4.5 Invasion du delta du fleuve Sénégal
par Salvinia molesta D.S. Mitchell.
Salvinia est nommé d'après Antonio
Maria Salvini (1633-1729), un professeur de grec à l'Université
de Florence qui aidait le botaniste Pier Antonio Micheli (1679-1737) dans ses
études ; molesta vient du Latin molestus qui signifie
«gênant » ou «ennuyant » et se réfère
au comportement de mauvaise herbe dans les canaux et les systèmes de
stockage de l'eau (Parsons W.T. & Cuthberson, 2001).
Salvinia molesta est originaire du sud-est du
Brésil (Forno and Harkey, 1979). Depuis 1930, la plante a
été introduite dans les régions tropicales et
subtropicales variées où elle est devenue une menace
sérieuse comme Eichhornia crassipes (la jacinthe d'eau) (Room
et al., 1981). La plante a été signalée dans plus de 20
pays dans le Monde (Olivier, 1993). Elle a été mentionnée
dans plusieurs pays en Afrique du Sud (Guillarmod, 1979). S. molesta a
eu un développement explosif dans le lac Kariba (Zimbabwe) au
début des années 60 après la mise en place de barrages
(Boughey, 1963 ; Mitchell, 1969). Depuis 1984, elle figure sur la liste des
plantes nuisibles aux Etats-Unis et il est prohibé de l'importer dans le
pays (McFarland et al., 2004).
La plante n'est pas mentionnée dans les flores
autochtones et introduites du Sénégal (Adam, 1962; Berhaut, 1967
; Berhaut, 1971-1979; Lebrun, 1973). Cette fougère aquatique de la
famille des Hydroptéridées n'a pas été citée
non plus dans les études anciennes et récentes de la flore
aquatique de la région du delta du fleuve Sénégal et le
lac de Guiers (Trochain, 1940 ; Adam, 1960 ; Adam, 1964 ; Thiam, 1984 ; Thiam
et al., 1993 ; Thiam et Ouattara, 1997; Thiam, 1998).
Au cours d'une mission botanique dans la région, nous
avons récolté le 18 mars 1999, pour la première fois,
Salvinia molesta D.S. Mitchell dans un canal d'irrigation communiquant
avec le fleuve Sénégal aux environs du village de Ronkh (N
1631'388 et W 16 06'346). A partir de ce site, la plante s'est
rapidement propagée sur de nombreux plans d'eau et bassins du delta et
le lac de Guiers. Dans les premiers mois de 2000, la situation a empiré
; toutes les surfaces d'eau en contact direct avec le fleuve ont
été infestées. En fin septembre 2000, Salvinia
est présente partout dans le delta et le lac de Guiers et menace
les périmètres hydro-agricoles, le barrage de Diama (Figures 58
& 59) et le parc national du Djoudj. L'envahissement des plans d'eau par
Salvinia molesta a notamment eu pour conséquences (Triplet
et al. 2001) :
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- le blocage des pompes pour l'irrigation;
- l'augmentation des zones favorables au développement
des moustiques et certains mollusques vecteurs de maladies liées
à l'eau;
- l'impossibilité pour les oiseaux d'eau de se poser;
- les risques d'invasion des rizières qui sont connues
comme des zones de développement privilégiées pour
l'espèce ;
- les difficultés de navigation sur le fleuve et le lac
(Figure 59) ;
- les difficultés voire l'impossibilité de
pêcher;
- les difficultés pour le bétail d'accéder
à l'eau;
- les risques de manque d'eau potable pour les villes de Dakar et
de Saint
Louis qui dépendent grandement du fleuve et du lac de
Guiers pour leur alimentation en eau;
A ces menaces au plan local et national s'ajoutent d'autres
conséquences graves au plan mondial car le delta du fleuve
Sénégal joue un rôle irremplaçable pour de
nombreuses espèces d'oiseaux migratrices. Ce rôle a
été reconnu de longue date et a abouti à la
création dans la région en plus du Parc national des oiseaux du
Djoudj, le Parc national de la Langue de Barbarie, la réserve de faune
de Gueumbeul et la réserve de faune du Ndiael (Anonyme, 1998). En
définitive, le développement explosif de Salvinia molesta
est devenu une contrainte supplémentaire à l'exploitation
des ressources agricoles et halieutiques de la région et un frein aux
activités touristiques génératrices de revenus importants
pour les populations de la région et l'Etat sénégalais.
Face à la menace et aux nuisances provoquées par
la plante, différents moyens de lutte ont été mis en
oeuvre pour contrôler l'expansion de la fougère. Il s'est agi de
la lutte manuelle, mécanique et biologique. La lutte biologique avec
Cyrtobagous salviniae a freiné l'extension de la peste
végétale (Pieterse et al. 2003; Diop 2006).
Compte tenu des problèmes posés par la
prolifération de la fougère, nous avons étudié, au
moment de l'invasion, la présence, l'abondance de la plante et
analysé quelques paramètres de l'eau dans laquelle se
développaient les tapis de Salvinia. L'objectif visé
était d'avoir une meilleure connaissance des conditions de
qualité d'eau favorables à la pullulation de la fougère
dans le delta et le lac de Guiers.
Figure 58 - Envahissement des écluses du barrage de Diama
par S. molesta, Novembre 1999
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Figure 59 - Masse dense de S. molesta, barrage de Diama,
Novembre 1999
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4.5.1 Matériels et méthodes
En novembre 1999, soit six mois après la récolte
de la plante pour la première fois, nous avons remonté le fleuve
de Diama à Débi pour évaluer l'extension de la plante et
analyser quelques paramètres physico-chimiques de l'eau qui baigne les
peuplements de Salvinia. Il a été procédé
à l'inventaire et à l'estimation de l'abondance des macrophytes
aquatiques au niveau de 11 sites (Tableau 29) Deux années plus tard, en
mars 2001, nous avons de nouveau parcouru la région du delta et le lac
de Guiers. En plus des sites visités en 1999, nous avons observé
la plante au niveau de 13 autres stations situés plus en aval.
Pour l'estimation de l'abondance des macrophytes,
l'échelle suivante a été utilisée:
+++ = Très abondant (supérieur à 75 %)
++ = Abondant (entre 30 et 75 %)
+ = Peu abondant (inférieur à 30 %)
- = Rare
Les coordonnées géographiques des sites ont
été établies avec un GPS Panasonic model KX-G5500.
Le pH et la conductivité de l'eau ont été
déterminés sur place avec des appareils portatifs. Les nitrates,
les nitrites et les phosphates ont été
analysés au laboratoire sur des échantillons d'eau
prélevés et conservés dans une glacière avant
acheminement au laboratoire. Les analyses de la qualité des eaux ont
été effectuées dans les 11 sites d'observation
visités lors de la mission effectuée en 1999.
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