SECTION II. UNE PENSÉE ANTISOCIALISTE
JUSTIFIÉE PAR L'ADHÉSION DE LÉON HARMEL AUX IDÉES
DU CATHOLICISME SOCIAL
Le Socialisme poursuit la même finalité que le
catholicisme social : l'atténuation des maux causés par les
excès de l'idéologie libérale dans la
société. Mais le deux courants s'éloignent quant aux
moyens pour mettre fin à ces excès.
C'est donc tout naturellement qu'Harmel acteur majeur du
catholicisme social rejette les moyens utilisés par les socialistes
telles la promotion de l'idée de révolution (§ 1) et
les attaques menées par le socialisme contre l'Église
Catholique (§ 2).
§ 1. Le
socialisme : un courant révolutionnaire dangereux pour l'harmonie
sociale
La violence en ce milieu du XIXe siècle
connait son apogée avec l'épisode de la commune de Paris. Cette
violence est due selon plusieurs contemporains dont Harmel au socialisme qui
par son idéologie promeut la lutte des classes (A). Cette doctrine
serait à la base de la violence des classes laborieuses (B).
A. Le socialisme,
promoteur de la lutte des classes
Fervent partisan du catholicisme social, Léon Harmel
est contre l'idéologie socialiste surtout dans sa vision marxiste qui
souhaite résoudre les problèmes de la société
industrielle par la lutte des classes. Il défend à ce titre, la
ligne du catholicisme social qui est celle d'une collaboration des classes.
Cette ligne est défendue depuis des siècles par la doctrine de
l'Église Catholique et sera consacrée dans l'encyclique Rerum
Novarum qui tout en attaquant le socialisme se prononce pour la
collaboration des classes. Le pape Léon XIII répète
à l'intérieur de cette encyclique que « l'erreur
capitale de la question présente c'est de croire que les deux classes
sont ennemies-nées. Les deux classes sont destinées par la nature
à s'unir harmonieusement. La concorde engendre l'ordre et la
beauté »45(*). Ce point de l'encyclique Rerum
Novarum illustre bien la position adoptée par l'Église
depuis des siècles quant à la question sociale et rappelle sa
doctrine qui enseigne la nécessaire collaboration des
classes46(*). Au nom de cette vision, Léon Harmel
lutte contre le socialisme révolutionnaire qui ne doit pas avoir
selon ces termes, « seul le champ
libre »47(*). Il dénonce à plusieurs
reprises cette vision du socialisme qui a du succès auprès des
masses populaires surtout des ouvriers industriels. Ces derniers voyaient dans
cette idéologie, le remède à tous leurs maux. Le seul
moyen pour vaincre la condition misérable dans laquelle ils semblent
condamnés. Harmel reconnait à cet effet que, si le socialisme
connait ces grands succès c'est essentiellement à cause de
« l'habileté avec laquelle il a pris la défense des
ouvriers ». Il est clair selon lui que le socialisme allait se
dissiper « comme un vainc fantôme », le jour
où les catholiques défendront leurs traditions
séculaires48(*).
Effectivement, l'idéologie du socialisme se propose de
prendre la défense de l'ouvrier face aux dérives qu'entraine le
capitalisme industriel. Sur ce point elle rejoint les catholiques sociaux.
Toutefois l'idéologie socialiste repose aussi sur le fait que dans la
société bourgeoise, il n'est pas possible de mettre fin à
la misère qui provient du capitalisme car cette misère provient
de la propriété privée des moyens de production et ne peut
disparaitre qu'avec elle. Tous les systèmes socialistes convergent sur
ce point. Ils divergent seulement sur la voie pour arriver à la
suppression de la propriété privée49(*). Le système
socialiste se veut une réponse à la misère
ouvrière, au capitalisme sauvage, à l'industrialisme triomphant
qui a engendré un prolétariat qui vit dans des conditions
extrêmement difficiles. Plusieurs auteurs dont l'industriel du Val
partagent cette vision du socialisme même si pour lui, cette vision
affichée par le socialisme apparait comme une ruse des auteurs
socialistes pour séduire la classe ouvrière. L'évolution
du socialisme lui donne raison.
Après la révolution de 1848, le mouvement
socialiste est surtout influencé par les idées d'Auguste Blanqui
et de Pierre-joseph Proudhon. Proudhon est partisan d'un socialisme
libéral50(*) à la différence de plusieurs
auteurs socialistes plutôt intéressés par le marxisme.
Le marxisme fait son apparition en France dans les
années 188051(*). La notion de classe est très
centrale dans la littérature marxiste52(*).
L'analyse marxiste étudie toujours d'un point de vue
sociologique l'évolution du capitalisme par l'antagonisme de la lutte
des classes c'est la raison pour laquelle elle connait un grand succès
dans le monde ouvrier. Selon leur analyse, Marx et Engels défendent
l'idée selon laquelle l'histoire de toute société est
une histoire de la lutte des classes53(*). Cette lutte n'a pas disparu selon eux avec
la Révolution de 1789 mais elle a été plutôt
régénérée car la société bourgeoise a
été bâtie sur les cendres de la société
féodale. L'antagonisme des classes demeure donc, puisqu'aux anciennes
classes se sont substituées de nouvelles. Les anciennes oppressions ont
été substituées par de nouvelles plus terribles encore
pour les classes exploitées d'où la nécessité
d'avoir de nouvelles formes de lutte. Cette lutte est à mener entre une
classe bourgeoise de plus en plus riche et de moins en moins nombreuse et une
classe prolétaire de plus en plus pauvre et de plus en plus
nombreuse54(*). Les auteurs marxistes exhortent la classe
prolétaire, face aux abus qu'elle subit de la part de la minorité
bourgeoise, à prendre conscience de sa force, et à renverser
cette classe « d'exploiteurs ».
Le mouvement ouvrier nait ainsi en opposition au capitalisme
industriel qui exproprie, assujettit, asservit ces masses laborieuses. Il
reprend à son compte au fur et à mesure de son
développement les analyses marxistes. Les ouvriers unis, par le
capitalisme malgré lui, dans les usines et dans les grandes villes
industrielles vont prendre conscience de leur condition commune et effectuer
des revendications pour de meilleures conditions de vie dans un premier temps
puis ces revendications vont commencer à se durcir avec le
développement des idées marxistes qui vont prendre un tel
ascendant qu'elles exerceront une grande influence sur le mouvement socialiste.
Cette ascendance du marxisme dans le milieu ouvrier est l'une des causes de la
violence ouvrière qu'on constate durant le
XIXe siècle.
* 45
Rerum Novarum, 1891, p. 5.
* 46
MONTARON (G.), CLÉMENT (M.) Le socialisme : dialogue entre
Georges Montaron et Marcel Clément, Paris, Beauchesne, 1969
p. 42.
* 47
HARMEL (L.) Manuel d'une corporation chrétienne,
p. 192.
* 48
HARMEL (L.), Lettres de Léon Harmel à ses enfants. Voyage
à Rome, février 1899, Chambéry, Imprimerie
générale de Savoie, 1899, p. 29.
* 49
KAUTSKY (K.), Les trois sources du marxisme, s.l. Starebooks, 1908,
p. 18.
* 50
BOUGLÉ (C.), La sociologie de Proudhon, Paris, Armand Colin,
2011, p. 173.
* 51
PORTIS (L.) Les classes sociales en France : un débat
inachevé 1789-1989, Paris, Les Éditions Ouvrières,
1988, p. 93.
* 52
MALBRANQUE, Le socialisme en chemise brune, Paris, collectif la main
invisible, 2012, p. 200.
* 53 MARX
(K.) et ENGELS (F.), Le manifeste communiste, p. 13-14.
* 54
BERGOUNIOUX (A.), COHEN (D.), Le socialisme à l'épreuve du
capitalisme, Paris, Librairie Arthème Fayard, 2012, p. 10.
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