4.3 Multiplication et phytomasse de Pistia stratiotes
L. dans le lac de Guiers
Alors qu'en 1980, Pistia stratiotes n'était
représenté que par quelques tapis dérivants (Thiam, 1984),
l'espèce couvrait en 1992 de vastes étendues et obstruait toute
l'extrémité sud du lac de Guiers (Figure 34). Le
développement du végétal a été soudain,
rapide et massif. Il est également consécutif à la mise en
place de grands barrages sur le fleuve Sénégal. La
prolifération de la plante a constitué une nuisance pour les
populations riveraines dans la région sud du lac de Guiers (Thiam et
al., 1993 ; Cogels et al.,1993). En effet, le
développement de vastes tapis de Pistia a rendu difficile
l'accès à l'eau par les populations et le bétail ainsi que
l'exercice de la pêche. De plus, d'importantes masses
végétales de la plante venaient s'échouer sur la digue de
Keur Momar Sarr et constituaient un frein au transit de l'eau vers la basse
vallée du Ferlo.
A la même période, Pistia stratiotes
s'est développé également de façon soudaine et
vigoureuse dans le parc national des oiseaux du Djoudj (Guiral, 1993 ;
Schenk et al., 1998 ; Den Hollander et al., 1999). Ce parc,
un sanctuaire pour les oiseaux, couvre 16 000 ha et correspond au site le plus
important pour l'hivernage des oiseaux migrateurs venant d'Europe. Plus de 360
espèces résidentes ou migratrices fréquentent annuellement
le parc (Tréca et al., 1992). Par cette richesse
spécifique et par l'importance des populations recensées (plus de
3
154
millions d'individus), le Djoudj occupe la troisième
place mondiale pour les oiseaux d'eau. De ce fait, il est inscrit sur la liste
de l'UNESCO des sites du patrimoine mondial de l'humanité et est
protégé par la convention internationale des Zones Humides
d'importance internationale dite convention de Ramsar (Guiral, 1993). En mars
1993, plusieurs petits marigots et des chenaux du parc étaient
obstrués par des populations de Pistia stratiotes alors que
seuls quelques tapis isolés de la plante étaient observés
pendant le même temps dans le fleuve Sénégal.
La multiplication rapide et excessive de Pistia dans
le lac de Guiers (Figure 34, Figure 35 et Figure 36) et dans le parc du Djoudj
a suscité des inquiétudes et a amené les autorités
politiques et administratives à réagir. Divers traitements furent
appliquer (ramassage, lutte biologique) ou envisagés (lutte chimique par
des herbicides-traitement par le feu après déversement
d'hydrocarbures) pour lutter contre la plante considérée comme un
véritable fléau. Ces actions ont été entreprises ou
préconisées sans connaître les caractéristiques
biologiques de l'espèce (Guiral, 1993) et en oubliant que le lac de
Guiers et le Djoudj font partie d'écosystèmes plus vastes (delta,
vallée du Sénégal....) qui peuvent être
affectés négativement par les actions de lutte mises en
oeuvre.
Cette étude a été conduite pour
comprendre quelques aspects de la biologie et de l'écologie de
l'espèce qui aideraient à mieux connaitre la plante en vue de
trouver de meilleurs moyens de contrôle de sa prolifération. Il
donne, pour la première fois pour la zone du delta et le lac de Guiers,
des informations détaillées sur:
- la biométrie de différents organes, la
multiplication végétative, les densités propices à
la pullulation de la plante,
- la qualité de l'eau au moment de la prolifération
de Pistia ;
- et la phytomasse aérienne et submergée du
macrophyte aussi bien en conditions naturelles qu'expérimentales.
155
Figure 34- Envahissement de la région sud du lac par
P. stratiotes (mai 1992)
Figure 35 - Radeau flottant de P. stratiotes avec
Oxycarym cubense (Cyperaceae), lac de Guiers (mai1992)
Mbane
Saninte
Nder
·
Naéré
·
5
10 km
CANAL DE LA TAOUÉ
16,5
° ~~ 16,5° Niéti Yone
·
N
b T
· Témèye Selene
Diakhaye
Ngnith
· Fass
Mal
Sièr
Mbrar
·
Zone envahie par Pistia stratiotes
en 1992-1994
16°
16°
Diamènar
Diokoul
Gankéte
e UEOUL DIGUE
0
·
KEUR MOMAR SARR
15,5° I Abou THIAM, 2010
156
15,5°
Figure 36 -- Zone de pullulation de P.
stratiotes dans le lac de Guiers, 1992-1994
4.3.1 Matériels et Méthodes
4.3.1.1 Multiplication
La multiplication végétative par des stolons est
la plus fréquente dans le delta et le lac de Guiers.
L'étude de la multiplication végétative
de Pistia a été réalisée dans des bassins
flottants. Des chevrons en bois léger de 4 m X 4m ont servi à
confectionner 4 blocs (A, B, C et D) de 1 m2 de surface (Figure 37 et Figure
38). Le cadre est peint avec de la peinture à l'huile pour
protéger le bois en vue d'un séjour prolongé dans l'eau.
Des flotteurs en polystyrène sont placés en divers endroits en
dessous du cadre afin qu'il puisse flotter librement sur l'eau. Un grillage de
maillage moyen a été fixé tout autour du cadre afin que
les plantes ne sortent pas des bassins par vents forts ou par mouvements
brusques des eaux. La hauteur du grillage au-dessus de la surface de l'eau est
de 20 cm alors que la partie immergée est de 10 cm.
Le cadre flotte librement sur l'eau. Il est relié avec
une corde d'environ 5 m à un piquet fixé dans la vase dans le
lac. Il peut se déplacer au gré des vents et les mouvements des
eaux près du rivage et s'adapter continuellement aux variations de
niveau de l'eau. Ce dispositif simple et peu onéreux a été
installé près du village de Ngnith dans la région centrale
du lac pas très loin du rivage où ont été
installés les bacs pour les observations sur Typha
domingensis.
157
Figure 37 - Schéma des bassins flottants pour
l'étude sur Pistia, 1994
Bassins flottants à Pistia stratiotes
Peuplements submergés de Potamogeton octandrus
Figure 38- Vue du dispositif au démarrage de
l'étude sur Pistia (Lac de Guiers, 1994)
Rideau dense de Typha domingensis
Bassin flottant à Pistia stratiotes
158
Figure 39 - Vue du dispositif, 60 jours après le
début des observations (Lac de Guiers, 1994)
159
Un nombre déterminé de jeunes individus vivants
de Pistia stratiotes sont placés dans les bassins A, B, C, D.
Il est de 4 pour le bassin A, 8 pour le bassin B, 12 pour le bassin C et 16
individus pour le bassin D.
Le comptage périodique du nombre d'individus dans les
bassins permet d'apprécier la multiplication de la plante (Mitchell and
Turner, 1975). L'expérience a duré 6 mois, d'Avril à
Décembre 1994.
Des échantillons d'eau ont été
prélevés périodiquement dans le site
d'expérimentation au moment des comptages des individus de Pistia
dans les bassins flottants. Les échantillons sont conservés
dans la glace avant leur analyse au laboratoire où le pH, la
conductivité, le chlore, les sulfates, les carbonates, les phosphates,
le magnésium, le sodium et le potassium sont mesurés. Les
prélèvements et analyses d'eau ont été
réalisés d'Avril à Octobre 1994.
Lors de la prolifération de la plante dans le parc du
Djoudj en 1993, quelques paramètres physico-chimiques de l'eau ont
été mesurés dans 5 sites dans le parc en mars 1993 (saison
sèche).
|