PARTIE II.
LE CONSEIL DE L'USINE
CHRÉTIENNE, MODELÉ D'INSPIRATION POUR LE COMITÉ
D'ENTREPRISE
« Respecter la liberté humaine dans ce
qu'elle a de plus légitime ». Cette phrase de Léon
Harmel manifeste la conviction profonde d'un industriel qui a dès le
début, à contre courant de l'atmosphère de
l'époque, compris l'importance de la participation et de la
coopération des travailleurs à la décision de
l'entreprise. Son approche nouvelle dans le management des
travailleurs sera expérimentée au sein de son usine à
travers le conseil d'usine qui constitue au XIXe siècle
une innovation devant refonder le paternalisme
classique (Chapitre I). Le succès de cette approche fait
qu'elle inspirera un siècle plus tard le législateur au moment de
la création des comités sociaux d'entreprise puis des
comités d'entreprise (Chapitre II).
CHAPITRE I.
LE CONSEIL D'USINE, UNE INNOVATION DE
LÉON HARMEL REFONDANT LE PATERNALISME CLASSIQUE
Le paternalisme est un terme très complexe. Cette
complexité s'explique par les différentes tentatives de sa
définition. Le terme « paternalisme » serait apparu
en Anglais vers 1880 pour designer la forme de protection sociale
qu'accordait l'État146(*). Selon le dictionnaire Robert, il s'agit
« d'une conception patriarcale ou paternelle du chef
d'entreprise » dans le même dictionnaire, il est question
d'« un état d'esprit d'un patronat qui prétend
accorder par charité ou par générosité ce que la
justice sociale exige ».
Le conseil d'usine, auparavant conseil corporatif, ne se
distingue pas sur le plan des oeuvres sociales et culturelles du paternalisme
existant au sein de plusieurs autres usines (Section I) Sa
particularité vient du fait qu'elle introduit un modèle
participatif ignoré du paternalisme classique (Section II).
SECTION I. LE CONSEIL D'USINE, UNE
REPRÉSENTATION DU PATERNALISME DANS LA GESTION DES oeUVRES SOCIALES ET
CULTURELLES
Comme toute oeuvre paternaliste, le conseil d'usine avait pour
objectif d'orienter les comportements des ouvriers. Cette politique
paternaliste du Val visait à maintenir les ouvriers au sein de l'usine
par le biais des oeuvres sociales (§ 1) et à les
moraliser à travers les oeuvres culturelles (§ 2).
§ 1. La gestion
des oeuvres sociales au Val : un rempart contre l'instabilité DE LA
MAIN D'oeUVRE
Selon la typologie faite par Didier Tabuteau, on distingue au
niveau des oeuvres sociales deux catégories : les oeuvres
d'investissement social qui constituent une garantie de l'accès à
des périodes désirées de la vie (A) et les oeuvres
d'indemnisation social qui constituent une sorte de garantie face aux
aléas de la vie (B). On peut apercevoir ces deux catégories
d'oeuvres au sein du conseil d'usine du Val.
A. Les oeuvres
d'investissement social : une garantie de l'accès à des
périodes désirées de la vie
Les oeuvres d'investissement social ou encore oeuvres
d'investissement dans le social ont un double objectif :
« Il s'agit d'une part d'offrir le plus d'opportunités
possible à tous les individus tout au long de leur vie, et d'autre part
de renforcer la base productive de nos sociétés. »
C'est le cas des régimes de retraite, de l'école, de la formation
professionnelle et de certaines allocations familiales147(*). L'objectif des
patrons en mettant en place ces mesures sociales est de maintenir les ouvriers
par les avantages qu'offrent ces oeuvres mais aussi d'accroitre la
productivité de ces ouvriers. Toutes ces oeuvres existent au Val et
Harmel n'hésite pas à les brandir telles des trophées pour
montrer sa politique généreuse envers les ouvriers.
C'est ainsi qu'il déclare : « Dans
notre usine, les écoles sont obligatoires jusqu'à seize ans
accomplis. »148(*) Cette présence des écoles
dans l'usine correspond à la législation de 1841 qui
interdit le travail des enfants ayant moins de huit ans149(*). Elle correspond
aussi à la vision paternaliste d'Harmel qui fixe comme devoir incombant
aux patrons de s'occuper de l'instruction « saine » des
enfants des ouvriers afin de les détourner des écoles neutres.
Ces écoles qui désignaient une organisation de l'enseignement
primaire public dans laquelle des enfants de confession religieuse
différente et aussi ceux ne professant aucune religion sont
réunis dans une même école.
En plus des écoles, il y a une formation
professionnelle qui est assurée au Val sous la forme de cours d'adultes.
Ces cours sont ouverts trois fois par semaine les soirs pour les personnes dont
l'âge est au dessus de seize ans et qui ne bénéficient donc
pas de la formation de l'école. Outre l'instruction
élémentaire, on y apprenait aussi des cours de dessin
linéaire et de mécanique150(*).
Par ailleurs l'un des instruments les plus
appréciés du paternalisme, le logement est à l'honneur
dans la politique sociale du Val. Tout être humain aspire à
posséder une propriété immobilière, il en
était de même pour les ouvriers. Fort de cela, les patrons
n'hésitaient pas à construire des habitats pour leurs ouvriers,
ces habitats permettaient de fixer la main d'oeuvre et suscitaient une
gratitude immense vis-à-vis des patrons. Cette gratitude qui se
manifestait par des efforts plus fournies au travail et une productivité
accrue. Les exemples de logement ouvrier construits par des patrons
paternalistes sont nombreux.
Au Val, Harmel défend les habitats individuels faits de
maisons indépendantes les unes des autres avec un jardin
attenant151(*). Tous ces logements sont à un prix
modéré pour permettre aux ouvriers d'accéder à la
propriété immobilière et par la même rester sur
place. Il n'hésite pas à octroyer des indemnités aux
ouvriers afin que ces derniers puissent se loger comme ils veulent.
À coté de ces mesures d'investissement social,
il existait aussi des mesures pour garantir les ouvriers face aux aléas
de la vie. Ces mesures que l'on regroupe sous le vocable de mesures
d'indemnisation sociale.
* 146
MEILLASSOUX (C.), L'oppression paternaliste au Brésil, Paris,
Karthala, s.d. p. 343.
* 147
TABUTEAU (D.), « Topologie des politiques sociales »,
Revue Droit Social, 2012, p. 620.
* 148
HARMEL (L.), Manuel de Corporation chrétienne, p. 82.
* 149
Article 2 de la loi du 22 mars 1841 relative au travail des enfants
employés dans les manufactures, usines ou ateliers.
* 150
HARMEL (L.), ibid., p. 83.
* 151
Ibid.
|