4.5.2.2 Systématique et distribution
Il y a une très grande confusion dans la
systématique des Salvinia. Sur les 10 espèces que
renferme le genre, une seule espèce Salvinia nymphellula Desv.
se trouve en Afrique Occidentale (Aké Assi, 1977). Salvinia
nymphellula a été signalée à une date
récente dans la région des «Niayes » au
Sénégal (Sanokho, 1977). S. nymphellula a
été également observée en Côte d'Ivoire, au
Ghana, au Bénin, au Niger, au Nigeria, au Cameroun, au Gabon et au Congo
(Aké Assi, 1977). Salvinia nymphellula et S. hastata
sont endémiques en Afrique (Mitchell, 1985). Salvinia hastata
Desv. a été signalée à Madagascar et en
Afrique de l'Est Tropicale (Wild, 1961). Il y aurait deux centres majeurs de
distribution du genre Salvinia ; l'un en Afrique et l'autre en
Amérique centrale et du sud. Il y aurait une affinité entre
Salvinia et Azolla ; mais du fait de la différence de
plusieurs caractères, les deux plantes ne paraissent vraiment pas
proches. Leur inclusion dans le même ordre, Salviniale, a
été indiquée (Kubtziki, 1990). La dérivation
phylogénique de Salvinia est encore inconnue. Takhtazan (1953)
les suppose dériver des Hymenophyllaceae. Salvinia molesta
D.S Mitchell est la même espèce que Salvinia auriculata
Aubl. (John, 1991). Elle parait avoir une origine hybride (Mitchell, 1970
; 1972). La plante ne se multiplie que par la voie végétative.
Les sporocarpes d'environ
191
1mm de diamètre contiennent le plus souvent des
sporanges vides (Webb et al., 1988). Salvinia molesta est devenue
pantropicale par l'action de l'homme. La plante se trouve dans d'autres pays
d'Afrique de l'Ouest. J'ai récolté des individus isolés en
février 2000 sur les rives du fleuve Niger à Bamako (Mali).
Actuellement, toute la zone rizicole de l'Office du Niger dans le delta central
nigérien au Mali est infestée par la fougère. Celle-ci est
entrée en compétition avec l'autre espèce aquatique
envahissante redoutée, Eichhornia crassipes (la jacinthe
d'eau), un fléau dans de nombreux cours d'eau d'Afrique de l'Ouest
notamment le fleuve Niger.
4.5.2.3 Ecologie et multiplication
S. molesta est une espèce
étrangère invasive introduite dans la zone (Kuiseu et al. 2001).
En effet, selon les villageois interrogés, la plante a été
introduite dans la vallée du fleuve par un entrepreneur qui projetait de
produire de l'aliment de volaille avec la plante. L'entrepreneur n'a pas pu
contrôler les individus qui ont été installés dans
un canal aux environs du village de Ronkh. A partir de là les plantes
ont envahi les nombreux cours d'eau et les canaux d'irrigations dans l'ensemble
du delta et le lac de Guiers.
L'extension de l'espèce n'a pas été
freinée par le barrage de Diama. En octobre 1999, nous avons
retrouvé quelques individus isolés de la plante sur la langue de
Barbarie en aval de Saint Louis, à plus d'une vingtaine de km du village
de Ronkh où elle avait été introduite. Cependant, les
masses importantes de la plantes ne sont pas observées en aval du
barrage de Diama. Elles ne survivent sans doute pas à l'eau
saumâtre qui envahit la région aval du barrage pendant la saison
sèche. En novembre 1999, les environs immédiats du barrage de
Diama sont infestés par la plante (Figure108) dont l'extension s'est
poursuivie très rapidement vers l'aval, Rosso et Richard Toll.
L'invasion rapide du delta du fleuve Sénégal par
la plante est survenue en un laps de temps très court. Les conditions
hydrologiques et de qualité des eaux ont été
particulièrement favorables. Deux raisons possibles à l'explosion
de la plante: (a) le barrage de Diama a réduit en amont la vitesse des
courants et les eaux sont devenues très calmes. Les importants rideaux
de Typha contribuent fortement au ralentissement des mouvements des
eaux; et (b) la mise en eau des barrages a contribué à
très sensiblement à la baisse de la salinité et
l'enrichissement en nutriments des eaux du fleuve.
192
La plante a une multiplication végétative
importante et une vitesse de propagation très élevée. Les
études sur la vitesse de multiplication de Salvinia molesta par
Mitchell (1970), Gaudet (1974) ont montré que dans des conditions de
température optimale (25-30 °C), d'intensité lumineuse
élevée et de non limitation d'apport en nutriments,
l'accroissement de la population est exponentielle, et la plante est capable de
doubler en terme de nombre de feuille en 2 ou 3 jours et occasionnellement en
moins de 2 jours (Mitchell,1985).Dans le lac Kariba, situé entre la
Zambie et le Zimbabwe en Afrique du sud, la plante doublait ses feuilles tous
les 8 à 12 jours (Mitchell and Tur, 1975). Salvinia molesta est
considérée comme l'une des espèces végétales
les plus envahissantes au Monde.
La fougère aquatique montre trois formes distinctes de
multiplication (Ashton & Mitchell, 1989 ; Mitchell and Tur 1975) :
- une forme délicate et fragile « forme primaire
d'invasion» avec de longs inter-noeuds et de petites feuilles atteignant
1,5 cm et qui flottent à la surface de l'eau;
- la forme de colonisation des eaux vives avec des feuilles
qui atteignent 2 cm de large;
- une forme de tapis denses avec normalement de larges
feuilles flottantes (atteignant jusqu'à 6 cm), que l'on rencontre quand
les plantes commencent à se serrer les unes contre les autres et
constituer des masses denses étouffant toutes les autres
espèces.
Les caractéristiques écologiques qui permettent
à la plante d'être invasive sont notamment (Cronk et Fuller, 1995)
:
- plasticité morphologique, avec l'habileté de
modifier ses structures végétatives en réponse aux
conditions environnementales;
- rapidité de propagation végétative;
- potentiel élevé de multiplication et
d'accroissement;
- dispersion rapide par l'intermédiaire de
différents organes qui se détachent facilement suite à
l'action des vents, les vagues provoquées par les pirogues et les
bateaux; la dispersion sur de longues distances peut résulter du
transport de matériel de plante vers l'aval où de nouvelles
colonies peuvent démarrer.
193
La hauteur d'eau ne parait pas être un facteur limitant
le développement de la plante alors que les conditions d'humidité
et d'eutrophisation des eaux dans les rizières suite à des
apports d'engrais chimiques sont favorables à l'extension du
macrophyte.
Plusieurs facteurs sont parus importants dans la formation et
le développement de communautés stables de la plante dans le
Delta :
colonisation rapide des espaces libres disponibles;
emboîtement d'individus dans les tapis constitués
par la plante ;
eau très douce à pH proche de la
neutralité ;
température optimale entre 25 °C et 35 °C
quasiment toute l'année ;
forte luminosité pendant la majeure partie de
l'année;
et, les vents forts qui soufflent dans la région
surtout pendant la saison sèche, facilitent la dissémination de
la plante sur de grandes distances.
Les conditions écologiques résultant de
l'après barrage et le climat ont été favorables au
développement explosif de Salvinia molesta dans le Delta. La
prolifération de la plante a rendu difficile l'accès à
l'eau par les hommes et le bétail et l'exercice de la pêche. De
plus, de nombreux périmètres irrigués et les canaux
d'amenée d'eau ont été envahis par la fougère. Les
espaces libres non occupés par les peuplements de Typha ont
été rapidement occupés par Salvinia qui a
supplanté d'autres plantes flottantes telles que Pistia et
Azolla.
Salvinia molesta n'a pas été
éradiquée. Elle fait maintenant partie de la flore aquatique de
la région et est susceptible de pulluler et devenir gênant
à la faveur de nouvelles conditions favorables. Par exemple, la
diminution des peuplements de Typha pourrait libérer des
espaces qui pourraient être occupés par des tapis de Salvinia
molesta ou d'autres macrophytes et pourraient redevenir gênant.
La multiplication et l'extension rapide de Salvinia
molesta dans tout le système hydrographique du delta du fleuve
Sénégal a montré combien il peut être grave et
onéreux d'introduire les espèces exotiques dans de nouveaux
écosystèmes.
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