Depuis l'entre-deux guerre, le développement des
technologies de la communication était perçu comme une
série continue où chaque nouvelle invention, de la presse
écrite à la radio, puis à la télévision,
empruntait des éléments caractéristiques à la
précédente tout en apportant les dernières innovations.
L'apparition de l'informatique dans les années 1970, laisse entrevoir un
changement radical. Ces technologies de la communication ne sont plus seulement
qu'un moyen de diffusion des produits culturels. Elles font en effet partie du
monde industriel, modifie nos manières d'innover, de produire, de
consommer et d'échanger. Avec la diffusion massive d'internet autour des
années 199096, et en parallèle la diffusion
extraordinaire du téléphone portable dont le nombre
dépasse aujourd'hui le nombre d'individus, le phénomène
est d'un autre ordre : les technologies de la communication agissent comme un
levier économique. Depuis la fin des années 1970, deux
conceptions se sont affrontées toutes deux déterministes : les
essayistes, philosophes et sociologues ont défini l'innovation technique
comme un élément moteur du changement social et historique, ce
qui est la posture du déterministe technique. Et d'autres au contraire,
ont insistés sur les enjeux du cadre social dans le développement
des innovations techniques: c'est la posture du déterminisme social.
4.1.1 Le déterminisme technique et le
déterminisme social
« La science découvre, l'industrie applique et
l'homme suit »97. Cette citation était inscrite sur la
plaquette présentant l'exposition universelle de Chicago en 1933
consacrée à un siècle de progrès scientifiques et
techniques. Cette phrase résume bien le type d'approche qui, depuis la
fin des années 1970 et durant les années 1980, a dominé
les discours et recherches sur les
96 Usages et enjeux des technologies de communication
de Francis Jauréguiberry et Serge Proulx, page 1
97 Le destin technologique par Salomon, Balland,
1992, p.274
36
technologies de la communication. Ces nouvelles technologies
sont investies d'une capacité à définir un « nouveau
monde ». L'approche du déterminisme technique consiste en effet
à évaluer les effets des dispositifs techniques sur les
comportements individuels et collectifs dans l'Histoire. Cela consiste par
exemple, à évaluer les effets du téléphone portable
sur les comportements .Il existe une vision pessimiste et une vision optimiste
du déterminisme technique. La vision optimiste des impacts des
technologies sur le social a sans conteste dominé pendant plus de 20 ans
que ce soit en Europe, aux États-Unis ou au Japon. Les technologies de
la communication y sont décrites comme facilitant la communication entre
des individus éloignés dans le temps et dans l'espace.
L'éloignement n'est plus alors un facteur pénalisant, et les
individus gagnent du temps. Elles permettent ainsi la décentralisation
ou l'éclosion d'activités économiques jusqu'alors maintenu
à l'écart du développement. Les nouvelles technologies de
la communication permettent aussi une redéfinition des frontières
entre espace de travail et espace de vie. La technologie, face aux incertitudes
des croyances habituelles apparait comme quelque chose de solide,
incontournable et réconfortant à la fois. Cette théorie
apporte ainsi une solution simple à des problèmes complexe. La
technologie est donc sensée améliorer nos vie à long
terme, et rapprocher les humains entre eux. La vision pessimiste quant à
elle, définit les nouvelles technologies de la communication comme
quelque chose qui, loin de permettre aux individus de se rapprocher pour avoir
une meilleure prise sur leur destin, risque plutôt de les arracher de
leur cadre habituel de référence pour mieux les manipuler. La
critique est ici culturelle : face à l'adversité, à
l'absence de perspectives, il serait possible de fuir, via les
technologies de communication, vers un monde imaginaire plus en accord avec les
désirs de chacun. Les individus rechercheraient donc non pas un
rapprochement entre eux mais plutôt une valorisation narcissique. On
attend du média qu'il permette de s'exprimer, ou bien qu'il parle de
soi. Replié sur soi, chacun préfèrerait désormais
consommer ses relations au monde à moindre frais sans contact direct,
restant chez soi et désertant les lieux publics. Ainsi pour Richard
Sennet « les communications électroniques sont l'un des moyens par
lesquels la notions de vie publique a été étouffée
»98. La masse d'information selon lui, nous parvient plus vite
est de façon plus importante mais nous agissons moins ensemble. Mais
selon Olivier Donnat, la fréquentation des établissements
culturels n'a pas été modifiée au cours de la
dernière décennie. On peut donc supposer que les nouvelles
technologies de la communication, bien que fournissant des moyens facilitant
l'accès à l'information ne change en rien les habitudes au niveau
des sorties
98 Les tyrannies de l'intimité, édition
le Seuil (1979) p. 220-221
37
culturelles des français99. Pour le
déterminisme social, c'est la nature elle-même du support
technique utilisé de manière dominante pour communiquer qui est
censée influencer directement ou de façon inconsciente la
sphère socio-culturelle. Le rôle du sociologue consiste alors
à mesurer les « effets et les impacts » des technologies de
communications sur l'organisation et le changement social ou sur les pratiques
de l'espace. Il s'agit donc de voir comment la sphère sociale
conditionne le développement des technologies. Contrairement au
mouvement déterministe technique, qui présente la technique comme
moteur du changement, elle est ici présentée comme une condition
de la reproduction des inégalités. Ce sont alors les individus
qui vont influencer le développement des technologies comme avec par
exemple le téléphone qui en 1880 était utilisé pour
écouter de l'Opéra de chez soi. Dans le cas du tourisme et des
nouvelles technologies se sont effectivement les outils numériques qui
se sont adaptés et même crée en fonction des besoins de la
population.
4.1.3 Dépasser les visions
déterministes avec les usages 100:
Qu'il s'agisse de déterminisme technique ou de
déterminisme social, il apparait nécessaire de dépasser ce
type d'approches pour différencier d'un côté la technologie
et de l'autre la société. Chacune peut agir sur l'autre. Il
existe trois approches classiques pour penser les usages. La première
étant la « diffusion et l'adoption ». La figure
emblématique de ce premier modèle est le sociologue
américain Everett M. Rogers qui dès les années 1950,
oriente ses recherches sur le thème de la diffusion des innovations
techniques. Il modélise alors le processus d'adoption en 5 phases : la
connaissance (exposition à l'innovation et acquisition de quelques
notions sur son mode de fonctionnement) ; la persuasion (début d'une
prise de position sur l'innovation) ; la décision (choix d'adoption ou
pas) ; la mise en oeuvre (utilisation et évaluation de l'innovation) ;
la confirmation (affirmation du choix). Donc en résumé pour
être adoptée l'innovation technique doit répondre à
cinq caractéristiques : son avantage relatif (non seulement en terme de
prix ou de bénéfices escomptés mais aussi de prestige et
de distinction) ; sa comptabilité avec les valeurs du groupe
d'appartenance et les expériences antérieures ; sa
complexité (plus ou moins grande difficulté à la
comprendre et à l'utiliser) ; sa capacité à être
essayé ; et enfin sa visibilité. De leur côté les
usagers sont classés en cinq profils types selon la façon dont
ils se placent sur l'échelle temporelle de la diffusion : les «
innovateurs », les « adoptants précoces », la «
majorité précoce », « la « majorité tardive
», les « retardataires ». Les innovateurs sont des personnes
audacieuses
99 Voir Chapitre 2
100 Usages et enjeux des technologies de communication de
Francis Jauréguiberry et Serge Proulx, page 50
38
porteuses de changement, toujours à l'affût des
dernières idées et découvertes. Elles n'hésitent
pas à se jeter à l'eau pour anticiper les apports positifs de
l'innovation. Ainsi, Rogers évalue à 2,5% le nombre de ces
innovateurs qui selon lui « jouent un rôle de porte d'entrée
pour le flux des nouvelles idées vers le système social. Pour les
nouvelles technologies dans le tourisme, les utilisateurs précoces
seraient représentés par la génération Y, par les
plus jeunes et les plus diplômés, qui ont accès à un
Smartphone et sont familiés avec ce type de technologie. Viennent
ensuite les adoptants précoces, qui prennent eux aussi des risques dans
la mesure où, ils font partis après les innovateurs des premiers
à adopter une innovation. Ils représentent 13,5% des
utilisateurs. La majorité précoce qui leur succède dans le
temps est dynamique mais prudente : elle adopte l'innovation qu'une fois les
avantages de celle-ci prouvés. Cette majorité précoce
s'élève à 34% des utilisateurs. La majorité tardive
est composée de « ceux qui suivent (34% et qui adopte l'innovation
parce qu'elle est incontournable. Enfin, les retardataires (16%) sont ceux qui
mettent beaucoup de temps à adopter l'innovation ou qui la refusent.
l'ensemble de ces catégories permettent de suivre le processus
d'adoption dans le temps, d'un groupe de leader à la majorité.
D'autres recherches liées aux sciences de l'ingénieur, à
l'ergonomie et à la conception des dispositifs techniques analysent la
place et le rôle des humains vis-à-vis des systèmes
techniques. Pendant les décennies 1970 et 1980, les concepteurs des
objets techniques prirent conscience de la grande variation d'attitudes des
personnes à l'égard des technologies. Alors que certains
utilisateurs manifestaient une méfiance à l'égard des
machines, d'autres montraient au contraire une confiance à
l'égard de la technique. Les concepteurs furent alors persuadés
qu'il fallait que l'utilisateur ait une meilleure compréhension des
fonctionnalités des dispositifs pour se l'approprier. D'autres
orientèrent leur travail vers la conception d'interfaces de plus en plus
« conviviales » c'est-à-dire faciles à employer pour
des usagers faisant alors l'économie d'une compréhension du
fonctionnement interne des machines. Les développeurs et les concepteurs
s'engagent aussi à mieux comprendre comment l'individu travaille et
s'organise, pour lui fournir des outils mieux adaptés. En matière
d'appui aux activités de groupe en situation de travail par exemple, ils
purent concevoir les téléconférences, les listes
électroniques de discussion, les dispositifs facilitant
l'écriture en groupe. Ceci les conduisit à penser la conception
et l'utilisation de systèmes techniques de communication dans des
contextes beaucoup plus larges que celui de la relation directe entre humain et
machine.
39
4.1.3 L'écart entre usage prescrit et usage
effectif
Les premières recherches réalisées dans
ce nouveau champ sociologique mettent presque toutes l'accent sur les
écarts entre les usages observés et les usages prescrits par les
promoteurs des nouveaux outils de communication. Les études
menées par exemple sur le minitel montrent comment un terminal de
communication, conçu uniquement à l'origine pour consulter des
banques de données, va être aussi utilisé pour le
divertissement et comme messagerie. Boullier101 et
Mercier102 parlent alors au même moment de «
détournement de l'usage normalisé ». Cette approche permet
à la fois d'aborder les usages des technologies par le biais d'une
sociologie attentive aux usagers perçus non plus seulement comme de
simples consommateurs passifs mais aussi comme des acteurs, et
d'échapper à la vision pessimiste.
Les Smartphones et les applications représentent bien
un type de technologie qui a été détournée de son
usage premier qui était de téléphoner. Pourtant son usage
dans les visites culturelles reste réservé à quelques
utilisateurs férus de nouvelles technologies. On peut alors se demander
si l'apport de ses nouvelles technologies constitue un réel
complément pour la visite culturelle, et si dans le futur elles
deviendront indispensables comme le devint l'audioguide.