déjà installés
alors que la colonisation des espaces vierges humides se fait par
l'intermédiaire des grandes quantités de fruits produits et
disséminés par le vent surtout pendant la longue saison
sèche. De tous les macrophytes aquatiques de la région, Typha
produit certainement la plus grande phytomasse. Les possibilités de
valorisation de celle-ci devront recevoir plus d'attention. Des projets pilotes
soutenus devraient être mis en oeuvre afin de valoriser davantage cette
importante biomasse. Les investigations devraient être poursuivies en vue
d'une modélisation des processus de croissance et de multiplication de
la plante en fonction notamment des hauteurs d'eau et de la salinité du
sol et de l'eau.
La multiplication végétative est la principale
forme de reproduction de Pistia stratiotes dans le lac de Guiers.
Après une phase explosive juste après la mise en service des
barrages, la pullulation de la plante s'est rapidement arrêtée
avec la stabilisation des niveaux limnimètriques et des eaux moins
turbides. D'autres projets de construction de barrages importants sont en
chantier en amont sur le fleuve Sénégal (barrages
hydroélectriques de Félou et de Gouina notamment). La mise en
service de ces ouvrages pourrait créer de nouvelles conditions
favorables à l'extension de la plante. Il s'agira de préciser
dans l'avenir les facteurs propices au développement de l'espèce
dans le delta notamment en ce qui concerne la qualité de l'eau.
L'apparition et le développement massif de P.
schweinfurthii dans le lac de Guiers est sans doute la plus grande
manifestation de l'adoucissement des eaux. Des données originales sur la
morphologie de la plante dans le lac ont été obtenues et les
principaux sites d'extension du macrophyte ont été
localisés. Il serait intéressant de suivre le
développement des tapis de P. schweinfurthii dans le
lac et d'étudier les effets des peuplements de P. schweinfurthii
sur le processus et la vitesse de sédimentation.
L'invasion du Delta par Salvinia molesta a
montré en grandeur réelle les problèmes que peuvent
engendrer sur les écosystèmes, l'introduction d'espèces
douées d'un important
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potentiel de multiplication. Cette fougère aquatique
hybride fait maintenant partie de la flore des milieux humides du Delta.
Malgré le succès de son contrôle biologique avec
Cyrtobagous salviniae, il est important de suivre la dynamique des
populations de S. molesta au regard des aménagements en cours.
Une pullulation de la plante est encore tout à fait plausible.
En plus du contrôle biologique de S. molesta et
de P. stratiotes, d'autres tentatives de lutte contre les macrophytes
aquatiques ont été menées dans la région avec des
succès mitigés.
T. domingensis, P. octandrus et P.
schweinfurthii sont actuellement les espèces qui posent le plus de
problème et pour lesquelles il est urgent de trouver de méthodes
et techniques de contrôle appropriées. Ces moyens de lutte, en
plus d'être écologiques doivent être financièrement
et économiquement supportables. La technique de contrôle
idéale ayant l'ensemble de ces caractéristiques n'est pas encore
disponible. Elle doit être recherchée et adaptée aux
réalités du Delta. Elle résultera très certainement
d'une combinaison judicieuse de différents moyens, méthodes et
approches de contrôle des macrophytes aquatiques.
Les efforts pour réunir des informations scientifiques
détaillées sur le fonctionnement et la dynamique des
écosystèmes limniques du Delta et le lac de Guiers doivent
être poursuivis. Plus spécifiquement, il serait intéressant
dans le court terme en plus des suggestions faites ci-dessus de :
- faire une cartographie précise et
détaillée des principaux peuplements de macrophytes (y compris
les macrophytes submergés) avec l'aide des photographies
aériennes et d'images satellitaires pour le suivi des peuplements. En
effet, il est indispensable, en matière de gestion, de disposer de
supports cartographiques régulièrement mis à jour;
- étudier la synécologie de T. domingensis
en conditions lacustre et fluviatile ;
- étudier la reproduction et la multiplication de
macrophytes submergés comme Potamogeton octandrus, Najas
marina et N. pectinata qui constituent par endroits des
peuplements importants et sont des zones de frai et de refuge pour de nombreux
animaux aquatiques ;
- rechercher les meilleures techniques de récolte,
d'utilisation et de valorisation de la biomasse de T. domingensis.
Au total, pour que le présent travail prenne sa pleine
signification, nous formulons le souhait qu'il soit à nouveau
réalisé d'ici 5 à 10 ans. La comparaison des deux
situations permettra alors de dire si la santé générale du
delta du fleuve Sénégal et le lac de Guiers s'est
améliorée ou s'est dégradée dans ce laps de temps.
Elle permettra sans doute, à travers le suivi de l'évolution des
espèces végétales aquatiques sensibles aux facteurs de
salinité et de pollution, de voir dans quelle mesure les efforts
déployés pour la sauvegarde ou l'amélioration de la
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biodiversité du Delta et la promotion du
développement socio-économique de la zone auront
été ou non récompensés.
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