UNIVERSITÉ DE POITIERS
FACULTÉ DE DROIT ET DES SCIENCES
SOCIALES
MASTER II -- HISTOIRE DU DROIT ET DES
INSTITUTIONS
2015-2016
LÉON HARMEL ET L'USINE CHRÉTIENNE,
ANCÊTRE DES COMITÉS D'ENTREPRISE
Mémoire pour le
Master II -- Histoire du droit et des
institutions
soutenu le 27 juin 2016
par
Monsieur Yves-Laurent KOUAME
DIRECTEUR DU MÉMOIRE
Adrien LAUBA
Maitre de conférences à la faculté de
droit et des sciences sociales de l'université de Poitiers
MEMBRE DU JURY DE SOUTENANCE
Frédéric RIDEAU
Maitre de conférences HDR à la faculté
de droit et des sciences sociales de l'université de Poitiers
L'université de Poitiers n'entend donner aucune
approbation ni improbation aux opinions émises dans ce document ;
ces opinions doivent être considérées comme propres
à leurs auteurs
Au seuil de la réflexion menée sur
« Léon Harmel et l'usine chrétienne, ancêtre des
comités d'entreprise », dans le cadre du présent
mémoire,
Je tiens à remercier particulièrement le
professeur Adrien Lauba, directeur de ce mémoire, pour ses conseils et
pour le temps qu'il m'a consacré,
Je remercie sincèrement l'ensemble des professeurs du
Master II Histoire des Institutions Moderne et Contemporaine, pour
l'enseignement dispensé tout au long de l'année et pour leur
disponibilité,
Enfin, je remercie ma famille et mes amis, pour m'avoir
soutenu et avoir ainsi contribué de près à
l'élaboration de ce mémoire.
SOMMAIRE
INTRODUCTION
6
PARTIE I. LÉON HARMEL : UNE VISION
MARQUÉE PAR SES VALEURS CHRÉTIENNES
10
CHAPITRE I. UNE VISION INCLASSABLE, « NI
LIBÉRAL, NI SOCIALISTE »
12
Section I. Une pensée antilibérale
justifiée par sa vision réactionnaire
12
Section II. Une pensée antisocialiste
justifiée par l'adhésion de Léon Harmel aux idées
du catholicisme social
21
CHAPITRE II. UNE VISION MANIFESTÉE PAR DES
oeUVRES : LA CORPORATION CHRÉTIENNE ET LA DÉMOCRATIE
CHRÉTIENNE
29
Section I. La corporation chrétienne : une
idée d'Harmel contre les excès du libéralisme
29
Section II. La démocratie chrétienne : le
remède antisocialiste de Léon Harmel au mouvement ouvrier
38
PARTIE II. LE CONSEIL DE L'USINE CHRÉTIENNE,
MODELÉ D'INSPIRATION POUR LE COMITÉ D'ENTREPRISE
47
CHAPITRE I. LE CONSEIL D'USINE, UNE INNOVATION DE
LÉON HARMEL REFONDANT LE PATERNALISME CLASSIQUE
49
Section I. Le conseil D'usine, une représentation du
paternalisme dans la gestion des oeuvres sociales et culturelles
49
Section II. Le conseil d'usine, modèle participatif
ignoré du paternalisme classique
54
CHAPITRE II. L'USINE CHRÉTIENNE, MODÈLE
PRINCIPAL D'INSPIRATION POUR LES COMITÉS SOCIAUX D'ENTREPRISE PUIS POUR
LES COMITÉS D'ENTREPRISE
60
Section I. Les comites sociaux d'entreprise : une
reprise du modèle de l'usine chrétienne
60
Section II. Les comités d'entreprise : la
reprise du modèle de l'usine chrétienne, véritable
compromis sociale
65
CONCLUSION
73
BIBLIOGRAPHIE
76
TABLE DES MATIÈRES
82
LISTE DES ABRÉVIATIONS ET
DES SIGLES
AIDELF Association Internationale des
Démographes de Langue Française.
CE Comité d'Entreprise.
CGT Confédération
Générale du Travail.
COLL. Collection.
CNR Conseil National de la Résistance.
DARES Direction de l'Animation de la Recherche, des
Études et de la Statistique.
ÉD. Éditeur, Édition.
GPRF Groupement Provisoire de la République
Française.
ibid. Ibidem (au même endroit).
impr. Impression, Imprimeur.
IRES Institut de Recherches Économiques et
Sociales.
MRP Mouvement Républicain Populaire.
op. cit. Opere Citato (Ouvrage Cité).
p. Page(s).
PUF Presses Universitaires de France.
PUR Presses Universitaires de Rennes.
suiv. Suivant(s)(e).
INTRODUCTION
Les comités d'entreprise fêtent en 2015 leur
70e anniversaire. Il existe aujourd'hui plus de quarante mille
comités d'entreprise et d'établissement rassemblant plus de
423 000 élus. Le budget des comités, assimilés
compris, serait de l'ordre de soixante-dix milliards de francs. Les offres des
comités d'entreprise concernent plus de onze millions de salariés
et retraités.
Les seules dispositions juridiques codifiées les
concernant occupent les pages 580-719 et 1344-1677 du Code du travail,
soit 472 pages1(*). Le contentieux est très abondant, et
on ne compte plus les articles de doctrine juridique, les thèses de
droit et les manuels qui traitent des multiples questions qui sont
posées aux employeurs, aux élus et aux syndicats par la mise en
place et le fonctionnement des institutions représentatives du
personnel.
Tous ces chiffres montrent leur importance dans le monde de
l'entreprise, dans le monde du travail. Le comité d'entreprise est une
institution clé du droit du travail, c'est pourquoi tout comme ce droit,
il fait l'objet de querelles sur ses origines, son
« géniteur ». Il s'agit d'un beau bébé
que deux mères se disputent. Et nous voici replongé dans la Bible
au Livre des Rois entre les deux prostitués qui se disputent la
maternité d'un bébé. Évidemment, l'une est la
véritable mère du bébé et l'autre, une
usurpatrice.
En effet le droit du travail s'est construit avec deux
courants qui en revendiquent la paternité. L'un faisant de ce droit, une
conquête syndicale, une « oeuvre venue du bas » et
l'autre courant défend plutôt le droit du Travail comme une oeuvre
« venue du haut », un privilège patronal
accordé aux travailleurs.
Le premier courant se repose sur une analyse marxiste du droit
du travail et considère le droit du travail comme un droit de classe,
arraché par la classe ouvrière à la bourgeoisie, parce
qu'il tend à s'appliquer à tous les éléments de la
population, indépendamment du groupe social auquel ils
appartiennent2(*). Ce point de vue est défendu par
plusieurs auteurs travaillistes dont Pol Virton, dans son ouvrage publié
en 1968 et qui s'intitulait significativement Histoire et politique du
droit du travail ; avant lui on note l'ouvrage d'Édouard
Dolléans et Gérard Dehove, daté de 1955 qui
s'appelait Histoire du travail : mouvement ouvrier et
législation sociale. Dans leur esprit, le droit du travail est
d'abord le fruit de conquêtes syndicales. La loi sur la journée de
huit heures, en 1919, faisait l'objet d'une forte revendication des
syndicats depuis la fin du XIXe siècle. On pourrait en
dire autant de la suppression du livret ouvrier, des congés
payés, du salaire minimum et de bien d'autres sujets. Que le monde du
travail ait exercé une pression décisive, par son action directe,
ne souffre pas discussion.
Cependant, la production législative et
réglementaire peut également trouver sa source dans des
initiatives patronales : la loi de 1841 sur le travail des enfants
n'a-t-elle pas été inspirée par un mémoire de
Jean-Jacques Boucart, un employeur protestant de Mulhouse ; les conseils
de prud'hommes, dans leur dispositif initial, n'ont-ils pas été
réclamés par les soyeux lyonnais, déçus de la
disparition de leurs anciennes juridictions corporatives au moment de la
Révolution française ; la création des
délégués du personnel n'a-t-elle pas été
suggérée par les employeurs lors des accords Matignon,
en 1936, contre l'institution de délégués syndicaux
réclamés par la CGT3(*) ?
Tout comme le droit du travail, le comité d'entreprise
souffre de cette querelle entre le courant syndical et le courant patronal au
niveau de ses origines.
Le juriste Cohen sonne la charge en affirmant que les
institutions représentatives du personnel s'inscrivent dans l'imaginaire
social français sur la longue liste des conquêtes du mouvement
ouvrier, comme des acquis sur lesquels on ne saurait revenir sans renier
l'esprit pionnier du Front populaire et de la Libération.
« Création originale du syndicalisme
français », les comités d'entreprise notamment
constituent pour la CGT « un des acquis majeurs de la
Libération » et « se sont construits au fil
des luttes »4(*). En le disant il s'appuie sur le fait que,
crées par l'ordonnance du 22 février 1945, l'institution des
comités d'entreprise (CE) doit beaucoup à la CGT. Celle-ci fait
partie des organisations composant le Conseil national de la Résistance
dont le programme commun prévoit « la participation des
travailleurs à la direction de l'économie ». Par
ailleurs en décembre 1944, le rapporteur du projet d'ordonnance
à l'Assemblée consultative provisoire n'est autre qu'Albert
Gazier, éminent militant réformiste de l'organisation. Quant
à la loi du 16 mai 1946, qui pose le véritable statut
moderne de la CE, elle est signée par le ministre du Travail, Ambroise
Croizat, l'ancien secrétaire général de la puissante
Fédération de la métallurgie.
Il ne s'agit pas bien sûr de nier l'importance des
luttes syndicales dans le développement de la législation
ouvrière sur les Comités d'entreprise. Toutefois n'oublions la
contribution éminente et en bien des points décisives des
courants patronaux dans la genèse de la représentation du
personnel. Les délégués du personnel ont en
réalité, été proposés lors des accords
Matignon en 1936 par la Confédération générale
de la production française contre l'idée de
délégués syndicaux préférée par la
CGT. Avant cela, le mouvement patronal s'est illustré dans la
représentation du personnel à travers l'expérience
Schneider en 1899. Eugène Schneider instaura un type de
représentation salariale constitué par l'institution des
délégués ouvriers au sein de son établissement, le
plus grand établissement industriel français5(*).
Toutefois la première expérience de
représentation du personnel dans une entreprise française est
réalisée dès 1875 dans la filature de laine Harmel
frères, dite du Val-des-Bois, dans la Marne. L'organe de
représentation, appelé d'abord conseil corporatif, puis conseil
professionnel, devient, en 1893, le conseil d'usine6(*).
Dans un souci de mieux appréhender la genèse de
cette institution qu'est le comité d'entreprise, notre étude sera
axée sur Léon Harmel et l'usine du Val. Elle s'intitulera
Léon Harmel et l'usine chrétienne, ancêtre des
comités d'entreprise.
Il s'agira pour nous de contribuer à éclairer le
débat sur les origines du comités d'entreprise, sur le courant
qui est à l'origine de cette vénérable institution du
droit du travail en particulier et du droit social en général.
Nous essaierons comme Salomon de rechercher la véritable mère de
ce bébé tant convoité.
C'est la raison pour laquelle nous n'aborderons pas dans notre
travail les questions liées à l'apport du mouvement syndical car
historiquement le syndicalisme s'est construit contre la démocratie
élective représentative7(*). Le revirement dans le courant syndical est
intervenu avec la Première Guerre mondiale et la participation de la CGT
à l'Union sacrée. C'est à ce moment que la perspective
change radicalement. Cette innovation doctrinale intervient dans un contexte
d'appropriation et de légitimation de la démocratie
représentative par les organes syndicaux.
Notre analyse, nous le rappelons est proprement historique et
balaie le XIXe et le XXe siècle pour
s'intéresser à la préhistoire des comités
d'entreprise. Il s'agira pour nous d'étudier la personnalité de
Léon Harmel, dirigeant du Val dès 1853 et acteur majeur du
catholicisme social dont les idées imprègneront son entreprise.
Ces idées novatrices en matière de représentation du
personnel feront de son usine, la première oeuvre originale en la
matière en France. C'est ce modèle qui influencera le
législateur au XXe siècle, d'abord lors de
l'élaboration de la charte du travail instituant les comités
sociaux d'entreprise, puis lors de l'élaboration de l'ordonnance
de 1945 et la loi du 16 mai 1946.
Pour parvenir à résoudre ce travail, nous
emprunterons deux voies :
La première traitera de la vision de Léon
Harmel. Cette vision marquée par son attachement aux valeurs
chrétiennes (Partie I).
La seconde traitera de l'influence des institutions du Val sur
les comités sociaux d'entreprise puis les comités
d'entreprise (Partie II).
PARTIE I.
LÉON HARMEL :
UNE VISION
MARQUÉE PAR SES VALEURS CHRÉTIENNES
Léon Harmel est un acteur majeur du catholicisme
social. Son appartenance à ce courant du catholicisme fait qu'il
défend les valeurs contre-révolutionnaires qui caractérise
ce mouvement d'où la vision antilibérale et antisocialiste qu'on
retrouve dans ses écrits et ses propos (Chapitre I). Toutefois
Harmel est un homme pragmatique, un homme d'action marqué par un certain
volontarisme qui ne voulait jamais s'arrêter aux idées, c'est
pourquoi il manifesta ce rejet du libéralisme et du socialisme dans les
institutions qu'il mit en place : la corporation et la démocratie
chrétienne (Chapitre II).
CHAPITRE I.
UNE VISION INCLASSABLE, « NI
LIBÉRAL, NI SOCIALISTE »
L'industriel du Val ne manque pas une occasion pour
dénoncer le libéralisme (Section I) et la
conséquence du libéralisme : le
socialisme (Section II).
SECTION I.
UNE PENSÉE ANTILIBÉRALE
JUSTIFIÉE PAR SA VISION RÉACTIONNAIRE
La vision anti libérale de Léon Harmel est
perceptible au paragraphe 170 de son Manuel de la corporation
chrétienne paru en 1877 où il affirme que
« les maux de la classe ouvrière, à notre
époque, sont les fruits du libéralisme qui n'a cessé
depuis près d'un siècle, sous diverses formes, de gouverner notre
pays » cette phrase montre bien les griefs portés par le
« bon père » à ce système qui avait
été érigé en 1789 à la suite de la
Révolution française. Ce système libéral qui a
aggravé les conditions difficiles de la classe ouvrière en
favorisant l'industrialisation (§ 2) après la destruction
de la corporation, élément organique très important dans
l'Ancien Régime (§ 1).
§ 1. Le
libéralisme, à la base de la destruction de la corporation
Le XIXe siècle s'ouvre après un
XVIIIe siècle appelé siècle des
Lumières à cause du mouvement intellectuel lancé en Europe
au XVIIIe siècle (1715-1789), dont le but était
de dépasser l'obscurantisme et de promouvoir les connaissances. Les
philosophes et les intellectuels de ce siècle vont encourager la science
par l'échange intellectuel, s'opposant à la superstition,
à l'intolérance et aux abus des Églises et des
États. Cette philosophie politique est dénommée un
siècle plus tard : le libéralisme.
Le libéralisme tant dans son aspect politique que dans
son aspect économique a exercé irrémédiablement une
influence sur la société française en particulier et la
société européenne en général. Dans son
aspect politique elle défend la liberté politique et lutte contre
l'absolutisme royal ce qui aboutit à la révolution de 1789.
Dans son aspect économique, cette doctrine défend la libre
entreprise et la liberté de marché. Elle s'opposa par ailleurs au
contrôle par l'État des moyens de production et à son
intervention dans l'économie si ce n'est pour coordonner les entreprises
ou garantir un marché équitable. C'est au nom du principe de
libre entreprise que sont supprimées les corporations d'abord par
l'édit de Turgot en 1776 puis par le décret D'Allard des
2-17 mars 1791. La corporation qui, pourtant aux dires de plusieurs
auteurs, qui se sont penchés sur la question, présentait de
réels avantages. La plupart de ces avantages sont d'ailleurs
énumérés par les auteurs du
XIXe siècle et serviront de modèle au courant
réactionnaire auquel appartient Léon Harmel (A).Car en
supprimant les corporations, le libéralisme engendre aussi des
dérives qui eurent des conséquences désastreuses sur
l'environnement économique du XIXe siècle (B).
A. Un modèle
d'inspiration : la corporation, un cadre de paix sociale
Définissant la corporation, Léon Harmel dit
qu'elle est « une association d'individus de la même
profession formée pour atteindre un but
commun »8(*) et, à la question pourquoi donne-t-il
le nom de corporation à l'oeuvre qu'il réalise au Val-des-Bois,
il répond : « Parce que nous n'en connaissons pas
d'autres pour exprimer notre organisation. »9(*) Selon lui, seule la
corporation correspond à l'organisation pour assurer la paix et la
justice sociale qu'il essaye de faire naitre au Val. Elle ne pouvait pas
être « un instrument de puissance et de profit pour les
patrons ». En effet pour l'industriel du Val, l'oeuvre qu'il
mène, s'inspire profondément de la corporation. Surtout comme il
le rappelle, la corporation organisée au
XVe siècle, celle du début qui mérite
d'être une source d'inspiration pour lui. Par la suite, l'institution du
début se transforma et certaines dérives apparurent. La
référence à la corporation du
XVe siècle est aussi fondée sur l'idéal
dont il se fait du moyen âge, cette période de l'histoire qui
était l'époque par excellence de la chrétienté. En
la matière, il n'est pas le seul à défendre le
modèle d'organisation sociale que constitue la corporation pour l'Ancien
Régime. Les corporations offrent en effet plusieurs avantages d'ailleurs
mis en exergue par plusieurs auteurs.
Janet Horne affirme qu'elles « ont
constitué l'une des bases de l'ordre social de l'Ancien Régime,
en apportant leur protection et leur encadrement à toutes sortes de
relations quotidiennes qui lient les individus les uns aux
autres »10(*). Ainsi on peut voir dans ces corporations un
réseau d'entraide se former entre les gens de même métiers
pour se prémunir contre les risques de l'existence tels la maladie, les
accidents de travail et même le décès de l'un des membres.
En cela, elles remplissent une fonction sociale inespérée dans un
contexte social où l'assistance publique est défaillante et
l'assurance chômage inexistante. Cette aide apportée par les
corporations est donc d'un grand secours pour les plus modestes.
De plus, dans le cadre de relations professionnelles, les
règles dans les corporations apparaissent comme de véritables
« codes du travail » avant la lettre et certains auteurs
n'hésitent pas à mettre en avant le cadre corporatif
« où les obligations tant personnelles que réelles
des Seigneurs avec leurs hommes sont définies par les chartes et
coutumes »11(*). Leur action dans la société
est donc des plus louables et participent à éviter
l'interventionnisme étatique, le rôle de l'État se limitant
strictement à un rôle de police pour sanctionner les règles
édictés au sein des corporations et qui sont violés. Car
bien évidemment, il existe des défaillances au sein des
corporations mais toutes ces défaillances sont sanctionnées par
une réglementation rigoureuse car tous les métiers disposent de
statuts et chaque corporation est doublée d'une confrérie avec
ses statuts et ses fêtes12(*). Les catholiques sociaux, courant auxquels
appartient Léon Harmel, saluent dans les corporations les relations de
solidarité qui y existent entre l'apprenti et son maître. Il n'est
pas rare de voir de touchants exemples de la solidarité qui existent
entre le propriétaire et son tenancier, entre le maitre et l'apprenti
puisqu'ils sont tous très attachés à la
famille13(*) . La vie dans ces communautés est
orientée vers l'homme qui est le centre d'intérêt et de
convergence de toute l'activité économique. Conception
très éloignée du libéralisme qui fait la promotion
de l'individualisme et qui veut donc détruire tous les groupes
intermédiaires dans la société française post
révolutionnaire car ceux-ci sont suspectés par les
révolutionnaires de porter les germes d'une réaction
féodale.
Au niveau professionnel toujours, l'un des objectifs de la
corporation est de réguler « l'organisation de
l'accès au métier et à la qualification dans le
métier »14(*). En effet les métiers sont
très hiérarchisés. Au sommet de la hiérarchie, il y
a les maitres ou les patrons. Leur nombre est également limité
dans chaque métier et dans chaque ville. Pour accéder à la
maîtrise, il faut accomplir les stages d'apprenti et de compagnon, puis
prouver ses qualités professionnelles en réalisant un chef
d'oeuvre. Ainsi à terme, l'apprenti peut devenir propriétaire et
être récompensé pour les efforts fournis. La suppression
des corporations loin d'être un grand bien, va donc avoir des
conséquences désastreuses sur la société
française, des conséquences bien au-delà du domaine
circonscrit par les règles régissant le travail et le
commerce15(*).
B. Un constat de
départ : les conséquences désastreuses de l'abolition
des corporations
Pierre Rosanvallon ne se trompe pas quand il affirme que
« la destruction des ordres et des corporations a
créé un vide d'où procèdent toutes les tensions
nouvelles qui se manifestent au
XIXe siècle ». En supprimant la
corporation, la Révolution brise la famille professionnelle liant
maîtresse, compagnon et apprenti. De cette destruction du lien familial
nait un grand esprit d'individualisme, or partout où l'individualisme
devient prépondérant dans les rapports sociaux,
« les hommes se plongent dans les luttes de la
barbarie »16(*). Rien de surprenant donc que tous les
intellectuels de toutes tendances politiques aient été
hantés par cet « effondrement des liens sociaux dans la
France postrévolutionnaire »17(*). On regrette un monde
construit autour de petites communautés de producteurs et de
propriétaires, protégés par une hiérarchie sociale
stable18(*). Le capitalisme industriel, qui
prospère à la suite de la Révolution, capitalise sur les
disparités entre groupe sociaux, disparités qui étaient
inconnues dans le régime corporatif19(*). Parlant des
méfaits de la Révolution française, Fréderic Le
Play dit même que « l'hostilité réciproque
des deux classes est devenue, au contraire un trait distinctif des moeurs
modernes de la France ». Le célèbre
ingénieur social n'a pas tort car les deux classes : la classe
bourgeoise et la classe prolétaire qui naissent dans la
société postrévolutionnaire sont plus antagonistes que les
trois ordres qui existaient sous l'Ancien Régime. La
société sous l'Ancien Régime tant décriée
apparait ainsi nettement plus appréciable que la société
de la France moderne. Elle était certes fragmentée en
différents ordres mais elle n'était pas divisée en classe
antagonistes. Une séparation croissante se fait sentir entre les
ouvriers et les patrons, puisque l'élément organique qui les
unissait n'existe plus.
Au nom de l'idéal libéral, tous les groupes
intermédiaires au sein de la société sont dissous, les
compagnonnages et les corporations. L'individu se retrouve seul face à
l'État. La solidarité dans le monde du travail est un lointain
souvenir. Désormais c'est la lutte entre les deux classes, entre le
capital et le travail. C'est la raison pour laquelle Harmel n'hésite
pas à accuser le libéralisme d'être à la base des
maux de l'ouvrier20(*) puisqu'avec le règne de
l'individualisme, l'individu se retrouve seul face au patron. Il se retrouve
d'autant plus désarmé que les règles qui
réglementent les métiers et qui contrôlent le marché
du travail n'existent plus. Un rapport de force s'est installé entre
l'ouvrier et son patron et il est en défaveur du premier. Avec le
développement des usines, le travail quitte le foyer domestique pour
l'usine, les mères abandonnent le foyer pour l'usine où le
travail est désormais centralisé ce qui entraine la destruction
de la famille ouvrière. Et les ouvriers eux-mêmes sont
isolés entre eux. L'artisan du XIXe est devenu un
mercenaire au service d'un négociant ou d'un artisan plus
puissant : le capitaliste industriel.
§ 2. Les
méfaits de l'industrialisation, fruit des idées
libérales
L'industriel du Val déclare dans Manuel d'une
corporation chrétienne, que l'industrialisme « a
produit le paupérisme, cette maladie incurable des
sociétés modernes, qui est l'union de la misère
matérielle avec l'abjection moral »21(*). Tout est dit pour le
« bon père », comme il se fait familièrement
appelé, l'industrialisme a eu pour conséquence d'affecter
à la fois la vie matérielle (A) et la vie morale (B)
des populations ouvrières.
A. L'industrialisation
cause principale du prolétariat industriel
Analysant la doctrine économique libérale,
Harmel déclare qu'elle se résume en deux phrases
« le travail humain est une marchandise, dès lors, il est
désirable qu'il soit à vil prix »22(*). Cette analyse, loin
d'être exhaustive, de la doctrine économique libérale fut
un des éléments de la critique des économistes sociaux
tels Sismondi contre l'économie politique qui prône le
libéralisme classique. Michel Chevalier ironise par ailleurs sur la
gloire dont font preuve les libéraux en déclarant que le
libéralisme a contribué au progrès de la
société. Notre auteur rappelle que ce progrès se fait en
abandonnant « une classe d'hommes dans
l'abjection »23(*) et chose grave, cette classe parait se
propager. C'est pourquoi Sismundi et plusieurs économistes sociaux
multiplient les avertissements contre les perturbations possibles de ce nouveau
système socio-économique qu'ils appellent
« l'industrialisme »24(*). Les
inégalités tant décrié par les
Révolutionnaires devenaient plus fortes.
En effet, l'une des dérives du libéralisme est
le capitalisme industriel. Par capitalisme industriel, il faut entendre le mode
de production antérieur au capitalisme proprement dit ou encore le
système économique et social dominé en premier lieu par
les usuriers puis par les propriétaires d'argent de mieux en mieux
organisés25(*). C'est ce capitalisme industriel qui est
dénigré par Léon Harmel quand il parle d'industrialisme
« sans foi ni religion » qui donne une valeur
supérieure au capital par rapport à l'homme. Car, comme le
souligne l'industriel du Val, « la question
sociale » a commencé en France avec « le
règne du libéralisme ». Son point de vue sur le
lien entre l'industrialisme et l'avènement de la question sociale est
partagé par plusieurs auteurs. Déjà, en 1865,
l'économiste libéral Émile Laurent confesse :
« L'ère industrielle commence, le paupérisme est
né. »26(*) Ces propos venant d'un économiste
libéral, donc fervent défenseur du libéralisme classique
montrent qu'il n'est plus difficile de faire le lien entre l'industrialisation
de la société et le paupérisme. L'avènement du
paupérisme à la suite de l'industrialisation de la
société est lié à plusieurs facteurs.
D' une part nous avons les facteurs d'ordre
démographique dont l'urbanisation accélérée en
cette moitié de siècle. Après la Révolution, on
constate une augmentation de la taille de la population active qui passe
de 10 à 16,5 millions entre 1789 et 1880. Toute
cette population est avide de travail, elle quitte massivement les campagnes
pour venir s'installer en ville dans l'optique de trouver du travail. Adeline
Daumard constate même qu'en 1866 les ouvriers représentaient
57 % de la population à Paris. Les trois quarts des gens
étaient dans la misère et la pauvreté. La France qui, sous
l'Ancien Régime était profondément rural avec seulement
12-14 % de taux d'urbanisation dans les années
1660-168027(*), va peu à peu s'urbaniser.
L'urbanisation qui est lente en France au début du
XIXe siècle va s'amorcer en 1830 puis s'amplifier
sous le Second Empire (1851-1870) et au début de la
IIIe République. On compte en moyenne
160 000 départs par an entre 1876 et 1881. Cet exode
rural est dû à la révolution industrielle. Celle-ci a
mécanisé l'agriculture et réduit la main d'oeuvre
nécessaire. Désormais, dans les villages plusieurs bras valides
sont sans travail, ils n'ont qu'une solution : aller chercher du travail
en ville. Celle-ci étant réputée pourvoyeuse d'emploi
grâce notamment à la grande industrie qui est grande consommatrice
de main d'oeuvre non qualifiée.
D' autre part, l'ère industrielle voit se
développer le libéralisme à outrance. Après avoir
détruit la corporation au nom de la libre concurrence, le
libéralisme économique va promouvoir le libre-échange.
Cela se manifeste dans le traité de libre-échange appelé
traité Cobden-Chevalier, signé le 23 janvier 1860, entre la
France et L'Angleterre. Ce traité a pour effet de mettre à mal
l'agriculture française très peu mécanisée face
à sa rivale britannique. Cette autre manifestation du
libéralisme économique entraine la baisse des produits agricoles
liés à la concurrence des produits étrangers et une
misère chez les agriculteurs dans les campagnes. Aux effets pervers de
ce traité libéral sur l'agriculture et le monde rural
s'ajouteront les crises à répétition entre 1870
et 1890. Parmi ces crises, on peut citer la crise du phylloxera en France
qui stoppent la culture de la vigne en de nombreux endroits28(*). Tous ces facteurs
participèrent à alimenter l'exode rural. Le capitalisme
industriel qui se met en place en ce siècle va en profiter pour
exploiter la misère des travailleurs.
Avec la révolution industrielle, un nouveau type
d'ouvrier émerge, c'est le
« prolétaire »29(*). Le prolétaire
vit dans une misère effroyable. Son salaire est fixé selon la loi
du marché, plus l'offre de travail est importante, plus le salaire est
bas. À contrario plus l'offre de travail est basse, plus les salaires
sont élevés. C'est ce système que décrie
Léon Harmel. De ce fait le salaire de l'ouvrier est très souvent
dérisoire du fait de la masse énorme des personnes en quête
d'emploi dans la seconde moitié du XIXe siècle.
Les 2 francs de salaire par jour perçu par l'ouvrier en 1848
sont insuffisants face aux 75 francs mensuels que nécessite
l'entretien d'une famille de quatre personnes. Par ailleurs, il faut ajouter
que l'ouvrier ne travaille pas tous les jours. Ce manque d'argent a des
conséquences terribles sur sa famille.
De prime abord les deux postes budgétaires fondamentaux
de la famille ouvrière qui sont l'alimentation et le logement sont
touchés. Les femmes et les enfants sont obligés de contribuer aux
charges de la maison, ils s'enrôlent donc dans les usines. En 1847
dans les établissements de plus de 10 salariés, outre
670 000 ouvriers, on compte 254 000 emmes et
130 000 enfants30(*). Les femmes et les enfants sont
employés dans les usines pour un salaire de misère.
Villermé dans un de ses rapports établit pour la période
de juillet 1848 une moyenne de 2 francs par jour pour les hommes, ce
salaire sera de 1 francs pour les femmes et 0,45 francs pour les
enfants de 8 à 12 ans et 0,75 pour ceux de 13
à 16 ans31(*). Ce salaire pouvait être réduit
brutalement en cas de crise économique. Sachant que le XIVe
siècle a connu une grande période de crise économique
durant la période 1860-1890, on peut s'interroger sur l'état
de pauvreté de ces ouvriers durant cette période.
De plus l'on constate des cas de malnutrition de façon
fréquente. Quant aux conditions de logement, elles sont lamentables du
fait de l'urbanisation rapide32(*). Une étude à Nantes souligne
les conditions déplorables dans lesquelles vivent les ouvriers urbains.
Dans un style assez vivant, l'auteur raconte qu'il « faut
être descendu dans ces allées où l'air est humide et froid
comme dans une cave ; il faut avoir senti son pied glissé le sol
malpropre et avoir craint de tomber dans cette fange pour se faire une
idée du sentiment pénible qu'on éprouve en rentrant chez
ces misérables ouvriers »33(*). Mais au delà
de ces aspects pratiques, les véritables malheurs de la classe
ouvrière se situent dans la peur du lendemain. C'est la grande
différence entre l'ouvrier du XIXe siècle et le
compagnon de l'Ancien Régime. Le compagnon de l'Ancien Régime
pouvait compter sur des entraides qui lui garantissaient les risques de la vie,
l'ouvrier du XIXe n'a pas cette chance. Les variations de
salaire, la menace d'un licenciement, le risque d'un accident ou de maladie en
l'absence de protection sociale peuvent à tout moment le plonger dans
l'indigence34(*).
À tous ces maux, s'ajoutent l'incapacité pour
l'ouvrier d'acquérir des moyens de productions pour briser le cycle
infernal dans lequel il est englué. Une dissociation est faite entre la
propriété et le travail et cette dissociation introduit dans la
classe ouvrière un traumatisme35(*). L'ouvrier industriel ne peut plus devenir,
comme l'apprenti de l'Ancien Régime, propriétaire des moyens de
production. Soumis au diktat de son patron il est exploité par ce
dernier qui veut par ailleurs le voir fournir toujours plus d'effort. La
machine, merveilleux instrument inventé par l'homme pour soulager le
travailleur va contribuer à alourdir son sort parfois d'une
manière effroyable. Les heures et les journées de travail
s'enchainent même pour des enfants de 7 ans. Ils débutent
à 6 h du matin pour prendre fin à 9 h 15 du
soir36(*).
À ces heures de travail infernales, s'ajoutent
l'insalubrité des ateliers. Tous ces facteurs dégradent la
santé des travailleurs. Comment dans ces conditions s'étonner de
la fréquence des épidémies de choléra et autres
maladies durant tout le XIXe siècle ? Selon le
rapport Villermé, à Rouen, trois-quarts des maladies graves sont
des affections pulmonaires. À l'hôpital Saint Sauveur de Lille,
dès les années 1860, tous les ans, une centaine d'ouvriers y
est admis pour saturnisme37(*). Toutes ces conditions de vie difficiles de
l'ouvrier ont un impact sur le plan social. En plus de la misère
matérielle, le prolétaire industriel va être sujet à
la misère morale.
B. Le
prolétariat industriel, cause principale de la décadence morale
des ouvriers industriels
Le spectacle de la misère morale des ouvriers
industriels conduit certains intellectuels à critiquer un régime
qui engendre pareils effets. Qu'ils aient applaudis la Révolution
où qu'ils l'aient abhorrée, il existe un large assentiment entre
les intellectuels du fait que la société française se noie
dans les eaux turbulentes de l'individualisme et du chaos social montant. Des
penseurs catholiques sociaux tels Lamennais ou Albert de Mun aux socialistes
utopiques comme Proudhon et Fourrier, tous perçoivent la
désintégration sociale et le déclin moral de la
société industrielle38(*). Ce déclin moral qui est en grande
parti dû à la destruction de la famille ouvrière à
la suite des bouleversements industriels, va entrainer un affaiblissement de la
vie religieuse si douloureusement ressentie par Harmel.
L'environnement industriel délétère
affecte la famille traditionnelle. Critiquant le capitalisme industriel et ses
effets néfastes sur la famille, Le Play affirmait déjà que
« la famille instable domine chez les populations
ouvrières soumises au régime manufacturier ». Ce
point de vue est confirmé par Léon Harmel qui observe avec
tristesse cette désagrégation de la famille ouvrière
déjà à l'époque où l'usine du Val est
gérée par son paternel. Il dénonce la décadence
morale des familles ouvrières qui « sont troublées
par des altercations ou des désordres et ne présentent qu'une
déplorable anarchie »39(*). Cette anarchie fait
que « l'ivresse est commune chez les ouvriers et entraine une
imprévoyance et une dissipation » qui maintient ces
familles ouvrières dans la misère. Car comment économiser
et sortir de la misère quand l'ouvrier dilapide son salaire
dérisoire dans les cabarets ?
Sa famille en subit les conséquences, les mères
de famille pour tenir les charges du ménage délaissé par
un mari ivre est obligée de se prostituer. C'est à Reims que
Villermé prend exemple de la prostitution ouvrière quand il parle
du « cinquième quart de la
journée »40(*). Quand elles ne cèdent pas au plus
vieux métier du monde, les mères sont plus occupées
à l'usine qu'au foyer, délaissant par conséquent
l'éducation des enfants qui reposait sur elle auparavant. Or Harmel
reconnait en la protection accordée en la femme « l'une
des clefs de voûte de l'édifice social ».
Protéger la femme revenait ainsi à protéger la
société toute entière de dérives sociales. C'est
la raison pour laquelle le combat pour une protection plus grande de la femme
dépassait tous les clivages.
Jules Michelet, homme d'État républicain
s'inquiète lui aussi, dans son fameux ouvrage
L'Ouvrière, du danger de cet abandon du foyer domestique par
les femmes. Il affirme que « les femmes sont faites pour vivre
dans le ménage » car selon l'homme d'État c'est
seulement quand la femme mariée quitte l'usine pour rentrer chez elle et
retrouver sa famille qu'elle se trouve restaurée dans « sa
condition normale ». Il poursuit pour dire qu'un état social
qui les arrache à leur mari, à leurs enfants est un
« un état social mal organisé [...] qui ne permet
pas aux femmes d'être des femmes ». Ainsi voyait il dans
la « prolétarisation » des femmes un grand danger
pour la condition féminine, quoique son analyse laissait transparaitre
aussi une référence indirecte à la destruction de
l'autorité paternelle.
Toute la famille parait ainsi subir les affres de
l'évolution industrielle de la société. Cette famille
traditionnelle catholique qu'idéalisait Léon Harmel n'existe
plus. La famille actuelle est disloquée.
En plus des mères de famille qui abandonnaient le foyer
domestique pour l'atelier ou l'usine, dans les campagnes du fait de l'exode
rural, l'on constate le bouleversement de familles, privées du
père de famille parti chercher du travail en ville. Comme le constate
Gérard Noiriel : « Les enquêtes du temps
parlent aussi de la misère morale, le déracinement, la
désarticulation de la famille traditionnelle consécutif à
l'afflux d'hommes seuls dans les grandes villes. » Or Le Play
avertissait déjà ses contemporains des conséquences de la
perte de l'autorité paternelle. Celle-ci pourrait provoquer selon lui,
« l'effondrement de la famille, et par la suite celui de la
société en général ». Cet
effondrement de la famille était palpable. Léon Harmel le savait
pertinemment. C'est pourquoi il n'hésitait pas à encourager tous
les industriels à s'atteler à reconstituer la famille
ouvrière, il en fît d'ailleurs le premier but de tout patron
chrétien41(*). Car l'impact, il en avait lui aussi
conscience, d'une destruction de la famille traditionnelle serait très
grave pour la société en général. Ce danger qu'il
craignait était malheureusement perceptible au sein de la
société.
Ce déclin moral se traduit par l'affaiblissement de la
vie religieuse chez les ouvriers. Affaiblissement de la vie religieuse
consécutif aux bouleversements industriels de l'époque. Les
structures religieuses traditionnelles qui se sont épanouis dans le
monde rural sont profondément remises en cause par l'exode rural, la
révolution industrielle et le mode de vie nouveau qu'elle introduit chez
les populations ouvrières. La distance sociale introduite par la
généralisation de la rémunération monétaire
banalise ce qui apparaissait auparavant comme des preuves de l'action
bienfaitrice de l'Église. La société Saint Vincent de Paul
travaillait avec acharnement pour s'implanter dans le milieu ouvrier et ainsi
christianiser ce monde mais ces succès sont demeurés minimes.
Elle comptait 913 000 membres en 186942(*) sur une population
ouvrière estimée déjà à 1,2 millions
en 185043(*). Les populations ouvrières
françaises de cette seconde moitié du
XIXe siècle sont comme en Angleterre, moins
pénétrées de l'esprit chrétien.
L'Église est démunie face à tous ces
bouleversements sociaux et n'arrive pas à faire sa mue. Et cette
population ouvrière qui abandonne la religion chrétienne se
plonge corps et âme dans les vices.
En 1856, le conservateur Fréderic le Play, dans
ses études sociales donne une image particulièrement noire de la
Champagne, région dans laquelle se situe l'usine du Val. Il parle de
« main d'oeuvre faite de
déracinés », d'ouvriers chassés de leurs
contrées natales par le « chômage
industriel » et qui viennent s'agglomérer à Reims
en « pourrissant » l'atmosphère locale. Ces
individus sont craints des populations rurales pour leurs comportements
immoraux. La plupart du temps il s'agit de célibataires ou d'individus
vivants en concubinage, ils séduisent les jeunes filles,
« troublent les ménages »44(*). Et ce
phénomène de démoralisation de la classe ouvrière
est loin de se limiter à cette seule région. Il est aussi
dénoncé par Chevalier dans son ouvrage intitulé
Classes laborieuses et classes dangereuses à Paris pendant la
première moitié du XIXe siècle qui
traite de ce phénomène à Paris. C'est cette même
classe dangereuse dont Thiers obtient l'exclusion dans son discours du
24 mai 1850. Avec l'industrialisation, la famille ouvrière instable
se développe. Celle-ci est un terreau fertile pour les socialistes de
même que la famille traditionnelle était un terreau fertile pour
les catholiques.
SECTION II.
UNE PENSÉE ANTISOCIALISTE
JUSTIFIÉE PAR L'ADHÉSION DE LÉON HARMEL AUX IDÉES
DU CATHOLICISME SOCIAL
Le Socialisme poursuit la même finalité que le
catholicisme social : l'atténuation des maux causés par les
excès de l'idéologie libérale dans la
société. Mais le deux courants s'éloignent quant aux
moyens pour mettre fin à ces excès.
C'est donc tout naturellement qu'Harmel acteur majeur du
catholicisme social rejette les moyens utilisés par les socialistes
telles la promotion de l'idée de révolution (§ 1) et
les attaques menées par le socialisme contre l'Église
Catholique (§ 2).
§ 1. Le
socialisme : un courant révolutionnaire dangereux pour l'harmonie
sociale
La violence en ce milieu du XIXe siècle
connait son apogée avec l'épisode de la commune de Paris. Cette
violence est due selon plusieurs contemporains dont Harmel au socialisme qui
par son idéologie promeut la lutte des classes (A). Cette doctrine
serait à la base de la violence des classes laborieuses (B).
A. Le socialisme,
promoteur de la lutte des classes
Fervent partisan du catholicisme social, Léon Harmel
est contre l'idéologie socialiste surtout dans sa vision marxiste qui
souhaite résoudre les problèmes de la société
industrielle par la lutte des classes. Il défend à ce titre, la
ligne du catholicisme social qui est celle d'une collaboration des classes.
Cette ligne est défendue depuis des siècles par la doctrine de
l'Église Catholique et sera consacrée dans l'encyclique Rerum
Novarum qui tout en attaquant le socialisme se prononce pour la
collaboration des classes. Le pape Léon XIII répète
à l'intérieur de cette encyclique que « l'erreur
capitale de la question présente c'est de croire que les deux classes
sont ennemies-nées. Les deux classes sont destinées par la nature
à s'unir harmonieusement. La concorde engendre l'ordre et la
beauté »45(*). Ce point de l'encyclique Rerum
Novarum illustre bien la position adoptée par l'Église
depuis des siècles quant à la question sociale et rappelle sa
doctrine qui enseigne la nécessaire collaboration des
classes46(*). Au nom de cette vision, Léon Harmel
lutte contre le socialisme révolutionnaire qui ne doit pas avoir
selon ces termes, « seul le champ
libre »47(*). Il dénonce à plusieurs
reprises cette vision du socialisme qui a du succès auprès des
masses populaires surtout des ouvriers industriels. Ces derniers voyaient dans
cette idéologie, le remède à tous leurs maux. Le seul
moyen pour vaincre la condition misérable dans laquelle ils semblent
condamnés. Harmel reconnait à cet effet que, si le socialisme
connait ces grands succès c'est essentiellement à cause de
« l'habileté avec laquelle il a pris la défense des
ouvriers ». Il est clair selon lui que le socialisme allait se
dissiper « comme un vainc fantôme », le jour
où les catholiques défendront leurs traditions
séculaires48(*).
Effectivement, l'idéologie du socialisme se propose de
prendre la défense de l'ouvrier face aux dérives qu'entraine le
capitalisme industriel. Sur ce point elle rejoint les catholiques sociaux.
Toutefois l'idéologie socialiste repose aussi sur le fait que dans la
société bourgeoise, il n'est pas possible de mettre fin à
la misère qui provient du capitalisme car cette misère provient
de la propriété privée des moyens de production et ne peut
disparaitre qu'avec elle. Tous les systèmes socialistes convergent sur
ce point. Ils divergent seulement sur la voie pour arriver à la
suppression de la propriété privée49(*). Le système
socialiste se veut une réponse à la misère
ouvrière, au capitalisme sauvage, à l'industrialisme triomphant
qui a engendré un prolétariat qui vit dans des conditions
extrêmement difficiles. Plusieurs auteurs dont l'industriel du Val
partagent cette vision du socialisme même si pour lui, cette vision
affichée par le socialisme apparait comme une ruse des auteurs
socialistes pour séduire la classe ouvrière. L'évolution
du socialisme lui donne raison.
Après la révolution de 1848, le mouvement
socialiste est surtout influencé par les idées d'Auguste Blanqui
et de Pierre-joseph Proudhon. Proudhon est partisan d'un socialisme
libéral50(*) à la différence de plusieurs
auteurs socialistes plutôt intéressés par le marxisme.
Le marxisme fait son apparition en France dans les
années 188051(*). La notion de classe est très
centrale dans la littérature marxiste52(*).
L'analyse marxiste étudie toujours d'un point de vue
sociologique l'évolution du capitalisme par l'antagonisme de la lutte
des classes c'est la raison pour laquelle elle connait un grand succès
dans le monde ouvrier. Selon leur analyse, Marx et Engels défendent
l'idée selon laquelle l'histoire de toute société est
une histoire de la lutte des classes53(*). Cette lutte n'a pas disparu selon eux avec
la Révolution de 1789 mais elle a été plutôt
régénérée car la société bourgeoise a
été bâtie sur les cendres de la société
féodale. L'antagonisme des classes demeure donc, puisqu'aux anciennes
classes se sont substituées de nouvelles. Les anciennes oppressions ont
été substituées par de nouvelles plus terribles encore
pour les classes exploitées d'où la nécessité
d'avoir de nouvelles formes de lutte. Cette lutte est à mener entre une
classe bourgeoise de plus en plus riche et de moins en moins nombreuse et une
classe prolétaire de plus en plus pauvre et de plus en plus
nombreuse54(*). Les auteurs marxistes exhortent la classe
prolétaire, face aux abus qu'elle subit de la part de la minorité
bourgeoise, à prendre conscience de sa force, et à renverser
cette classe « d'exploiteurs ».
Le mouvement ouvrier nait ainsi en opposition au capitalisme
industriel qui exproprie, assujettit, asservit ces masses laborieuses. Il
reprend à son compte au fur et à mesure de son
développement les analyses marxistes. Les ouvriers unis, par le
capitalisme malgré lui, dans les usines et dans les grandes villes
industrielles vont prendre conscience de leur condition commune et effectuer
des revendications pour de meilleures conditions de vie dans un premier temps
puis ces revendications vont commencer à se durcir avec le
développement des idées marxistes qui vont prendre un tel
ascendant qu'elles exerceront une grande influence sur le mouvement socialiste.
Cette ascendance du marxisme dans le milieu ouvrier est l'une des causes de la
violence ouvrière qu'on constate durant le
XIXe siècle.
B. Le socialisme,
cause de la violence en milieu ouvrier
À la différence des catholiques sociaux qui
oeuvrent pour des reformes sociales pouvant favoriser une cohabitation
harmonieuse et féconde des différentes classes, les socialistes
optent pour une logique contraire. Pour ces derniers, la question sociale ne
peut se résoudre que dans la suprématie de la classe laborieuse
sur la classe possédante.
Cette idéologie fait que les ouvriers de cette fin du
XIXe siècle se caractérisent par la violence.
Émile Souvestre le reconnait dans Confessions d'un
ouvrier55(*) : « nous avions à
cet égard des idées de sauvages, comme eux nous prenions l'esprit
de brutalité et de bataille pour le courage ». Ce constat
reflète l'esprit de violence qui caractérise les ouvriers. Ce
mouvement de violence se généralise et se propage dans toute la
France. À Nantes, la violence est à l'état
endémique, Blois inspire même à Georges Sand sa description
de la lutte entre gavots et drilles. Toute cette violence entraine un
cortège de révoltes ouvrières. Nous avons les canuts
à Lyon en 1831 et 1834, la commune à Paris mais aussi
à Saint-Etienne. Ces mouvements ouvriers sont malheureusement
très sévèrement réprimés. On compte
400 morts à la révolte des canuts de 1834,
5 000 morts lors de la révolution de 1848 et
30 000 morts lors de la répression qui a suivi la
révolte de la Commune de Paris56(*). La commune de Paris symbolise
l'apogée de cette violence ouvrière. L'insurrection Parisienne
devient celle du prolétariat contre la bourgeoisie. Cette pensée
est même énoncée par Marx dans La Guerre civile en
France. Elle est par la suite véhiculée dans le mouvement
socialiste français. Pendant que Jacques Rougerie conclut dans ses
travaux que la commune de Paris est le crépuscule des révolutions
du XIXe siècle57(*), d'autres auteurs y voient l'aurore des
mouvements socialistes. En effet après cette période, des cercles
d'études socialistes se créent, la doctrine marxiste se diffuse.
Lors des congres ouvriers de 1879 à Marseille, le parti ouvrier est
même créé avec à sa tète Jules Guesde. Les
différentes motions adoptées lors de ces congrès montrent
une prise de conscience nouvelle. Il est désormais question de
« l'appropriation des moyens de production par tous les moyens
possibles », de « se soutenir mutuellement dans
les conflits qui peuvent exister entre le capital et le
travail ».
Les années 1878 à 1882 sont
marquées par une poussée gréviste importante. On note
jusqu'à un peu plus de 11 000 grèves ou revendications,
266 conflits entre 1871 et 189058(*). Le mouvement
Guesdiste entre en action, dans le textile et dans le Nord, la plupart de ces
coalitions frisent l'émeute. Cette situation trouve explication dans
l'analyse de l'échantillon des adhérents et dans la
géographie du mouvement Guesdiste. En effet, parmi les adhérents
au mouvement, on trouve le prolétaire le plus pauvre, le plus
ignorant : l'ouvrier du textile qui représente 20 % de ce
mouvement suivi par les métallurgistes (18 %), les mineurs
(8 %). La médiocrité de leurs niveaux de vie rend les
travailleurs de ces industries perméables aux promesses du
« messianisme guesdiste ». Par ailleurs la
géographie du guesdisme est éloquente, elle montre la constante
primauté du département du Nord qui apporte au parti plus de
30 % de ces électeurs. La métropole du guesdisme, cette
« Rome » du socialisme que célébrait Guesde
en des termes triomphants, c'est surement Roubaix. Ce succès du
socialisme en milieu ouvrier représente sans aucun doute une
sérieuse menace pour l'Église.
§ 2. Le
socialisme : une sérieuse menace contre l'Église
Le socialisme et le catholicisme social s'adresse à la
même cible : le milieu ouvrier. Aussi une lutte s'engage entre ces
deux courants. Les socialistes pour gagner le monde ouvrier n'hésitent
pas à y propager leurs idées athées (A) et
anticléricales (B).
A. Le
socialisme : un courant qui diffuse de l'athéisme en milieu
ouvrier
Au XIXe siècle la science est capable
de tout expliquer, le siècle précédent des Lumières
a vu le sacre de la pensée rationnelle, de la connaissance, des
idées nouvelles. À partir du moment où la science est
capable de tout expliquer, Dieu n'expliquera plus rien car si l'homme peut tout
faire alors il n'a plus besoin de Dieu. N'est ce pas parce que l'on n'arrivait
pas à expliquer certains phénomènes que l'on s'abandonnait
à la foi ? Dès le moment où nous sommes capables
d'expliquer ces phénomènes, le recours à Dieu qui en
serait l'auteur n'est plus nécessaire. C'est ainsi que les socialistes
se saisissent des idées scientifiques pour développer une
doctrine basée sur le rejet de la religion.
En France la religion dominante étant le catholicisme,
les critiques vont principalement vers elle. Les socialistes s'appuient sur des
courants comme le positivisme. Le positivisme est un mouvement qui est
d'ailleurs présenté par Maurice Agulhon comme « la
vérité du socialisme »59(*). C'est un ensemble de
courants qui considère que seules la connaissance et l'étude des
faits vérifiés par l'expérience scientifique peuvent
décrire (et non expliquer) les
phénomènes du monde. Il a fortement marqué la plupart des
domaines de la pensée occidentale
du XIXe siècle, exerçant une forte influence
aussi bien sur l'empirisme logique que sur le marxisme, entre autres. Il
est très critique vis-à-vis des religions et les attaque. Il sera
à cet effet utilisé par plusieurs auteurs socialistes.
Parmi les formes d'incroyances qui se réclament de la
science, une des plus importantes est évidemment le marxisme. Car le
marxisme est une sorte d'« athéisme d'origine
sociopolitique »60(*). Le développement du marxisme en
France apparait comme une menace directe pour l'Église. Les socialistes
tels Proudhon, Marx, Collins s'attaquent avec véhémence à
Dieu et reçoivent bon accueil auprès des populations
ouvrières. La pensée positive est l'adversaire le plus redoutable
pour l'Ancien ordre social qui a une foi profonde en Dieu. Le positivisme n'est
plus en ce milieu du XIXe siècle seulement restreint
dans les livres. Il parle, enseigne. Il a des chaires, des cours publics
et gratuits tous les dimanches. L'idée est là. Il faut
éloigner les populations ouvrières de Dieu même le Dimanche
qui est consacré comme jour du Seigneur ne fait pas exception. On en
profite pour enseigner le socialisme et toutes ces pensées athées
à la masse. On leur apprend le discours de Marx qui déclare que
« la religion est le soupir de la créature
accablée ». Il faut dans ce cas pour les ouvriers ne plus
s'en remettre à un Dieu qui va écouter leur larmes mais
plutôt compter sur eux-mêmes, sur leurs propres forces. Il leur
faut suivre un dogme nouveau, ce dogme nouveau appelle un régime
nouveau. Ce régime nouveau c'est le socialisme. Un régime qui va
instaurer une révolution sociale en renversant l'ancien ordre social qui
opprimait les ouvriers. Mais pour arriver à cette grande
révolution sociale, il faut détruire la religion, effacer Dieu de
la pensée ouvrière. C'est le préliminaire indispensable
pour les socialistes61(*). Un dogme nouveau, un nouveau culte doivent
surgir afin qu'une société prenne la place de l'ancienne. Le
socialisme n'hésite pas à se voir comme une religion.
Jaurès, suivi en cela par Blum, considère le
socialisme comme le terme, le point d'aboutissement, la somme du savoir humain,
de toutes les beautés, de toutes les vertus qu'a engendré
l'humanité depuis le commencement des âges. Pour ces auteurs
socialistes toutes les facultés de l'humanité aboutissent au
socialisme. La pensée grecque, le prophétisme juif, la morale
chrétienne, Socrate, Jésus. La grande force politique et
administrative de Rome, la société universelle du moyen
âge, la liberté novatrice de la Renaissance, la
société classique de la monarchie, le rationalisme. En un mot le
socialisme est le point de concordance, la synthèse nouvelle de tout ce
qui a valeur de vérité, d'art, de morale dans
l'humanité62(*).
Dans ce cas, à quoi servirait pour les ouvriers, le
fait de s'attacher à une religion qui a une partie de la
vérité quand on peut avoir la synthèse de toutes les
vérités dans le socialisme ? Rien. Tout est dans le
socialisme, il faut adhérer aux idées socialistes et abandonner
Dieu car la religion est un produit de l'activité humaine et non
l'inverse. Marx disait à ce propos que « c'est l'homme qui
fait la religion et non la religion qui fait
l'homme »63(*).
Harmel a bien compris le danger que représente
l'idéologie socialiste. Il s'acharne donc à l'attaquer dans
toutes les conférences, les réunions où il a voix au
chapitre. Il réplique sur le discours socialiste athée tendant
à faire de la religion, l'ennemi de la science en déclarant qu'
« un peu de science éloigne de Dieu, beaucoup de science
en rapproche »64(*). Si donc les socialistes s'éloignent
de Dieu, c'est plutôt à cause de leur méconnaissance de la
science plutôt qu'une prétendue découverte de la
vérité qui ne serait pas dans la religion. La religion catholique
est, à ses yeux très proches de la vérité
scientifique. Harmel semble paraphraser Saint Cyprien de Carthage qui disait,
« en dehors de l'Église point de salut ».
Avec Harmel cette phrase pourrait signifier « en dehors de
l'église point de vérités scientifique ».
Son point de vue est défendu par Dupanloup, Évêque
d'Orléans qui voit dans l'Évangile des
« vérités acquises,
incontestées » depuis dix huit siècles. Le
prélat se désole aussi de l'accueil qui est réservé
dans la société Française à ces erreurs. Pour lui
si les esprits funestes qui essaient de contester les vérités de
la Religion ont audience, c'est bien parce que la société
française est « vieille et
légère »65(*). Harmel appelle à son niveau au
patriotisme et au sens chrétien de ses contemporains pour
éliminer l'influence des doctrines socialistes « qui se sont
propagées sous le prétexte de la critique historique ».
Toutes les affirmations du socialisme sont battues en brèche par Harmel
qui les considère comme des « erreurs », de
« la vaine science » car elles mettent en avant des
hypothèses qui se révèlent n'avoir aucune base
sérieuse. À l'appui de ces propos, il met en avant le fait
« qu'un relevé fait de 1850 à 1890 a
constaté 747 hypothèses dont 74 ont encore des tenants,
le reste à disparu »66(*). Ce relevé
montrerait selon lui que 90 % des thèses du socialisme sont
erronées. Les ouvriers sont donc amenés à porter la plus
grande prudence aux fausses théories et à s'attacher à la
seule vérité qui existe depuis des siècles : le
Catholicisme.
Après avoir émis des théories niant Dieu,
le socialisme va plus loin dans la voie de la lutte contre l'Église en
propageant l'anticléricalisme. La bataille entre le socialisme et
l'Église prenait ainsi un autre tournant.
B. Le
socialisme : un courant anticlérical virulent propagé en
milieu ouvrier
L'anticléricalisme se définit comme une
opposition à l'Église en tant que corps, c'est le refus de
l'Église et de ses dogmes67(*). L'anticléricalisme touche d'abord
les classes bourgeoises puisque c'est elles qui, dès le début de
la Monarchie de Juillet vont s'éloigner nettement des sacrements. Ce
sont ces classes qui reçurent d'abord les idées
anticléricales et Voltairiennes.
Et dans la bataille pour le peuple qui se joue entre les
catholiques sociaux et les socialistes, tous les coups sont permis. C'est ainsi
que les socialistes qui ne sont pas à l'origine de
l'anticléricalisme vont utiliser les arguments des anticléricaux
pour affaiblir leur adversaire : l'Église. La peur de
l'Église n'est pas absente du discours anticlérical. Peur que
l'Église ne s'empare du pouvoir, peur qu'elle contrôle l'espace
public68(*).
Harmel n'est pas dupe, il voit la stratégie des
socialistes, c'est pourquoi il appelle ces coreligionnaires à
intensifier la bataille contre le socialisme et, le socialisme seul car pour
lui le libéralisme a « fait son temps », il ne
méritait pas qu'on lui consacre des efforts qui seraient d'ailleurs une
perte de temps, d'énergie et une erreur stratégique. Il faut
concentrer tous ses efforts à anéantir le socialisme
puisqu'à l'avenir les grandes luttes seront
« réservées entre le catholicisme et le
socialisme »69(*). De leur coté, les socialistes ne
font pas aussi de cadeaux à l'Église.
Les thèses des socialistes pour gagner le monde ouvrier
consistent à proclamer que l'Église est défenseur du
capitalisme mais pourfendeur du socialisme70(*). Ainsi ils arrivent
à susciter le mécontentement des classes ouvrières
oppressées par le capitalisme industriel. Les socialistes
n'hésitent pas à s'en prendre au fait que certains prêtres
« présentent l'inégalité entre les hommes
comme une loi divine »71(*). Ce discours accroche les travailleurs des
campagnes qui, une fois arrivés en ville ne comprennent pas le discours
de l'Église. Un discours différent de celui qu'ils ont entendu
jusqu'alors. Ils deviennent dès lors pour la plupart
anticléricaux.
Un autre événement va accentuer
l'anticléricalisme dans le mouvement ouvrier. Après les massacres
de juin 1848, Pierre Leroux penseur socialiste se tourne vers les
prêtres qui siègent à l'Assemblée Constituante pour
leur demander d'intervenir en faveur des insurgés condamnés. Il y
eut un silence dans la salle. Ce silence montre que les prêtres ont bien
choisi leur camp. Ce camp, ce n'est pas celui des insurgés pour la
plupart des ouvriers. C'est plutôt celui du parti de l'Ordre. Ce silence
constitue aussi aux yeux des ouvriers une trahison de l'Église envers le
mouvement ouvrier. Mais on peut voir dans cette démarche de Pierre
Leroux une stratégie politique visant à consolider
l'anticléricalisme au sein du mouvement ouvrier car il est sans savoir
que les prêtres prendraient la défense du parti de l'Ordre contre
les insurgés. Il cherchait juste à montrer aux ouvriers que les
thèses qu'il défend sur le lien entre l'Église et la
bourgeoisie sont justes. Le soutien accordé par l'Église à
la politique d'Adolphe Thiers ne pouvait qu'exaspérer
l'anticléricalisme populaire.
Par ailleurs à l'appui des thèses socialistes
Duroselle démontre que les liens Église, grande industrie n'ont
jamais été aussi étroits 72(*). On pouvait voir
évêques et Archevêques inaugurer les « oeuvres
sociales » des industriels en invitant chaque fois à une
collaboration des classes. Pour les socialistes, ce paternalisme qui se met en
place est une hypocrisie du catholicisme social. Il apparait selon eux comme
« une revanche de l'aristocratie nobiliaire, appuyée par
l'Église et parlant en son nom contre l'usurpation sociale de la classe
industrielle, mercantile, bourgeoise »73(*). Raison pour
laquelle, ils exhortent les ouvriers français à la
méfiance car tout ce qui vient de l'Église doit être pris
avec méfiance, elle qui a toujours été la
« complice des riches »74(*)
Ces idées séparent chaque jour la masse
ouvrière de l'Église, le pape Léon XIII dont
Léon Harmel est le camérier en a conscience aussi, il
n'hésite pas à la suite d'Harmel à attaquer les
idées socialistes qu'il qualifie de « systèmes
étranges soi disant philosophiques mais insensés, sauvages,
barbares ». Toutes ces répliques données au
socialisme même venant du souverain pontife ne suffisent pas à
faire reculer le socialisme au sein de la classe ouvrière. Le mal est
profond, le monde ouvrier se « decathocilisait ».
Déjà sous le Second Empire à Lille, moins de 10 % des
ouvriers fêtaient la Pâques75(*). Lille qui était pourtant au Nord
dans le bastion du paternalisme catholique industriel.
Face aux succès du socialisme dans le Nord et
auprès des ouvriers, Harmel va tenter d'apporter une réponse
pratique au mal de l'Ouvrier.
CHAPITRE II.
UNE VISION MANIFESTÉE PAR DES
oeUVRES :
LA CORPORATION CHRÉTIENNE ET LA DÉMOCRATIE
CHRÉTIENNE
Léon Harmel est un homme d'action et il l'aime à
le rappeler sans cesse, les idées doivent selon lui laisser place
à l'action. Aussi souhaitant résoudre les maux qu'ont
engendrés au sein de la classe ouvrière le Libéralisme et
sa conséquence : le socialisme, il s'engage à
concrétiser sa vision antilibérale et antisocialiste par des
institutions qu'il met en oeuvre. La première est la corporation
chrétienne qui doit remédier aux maux du capitalisme
industriel (Section I). La seconde est la démocratie
chrétienne qu'il met en place pour enrayer l'influence socialiste en
milieu ouvrier (Section II).
SECTION I.
LA CORPORATION CHRÉTIENNE :
UNE IDÉE D'HARMEL CONTRE LES EXCÈS DU LIBÉRALISME
La corporation chrétienne se doit de remédier
aux deux questions majeures qui secouent le mouvement ouvrier depuis
l'avènement du capitalisme industriel dans le sillage des idées
libérales. Ces deux questions tendent essentiellement à
l'amélioration des conditions de vie des ouvriers (§ 1)
et de leurs conditions de travail (§ 2).
§ 1. L'amélioration des conditions de
vie des ouvriers par la corporation chrétienne
L'un des buts de la corporation chrétienne est de
travailler au bien être matériel de ses membres76(*). Et les deux
questions sur lesquelles portent très fréquemment les
préoccupations des ouvriers, pour une amélioration de leur vie,
sont relatives à la question des salaires (A) et celle de
l'emploi (B).
A. L'OCTROI D'UN JUSTE
SALAIRE À L'OUVRIER
Citant un passage de l'ouvrage Le cahier des pauvres,
Paul Leroy-Beaulieu déclare que les principales exigences populaires
demandent que le salaire ne soit pas « froidement calculé
d'après les maximes meurtrières d'un luxe effréné
ou d'une cupidité insatiable »77(*). En effet le
libéralisme crée une plaie dans le monde ouvrier en particulier
et dans le monde du travail en général avec ses principes dont
celui de la libre concurrence. Ce principe a de graves
conséquences sur le salaire de l'ouvrier. Cependant il n'est pas le seul
à en souffrir car aussi bien les patrons que les ouvriers subissent les
affres du libéralisme ainsi que le rappelle Léon Harmel qui
affirme que la libre concurrence est un danger à la fois pour les
patrons que pour les ouvriers78(*).
Elle constitue un danger pour les patrons car face à la
libre concurrence ou à la concurrence étrangère, les
entreprises de second ordre sont obligées de fusionner pour donner
naissance à des entreprises de premier ordre. C'est là, la seule
condition pour résister79(*). Il s'agit d'une condition de vie ou de mort
pour les entreprises. Cependant ces modifications ne sont pas sans
conséquences sur les ouvriers. Dans un contexte où le
règne du laisser faire est absolu et la libre concurrence
encouragée, les entreprises pour tenir financièrement sont
obligées d'abaisser les salaires des ouvriers pour être plus
compétitives face à leurs concurrents. De là nait
l'idée du travail-marchandise, or toute source de
prospérité commerciale étant dans les plus bas prix de la
marchandise, les salaires des ouvriers vont être tirés vers le
plus bas. Les ouvriers ne sont plus serfs, ni esclaves comme par le
passé mais ils sont désormais esclaves de la
misère80(*).
L'Église à travers ces hommes ne cesse de
dénoncer ce système inique, infâme. Le cardinal
Couillé recommande aux patrons le salaire suffisant pour les ouvriers,
la modération des bénéfices pour eux. Tout cela au nom de
leurs devoirs de justice et de charité81(*). Hamel avant lui a
déjà dénoncé le système libéral qui a
engendré selon lui « l'égoïsme le plus
profond » avec la loi de l'offre de la demande qui est devenue la
seule règle de convention entre le maitre et l'ouvrier82(*). Il dénonce
cela avec véhémence car pour lui le salaire ne peut être
une marchandise, il défend pour l'ouvrier un salaire équitable.
Pour lui, le salaire équitable c'est celui qui permet de nourrir
l'ouvrier qui le reçoit. Car dans certaines contrées un ouvrier
qui se trouve en concurrence avec plusieurs autres est obligé de baisser
son salaire jusqu'à vil prix, salaire qui au demeurant ne peut pas
suffire à nourrir sa famille. C'est pour cela qu'Harmel s'évertue
à appliquer au sein du Val une politique de salaire qui soit en accord
avec ses principes83(*). Sa politique salariale peut être
appréciée sur le mode de rémunération et aussi sur
le taux de rémunération.
Concernant le mode de rémunération, il en
distingue trois modes : la coopération ou la participation aux
bénéfices, le travail à la tache et le travail
journée.
Il déteste les sociétés
coopératives ou la participation aux bénéfices car il
trouve que c'est le « rêve des
communistes ». Il s'indigne contre ce genre d'entreprise dans
laquelle « tout le monde est
patron »84(*). Elle lui parait utopiste car dans son
entendement, il est impossible de demander aux hommes ordinaires les vertus que
nécessite la coopération. Ces vertus qui sont :
l'assiduité, l'esprit de justice, l'honnête, l'habileté qui
peuvent être retrouvées seulement à son avis dans les
ordres religieux. C'est pourquoi il trouve que la coopération a une
apparence séduisante mais un caractère pratique difficile
à réaliser. Pour un pragmatique tel Harmel ce mode de
rémunération ne vaut donc pas la peine.
Concernant le travail à la tache, il constate son
universalisation mais il en décrit les inconvénients à la
fois sur les entreprises et sur les ouvriers. Ces inconvénients
résident dans le fait qu'il est un mode de rémunération
à la fois « mauvais pour la perfection du
travail » et « dangereux pour la santé des
ouvriers »85(*). Il est mauvais pour la perfection du
travail car les ouvriers qui veulent l'améliorer leur maigre salaire
réalisent plusieurs pièces la journée ce qui rejaillit sur
la qualité du travail. Il est dangereux pour la santé des
ouvriers car en voulant réaliser plusieurs pièces à la
journée, ils accroissent leurs horaires et leurs charges de travail ce
qui peut nuire à leur santé.
Par ailleurs l'un des autres inconvénients du travail
à la tache réside dans les gains irréguliers du salaire
car l'ouvrier qui se trouve dans l'incapacité soit pour cause de maladie
ou d'un autre cas d'empêchement de réaliser son travail voit son
salaire baisser. Il n'assure pas donc une sécurité à
l'ouvrier. Raison pour laquelle il est rejeté dans les règlements
des anciennes corporations. Et raison pour laquelle Harmel le rejette aussi
dans sa corporation du val-des-bois.
Le dernier mode de rémunération est le mode de
rémunération fondé sur l'alliance du prix à la
journée, du prix à la tâche avec des primes sagement
combinés qui encouragent l'ouvrier dans son travail tout en conservant
au salaire une régularité suffisante. Ce supplément de
salaire est perçu sous forme au bout du mois, de la quinzaine ou de la
huitaine. Ce système a l'avantage d'offrir le stimulant du travail
à la tache sans pour autant perdre les avantages du prix à la
journée. C'est ce mode d'application plus favorable à l'ouvrier
qui est appliqué au sein de la corporation
chrétienne86(*).
Au niveau du taux du salaire, selon sa vision de faire cesser
le prolétariat, il met en place au sein de la corporation une politique
avec des taux de salaires assez avantageux pour ces ouvriers. C'est pourquoi
son usine ne connait pas le prolétariat. Cette affirmation s'appuie sur
le témoignage des « anciens » du Val. Tous sont
unanimes sur le fait de leur satisfaction en tant qu'ouvriers du Val durant la
période antérieure à 1914. Ils déclarent que
jamais la direction du Val n'a considéré la main d'oeuvre comme
une marchandise soumise aux aléas de la conjoncture87(*). Les ouvriers du Val
n'ont pas donc la crainte d'être licenciés à chaque crise
économique ou à chaque événement conjoncturel.
Cette sécurité de l'emploi les différencie des autres
ouvriers soumis au prolétariat. M. Harmel met en pratique sa politique
du juste salaire dans son usine au grand avantage de ses ouvriers. Au sein de
l'usine chrétienne, les taux de salaire sont analogues à ceux des
usines voisines. Car au début de la IIIe république dans les
années 1870, le taux de salaire pour un ouvrier dans le textile
à Reims est de 4,50 francs quotidiennement. Pour les
ouvrières, ce taux s'élève à 2 francs en
moyenne. Au Val ce taux est de 4 francs pour les hommes et de 1,75 pour
les femmes. Ce taux plus bas au Val par rapport à Reims se justifie par
le fait que le Val est situé en campagne ce qui donne un avantage
comparatif aux ouvriers du Val. De plus Léon Harmel institue le principe
de la Caisse de famille qui consiste à prévoir une réserve
alimentée par les seuls patrons et qui permette de verser le
complément aux familles dont le gain n'atteindrait pas le minimum
jugé indispensable. Il ne s'agit donc pas de supplément familial,
mais d'un complément familial de salaire. Il s'agit d'un
complément familial car il est versé à condition que les
ressources familiales n'atteignent pas un minimum décent pour faire
vivre une famille. Il va sans dire que les familles dont les ressources
dépassent ce minimum ne bénéficient pas de ce
complément. À cette nuance près, il semble bien exact que
Léon Harmel soit le principal initiateur des allocations familiales (le
principe de la péréquation n'ayant été
trouvé que plus tard par Romanet). Parlant du salaire familial, il
écrit en 1895 : « Nous ne prétendons pas
que ce minimum suffise, mais seulement qu'il empêche la misère
noire. » Ainsi, il met en application dans son usine ses
idées sur le salaire juste et équitable et de fait participe
à lutter contre le paupérisme. Quid de la question de l'emploi au
Val ?
B. UN DÉSIR ARDENT
DE MAINTENIR L'OUVRIER DANS L'EMPLOI
André Guesclin fait remarquer à juste titre que
l'existence des ouvriers au XIXe siècle est soumise aux
variations cycliques de l'activité économique et à des
chômages récurrents88(*). D'où une grande
précarité de l'emploi dans le monde ouvrier. L'ouvrier dont le
salaire dérisoire ne peut permettre aucune épargne tombe donc
dans la misère dès son licenciement. C'est en cela que
Léon Harmel fait remarquer que le travail est d'un intérêt
majeur pour l'ouvrier, c'est une question de vie ou de mort, de joie ou de
désespoir, d'aisance ou de misère89(*).
Le dirigeant du val en a bien conscience lui qui a, par le
contact avec la classe ouvrière, saisi les maux dont elle souffre. Il
essaie de remédier à ces maux avec la corporation
chrétienne. À cette corporation il laisse le soin de placer en
première ligne de son action le grand intérêt de ses
membres en établissant partout des centres de protection pour le
travail90(*). Ces établissements doivent jouer le
rôle de bureau de placement pour les travailleurs chrétiens afin
que ceux-ci ne manquent point de travail. Il faut à tout prix
éviter aux chrétiens « la misère par
excellence qu'est le chômage ». Il montre par là
tout son attachement à la défense de l'emploi de l'ouvrier pour
lui éviter de tomber dans le paupérisme.
En homme de parole, il n'hésite pas à conserver
dans leur emploi les ouvriers du Val malgré l'incendie qui ravage le Val
le 13 septembre 187491(*). Il continue de payer le salaire de ses
ouvriers comme lors des périodes de chômages partiels que connait
l'usine du fait des machines. Cette capacité de donner le salaire
à des ouvriers qui ne travaillent pas est un fait tout à fait
exceptionnel pour les ouvriers de la région mais c'est ordinaire pour
les travailleurs du Val habitués à la
générosité du « bon père ». En
effet comme il l'affirme lui-même : « Les commotions
politiques, la révolution de 1848 et les événements
de 1870-1871 n'ont pas atteint nos ouvriers, ni ralenti notre
travail. » comment expliquer cette résilience de l'usine
chrétienne malgré les crises ?
Harmel l'explique par la providence divine car selon lui s'il
a eu la capacité de garder les travailleurs dans l'emploi pendant ces
périodes noires pour l'économie française cela est
essentiellement « grâce à Dieu
seul »92(*). Derrière cette modestie se cache une
grande prévoyance. Dans les périodes de vaches grasses
c'est-à-dire dans les périodes de prospérité, il
fait des réserves pour les périodes de crises économiques.
Mais comme il le dit, il faut un très grand sens chrétien pour
tempérer le luxe et l'amour des richesses93(*). Ce n'est pas
évident pour tous les patrons de faire des réserves en
période de profit pour leur entreprise afin de garder dans leur emploi
les ouvriers dans les périodes de récession de l'activité
de leur entreprise. Seul un très grand esprit chrétien peut
amener un patron à faire preuve de telle
générosité. Conscient de cela Harmel encourage tous les
patrons à ne pas rester indifférent devant le fléau que
constitue le chômage, ils doivent mettre tout en oeuvre comme
l'industriel du Val pour le prévenir. Telle est la mission de la
corporation chrétienne, servir d'exemple aux autres industriels d'une
possibilité de mettre fin à la précarité de
l'emploi dans la classe ouvrière.
Léon Harmel affirme d'ailleurs qu'il a résolu ce
problème de précarité de l'emploi au Val car les ouvriers
savent qu'ils ne sont pas des instruments dont on se débarrasserait le
jour où un trop long usage dans les usines aura diminué la
puissance94(*). Au contraire ils savent qu'au Val ils
seront à l' abri du besoin durant leur vieillesse. Ils ne sont pas
concernés par les inquiétudes de leurs collègues des
autres usines. À ce titre, on peut dire que la corporation
chrétienne a vaincu le prolétariat grâce à des
institutions comme la caisse de secours qui jouent le rôle de caisse de
chômage95(*). Ces propos sont vérifiés par
les chiffres que nous donnent Pierre Trimouille dans la biographie qu'il dresse
sur Harmel.
Selon Trimouille malgré la grave crise que connait
l'industrie française durant la période de récession
économique que connait la France lors de la
période 1873-1895,tout se passe au Val comme si de rien
était. Les chiffres des effectifs de personnes ouvrières passent
de 404 personnes en 1878 à 678 personnes à la fin
189996(*). Ces effectifs sont même à
doubler si l'on veut prendre en compte les personnes travaillantes au Val mais
non enregistrés dans les effectifs comme les apprentis. La politique de
Léon Harmel est donc conforme à ce qu'il enseigne. À
savoir maintenir à tout prix l'ouvrier malgré les situations de
crises.
Toutefois durant la crise qui secoue l'industrie
lainière en général de 1895 à 1900,
Harmel est obligé la mort dans l'âme de se séparer de
certains de ses ouvriers. On peut constater cela par une analyse de la caisse
de secours. Les versements qui lui sont faite par les patrons en 1896 sont
de 1 895 francs, ce chiffre grimpe à 20 390 francs
en 1900, se stabilise à 17 876 francs en 1901 et
retombe à 6 917 en 190397(*). Ces chiffres
montrent l'effort fait par les patrons du Val pour ne pas laisser les ouvriers
au chômage, sombrer dans la misère comme cela est malheureusement
le cas dans d'autres entreprises à la moindre période de crise
économique. L'analyse fait par Trimouille montre que durant cette
période de grave crise au Val, les familles sont ménagées.
Seul les célibataires hommes et femmes sont débauchés. Les
femmes célibataires qui constituent la moitié du personnel
féminin de l'usine sont les plus touchées par ce
débauchage. C'est à elles en majorité qu'est
versées l'essentiel des indemnités de chômage pour qu'elles
puissent subsister en attendant leur reclassement98(*). Ce reclassement
arrive à partir de 1903 car l'on constate une forte baisse à
cette période de la somme versée à la caisse de secours ce
qui indique que la majorité des personnes qui bénéficient
du régime de l'indemnité chômage sont reclassées.
Cette politique généreuse de Léon Harmel
se poursuit sur un autre terrain de la lutte du mouvement ouvrier : la
question des conditions de travail.
§ 2. L'amélioration des conditions de
travail des ouvriers par la corporation Chrétienne
Avec l'apparition et le développement des usines les
conditions de travail se détériorent nettement en France durant
une grande partie du XIXe siècle. Harmel qui
déteste la condition prolétarienne que fait subir certains
industriels sans foi aux ouvriers, s'efforce de faire du Val, un oasis de
tranquillité par une amélioration du cadre de travail de ces
ouvriers (A). Par ailleurs, il ne demeure pas insensible à l'une
des questions clé de la législation du travail à savoir la
question de la durée du travail (B).
A. Le cadre de travail
au Val : une oasis de tranquillité
Au XIXe siècle, la France agricole se
modernise, le paysage national voit apparaitre des usines. Certes le mouvement
d'industrialisation est plus lent en France comparé à
l'Angleterre et il faut attendre après la seconde moitié du
siècle pour voir une France industrialisé. L'usine n'invente
rien. Elle imite la manufacture qui existe déjà et qui a
amorcé le phénomène de concentration de travailleurs.
L'originalité de l'usine c'est qu'elle intègre la technique. La
machine modifie sa structure et sa morphologie en même temps que les
formes de travail99(*). Le travail à l'usine est beaucoup
plus intense, plus difficile et s'exerce même dans des conditions
effroyables. Certains ouvriers parlent même de « bagne
industriel » et préfèrent le bagne de Cayenne à
cet environnement dans lequel ils vivent tous les jours. Jacques Zanatto
raconte l'histoire de cet ouvrier Simon Parvery qui a deux vies : l'une
où il est libre, joyeux parmi les travailleurs en forêt et l'autre
où il est triste debout fourche à la main devant son four tous
les jours. En effet, Simon Parvery exerce deux emplois. Un emploi de forestier
et un emploi d'ouvrier industriel. Sa situation est loin d'être
isolée car la notion de régularité de l'emploi, impliquant
un salaire régulier tel que nous le connaissons actuellement est
anachronique. De nombreux historiens tels Françoise Battagliola
insistent sur la mobilité des membres des milieux populaires en France.
On peut passer de l'agriculture à l'industrie, d'une industrie à
l'autre, de l'atelier à la boutique ou à
l'usine100(*). Mais, de l'avis de Simon, sa vie à
l'usine est au moins égale sinon pire en inhumanité et en
dureté que celui du bagne de Cayenne101(*). La comparaison
parait exagérée mais c'est le même calvaire qui est
vécu par plusieurs ouvriers industriels en cette fin du
XIXe siècle. Mais pour Harmel il est hors de question de
reproduire au val ce spectacle désolant.
Aussi condamne-t-il le travail des enfants avant l'âge
de 12 ans et réclame sa fin dès 1868,
c'est-à-dire six ans avant que le législateur n'interdise le
travail aux enfants de moins de 12 ans102(*). En cela comme en
bien d'autres matières sur la question sociale, Harmel s'est
montré très progressiste.
Les règles d'hygiène et de salubrité
appliquées au sein de la corporation Chrétienne du Val font de
cette usine, une exception dans la région de Reims. On peut constater
qu'au Val les tâches pénibles du lavage et de la teinture sont
effectuées par les hommes et non par les femmes, contrairement à
l'atmosphère générale. L'idée est d'éviter
aux ouvrières des maladies professionnelles. Par ailleurs partout des
appareils servent à renouveler l'air, l'assainir et au besoin
l'humidifier pour rendre l'air au sein de l'usine plus frais et moins dangereux
pour la santé des ouvriers. De plus un poste d'eau est installé
dans toutes les salles pour étancher la soif des
ouvriers103(*).
L'amélioration des conditions de travail et de
sécurité à l'usine sont ses préoccupations majeures
de même que la prévention de tous les risques industriels. Certes
le risque zéro n'existe pas à 100 % dans une usine mais tout
est mis en place pour éviter les accidents de travail. Car Harmel
lui-même l'affirme : « Le patron qui n'emploie pas les
moyens de prévenir les accidents dans les ateliers manquent en
même temps à la justice et à la charité, en exposant
l'ouvrier au danger de perdre sa vie ou ses moyens de
subsistance. »104(*) Il parait nécessaire de le faire car
tout au long du siècle la classe ouvrière est
décimée par les accidents et les maladies
professionnelles105(*). Et l'industriel ne manque pas à sa
vision de faire reculer la condition prolétarienne.
Pour ne pas être objet de scandale, Harmel s'efforce de
donner l'exemple au sein de son usine. Il met en place des règles de
prévention et de sécurité très strictes.
Le règlement d'atelier énonce que l'usine doit
faire l'objet de nettoyage tous les jours durant une demi-heure. Le
règlement concernant les ouvriers employés à filés
automates traite bien plus les questions de prévention. Les huit
articles de ces règlements ont pour objectif de mettre en place une
prohibition des actes susceptibles de provoquer un accident.
Concernant le logement, il ne déroge pas à la
tradition du paternalisme qui veut que la résidence des ouvriers se
fasse sur les lieux de l'usine. Ainsi l'habitat ouvrier au val ne demeure pas
en reste et il y accorde un point d'honneur. Le logement exerce selon lui une
influence sur l'âme et le corps de l'ouvrier. C'est pourquoi il veut que
les logements ouvriers soient complètement isolés pour donner une
certaine intimité aux familles et éviter que leur vie
intérieure soit commune aux voisins. Au val, les cités
ouvrières sont composées de maisons individuelles avec de vastes
jardins soignés106(*). Ces maisons agrémentent les
conditions de vie et de travail des ouvriers qui y habitent contrairement aux
cités ouvrières classiques où la vie des uns est connue
des autres du fait de la grande promiscuité qui y règne.
Le point noir au tableau de sa politique d'amélioration
des conditions de travail des ouvriers est à mettre à l'actif de
sa vision ambigüe sur le travail de nuit. Travail qui est
décrié par les ouvriers car très épuisant et de
plus très dangereux pour la famille ouvrière. Lui le champion de
la protection de la famille ouvrière ne peut s'empêcher d'y
recourir à partir de 1892. Et ce, bien que son frère Ernest
l'en ait dissuadé en 1860 et qu'il s'est fait le héros la
lutte contre ce type de travail dont il demande déjà l'abolition.
À ce titre il fait l'objet de railleries de la part de ses adversaires
pour son manque de cohérence.
Mais il est un point où il demeure cohérent
jusqu'au bout. C'est sur le point du temps de travail.
B. La durée de
travail au val : une oeuvre progressiste de Léon Harmel
Le temps de travail donne lieu depuis plus de deux
siècles à une profusion de discours différents. Certains
sont revendicatifs surtout dans le camp des travailleurs, d'autres
polémistes dans les camps des patrons, d'autres encore utopistes dans
les camps des politiciens. Il est question de la semaine de quatre jours de
travail ou de 36 heures, Keynes a même prédit qu'en 2030
la durée hebdomadaire du travail serait de
15 heures107(*).
On peut être frappé par le non
linéarité du processus historique en ce qui concerne la
législation sur le temps du travail. La loi de 1884 sur
l'interdiction du travail le dimanche sera abolie en 1830 puis
restaurée en 1906. Le décret du 2 mars 1848 sur la
journée de 10 heures à Paris et 11 heures en province
est lui aussi abrogé par la constituante le 9 septembre
1848108(*). Mais toutes ces lois sont l'oeuvre de
lutte sociale acharnée de la part des travailleurs contre l'arbitraire
de certains patrons qui traitent leurs ouvriers comme du bétail qu'il
faut rentabiliser. La forte concurrence va pousser ces patrons à fixer
unilatéralement la durée de travail qu'ils imposent aux ouvriers.
L'objectif de ces patrons est d'augmenter le taux d'utilisation des machines.
La durée très longue des journées de travail induit des
effets qui affectent la société dans son ensemble et le
travailleur en particulier. Les conséquences les plus immédiates
sont l'usure au travail qui se manifeste par une augmentation des maladies
professionnelles, des accidents de travail109(*). Un exemple montre
bien cette usure au travail, c'est l'industrie du textile. Dans ce secteur le
taux des conscrits exemptés du fait de carences est de 18 %
alors que la moyenne au niveau nationale est de 11 %. Harmel qui est dans
ce secteur en a bien conscience du mal être des ouvriers c'est pourquoi
sa logique est de faire en sorte que ses ouvriers ne soient pas accablés
par le travail. Il faut pour lui qu'il puisse trouver un temps pour remplir
leur devoir essentiel envers Dieu, la société et leur
famille110(*). Il s'insurge même contre les patrons
qui ne respectent pas le repos dominical et qui étalent chaque jour en
plein soleil « cette tyrannie odieuse ». Il se
désole face aux ouvriers qui sont livrés à un travail sans
trêve et qui ne peuvent pas reposer leur « pauvre machine
humaine » le septième jour, le dimanche pour
réparer la fatigue accumulée pendant les six
jours111(*). Son amour pour Dieu et pour le peuple
ouvrier en sont ainsi choqués face à ces attitudes de certains
patrons. Pour Harmel, il faut respecter le repos du dimanche pour que les
ouvriers puissent prendre soin de leur âme et de leur corps.
La situation au Val correspond à ces propos car le
repos dominical y est respecté. L'article 14 du règlement
d'atelier fixe que les ateliers sont fermés les dimanches et jour de
fête car ces jours sont consacrés au Seigneur. En plus les
samedis, les journées sont plus courtes car elles finissent à
11 h 30 pour les femmes mariées au lieu de 12 heures. Le reste
des jours de la semaine la durée journalière de travail est
fixée à 11 h 30 avant 1893. Cette situation est plus
favorable que la loi sur le travail qui fixe la durée journalière
à 12 heures de travail par jour112(*). Une fois encore
M. Harmel devance la législation sociale.
Toutefois ces horaires de travail plus courts ne sont pas
seulement dues aux convictions religieuses et philanthropiques d'Harmel, il y a
là aussi des raisons de productivité. Harmel comprend de sa
propre expérience que les horaires trop longs sont dangereux pour la
qualité. Il comprend que pour produire de bonne qualité il faut
réduire la durée du travail. Il dit à ce
propos : « J'ai vu de plus de travail aux pièces en
10 heures qu'en 12 heures de travail. Il y a là une grave
question à étudier. »113(*) Étant
donné que le val est beaucoup tourné vers l'international, les
produits de qualité s'avèrent pour lui nécessaires et la
productivité des travailleurs est à améliorer. On comprend
pourquoi il est partisan d'un temps de travail plus court bien que dans les
faits des entreprises comme Schneider ont des journées de travail de 10
heures donc plus favorables que l'usine du Val.
Mais le Val pour son patron se veut être un
modèle qui va être repris par les autres patrons catholiques pour
contrer les méfaits du libéralisme et de la plaie hideuse qu'est
le paupérisme qu'il crée. C'est pour cela le patron du Val sort
l'ouvrage Manuel d'une corporation chrétienne pour
montrer aux patrons chrétiens la voie à suivre contre le
fléau du libéralisme, une voie qu'il met lui-même en
pratique au val et qui rend pragmatique cette oeuvre qui lui est si
chère : faire renaitre les corporations que le libéralisme a
détruit. La « réchristianisation » du monde
ouvrier dans cette optique doit être l'oeuvre des patrons
chrétiens qui suivent le modèle réussie d'une
réchristianisation ouvrière : le Val.
Son combat se poursuit contre un autre produit du
libéralisme : le socialisme.
SECTION II.
LA DÉMOCRATIE
CHRÉTIENNE : LE REMÈDE ANTISOCIALISTE DE LÉON
HARMEL
AU MOUVEMENT OUVRIER
La démocratie chrétienne nait de l'intervention
du pape Léon XIII de son vrai nom Gioacchino Pecchi dans le domaine
politique par le biais de l'encyclique Inter Sollicitudines qui
appelle au ralliement des catholiques à la République. Elle
élargit le champ d'action ouvert aux membres de l'Église et les
pousse à s'y engager. Plusieurs mouvements naissent à la suite de
cet appel114(*). En France, Léon Harmel se fait le
champion de la démocratie chrétienne car elle répond pour
lui à deux objectifs qui lui tiennent à coeur : dynamiser le
catholicisme social en perte de vitesse (§ 1) et lutter contre
le socialisme, son ennemi de toujours (§ 2).
§ 1. Une
tentative pour dynamiser le catholicisme social en perte de vitesse
Dans les années 1880, le catholicisme social perd
du terrain face au Socialisme115(*). Cette perte se constate dans le
déclin de l'oeuvre des cercles catholiques d'ouvriers qui est l'oeuvre
du catholicisme social ayant eut le plus de retentissement (A). Face
à ce constat, Léon Harmel se charge de faire évoluer le
catholicisme social vers plus de démocratie. Il fera donc la transition
avec la « démocratie chrétienne » pour
aborder une approche nouvelle face au monde ouvrier (B).
A. Un constat :
la perte de vitesse de l'oeuvre des cercles catholiques ouvriers
Les oeuvres issues du catholicisme social en
général ralentissent dans la classe ouvrière mais nous ne
pourrons pas analyser le phénomène dans son ensemble. Aussi, il
nous importera de fixer notre regard sur l'oeuvre la plus féconde de ce
mouvement pour apprécier le phénomène dans sa
globalité.
L'oeuvre des cercles catholiques d'ouvriers est fondée
en 1871 par Maurice Maigen et deux officiers royalistes Albert de Mun et
René de la Tour du Pin. Ils se sont faits le serment de ramener la
classe ouvrière au bien être matériel et a la
moralité chrétienne après avoir été choque
par l'épisode de la Commune de Paris116(*). Les deux officiers
royalistes vont donc assigner à cette oeuvre le rôle de provoquer
l'entente pacifique des riches et des pauvres afin que le peuple soit instruit
et soit éduqué117(*). La christianisation du monde ouvrier passe
selon eux par les classes dirigeantes, le mouvement doit donc partir du haut
vers le bas. Les classes dirigeantes aisées sont appelées
à honorer leur devoir envers les pauvres. Les riches ne doivent pas se
montrer durs et hautains envers les indigents car le superflu appartient aux
nécessiteux. Cette responsabilisation de la classe dirigeante quant
à la réchristianisation du milieu ouvrier se justifie par la
méconnaissance par le clergé du monde ouvrier118(*). Il s'en remet
ainsi aux patrons chrétiens pour bâtir cette oeuvre.
L'oeuvre des cercles catholiques ouvriers s'inscrit à
ce titre dans la droite ligne du catholicisme social avec son idée de la
collaboration des classes. C'est pourquoi Léon Harmel y adhère
plus tard.
Durant les premières années de sa
création l'oeuvre connait un franc succès. De l'avis d'Albert de
Mun on en compte 130 comités, 150 cercles, 18 000 membres
dont 15 000 ouvriers en 1975 soit quatre ans après sa
création119(*). Ce succès est dû au fait que
la classe ouvrière trouve un réconfort dans les cercles. Il s'y
exerce un sorte de patronage qui n'est pas fait pour lui déplaire qui
durant cette période de crise économique vit une situation
précaire et les oeuvres paternalistes promues au sein des cercles
gagnent leur enthousiasme. Elle dépasse toutes les attentes.
Toutefois après cette période de succès,
l'oeuvre des cercles commence à décliner au milieu des
années 1880 et cela est dû à plusieurs raisons.
La première est le fait que les ouvriers commencent
à se lasser de l'attitude paternaliste presqu'infantilisante qui a cours
dans les cercles. Les temps ont changé et le paternalisme
apprécié par le passé ne l'est plus à cette
époque où les mouvements socialistes gagnent les foules. Et
l'analyse de Léon Harmel sur ce point nous parait très juste.
Dans une lettre qu'il adresse à un industriel du Nord, il relève
ceci : « À Lille et à Roubaix se forment des
syndicats purement ouvriers parce que (à tort sans doute) ils ne
trouvent pas assez de régularité et de liberté dans les
syndicats mixtes. »120(*).
Les syndicats mixtes sont les syndicats qui voient en leur
sein la présence du capital et du travail c'est-à-dire des
patrons et des travailleurs et où les intérêts des patrons
et des ouvriers sont débattus dans une perspective de collaboration de
classe. Ils diffèrent des syndicats séparés qui sont soit
des syndicats de patrons, soit des syndicats d'ouvriers. Les syndicats
séparés ont la faveur des ouvriers comme le remarque Harmel car
à l'intérieur de ces syndicats, ils se sentent plus libres, plus
responsables. Chose qu'ils ne ressentent plus à l'intérieur des
syndicats mixtes tels ceux prônés par l'oeuvre des cercles. Les
ouvriers vont donc peu à peu déserter les cercles catholiques
d'ouvriers pour se retrouver dans des syndicats purement ouvriers.
Un autre auteur partage le point de l'industriel du Val sur
les raisons du déclin de l'oeuvre des cercles catholiques ouvriers, il
s'agit de Pareto. Analysant les systèmes socialistes,
l'économiste italien remarque que dans les systèmes socialistes,
les ouvriers ont la sensation d'être des hommes libres ce qui n'est pas
le cas dans les oeuvres des chrétiens sociaux en général
et des catholiques sociaux en particulier. Dans ces oeuvres, les ouvriers ont
le sentiment qu'ils sont continuellement diminués par l'activité
envahissante des chefs121(*). N'est ce pas les mêmes patrons
décriés par Harmel qui les qualifient de
« gouverneurs », de « petits
Louis XIV » dans leurs usines, dont « la main
écrase tout », qu'on trouve dans les cercles ? Dans
ces circonstances, les conditions d'épanouissement de la classe
ouvrière ne peuvent pas être réunies.
Les ouvriers plébiscitent ainsi les syndicats purement
ouvriers ou socialistes où ils peuvent faire valoir ensembles les
intérêts de leur classes, surtout que dans les syndicats
socialistes ils sont éduqués sur leurs droits et en partie sur
leur devoirs, ils s'organisent pour qu'ils soient prêts à la
grève, à la résistance. Chose qu'ils ignorent dans les
cercles catholiques où on ne leur sert que des sermons sur la
moralité et la religion122(*).
Face au péril socialiste, Léon Harmel comprend
la nécessité d'aborder une nouvelle approche face aux ouvriers.
Il se charge donc de faire évoluer le catholicisme social vers la
démocratie chrétienne pour mieux répondre à
l'attente du peuple ouvrier.
B. Un objectif :
aborder une approche nouvelle face au mouvement ouvrier
Léon Harmel est favorable dès le départ
au syndicat mixte puisqu'il prône la collaboration des classes mais face
au déclin de ces syndicats mixtes dans la population ouvrière. Il
change de position. Pour lui il faut sauver le peuple ouvrier du péril
socialiste et ce, par tous les moyens, certes le syndicalisme mixte est le
régime idéal mais c'est un but et non la fin. Il le
répète dans une lettre qu'il fait parvenir à Ferron-Vrau,
un autre industriel catholique. Dans cette lettre il affirme ceci :
« Tout en répétant que le syndicat mixte est le
type parfait si la vie y règne sans arbitraire et si l'initiative
ouvrière y est favorisée. » Cette phrase montre
son attachement toujours au syndicat mixte puisqu'il est calomnié pour
son revirement de position. Mais elle explique par ailleurs pourquoi les
associations mixtes ne fonctionnent pas. Le problème est dans l'absence
d'initiative laissée à la population ouvrière, il insinue
même qu'il y règne une atmosphère d'arbitraire. Face
à la majorité des patrons qui oeuvrent pour le maintien de ces
syndicats, il ose affirmer un choix contraire. Son choix est fait. Il prend le
parti des ouvriers et ce, même à l'encontre des gens de la
même classe que lui : la classe dirigeante. Peut-il en être
autrement lui qui affirme déjà que la partie la plus
foncièrement chrétienne de la France est le peuple des
travailleurs123(*). Il se doit de la sauver contre vents et
marées. S'appuyant d'abord sur l'encyclique Rerum Novarum qui
insiste sur le fait « qu'il faille adapter les
corporations » aux conditions nouvelles et encourage les
associations « composées des seuls
ouvriers ». Puis par la suite en s'appuyant sur l'encyclique
Inter Sollicitudines, il met en avant le mouvement de la
démocratie chrétienne en France malgré toutes les
réticences que cette encyclique suscite dans les milieux catholiques
conservateurs. Il reconnait comme légitime le syndicalisme ouvrier et
s'attache à convaincre les deux autres de la triade du catholicisme
social : Albert de Mun et René de la Tour du Pin.
Il leur écrit pour leur montrer que les étapes
de la confrérie ne sont pas encore atteintes en France comme en Belgique
car les métiers sur lesquels se sont appuyées les
confréries par le passé, sont désormais
dépassés par les progrès de l'industrie. Devant leur
inaction il place sa confiance au peuple. Le discours qu'il prononce à
l'automne 1896 à Lyon est révélateur de son nouvel
état d'esprit.
En voici un passage : « La pensée
maitresse qui nous a dirigée c'est un acte de foi en l'âme
populaire. » Le mouvement est lancé. Son discours pour le
triomphe de la démocratie chrétienne s'articule autour de deux
points : la défense de l'initiative ouvrière et l'existence
d'une alliance privilégiée entre Dieu et le peuple.
Concernant la défense de l'initiative ouvrière,
il rappelle dans un discours au congrès ouvriers de Tours qu'il a
toujours « encouragé » les ouvriers dans
« la voie de la responsabilité et de
l'initiative » et cela par une autonomie
complète124(*). Une manière de rappeler que son
engagement pour l'initiative ouvrière n'est pas neuf et n'est pas le
fait des circonstances nouvelles. Il prend l'exemple du Val pour appuyer son
argumentaire en montrant par ses oeuvres au Val qu'il a toujours
« donné aux ouvriers une certaine
responsabilité » car pour lui « la question
sociale n'est pas une question d'estomac mais plus une question de
dignité »125(*). C'est cette dignité qui manque dans
l'oeuvre des cercles et qu'il veut apporter dans la démocratie
chrétienne. Les associations ouvrières qu'il met en place sont
dotées d'autonomie de gouvernement. Il s'agit pour lui
« d'un caractère essentiel » de
l'association car s'il en est autrement, elles ne sont qu'« un
patronage sans initiative et sans action et lorsqu'il s'agit d'ouvrier adultes
sans résultats »126(*).
Toutefois il rappelle que pour éviter que l'association
ouvrière ne bascule dans le socialisme, chose qu'il veut par-dessus tout
éviter, il faut qu'elle ait en son sein un patron et un prêtre
dont la présence est très désirable mais non
nécessaire car ces derniers peuvent se faire représenter. Le
rôle de ceux-ci n'est pas de prendre une part active dans le gouvernement
de l'association mais plutôt rappeler le règlement et le faire
respecter. L'initiative ouvrière doit être respectée au
risque de « détruire
l'association »127(*).
Harmel est bien conscient que défendre l'initiative
ouvrière est un couteau à double tranchant et qu'elle peut se
retourner contre l'Église avec les chants de sirène des
socialistes qui eux aussi font luire aux ouvriers un avenir plus tentant pour
les gagner128(*). Aussi s'empresse-t-il de rappeler aux
ouvriers leur mission dans ces associations ouvrières
formées : christianiser leurs semblables. Car l'Église a
été formée par les faibles comme eux. Devant les
bourrasques que subissait l'Église en ce siècle, il leur revient
de soutenir les piliers de l'Église pour ne pas qu'elle
s'écroule. Il leur donne à ce propos l'exemple des premiers
chrétiens qui étaient « un ramas d'esclaves et de vils
artisans » mais qui ont réussi à christianiser les
classes dirigeantes jusqu'au sommet avec l'empereur Constantin dont ils ont
obtenu la conversion au Christianisme. Et avec un optimisme à nul
pareil, il reprend : « Ce que le bas peuple des premiers
siècles a fait, les ouvriers du XIXe siècles peuvent
le faire. »129(*). Léon Harmel s'y investit à
fond car il s'agit la de la dernière cartouche pour faire
« régner le Christ en milieu ouvrier ».
L'échec de la démocratie chrétienne et de ses idées
signeraient bien la fin de son rêve. Aussi ne se limite-t-il pas à
la formation des associations ouvrières
« chrétiennes ». Il engage la lutte contre le
socialisme avec les armes de celui-ci.
§ 2. Un
mouvement pour lutter contre le socialisme
Le socialisme a axé sa stratégie de
conquête du pouvoir par un développement de ses idées en
milieu ouvrier, milieu qui concentre la majorité de la population et
grâce à la pénétration de ses idées
révolutionnaires ou réformistes dans ce milieu la prise du
pouvoir politique en est facilitée.
Pour lutter contre le socialisme, Léon Harmel
entreprend la même démarche que celle des socialistes :
éduquer le peuple (A) puis dans un contexte marqué par le
ralliement des Catholiques à la République, prendre le
pouvoir (B).
A. Une lutte contre
les idées socialistes dans les cercles chrétiens d'études
sociales
À la question de savoir pourquoi il choisit la voie du
syndicalisme séparés, Harmel donne une réponse sans
ambages dans une lettre qu'il fait parvenir à un de ses avoués
à Angoulême : « S'il m'appartenait de les
empêcher, quel effet produirais-je ? Je jetterais ces ouvriers
chrétiens dans les bras des socialistes. Pour maintenir les ouvriers de
l'Église, il faut les former à l'étude des reformes
susceptibles d'améliorer la condition ouvrière et surtout leur
donner la doctrine chrétienne. »130(*)
Il constate qu'avec des méthodes analogues, les
socialistes remportent de réels succès : ils «ont pu
faire étudier à des ouvriers des ouvrages difficiles comme ceux
de Marx ». Or, dit-il, « c'est une vérité
banale de dire que ce sont les idées qui mènent le
monde ». À ce titre, il utilise les cercles
chrétiens d'études sociales qui voient le jour à Reims
en 1891, comme un moyen d'éduquer la classe ouvrière et de
corriger les erreurs véhiculées par les socialistes dans le
Peuple : erreurs qui les ont éloignés de l'Église.
Parmi ces erreurs la plus utilisée par les socialistes
est celle selon laquelle l'Église soutient toujours les riches contre
les pauvres, elle est toujours du coté du patron que des ouvriers. Qui
mieux que Léon Harmel peut dire le contraire ? Lui, l'industriel
voit l'action bienfaisante de l'Église se manifester envers les pauvres
depuis la création de l'Église et il se charge de le rappeler
lors de son discours au congrès ouvriers de Tours. Son discours est
axé sur l'idée selon laquelle l'Église et le vicaire du
Christ ont toujours soutenu les plus faibles contre les puissants.
Sur le soutien de l'Église, il n'hésite pas
à rappeler que le travail incessant de l'Église est
d'élever les barrières pour protéger les plus faibles
contre les puissants qu'il appelle « les fauves ». Exemples
à l'appui il montre les réalisations de l'Église en
matière de défense des plus faibles.
Le droit d'asile s'attache à Saint
Chrysostome131(*). L'asile est un lieu où une personne
se sentant menacée peut se mettre en sécurité,
le droit d'asile renvoi au droit à chaque être humain de
trouver refuge face à des menaces et des poursuites.
À la suite de Saint Chrysostome, Saint Odilon de Cluny
met en place la trêve de Dieu132(*). La Trêve de Dieu est une suspension
de l'activité guerrière durant certaines périodes de
l'année, organisée pendant le Moyen Âge en Europe par
l'Église catholique romaine (historiquement, elle a le plus longtemps
pris la forme d'une trêve du mercredi soir au lundi matin, ainsi que
pendant tout l'Avent, à Noël, pendant le Carême et le Temps
pascal). C'était un moyen de l'Église de soulager les pauvres qui
souffrent des affres de la guerre, et elle rappelle la mission pacificatrice de
l'Église. Par ailleurs d'autres réalisations de l'Église
viennent corroborer ses dires.
N'est-ce pas Saint Louis qui codifie l'abri corporatif dans
lequel les faibles trouvent secours ? N'est ce pas Saint Yves qui attache
son nom au tribunal ecclésiastique et qui est reconnu comme
défenseur des opprimés et avocat des plus faibles ?
L'interdiction de l'usure qui avilit tant de pauvres censitaires et serfs
n'est-elle pas l'oeuvre de l'Église prononcée par les saints
Pères et formulée par Saint Thomas d'Aquin133(*). L'église a,
comme il le rappelle, de tout temps bataillé pour les plus faibles.
Et si la société du
XIXe siècle est si injuste selon Harmel, la faute
revient au « paganisme qui lutte contre l'Église ».
L'humanité est devenue païenne, elle écarte l'Église
avec ses erreurs et ses lois injustes. C'est la raison pour laquelle les
libertés ont « sombrées » et « les
ouvriers et les artisans sont livrés sans défense aux
appétits des puissants »134(*).
Harmel rappelle également aux ouvriers le rôle du
Saint père Léon XIII. Ce pape qui est victime de tant de
critiques aussi bien de la part des catholiques conservateurs que des
socialistes. Ces attaques qui en affaiblissant le Pape, affaiblissent aussi
l'Église dont il est le sommet dans la Hiérarchie. Il est
évident que pour ramener les ouvriers à l'Église, il ne
suffit pas de montrer les bonnes oeuvres passées de celle-ci mais il
faut aussi démontrer l'action du souverain pontife Léon XIII
envers les ouvriers. C'est pourquoi il leur réaffirme l'amour du pape
envers les ouvriers. Amour qui se manifeste selon lui par l'encyclique
publié par le souverain pontife sur la question
ouvrière135(*). Celle-ci est la preuve qu'il s'attache
à la détresse des ouvriers puisqu'à l'intérieur le
pape n'hésite pas à prouver sa compassion pour les classes
laborieuses et son soutien aux corporations, syndicats de toutes sortes pour
protéger les plus faibles. Ces syndicats ouvriers qui doivent lutter
contre l'isolement des ouvriers, proclamer la vérité sur le juste
salaire, sur les excès du travail et sur les abus de toutes sortes qui
se sont introduits sur la base des fausses doctrines136(*).
Il prend pour exemple le geste du pape lors du
pèlerinage ouvrier à Rome en 1891. À l'occasion de ce
pèlerinage, Léon XIII choisit comme devise devant figurer
sur la médaille du pèlerinage, la phrase suivante :
« Merces operariorum clamat in aures domini ».
Cette phrase qui signifie que le salaire des ouvriers crie aux oreilles du
Seigneur est une manière de plus pour le pape de montrer son
intérêt à la question ouvrière. C'est pourquoi
Harmel exhorte les ouvriers à proclamer partout le rôle
bienfaisant de l'Église et les invite à saluer
Léon XIII comme « l'émancipateur des masses
populaires »137(*).
Les cercles chrétiens d'études sociales sont un
pan de la vision démocrate chrétienne d'Harmel, l'autre pan
consiste à construire une démocratie d'inspiration
chrétienne face au danger marxiste qui menace cette
démocratie.
B. Une lutte sur le
plan politique depuis le Ralliement
Les cercles Chrétiens d'études sociales
connaissent un grand succès. Harmel le constate dans une lettre en ces
termes : « Nos cercles d'études sociales de Reims
font un grand bien et amènent un grand apaisement. »
Effectivement l'atmosphère sociale de Reims est pacifiée et le
succès du premier congrès ouvrier organisé à Reims
en 1893 provoque l'essor des cercles chrétiens d'études
sociales dans l'Ouest : à Brest, avec Dégrées du Lou,
à Blois avec l'abbé Rabier, et dans diverses autres villes. Cela
permet aux travailleurs chrétiens de cette région de commencer
à s'organiser. Les résultats obtenus poussent Léon Harmel
à lancer, en juillet 1898, un appel en faveur des cercles
d'études ouvriers dont l'importance lui paraît de plus en plus
évidente138(*). Stimulé par l'exemple belge, le
mouvement s'oriente vers une action politique139(*).
Harmel qui a de forts lien avec la Belgique puisque son grand
père est un belge qui a émigré en France, n'est pas loin
de cette orientation donné au mouvement qui se met en place. En effet il
voit qu'en Belgique l'abbé Adolf Daens représentant le Christene
Volkspartij, le parti démocrate-chrétien est élu au
parlement140(*). En France le péril socialiste se
fait plus présent car la pensée socialiste est soumise vers la
fin du XIXe siècle à une idéologie
dominante, le marxisme qui prône la révolution. Les anarchistes
étendent leur mouvement dans toute l'Europe. Face à cela Harmel
comprend que l'heure est à une politique d'apaisement avec les
Républicains. Il faut réveiller « le parti de
l'ordre »141(*) pour contrer l'influence marxiste qui se
fait jour au sein de la masse populaire. C'est pourquoi il n'hésite pas
à féliciter tous les acteurs qui ont comme Veuillot qui
comprennent le message que veut véhiculer le pape Léon XIII
à travers l'encyclique Inter Sollicitudines.
Léon XIII qui prône un ralliement des catholiques à la
République pour contrer l'influence marxiste plus dangereuse encore pour
la démocratie.
Certes la Troisième République mène une
violente campagne de déchristianisation mais pour le souverain pontife,
la responsabilité de cet anticléricalisme incombe aux
monarchistes qui combattent la République au nom de leur foi catholique.
De cette façon ils provoquent la haine des républicains contre le
catholicisme. Pour désarmer les républicains, il faut les
convaincre que l'Église n'est pas l'adversaire de la République,
mais s'oppose seulement au laïcisme. Et pour les convaincre, il estime
qu'il n'y a pas d'autre moyen que de soutenir les institutions
républicaines142(*). Cette alliance entre Républicains
et Catholiques a pour but d'affaiblir l'anticléricalisme et aussi de
mieux contrer la menace socialiste qui se fait jour et qui constitue la
principale menace selon Harmel.
Pour Harmel les partis républicains ou
anticléricaux vont tomber ainsi que tous les autres partis mais seul
deux partis survivront : le socialisme athée et la
démocratie chrétienne143(*). Il est hors de question pour le
« bon père » que l'issue soit fatale à la
seconde. C'est la raison pour laquelle tout doit être mis en oeuvre par
le peuple ouvrier pour que triomphe la démocratie chrétienne. Il
les exhorte donc à multiplier les réunions et les
conférences pour faire comprendre aux électeurs leur rôle
et leur responsabilité car « ils avaient leur avenir entre
leur main ». Il achève son discours en disant que ce sont les
votes des ouvriers qui décideront « du relèvement
de la patrie ou de son irrémédiable
effrontément »144(*). Malheureusement pour Harmel, rien ne se
passe comme prévu. Certains catholiques rejettent l'appel du pape au
ralliement et ne soutiennent pas la démocratie chrétienne qui
échoue, victime de ses divisions. L'ennemi le moins redouté par
Harmel, le parti républicain donne le coup de grâce à
l'Église à travers la Loi concernant la Séparation des
Églises et de l'État de décembre 1905, connue
sous le nom de loi Combes, qui enlève à l'Église tout
financement et reconnaissance publique ; elle considère la religion
uniquement dans sa sphère privée et non dans sa sphère
sociale ; elle établit que les biens ecclésiastiques sont
acquis par l'État, tandis que les édifices de culte sont
confiés gratuitement à des associations culturelles élues
par les fidèles, sans l'approbation de l'Église.
Le Concordat de 1801, qui pendant un siècle a
réglé les relations entre la France et le Saint-Siège et
que Léon XIII a voulu préserver à tout prix, est
misérablement réduit à néant145(*).
Après la corporation chrétienne dont la
fécondité sociale est limitée, Harmel connait une nouvelle
déception avec l'échec de la démocratie chrétienne.
Lui qui y a placé tant d'espoir.
Mais il est un domaine où l'action de Léon
Harmel connait un succès énorme et une fécondité
sociale ; il s'agit du conseil d'usine mis en place au Val par Harmel.
PARTIE II.
LE CONSEIL DE L'USINE
CHRÉTIENNE,
MODELÉ D'INSPIRATION POUR LE COMITÉ
D'ENTREPRISE
« Respecter la liberté humaine dans ce
qu'elle a de plus légitime ». Cette phrase de Léon
Harmel manifeste la conviction profonde d'un industriel qui a dès le
début, à contre courant de l'atmosphère de
l'époque, compris l'importance de la participation et de la
coopération des travailleurs à la décision de
l'entreprise. Son approche nouvelle dans le management des
travailleurs sera expérimentée au sein de son usine à
travers le conseil d'usine qui constitue au XIXe siècle
une innovation devant refonder le paternalisme
classique (Chapitre I). Le succès de cette approche fait
qu'elle inspirera un siècle plus tard le législateur au moment de
la création des comités sociaux d'entreprise puis des
comités d'entreprise (Chapitre II).
CHAPITRE I.
LE CONSEIL D'USINE, UNE INNOVATION DE
LÉON HARMEL REFONDANT LE PATERNALISME CLASSIQUE
Le paternalisme est un terme très complexe. Cette
complexité s'explique par les différentes tentatives de sa
définition. Le terme « paternalisme » serait apparu
en Anglais vers 1880 pour designer la forme de protection sociale
qu'accordait l'État146(*). Selon le dictionnaire Robert, il s'agit
« d'une conception patriarcale ou paternelle du chef
d'entreprise » dans le même dictionnaire, il est question
d'« un état d'esprit d'un patronat qui prétend
accorder par charité ou par générosité ce que la
justice sociale exige ».
Le conseil d'usine, auparavant conseil corporatif, ne se
distingue pas sur le plan des oeuvres sociales et culturelles du paternalisme
existant au sein de plusieurs autres usines (Section I) Sa
particularité vient du fait qu'elle introduit un modèle
participatif ignoré du paternalisme classique (Section II).
SECTION I.
LE CONSEIL D'USINE, UNE
REPRÉSENTATION DU PATERNALISME DANS LA GESTION DES oeUVRES SOCIALES ET
CULTURELLES
Comme toute oeuvre paternaliste, le conseil d'usine avait pour
objectif d'orienter les comportements des ouvriers. Cette politique
paternaliste du Val visait à maintenir les ouvriers au sein de l'usine
par le biais des oeuvres sociales (§ 1) et à les
moraliser à travers les oeuvres culturelles (§ 2).
§ 1. La gestion
des oeuvres sociales au Val : un rempart contre l'instabilité DE LA
MAIN D'oeUVRE
Selon la typologie faite par Didier Tabuteau, on distingue au
niveau des oeuvres sociales deux catégories : les oeuvres
d'investissement social qui constituent une garantie de l'accès à
des périodes désirées de la vie (A) et les oeuvres
d'indemnisation social qui constituent une sorte de garantie face aux
aléas de la vie (B). On peut apercevoir ces deux catégories
d'oeuvres au sein du conseil d'usine du Val.
A. Les oeuvres
d'investissement social : une garantie de l'accès à des
périodes désirées de la vie
Les oeuvres d'investissement social ou encore oeuvres
d'investissement dans le social ont un double objectif :
« Il s'agit d'une part d'offrir le plus d'opportunités
possible à tous les individus tout au long de leur vie, et d'autre part
de renforcer la base productive de nos sociétés. »
C'est le cas des régimes de retraite, de l'école, de la formation
professionnelle et de certaines allocations familiales147(*). L'objectif des
patrons en mettant en place ces mesures sociales est de maintenir les ouvriers
par les avantages qu'offrent ces oeuvres mais aussi d'accroitre la
productivité de ces ouvriers. Toutes ces oeuvres existent au Val et
Harmel n'hésite pas à les brandir telles des trophées pour
montrer sa politique généreuse envers les ouvriers.
C'est ainsi qu'il déclare : « Dans
notre usine, les écoles sont obligatoires jusqu'à seize ans
accomplis. »148(*) Cette présence des écoles
dans l'usine correspond à la législation de 1841 qui
interdit le travail des enfants ayant moins de huit ans149(*). Elle correspond
aussi à la vision paternaliste d'Harmel qui fixe comme devoir incombant
aux patrons de s'occuper de l'instruction « saine » des
enfants des ouvriers afin de les détourner des écoles neutres.
Ces écoles qui désignaient une organisation de l'enseignement
primaire public dans laquelle des enfants de confession religieuse
différente et aussi ceux ne professant aucune religion sont
réunis dans une même école.
En plus des écoles, il y a une formation
professionnelle qui est assurée au Val sous la forme de cours d'adultes.
Ces cours sont ouverts trois fois par semaine les soirs pour les personnes dont
l'âge est au dessus de seize ans et qui ne bénéficient donc
pas de la formation de l'école. Outre l'instruction
élémentaire, on y apprenait aussi des cours de dessin
linéaire et de mécanique150(*).
Par ailleurs l'un des instruments les plus
appréciés du paternalisme, le logement est à l'honneur
dans la politique sociale du Val. Tout être humain aspire à
posséder une propriété immobilière, il en
était de même pour les ouvriers. Fort de cela, les patrons
n'hésitaient pas à construire des habitats pour leurs ouvriers,
ces habitats permettaient de fixer la main d'oeuvre et suscitaient une
gratitude immense vis-à-vis des patrons. Cette gratitude qui se
manifestait par des efforts plus fournies au travail et une productivité
accrue. Les exemples de logement ouvrier construits par des patrons
paternalistes sont nombreux.
Au Val, Harmel défend les habitats individuels faits de
maisons indépendantes les unes des autres avec un jardin
attenant151(*). Tous ces logements sont à un prix
modéré pour permettre aux ouvriers d'accéder à la
propriété immobilière et par la même rester sur
place. Il n'hésite pas à octroyer des indemnités aux
ouvriers afin que ces derniers puissent se loger comme ils veulent.
À coté de ces mesures d'investissement social,
il existait aussi des mesures pour garantir les ouvriers face aux aléas
de la vie. Ces mesures que l'on regroupe sous le vocable de mesures
d'indemnisation sociale.
B. Les oeuvres
d'indemnisation sociale : une garantie face aux aléas de la vie
Les régimes d'indemnisation sociale ont pour vocation
d'aider les victimes confrontées à des accidents ou des
aléas de la vie à les surmonter. L'assurance-maladie, l'assurance
chômage, les lois d'indemnisation, la compensation de la perte
d'autonomie ou du handicap en sont autant d'illustrations. À la
différence des régimes d'investissement social, l'espoir est,
pour chacun, de ne jamais en être bénéficiaire, ou du moins
d'en relever le moins souvent et le moins lourdement possible152(*). Ces mesures sont
présentes dans la plupart des entreprises paternalistes. Le Val ne
déroge pas à la règle.
On y trouve une société de secours mutuel, une
assurance-vie...
La société de secours a été mise
en place par le père de Léon Harmel en 1846. Elle a pour
rôle d'être une sorte de caisse d'assurance maladie et de
décès pour ces membres. À ce titre elle assure les soins
du médecin dans le cas où l'un des ouvriers est malade. Elle
procure par jour de maladie une indemnité qui égale la cotisation
mensuelle et une indemnité complémentaire en cas d'accident. En
tant qu'assurance décès elle assure une sépulture
chrétienne en cas de décès de l'un de ses membres
La cotisation à la société de secours
mutuel est de 1,80 francs pour 1 000 francs. Pour un ouvrier qui
touche 5 francs par jour et 120 francs par mois, sa cotisation
s'élève donc à 0,216 francs par mois. Toutefois cet
ouvrier perçoit 4 francs par jour durant son arrêt
maladie153(*). Elle présente ainsi un réel
avantage pour les ouvriers qui y souscrivent massivement.
Une indemnité du handicap est aussi fournie par la
société de secours mutuel si l'accident de travail entraine la
perte d'un membre ou oblige ce dernier à changer de travail. La
compagnie assure à l'ouvrier blessé une pension basée sur
le gain journalier et son âge au moment de l'accident. Pour un
travailleur de 45 ans percevant 5 francs par jour soit
120 francs par mois, il touchera une indemnité équivalente
à 400 journées de travail auquel sera majoré un taux
de 6,81 %154(*). Ce travailleur percevra au final
13 620 francs comme indemnité.
S'agissant de l'assurance-vie, elle peut être souscrite
par les ouvriers auprès de plusieurs compagnies et selon plusieurs
formules.
Il y avait l'assurance à prime fixe avec participation
aux bénéfices et un contrat de 1 000 à
5 000 francs, l'assurance individuelle faite par l'État dont
la somme ne peut excéder 3 000 francs et l'assurance
collective faite par l'État.
À ces oeuvres sociales, s'ajoute des oeuvres
culturelles qui contribuent à renforcer le caractère paternaliste
du Val.
§ 2. La
gestion des oeuvres culturelles du val : une politique pour moraliser la
main d'oeuvre ouvrière
L'idée principale du paternalisme c'est qu'il faut
protéger les gens d'eux même car ils ne savent pas ce qui est bon
pour eux. En cela le paternalisme se révèle comme une forme de
limitation de la liberté de se nuire à
soi-même155(*). Harmel souscrit à cette forme de
paternalisme car pour lui, le patron a le « devoir
sacré » de se préoccuper de la conduite des ouvriers en
dehors de l'usine pour tout ce qui touche aux scandales et aux faits contre la
probité. Il ajoute que le patron qui n'exercerait pas cette action
trahirait son devoir156(*). Au Val, on trouve plusieurs associations
dont le but est de se préoccuper de la conduite droite des ouvriers.
Parmi celles-ci il y a les associations fondamentales qui doivent conduire le
peuple ouvrier à la pratique religieuse (A) et les
sociétés de préservation de la morale qui
préservaient la population de toutes influences extérieures
délétères (B).
A. Les associations
fondamentales pour obtenir la pratique religieuse des ouvriers
Le patron du Val sait que les oeuvres sociales ne suffisent
pas pour ramener les ouvriers à la pratique religieuse. Il en a fait
l'amer constat avec les oeuvres réalisées par son père et
leur influence minime sinon restreinte sur la
« christianisation » des ouvriers. Pour lui, la meilleure
solution réside dans l'atelier chrétien qui allie des
associations chrétiennes aux institutions économiques. Cette
combinaison a dépassé toutes les espérances que toutes les
oeuvres sociales pouvaient faire naitre157(*).
C'est ainsi qu'au Val, on retrouve plusieurs associations
chrétiennes qui sont connues sous le vocable d'« associations
fondamentales »
La première de ces associations est l'Association des
enfants de Marie qui voit le jour le 15 août 1863 avec l'aide de
quelques filles d'ouvriers qui montrèrent beaucoup de dévouement
et de bonne volonté. Cette création est le point de départ
d'une longue série d'associations qui s'adressent aux hommes et aux
jeunes de tout âge. Les soeurs s'occupent des filles et des femmes de
tout âge et les trois frères présents au Val dirigent les
hommes et les garçons.
Les associations fondamentales que dirigent les soeurs sont
l'Association Sainte Philomène pour les filles qui n'ont pas fait leur
première communion c'est-à-dire les filles en dessous de
l'âge de 12 ans. Ensuite l'association des Saints Anges qui les
prend en charge, une fois leur première communion effectuée. Puis
vient l'association des enfants de Marie qui recueillent les filles dès
l'âge de 14-15 ans pour les conserver jusqu'à leur
entrée dans l'association des mères chrétiennes qui se
dénomme l'Association Sainte-Anne. Tout est fait pour encadrer les
filles dès le berceau à la tombe afin qu'elles ne sombrent pas
dans les vices communs aux filles de la région.
Du coté des associations fondamentales que dirigent les
frères, nous avons l'association Saint-Louis de Gonzague qui s'occupent
des garçons qui n'ont pas fait leur première communion. À
l'issue de leur première communion ils intègrent la
société Saint-Joseph. L'association Saint-Joseph qui
débute 28 avril 1867 et qui devient en 1873 le cercle
catholique d'ouvriers est la plus importante des associations. Son effectif
passe de 198 en 1879 à 313 en 1894158(*). On y trouve
à la fois des jeunes gens et des pères de famille. On y trouve un
petit cercle pour les garçons sortis de l'association Saint Louis de
Gonzague jusqu'à l'âge de 16-17 ans, période à
laquelle ils peuvent intégrer le grand cercle.
Comme on le constate, les associations fondamentales ne
concernent pas seulement les ouvriers mais aussi leur famille, leurs enfants.
Cela est dû au fait que les enfants des ouvriers deviennent par la suite
des ouvriers, ils faut donc bien les former pour qu'ils soient de bons
travailleurs plus tard et ainsi éviter de recourir à la main
d'oeuvre désoeuvrée, immorales, instables qu'on trouve dans la
région de Reims. Les résultats obtenus par ces associations sont
à la hauteur des efforts. En 1878, la plus grande partie de la
« population ouvrière » du Val est revenue à
la pratique religieuse qui était presqu'inconnue en 1865. On
dénombrait même 800 communions par mois et 75 % des
effectifs de l'usine sont inscrits dans les associations
fondamentales159(*). Ces résultats encouragent un autre
type de contrôle qui s'exerçait au niveau des institutions
crées pour permettre aux ouvriers d'accéder aux loisirs.
B. Les
sociétés de préservation de la morale pour
préserver le Val d'influences délétères
Après avoir obtenu un regain de la pratique religieuse,
Harmel désire éloigner le personnel du Val des fêtes du
village qui sont considérés comme source d'immoralité et
de destruction de la famille. Il met en place donc au Val des institutions
qui remplacent « les influences
délétères », « les passions
dangereuses » par des « récréations
honnêtes ». Tout est mis place pour développer des
recréations collectives et des fêtes (y compris des fêtes
religieuses) devant servir à briser la monotonie du
travail160(*).
On trouve ainsi la société de la bonne presse
qui doit servir à participer à développer la culture des
ouvriers et aussi à les divertir. Toutefois comme son nom l'indique,
elle évite soigneusement les mauvais journaux, les mauvais libres.
À quoi reconnait-on les « bons » ou les
« mauvais » journaux ou livres au Val ? À la
définition qu'en donnait le patron. On peut imaginer à l'analyse
de ses opinions qu'il s'agit des livres ou journaux qui défendent les
idées socialistes ou des idées anticléricales. À
contrario seraient considérés comme des oeuvres
« bonnes » celles qui défendent les doctrines de
l'Église ou qui luttent contre les idées socialistes. C'est
pourquoi il n'hésita pas à faire organiser par le comité
de la corporation un service de presse à la fois, à
l'intérieur de l'usine qu'à l'extérieur pour soutenir la
campagne de Mac Mahon qui est proche des idées royalistes et
partisan d'« un ordre moral ». Huit ouvriers et
employés du Val se chargent de distribuer quotidiennement les
85 exemplaires du journal Le Patriote au sein de l'usine.
Par ailleurs au sein de l'usine, il existait des
bibliothèques populaires, des sociétés de jeux, de
gymnastique, de chants, de tir, de musique. Le choix des moyens de
divertissement est très large et toutes ces sociétés
offrent aux ouvriers les distractions nécessaires et permises. À
travers ces initiatives, elles participent à arracher
« à la Franc-maçonnerie, ses précieux
instruments ». Étant donné que selon le patron du
Val, la Franc-maçonnerie use du terme liberté pour introduire le
libertinage au sein du peuple. Or selon Harmel « la
liberté n'est pas la liberté de mal faire » mais
elle consiste à choisir le bien161(*).
Cette définition de la liberté
révèle que l'industriel était attaché à la
liberté de ces travailleurs. C'est cet attachement à la
liberté et la dignité du travailleur qui le fait mettre en place
des institutions participatives au Val, institutions inconnues du paternalisme
classique.
SECTION II.
LE CONSEIL D'USINE, MODÈLE
PARTICIPATIF IGNORÉ DU PATERNALISME CLASSIQUE
Avec la poussée socialiste Harmel sait qu'il faut
donner plus de liberté aux ouvriers. De même que la
démocratie chrétienne répondait aux désirs du
peuple d'avoir plus de liberté au sein de la société,
Harmel sait qu'il devra confier plus de liberté à ses ouvriers au
sein de l'usine. Il parle déjà dans ses discours de
démocratie dans l'usine162(*). Le conseil d'usine lui apparait comme
l'élément essentiel de la démocratie chrétienne, de
la démocratie tout court (§ 1). La démocratie
impliquant le pouvoir rendu au peuple, la démocratie au sein de l'usine
passe par une plus grande participation des travailleurs à la direction
de l'usine (§ 2).
§ 1. Un pas
vers la démocratie dans l'usine par le biais du conseil d'usine
Les démocrates de toutes tendances reconnaissent que
c'est le peuple qui doit régner. Au Val, existe une sorte de
« protodemocratie » qui se manifeste au sein du conseil
d'usine par une représentation du personnel (A) et un cadre de
dialogue social (B).
A. Le conseil
d'usine : un instrument précurseur de représentation du
personnel
Le conseil professionnel est créé au sein de
l'usine en 1883. Il prend le nom de conseil d'usine en 1893 face
à la poussée socialiste et au désir d'Harmel de toujours
adapter les préoccupations du mouvement ouvrier à ses ambitions
d'une corporation chrétienne. Il donne la raison de la création
du conseil d'usine lors d'une conférence qu'il tient à Rome en
ces termes : « Rendez à l'ouvrier devenu esclave par
la machine, la faculté de penser, d'agir, de gouverner par
lui-même. Rendez-lui la part d'initiative qui donne à chacun sa
personnalité [...] par la création de conseil
d'usine. »163(*)
Le conseil doit donc être un outil servant à
conférer plus d'initiative aux ouvriers et leur donner la
possibilité d'être écouté par leurs patrons tant au
niveau de leurs réclamations qu'au niveau de leurs suggestions. Ce souci
de donner plus de pouvoir à l'ouvrier se manifeste dans l'organisation
et le fonctionnement du conseil d'usine.
S'agissant de sa composition, il est composé de
15 membres dont un président qui est un patron en 1890, il
s'agit de Maurice Harmel. Il est aidé par un ouvrier, un homme de
confiance représentant le conseil intérieur (organe
exécutif de la corporation) en la personne d'Alfred Jolivet. Le
secrétariat du conseil était toujours réservé
à un employé. Le gros de l'effectif est constitué par
douze ouvriers, un pour chacune des onze salles et un pour les métiers
annexes. Cette composition montre bien le souci de garder une certaine
représentativité du personnel car toutes les salles ont un
représentant au sein du conseil. Ce représentant a pour
rôle de défendre ses opinions et préoccupations. Les
conseillers deviennent ainsi des intermédiaires entre le patron et les
ouvriers. Le point marquant de cette composition du conseil est l'absence d'un
représentant des contremaitres. L'idée étant
d'éviter d'intimider les ouvriers présents au conseil
d'éventuelles représailles de la part de ses
« seigneurs d'ateliers ».
Concernant le mode de désignation des representants
ouvriers au sein du conseil, il ne cessa pas au fil des années de se
révéler plus démocratique. Avant 1890 les membres du
conseil étaient choisis par le conseil intérieur, ce
procédé est abandonné en 1890 et est remplacé
par la désignation par le conseil corporatif qui est une sorte de
chambre syndicale. Ce procédé parait beaucoup plus
démocratique car les représentants ouvriers sont choisis par
« leurs camarades ». En 1903 le procédé
est encore plus démocratique car les conseillers d'usine ne sont plus
cooptés par un conseil restreint mais chacun d'eux est élu par
tous ses camarades164(*).
Le conseil se réunit une fois en quinzaine. Il est
scindé en 1900 en deux groupes ce qui permet d'accroitre la
fréquence des réunions puisqu'elles se déroulent de
façon hebdomadaire à partir de ce moment et cette scission permet
aussi de spécialiser davantage la réunion.
À travers ces actions, le conseil participe à
rendre l'autorité acceptable au sein de l'usine. L'objectif d'Harmel de
lutter contre l'« absolutisme patronale » en faisant
circuler l'autorité dans plusieurs mains pour ne plus qu'elle soit
concentrée semble être atteint. Cette déconcentration du
pouvoir favorise le dialogue social.
B. Le conseil
d'usine : un cadre de dialogue social
L'article 9 du règlement intérieur de
l'usine du Val-des-Bois annonce la couleur quant à l'objectif du conseil
d'usine. Cet article stipule que le conseil a pour « but de
maintenir de maintenir entre patron et ouvriers, une entente affectueuse
basée sur une confiance réciproque ».
Cet article montre la vision d'Harmel, une vision qui n'a pas
changé malgré les turpitudes sociales de cette fin de
siècle, il a toujours cru à la collaboration des classes et son
combat est de tout instant le même. Il veut lutter contre
l'idéologie de la lutte des classes. C'est pourquoi il s'évertue
à instaurer un corporatisme humain et intelligent par le biais du
conseil d'usine. Il se détache ainsi de la position de ses amis
catholiques sociaux qui veulent comme lui la collaboration des classes mais au
moyen de l'éducation du peuple par l'élite bourgeoise.
Dans cette vaine le conseil d'usine devient l'instrument par
excellence de l'entente entre le capital et le travail. Harmel l'utilise pour
prévenir les conflits en y instaurant une atmosphère familiale.
Les réunions en son sein sont si bon enfant qu'Harmel parle de
« conseil de famille »165(*). Il est un
instrument de conciliation de paix sociale, chose importante en ces temps
troublés. C'est la raison pour laquelle le conseil ne manquera
d'être primé pour cette union entre les ouvriers et le patron. Il
reçut à la date de 1900, 105 prix attribués. Ces
prix au Val et à ses employés ont pour but de les encourager dans
la permanence de leurs engagements, l'absence de grèves et les
rendements satisfaisants. Parmi ces prix, une médaille de vermeille
remise par le président Carnot en personne, 30 médailles
d'honneur dont l'une est remise par Félix Faure166(*).
Le mérite de ce parfait dialogue social n'est pas
seulement reconnu par les autorités Étatiques. Du
côté des syndicats ouvriers, l'on ne manque pas d'envier
l'atmosphère au Val-des-Bois.
En témoigne l'appréciation d'Ildefonse Cotton,
secrétaire du syndicat indépendant des mineurs du Nord et du
Pas-de-Calais qui s'exprime ainsi à une réunion du Val en
1910 : « Les mineurs envient les ouvriers du Val-des-Bois.
Vous qui ne connaissez pas l'antagonisme des classes, la division des patrons
et des ouvriers, ce fléau du monde industriel, vous ne vous figurez pas
l'abime profond qui existe entre les uns et les autres. »
Cette remarque venant d'une syndicaliste ouvrier surprendrait
une personne qui ne connait pas le « bon père » mais
ceux qui le connaissent savent qu'il a toujours lutté contre la
condition prolétarienne et le fléau de la division en classe
bourgeoise et classe prolétaire qui en découlait. Il ne cache
d'ailleurs pas sa joie devant l'ambiance qui règne au conseil. Il y
régnait selon ses propos une atmosphère de confiance affectueuse
qui mettait tout le monde à l'aise. On peut y exposer ses simplement,
familièrement les petits griefs quand il y en a. On arrête ainsi
les ferments de mécontentement qui pourraient s'envenimer et s'aggraver
si on n'y prend garde167(*). Dans ce contexte, il n'est guère
étonnant de voir les ouvriers se montrer assez zélés pour
la prospérité de l'usine qu'il considère comme leur
patrimoine car ils se sentent en famille au Val. Et pour cette raison ils ne
rechignent pas à participer à tous les niveaux à la
direction de l'usine.
§ 2. La
participation des travailleurs à la direction de l'usine
Les ouvriers du Val participent par le biais du conseil
d'usine à la direction du val. Cette participation se fait activement
sur les questions concernant la discipline, l'hygiène et la
sécurité du travail (A) et plus fructueuse sur les questions
de technique de travail (B).
A. Une participation
active sur les questions disciplinaires, d'hygiène et de
sécurité au travail
L'article 7 du règlement intérieur de
l'usine du Val-des-Bois définit ainsi les attributions du conseil
d'usine : « Le conseil d'usine établit une
réelle coopération des ouvriers à la direction
professionnelle et disciplinaire de l'usine. »168(*)
Cet article du règlement montre bien un aspect
essentiel de la coopération des membres du conseil au sein de l'usine.
Cette coopération se manifeste dans les avis qu'ils soumettent
concernant les mesures disciplinaires à prendre, les questions
d'hygiène, de sécurité au travail.
Sur le plan disciplinaire cette participation s'est
manifestée par une initiative tout à fait originale. En 1909
lors de l'élaboration du règlement intérieur, il a
été fait appel à la coopération des ouvriers dans
un domaine considéré comme du seul ressort patronal. On a tenu
compte de toutes les observations c'est-à-dire que chaque ouvrier a pu,
s'il le voulait, donner son avis sur le futur
règlement169(*). Cela montre ainsi un bel exemple de la
démocratie sociale. Mais cela ne s'arrête pas seulement à
la participation à l'élaboration du règlement
intérieur, la participation des ouvriers sur le plan disciplinaire se
manifeste aussi par la possibilité donné au conseil de se
prononcer sur les mesures disciplinaires à prendre face à des
travailleurs fautifs. Harmel ne manque pas de souligner à cet
égard la relative sévérité des ouvriers envers
leurs camarades170(*). Chose qu'il tempérait dans l'octroi
des sanctions pour éviter une grande sévérité de la
part des conseillers dans les sanctions affligés au fautif.
Les sanctions sont soit des amendes, soit le renvoi dans les
cas extrêmes. Le renvoi est de la seule compétence du patron.
Quant aux amendes, leur taux est strictement limité, il est de
63,10 francs en 1888 ; 54,15 en 1889. Ce chiffre baisse de
20 francs par an par la suite. Pour éviter les dérives et
montrer sa bonne foi, Harmel exige que ces amendes soient reversées
à la société de secours mutuel171(*).
Sur les questions d'hygiène et de
sécurité au travail, le conseil s'illustre de fort belles
manières. Il joue un rôle important en obtenant la mise en place
d'appareils pour diminuer la chaleur dans les filatures de laines ainsi que des
ventilateurs pour renouveler l'air des salles. La température des salles
de travail a été fixée à ce moment là
à 24 degrés maximum. Chaque jour, chaque conseiller dans sa
salle, étudie les causes du danger et signale non seulement les
blessures mais les moindres écorchures produites par les machines. Il
propose aussi les mesures utiles pour en éviter le retour. Grâce
à l'action du conseil, le Val se présente comme un paradis.
L'action des conseillers a permis d'humaniser l'usine en
l'adaptant aux besoins de la main d'oeuvre. Les intéressés ont
reçu beaucoup de satisfaction parce que le patron a demandé leur
avis. Ce résultat justifie la coopération ouvrière dans ce
domaine. Résultats d'autant plus remarquables que les conditions de
travail dans les filatures sont généralement fortes mauvaises.
L'insalubrité est la règle. La température est
fréquemment de 36 à 40 degrés soit près
de 12 degrés au dessus du maximum au Val. L'atmosphère est
rendue encore plus malsaine et plus difficilement supportable par
l'humidité jugée nécessaire pour conserver la souplesse du
fil. L'air est saturé de poussière, de laine et
d'émanations huileuses. Les fenêtres restent
régulièrement fermées même pendant la grande
chaleur172(*). Vu ces conditions, on ne peut que louer
l'action remarquable du conseil dans l'amélioration des conditions
d'hygiène et de sécurité au Val.
La voix consultative du conseil s'étendait par ailleurs
aux questions liées à la technique de travail.
B. Une participation
fructueuse sur les questions de technique de travail
À une époque, à partir des
années 1880, où la concurrence est féroce, le Val ne
subsiste victorieusement que grâce à l'habileté de la
gestion et à la perfection de la technique. Il va sans dire que la
coopération technique constitue pour le val, un facteur important de
réussite173(*).
Cette coopération se manifeste dans les avis et
suggestions que les ouvriers font à la direction pour améliorer,
transformer sans peu de frais les outils de production. Cette
coopération est d'autant plus nécessaire qu'elle contribue
à accroitre la productivité et la compétitivité du
Val. La coopération se développe entre ouvrier et patron de la
façon la plus original et la plus fructueuse possible. Les inventions
nouvelles ne sont plus le fait des seuls directeurs associés mais elles
résultent d'une collaboration entre la direction, les chefs de service
et les ouvriers. Il règne au Val, une atmosphère de
« brainstorming » généralisé qui
n'existe pas dans les autres usines et qui accroit la productivité du
Val. Le mérite revient à Harmel qui a laissé se
développer l'initiative ouvrière.
Il n'a pas tort car l'esprit observateur d'un ouvrier est
capable de noter sur le métier de nombreux détails qui
échappent à la direction et suggérer des
améliorations à peu de frais et sans modification importante.
C'est ainsi que grâce au conseil d'usine, il y eut l'introduction d'un
chauffe-café pour le déjeuner de 8 heures174(*). Cet appareil eut
pour effet de faire croitre la productivité des travailleurs.
Les conseillers vont avoir des rôles décisionnels
avec la possibilité qui leur sera donné de participer au jugement
des concours d'apprentissage, concours auxquels se soumettent même les
fils des patrons. Ces concours ont pour rôle de reproduire l'esprit des
corporations médiévales en permettant aux meilleurs apprentis
ayant réalisé un chef d'oeuvre d'être
récompensé et par ailleurs participer à
l'amélioration de la qualité des produits. Pour une entreprise
comme le Val qui se destine à l'export, la qualité des produits
ainsi que l'efficacité sont non négligeables.
La coopération technique se manifeste par ailleurs au
niveau des salaires plus précisément des primes de rendement qui
sont débattus au sein du conseil à l'ordre du jour fixé.
Les problèmes qu'ils soulèvent sont purement formels car la prime
dépend du rendement et le rendement de la qualité de laine ce qui
amenait les membres du conseil d'usine à évoquer plutôt la
qualité de celle-ci. Plus tard les salaires sont établis en
accord avec le conseil d'usine. Ils sont fixés après un temps
d'essai à l'arrivée d'une nouvelle machine. C'est ainsi que le
conseil d'usine obtint une élévation des tarifs dans des lots de
cardés difficiles à travailler. Ces négociations sur le
salaire ne semblent pas gêner les patrons qui les trouvent
justifiés. Harmel dit même que « les demandes des
ouvriers sont si raisonnables et si justifiées que le patron est heureux
d'y condescendre »175(*). Le patron du Val n'avait pas tort car les
ouvriers se sentaient tellement heureux au Val qu'ils considéraient
d'ailleurs comme « leur patrimoine » qu'il ne leur venait
pas à l'esprit d'évoquer des salaires farfelus.
C'est cette atmosphère familiale et bon enfant au val
qui ne manqua pas d'inspirer des années plus tard les
législateurs au moment de la création des comités
d'entreprise.
CHAPITRE II.
L'USINE CHRÉTIENNE,
MODÈLE PRINCIPAL D'INSPIRATION
POUR LES COMITÉS SOCIAUX
D'ENTREPRISE
PUIS POUR LES COMITÉS D'ENTREPRISE
L'expérience des institutions de l'usine
chrétienne (le conseil d'usine) sera plébiscitée au
XXe siècle en ce sens que ce modèle est repris
dans les comités sociaux (Section I) puis dans les
comités d'entreprises (Section II) marquant ainsi la
fécondité sociale de Léon Harmel
SECTION I.
LES COMITES SOCIAUX D'ENTREPRISE :
UNE REPRISE DU MODÈLE DE L'USINE CHRÉTIENNE
Les comités sociaux d'entreprise mis en place par la
charte du travail du 4 octobre 1941 laissent apparaitre des similitudes avec
l'usine chrétienne. On y voit une reprise des modèles
corporatif (§ 1) et paternaliste (§ 2) de l'usine
du Val.
§ 1. La
reprise partielle du modèle corporatif de l'usine chrétienne
Cette reprise du modèle corporatif de l'usine peut se
comprendre après l'analyse de la pensée de l'homme qui est
à l'origine de cette charte : le maréchal Pétain. Un
homme dont la pensée réactionnaire voit dans l'idée
corporative, « une troisième » voie entre le
socialisme et le libéralisme (A). Cette pensée est
consacrée dans la charte de 1941 (B).
A. Le fondement de
cette reprise : la pensée réactionnaire de Pétain
Tout comme Léon Harmel, le maréchal
Pétain est un réactionnaire. Son idéologie est
imprégné du refus des idéaux de 1789, et se repose sur la
pensée réactionnaire du
XIXe siècle176(*). C'est pourquoi on n'est pas surpris de le
voir, tout comme l'industriel du Val, vilipender les excès du
capitalisme et s'en prendre au socialisme.
Au libéralisme, reprenant les discours des
réactionnaires, il reproche l'esprit d'individualisme ainsi que la
condition prolétarienne qu'il avait crée à l'issue de la
révolution.
Il dénonce ainsi dans son discours de Commentry, le
principe de l'individu isolé face à
l'État177(*). Cet isolement qui le fragilise et le rend
à la merci des patrons véreux. Les ouvriers dans cette situation
ne peuvent s'empêcher de penser à l'incertitude du lendemain car
n'étant plus « protégés contre les
aléas du chômage », ces travailleurs ne peuvent
espérer « trouver dans leur métier une
sécurité »178(*) basculant ainsi
dans la condition prolétarienne. On retrouve les mêmes propos que
ceux prononcés au XIXe siècle.
Cette condition prolétarienne tant
dénoncé au XIXe siècle mais qui se
poursuit au XXe siècle. Elle oblige l'ouvrier tout comme
au siècle précédent à « vendre son
travail comme une marchandise », Pétain la dénonce.
C'est pourquoi il appelle sans cesse dans ces discours les patrons à
faire fi de leur égoïsme pour faire cesser cette injustice sociale.
Car poursuivra t il tant qu'elle persistera, il n'y aura pas de paix
sociale179(*). Et c'est tout le monde de l'entreprise de
l'employé en passant par le patron ou l'ouvrier, qui en souffrira.
C'est la raison pour laquelle il voit dans la
communauté de travail unissant patrons et ouvriers sur le modèle
corporatif, la seule solution pour rompre l'isolement de l'ouvrier et lui faire
retrouver les conditions d'une vie digne et libre, en même temps les
raisons de vivre et d'espérer180(*).
Au socialisme il reproche, comme les catholiques sociaux, son
idéologie basée sur la lutte des classes. Cette idéologie
qui crée le désordre social. Il ne manque aucune occasion pour
envoyer des piques aux socialistes. À Commentry, le
1er mai, il promet aux ouvriers de faire de ce jour, un symbole
d'union et d'amitié et non plus « un symbole de division et de
haine » qui fait dresser les coalitions ouvrières et
patronales les unes contre les autres. Il le dit en référence aux
mouvements sociaux émanant des syndicats lors des
précédentes manifestations du 1er Mai. C'est la
raison pour laquelle il invite les travailleurs à rester sourds aux
appels des socialistes qu'il qualifie de
« démagogues ». Leur seul objectif étant
selon lui de bercer les ouvriers d'illusions pour les amener à la
misère et la détresse. Il n'hésite pas à tourner en
dérision la devise du Front populaire intitulée « Le
pain, la paix, la liberté » en « la misère,
la guerre, et la défaite »
La solution selon Pétain aux maux sociaux réside
dans la collaboration des classes, cette collaboration qu'il appelle de tous
ses voeux pour lutter contre la condition prolétarienne et la lutte des
classes qu'elle a engendrées. Le maréchal prend exemple sur les
expériences passées. C'est cette vision qu'on retrouve dans la
charte du travail dont il est l'instigateur principal.
B. Les manifestations
pratiques de cette reprise : la charte du travail de 1941
La charte du travail manifeste l'attachement de Pétain
au modèle corporatif dont l'une des idées essentielles est la
collaboration des classes. Cette idée, on la retrouve à
l'article 24 de ladite charte et qui stipule que :
« Les comités sociaux d'établissements
réalisent au premier degré la collaboration sociale et
professionnelle entre la direction et le personnel. »
L'importance de cette collaboration entre le chef d'entreprise et son personnel
n'est pas méconnue. De tout temps, l'on a eu conscience qu'elle
était nécessaire pour préserver la paix sociale. En ces
années troubles de l'occupation, la fragile paix sociale est donc
à rechercher et à maintenir par tous moyens. Le gouvernement de
Vichy a conscience que cette collaboration est utile pour se substituer
à l'hostilité issue des doctrines, longtemps mis en avant par les
socialistes puis les communistes, de la lutte des classes. C'est pourquoi,
partout où il passe, le maréchal rappelle que
l' « ordre social nouveau » que son gouvernement met
en place institue des groupements comprenant tous les membres d'un même
métier : patrons, techniciens, ouvriers. Une corporation en
d'autres termes c'est pourquoi il affirme : « Le centre du
groupement n'était donc plus la classe sociale, patronale ou
ouvrière, mais l'intérêt commun de tous ceux qui
participent à une même entreprise. » La corporation
doit parvenir à surmonter tous les clivages de classes pour unir la
société française.
Pétain affirme par ailleurs que cet ordre social
nouveau est le fruit d'une longue réflexion, de précédents
qui ont connu du succès dans le milieu dans lequel ils étaient
implantés. La charte rappelle d'ailleurs qu'elle tient compte de
l'abondante documentation que le maréchal a recueillie et qu'il a bien
voulu transmettre au comité chargé de l'élaboration. Elle
montre ainsi qu'elle s'inspire de modèles déjà
élaborés par le passé181(*). Pétain veut
montrer que la collaboration des classes est possible, que la corporation est
faisable, qu'elle ne relève pas d'une chimère puisqu'elle a
déjà été réalisée par le
passé.
Certes il reconnait qu'elle est moins répandue dans les
milieux industriels mais il constate des progrès sensibles dans les
milieux ou elle est introduite. Devant les travailleurs rassemblés
à Commentry, il affirme, pour défendre la charte que,
« partout où les hommes de bonne foi, issus de milieux
sociaux divers se rencontrent pour une explication loyale, les malentendus se
dissipent pour faire place à la compréhension, puis à
l'estime et à l'amitié ». On peut penser qu'en le
disant, il fait référence au conseil d'usine du Val qui est un
symbole de cette collaboration réussie des classes. Le conseil d'usine
qui a mis au sein de l'usine chrétienne, une ambiance familiale qui est
inconnue et méconnue des autres usines.
Par ailleurs, il faut rappeler que le conseil d'usine est la
première initiative de représentation de personnel en
France182(*). C'est donc cette innovation du Val qui a
servi de modèle à l'autre modèle de coopération au
sein d'une usine que tente de mettre en place le gouvernement de Vichy. C'est
pourquoi Bruno Béthouart n'hésita pas à affirmer que le
régime de vichy a systématisé l'initiative du conseil
d'usine au Val-des-Bois183(*).
Cette reprise du modèle de l'usine chrétienne
par les comités sociaux d'entreprise ne s'arrête pas au
modèle corporatif, elle s'étend au modèle paternaliste
développé au sein de l'usine du Val.
§ 2. La
reprise quasi identique du modèle paternaliste de l'usine
chrétienne
La charte du travail va faire apparaitre un modèle
paternaliste du fait de l'incapacité financière de l'État
dans les conditions économiques difficiles de l'Occupation (A). Ce
modèle paternaliste se manifeste dans les comités sociaux
d'entreprises qui sont dénommée « comités
patates » (B).
A. Le fondement de
cette reprise : l'incapacité financière de l'État
dans le domaine social
Pétain est paternaliste184(*) et il s'agit
là d'une autre manifestation de son esprit réactionnaire. Cette
pensée paternaliste se manifeste dans ses discours. Dans celui de
Commentry, il affirme qu'un chef d'industrie, un patron, pour mériter le
commandement dont il est investi, doit se considérer comme ayant charge
d'existences et même, en un certain sens, charge d'âmes ; il
doit avoir le souci majeur de la dignité, du bien-être, de la
santé, du moral de ses collaborateurs et de leurs
familles185(*). Il ne trahit pas ainsi ses convictions de
paternaliste.
Mais cet élan paternaliste au delà des
convictions de l'homme est aussi dicté par les difficultés
économiques du moment. La France occupée souffre terriblement des
affres de la guerre puis de l'occupation. Face à la faiblesse de
l'État, Pétain décide de déléguer la
politique sociale aux patrons qui lui sont fidèles.
Cette délégation ne se fait pas sans
conséquence car elle accroit le pouvoir des patrons. Il le reconnait
d'ailleurs, la mort dans l'âme. Il s'indigne devant les travailleurs
à propos des trusts qui s'opèrent dans le milieu des
affaires à l'occasion des comités d'organisation qu'il met en
place des l'été 1940. Mais il s'avoue impuissant en
déclarant : « Si les comités d'organisation
ont pu décevoir certains de nos espoirs, ils ont au moins assuré
l'essentiel de leurs missions. »186(*) La mission à
laquelle il fait référence est celle de se réunir pour
discuter avec l'Allemagne et éviter à la France, le
désordre de ces forces économiques. L'épisode des
comités d'organisation montre la puissance du monde économique et
l'impuissance du pouvoir politique obligé de répondre aux
sollicitations des patrons. Le patronat qui est conscient de sa force va en
profiter pour imposer ses vues. Vues qui sont souvent partagées par le
Maréchal.
Un épisode de la puissance du patronat est donné
au niveau des comités sociaux d'entreprise qui sont crées par les
patrons dans l'urgence car on ne peut à cette époque, attendre la
mise en place de la charte, encore moins le retour à une activité
industrielle normale. Le souci paternaliste des patrons va les conduire
à mettre en place des comités qui vont apporter aux conditions
des travailleurs les améliorations les plus urgentes187(*). C'est ce qui
explique qu'un certain nombre de comités sociaux d'entreprise ait
été crées plusieurs mois avant la charte. La charte vient
donc pour donner un cadre légal à une pratique existante.
Fort de son pouvoir, le patronat exige le bannissement du
syndicat de l'entreprise et dans cette optique soutient les comites sociaux
d'entreprise188(*). Ce point de vue est partagé par
Pétain qui manifeste lui également un certain rejet du
syndicalisme. Les comités sociaux d'entreprise représentent pour
les patrons au vu des précédents surtout celui du Val, un bon
moyen de représentation du personnel en écartant les syndicats
haï, pour le désordre social qu'ils créent en entreprise.
Bon nombre de patrons soutiennent à ce sujet l'initiative de la charte
de travail.
Pétain partage leur point de vue et il voit dans le
paternalisme deux avantages : libérer l'État de la
contrainte économique que représenterait la mise en place d'une
politique sociale et confier au patron la souffrance du travailleur, souffrance
à laquelle il sera toujours prêt à apporter une aide
sociale. C'est ce qui explique le succès du volet social des
comités sociaux d'entreprise.
B. Les manifestations
pratiques de ce modèle paternaliste : « les
comités patates »
Les comités sociaux d'entreprise ont été
nommés « comités patates » par les ouvriers
à cause de leur succès dans le domaine du
ravitaillement189(*). Mais, au-delà du ravitaillement ce
sont les oeuvres sociales entreprises par ces comités qui sont à
l'origine d'un tel succès.
Originellement les comités d'entreprise sont mis en
place dans une perspective paternaliste. C'est la raison pour laquelle le
législateur ne juge pas nécessaire de leur octroyer la
personnalité juridique comme les autres comités mis en place par
la charte190(*). L'idée est que ces comités
puissent vivre d'expédients ou de subventions
patronales191(*).
L'intention paternaliste des rédacteurs de la charte se
manifeste par ailleurs dans les attributions qui sont confiés à
ces comités. Ceux-ci se voient restreint aux oeuvres de
solidarités sociales, ils n'ont aucun rôle au niveau
économique. La charte leur attribue, à ce niveau, un rôle
purement consultatif en leur confiant un rôle
d'« aider » la direction et non plus de
« réaliser » comme c'est le cas en matière de
la gestion des oeuvres sociales. Ce rôle purement consultatif au niveau
professionnel est contraire à l'idée de la majorité des
travailleurs qui aspirent à participer activement à la direction
de l'entreprise dans laquelle ils travaillent. Ils veulent une transformation
complète de leur condition sociale192(*). Ils se contentent
toutefois d'un pouvoir de gestion des oeuvres d'entraide sociale les
rapprochant un peu plus des institutions du Val.
Tout comme au Val, le succès dans la gestion des
oeuvres sociales est au rendez-vous et contribue à créer une
atmosphère familiale au sein des entreprises. Les comités vont
penser aux absents, aux prisonniers retenus loin de leur famille. Au sein des
entreprises où ils travaillent, on organise des moyens de leur porter
secours, à eux et à leur famille. Des sociétés de
secours mutuel ou des caisses d'entraides sont créés pour porter
assistance aux travailleurs en cas de maladie. On n'oublie pas les
événements heureux car les caisses d'entraide fournissent
même des prêts au mariage193(*). Certaines caisses ont même
l'heureuse initiative de créer des caisses de loyer qui permettent au
personnel des entreprises d'acquitter régulièrement leur loyer en
cas de difficultés imprévues et ce, moyennant une modique
contribution mensuelle.
Ces initiatives ne s'arrêtent pas seulement au domaine
de l'entraide sociale, elles se poursuivent aussi tout comme au Val dans le
domaine du loisir. Certains comités mettent en place des colonies de
vacances, d'autres créent en leur sein des commissions de
loisirs194(*).
Le domaine technique n'est pas laissé pour compte, les
comités s'acharnent dans un contexte de pénurie à lutter
contre le gaspillage, à élaborer des règlements d'atelier
et faire des suggestions à la direction sur les salaires ou
l'apprentissage195(*).
Ces attributions des comités sociaux ne manquent pas de
rappeler les institutions du Val. Leur succès fait que ce modèle
est repris à la Libération dans les comités
d'entreprise.
SECTION II.
LES COMITÉS D'ENTREPRISE : LA
REPRISE DU MODÈLE DE L'USINE CHRÉTIENNE, VÉRITABLE
COMPROMIS SOCIALE
À la libération, une chose est claire, il faut
refonder le système social et fermer la parenthèse Vichy. Dans le
domaine des entreprises, plusieurs modèles s'offrent au
législateur notamment au niveau des comités qui devront
succéder aux fameux comités sociaux
d'entreprise (§ 1). Cependant tous les observateurs s'accordent
à dire que le modèle le plus abouti reste celui retenu par la loi
du 16 mai 1946 (§ 2).
§ 1. Les
modèles envisagés à la libération
Plusieurs projets concernant le cadre à donner aux
nouveaux comités en entreprise vont être proposés. Ces
projets s'intéressent surtout à l'aspect à donner à
la participation des travailleurs à la vie de l'entreprise. Il y a le
programme du Conseil national de la Résistance (CNR) qui sera
jugé trop ambitieux (B) avant lui, le modèle du Val apparait
plus réaliste (A).
A. Le modèle du
Val : un modèle assis sur les deux piliers des futurs
comités d'entreprise
L'usine chrétienne combine deux types de
modèle :
Le premier peut être qualifié de paternaliste ou
de patronaliste selon le terme-valise inventé par un inspecteur du
travail. Il est qualifié ainsi car son existence et ses modalités
d'applications dépendent du chef d'entreprise. C'est dans ces
modalités que le patronalisme trouve l'essentiel de ses
caractéristiques propres. Il s'agit d'écarter toute intrusion
extérieure à l'établissement en instituant une
autoreprésentation des salariés non contaminés par la
parole syndicale. Dans cette perspective, les représentants sont choisis
pour favoriser le rôle de gestionnaire des oeuvres sociales de
l'entreprise. Ces oeuvres sociales qui sont aussi un moyen d'augmentation des
rémunérations, nécessaires pour fixer sur place des
ouvriers qui peuvent être attirés ailleurs. Ce modèle, on
le retrouve dans le conseil d'usine du Val. Il est aperçu
également dans les comités sociaux d'entreprise. Son
utilité est si évident que le commissariat aux affaires sociales
du G.P.R.F. envisage dès le début 1944, à Alger de le
pérenniser après la Libération. Malgré l'abrogation
de la charte du travail, la grande majorité d'entre eux continue de
fonctionner jusqu'à la mise en place des comités d'entreprise.
C'est ce modèle toutefois adapté aux circonstances politiques du
moment que les organisations patronales défendent lors de
l'élaboration de l'ordonnance du 22 février 1945.
Le second modèle qu'on qualifiera de participatif
valorise la participation plutôt que la revendication avec un double
objectif d'information du chef d'entreprise sur l'état d'esprit des
salariés et, à l'inverse, à l'apprentissage par ces
derniers des contraintes qui pèsent sur l'entreprise. Il a donc un
objectif pédagogique, facilitant par la même la
compréhension des choix patronaux et l'obéissance à
l'autorité légitimée. Selon ce modèle, la
représentation est pensée comme globale. Tous les aspects de la
gestion de l'entreprise : les questions financières (les avis et
les propositions sur les salaires), les questions techniques(le
perfectionnement des machines) et professionnelles étant incluses dans
la compétence des organes de représentation. Le but étant
dans ce modèle d'arriver à une véritable
coopération entre les employeurs et les employés afin de gagner
le pari de la compétitivité, de la productivité. On le
retrouve dans le conseil d'usine du Val.
S'appuyant sur ces précédents, le
législateur à la Libération institue les comités
d'entreprise.
B. Le programme du
Conseil national de la Résistance (CNR) : un modèle trop
ambitieux
Le CNR adopte un programme à l'unanimité le
15 mars 1944 et il est publié sous le titre Les jours
heureux. Il souhaite « l'instauration d'une véritable
démocratie économique et sociale impliquant l'éviction des
féodalités économiques et financières de la
direction de l'économie » ainsi que « le retour
à la nation des grands moyens de production
monopolisés ». Il est considéré à
juste titre par plusieurs auteurs comme étant trop
ambitieux196(*). En instaurant une véritable
démocratie économique et sociale c'est les patrons qu'on
évince. La participation active des travailleurs à la gestion de
l'entreprise tel que voulue par le CNR s'avère trop risquée pour
l'économie. Certes le texte ratifié le 15 mars
diffère du projet communiste initial plus ambitieux encore dans la
participation des travailleurs mais cette différence est plutôt au
niveau de l'inversion des priorités197(*). La plus large part
du programme est donnée à un programme d'inspiration socialiste
dont les mesures les plus connue sont l'instauration de la
sécurité sociale et les nationalisations. De Gaulle est mis
devant le fait accompli car il n'a pas eu son mot à dire durant
l'élaboration, l'orientation et la rédaction du
projet198(*). Il manifeste son refus à
l'application de ce projet qu'il trouve trop ambitieux et trop imprécis.
Trop ambitieux pour être réalisé en sept
mois qui est le temps du Gouvernement provisoire et trop imprécis pour
donner à ses adversaires des raisons quotidiennes de l'utiliser pour
tomber dans des dérives199(*). Parmi ces dérives on peut citer
l'intervention directe des salariés dans la gestion des entreprises sur
la base du programme du CNR. Cette intervention se manifeste par la
multiplication de ces comités dits de « gestion »
qui naissent dans le climat insurrectionnel de la France libre. Face à
un patronat déconsidéré par sa collaboration, la classe
ouvrière, grandie par sa résistance, va s'emparer des
orientations du CNR pour tenter de créer de multiples
« comités spontanés » visant à exiger
un réel contrôle ouvrier des entreprises. Ils se créeront
dans de nombreuses villes et régions françaises. On cite Lyon,
Toulouse, Marseille200(*)...
Devant la menace que constitue ce mouvement pour
l'économie de la France, De Gaulle est obligé de rassurer les
patrons de l'action et de l'orientation que son gouvernement entend donner
à la gestion sociale de l'entreprise. Il le rappelle en
octobre 1944 lors d'une visite à Lille en ces termes :
« bien que le mode et le degré de la collaboration entre
ceux qui travaillent et ceux qui dirigent puissent être différents
suivant la nature et l'importance de l'entreprise, il faut que cette
collaboration soit établie de manière organique entre les uns et
les autres, sans naturellement contrarier en rien l'action de ceux qui ont la
responsabilité de leur direction. » Sa position sur ce
sujet est alors très clair, il est pour la collaboration entre patrons
et ouvriers mais contre la participation des ouvriers à la gestion
économique de l'entreprise. Sa position rejoint celle de son ministre de
l'intérieur Adrien Tixier qui, dès février 1944,
déclare que : « l'heure n'est pas venue de
prévoir pour les comités techniques des pouvoirs de
contrôle ou de décision. Dans les conditions actuelles, leur
rôle ne peut être que consultatif ». Ces positions
rassurent le milieu patronal.
Avec son gouvernement De Gaulle monte un projet de
substitution au programme du CNR. Le contenu de l'avant-projet gouvernemental
est déposé pour avis sur le bureau de l'Assemblée le
21 novembre 1944. Ce projet est très critiqué par
l'assemblée consultative provisoire. Confronté à
l'opposition patronale et à un avis de l'Assemblée auquel il
n'est certes pas tenu de se conformer mais qu'il serait politiquement
inopportun de négliger, le Gouvernement provisoire va faire le choix de
s'en tenir à son texte initial. Ce projet est le modèle promu par
l'ordonnance du 22 février 1945 qui sera par la suite
amélioré à travers dans loi du 16 mai 1946.
§ 2. Le
modèle retenu par l'ordonnance de 1945 et la loi de 1946
Les comités d'entreprise naissent à la
Libération avec deux actes de naissance : le premier en 1945
apparaissant comme non consensuel (A). Le second en 1946 sera un
modèle abouti (B).
A. Le modèle
« gaullien » manifesté par l'ordonnance du
22 février 1945 : un modèle non consensuel
Cette ordonnance portant création des comités
d'entreprise signale que dans le domaine économique, les comités
d'entreprise ne sauraient être des « organismes de
décision » car il a semblé indispensable,
souligne-t-il, de laisser au chef d'entreprise qui a, devant la nation, la
responsabilité de l'affaire qu'il dirige, une autorité
correspondant à cette responsabilité. Les comités
d'entreprise seront donc consultatifs, sauf en ce qui concerne la gestion des
oeuvres sociales de l'entreprise201(*).
Comme, on le constate les attributions des comités
d'entreprises n'ont pas connu avec l'ordonnance le chamboulement attendu par le
milieu socio professionnel. Les comités d'entreprises se cantonnent
à avoir un rôle de gestion dans le domaine des oeuvres sociales
et culturelles.
Dans le domaine économique, elles gardent leur
rôle consultatif visant à faire des propositions à la
direction en vue de l'amélioration des conditions de travail et de la
productivité. Toutefois, une régression notable peut être
notée, les comités n'ont plus la possibilité de connaitre
de la question des salaires. Cela ne manque d'indigner les milieux syndicaux et
de gauche. Selon Le Peuple, l'organe de la CGT, ces divergences
provoquent même des incidents avec le général De Gaulle. Le
2 mars 1945, le président du Gouvernement quitterait la salle des
séances de l'Assemblée consultative au moment où Albert
Gazier monte à la tribune pour dénoncer l'ordonnance et protester
contre la politique des salaires202(*).
Au niveau du champ d'application des comités
d'entreprise, il n'y a pas d'innovation majeure non plus, elles s'appliquent
aux entreprises commerciales et industrielles avec les possibilités
d'étendre ce champ par voie d'arrêtés
interministériels. Par ailleurs elles s'appliquent aux entreprises d'au
moins 100 salariés contrairement aux voeux de l'assemblée
consultative provisoire qui voulait un champ d'application plus large en
l'appliquant aux entreprises d'au moins 50 salariés.
L'ordonnance créé une distance avec l'aspiration
des travailleurs à une participation à la gestion
économique des entreprises. Cette participation qui devait aboutir
à leur émancipation collective. Au lieu de cela l'ordonnance
invite les partenaires sociaux à voir dans la nouvelle institution le
moyen d'associer les travailleurs à la gestion de l'entreprise afin de
remettre en marche et accroitre le rendement203(*). L'objectif de cet
ordonnance n'est pas de contribuer à une émancipation des
travailleurs mais plutôt à une participation de ceux-ci à
la productivité de l'entreprise. Les comités d'entreprise sont
vus sous cet angle comme un outil de productivité pour l'entreprise
à l'instar du conseil d'usine mais avec une fonction beaucoup moins
participative que ce dernier.
L'orientation choisi par le gouvernement n'est pas sans
relation avec le souci qu'ont les autorités d'endiguer le mouvement
d'installation des comités de gestion à un moment où une
partie de l'opinion nationale comme internationale dénonce une
« soviétisation » de
l'économie204(*). Elle répond à ce titre aux
préoccupations patronales tout en ignorant complètement les
positions de l'Assemblée consultative provisoire. C'est la raison pour
laquelle elle va faire l'objet d'un rejet par les syndicats comme les
travailleurs déçus d'avoir été trompés.
Dans l'esprit de beaucoup, l'ordonnance du
22 février apparaît comme un texte provisoire, quasi
illégitime, auquel il faudra substituer celui voté par
l'Assemblée provisoire en décembre 1944. Même le MRP,
parti démocrate-chrétien classé comme centriste et qui
à plusieurs membres au gouvernement, préconise une réforme
des comités d'entreprise dans son programme de gouvernement. C'est dire
le rejet du modèle de comités d'entreprise proposé par
l'ordonnance de 1945.
Les conditions politiques du changement sont réunies
après le départ de De Gaulle le 20 janvier 1946. La nouvelle
équipe fortement orientée à gauche entreprend sous
l'influence du nouveau ministre du travail Ambroise Croizat d'agir en ce sens.
À l'issue d'un vif débat la nouvelle loi sur les comités
d'entreprise est adoptée le 16 mai 1946.
B. Le modèle
retenu par la loi du 16 mai 1946 : un modèle abouti posant les
bases des Comités d'entreprise actuels
Maurice Cohen le souligne et plusieurs auteurs avec lui, que
le véritable statut moderne des comités d'entreprise est
posé par la loi du 16 mai 1946 et non par l'ordonnance
de 1945205(*). Cette affirmation tient au fait que cette
loi est très aboutie en matière de représentation du
personnel (1) et consacre les principes phares des comités
d'entreprise ce qui la rapproche un peu du modèle de l'usine
chrétienne (2).
1. Un modèle
très abouti en matière de représentation du personnel
À la différence de l'ordonnance de 1945 qui
semble être une faveur accordée au milieu patronal au
mépris de tous les avis des politiques, syndicalistes et travailleurs.
La loi du 16 mai 1946 va s'atteler avec Ambroise Croizat, ancien
syndicaliste de la CGT devenu ministre du travail, à reformer en
profondeur le texte de 1945 afin de le rendre plus consensuel.
De prime abord, le champ d'application des comités
d'entreprise est considérablement élargi. Les comités
d'entreprise sont institués dans les établissements industriels
et commerciale, les offices publics et ministériels, les
sociétés civiles, les syndicats professionnels, et autres
comités d'organisation206(*). Par ailleurs le nombre de personnel
nécessaire pour leur institution dans une entreprise est abaissé
à 50.
Dans le domaine de la représentation du personnel, il y
a un assouplissement des conditions d'électorat et
d'éligibilité, les représentants du personnel aux
comités d'entreprise. Le temps de travail au comité d'entreprise
est relevé à 20 heures contre 15 heures
précédemment207(*). Par ailleurs, les syndicats peuvent y
avoir des représentants. L'article 5 de la loi nouvelle donne la
possibilité à chaque représentation syndicale
ouvrière représentative de designer un membre aux séances
du Comité avec voix consultative208(*).
Concernant leurs attributions, les comités d'entreprise
conservent la gestion des oeuvres sociales. Dans le domaine technique, il leur
est donné la possibilité de créer des commissions pour
l'étude des questions particulières. Cette possibilité qui
existait sous l'empire de l'ancienne loi a été élargie
donnant ainsi la possibilité de former des commissions à la
production. Chose qui était impossible avec
l'ordonnance209(*).
Dans le délicat domaine économique, leur
attribution est demeurée consultative, la gauche au pouvoir ayant
compris que cela est préférable pour l'économie de ne pas
s'hasarder dans une gestion des travailleurs plus accrue dans ce domaine.
Toutefois il est à noter quelques innovations, puisque désormais
le Comité d'entreprise est consulté sur la gestion et la marche
générale de l'entreprise. Il sera informé sur les
bénéfices et il connait désormais des questions relatives
au salaire. L'expert-comptable pourra avoir accès aux mêmes
documents que les actionnaires et consulter les livres comptables. La
transparence est poussée jusqu'à limiter le champ d'application
du secret professionnel qui ne concernera plus que les secrets de
fabrication210(*).
Toutes ces reformes auront pour objet de mettre en place les
principes actuels de comités d'entreprise.
2. Un modèle
participatif, réaliste et productif déjà appliqué
au Val
Les comités d'entreprise ont pour leur naissance
empruntée tant de choses aux expériences antérieures. La
loi du 16 mai va instituer des comités d'entreprises va emprunter
les piliers du succès des institutions du Val. Elle va les emprunter en
les modernisant, en les adaptant au contexte actuel qui est bien
différent de celui du XIXe siècle. Ces piliers
sont une institution fondée sur des principes réaliste,
participatif et productif.
L'objectif des travailleurs d'être associé
à la gestion de l'entreprise s'est assouvi dans les comités de
gestion à la Libération. Certes ce fut une expérience
novatrice mais elle était destinée à être sans
lendemain. Née d'une conjoncture sans précédent, dans
l'enthousiasme d'une libération plus ou moins insurrectionnelle, elle ne
pouvait survivre longtemps au retour de l'ordre. Cette utopie fut
rejetée même par un gouvernement de gauche montrant que l'objectif
du comité d'entreprise n'est pas aujourd'hui comme hier la participation
des travailleurs à la gestion économique de l'entreprise mais
plutôt un cadre de coopération des employeurs et des travailleurs
à l'amélioration des conditions de travail et de production.
C'est pour cela que les comités d'entreprise sont des institutions qui
promeuvent la participation.
Selon Dubost, le modèle participatif considère
l'entreprise comme un lieu de création de valeur et la condition pour
créer cette valeur est dans la contribution active des travailleurs. Ce
modèle a été mis en pratique au Val et avait donné
des résultats appréciables malheureusement il va
s'éteindre avec les comités sociaux de Vichy qui voulaient
instituer un paternalisme qui horrifiait déjà l'industriel du
Val. Heureusement reprenant l'exemple du Val, les comités d'entreprise
vont mettre en avant la participation des travailleurs à la bonne marche
de l'entreprise sur les plans techniques et professionnels. Cette participation
qui doit entrainer un accroissement de la productivité.
Dans le chaos économique de la Libération se met
en place les comités d'entreprise. L'institution des comités
d'entreprise doit avoir un rôle particulier à jouer, comme l'a
d'ailleurs entendu les initiateurs de la réforme. Ils doivent être
l'instrument des travailleurs pour développer la productivité et
le rendement, reconstruire les bâtiments détruits. Ils symbolisent
l'union de tous les acteurs de gauche comme de droite. D'Alexandre Parodi
à Maurice Thorez, on défend le volet productiviste du
comité d'entreprise. Ce dernier disait même aux ouvriers que
« produire, c'est aujourd'hui la forme la plus
élevée du devoir de classe, du devoir des Français. Hier
notre arme était le sabotage, l'action armée contre
l'ennemi ; aujourd'hui, l'arme, c'est la
production »211(*). La prime de rendement étant
fonction de la production totale et répartie entre les ouvriers assidus
au travail, ceux qui ont des absences se voient rappeler à l'ordre
très vigoureusement par leurs camarades d'atelier. Cette méthode
d'autocontrôle est plus efficace que le contrôle patronal.
Comme au Val, la bataille de la production concerne dans les
comités d'entreprise les questions d'amélioration des conditions
de travail. Les enquêtes menées permettent de voir que les
suggestions portant sur l'amélioration des conditions de travail sont
nombreuses et augmentent en fonction de la taille de l'entreprise. Plus
significatif encore est le taux de suggestions sur les primes de rendement qui
atteint 50 % dans la tranche des entreprises de 200 à
500 salariés pour grimper à 65 % dans celle de plus de
mille. Ce taux élevé signifie que les comités d'entreprise
ont dès le début souhaité être associés aux
directions d'entreprise pour élaborer le calcul des primes de
rendement212(*). Cette possibilité donnée aux
travailleurs de discuter sur les questions de salaires qui étaient
méconnues sous l'empire des comités sociaux d'entreprise et de
l'ordonnance de 1945 existaient déjà au Val.
À la vue des similitudes entre les institutions du Val
et les Comités d'entreprise, ne sommes-nous pas fondés à
croire que l'usine chrétienne est bien l'ancêtre des
comités d'entreprise ?
CONCLUSION
L'enquête sur les Comités d'entreprise
réalisée par la Direction de l'animation de la recherche, des
études et des statistiques (DARES) est sans appel : 57 % des
budgets de ces comités est consacré aux activités
festives213(*). Ce chiffre donne la réalité
de ce que sont devenus les comités d'entreprise près de
70 ans après leur création. L'attachement des travailleurs
aux comités d'entreprise est lié aux oeuvres socioculturelles, ce
qui brouille les missions économiques de cette institution. La plupart
des élus dénoncent l'attentisme de ces travailleurs qu'ils
qualifient de « consommateurs » sur le plan des
attributions économique des CE. Cette situation peut-elle nous
étonner ? La réponse négative semble s'affirmer.
Historiquement, le comité d'entreprise s'est construit
par la volonté patronale puis par la volonté patronale
alliée aux autorités Étatiques autour de deux
piliers : la coopération et les oeuvres sociales.
La coopération s'est construite au Val au
XIXe siècle contre l'idéologie de la lutte des
classes et dans une perspective de lutte contre le socialisme. C'est cet esprit
qui est repris dans les comités sociaux d'entreprise puis dans les
comités d'entreprise à la Libération.
Les oeuvres sociales avaient quant à elles au
XIXe siècle, un but purement paternaliste et
répondant au désir du patron de maintenir les travailleurs
« éternels nomades ». Elles répondaient aussi
au souci de certains patrons de remédier au paupérisme né
des excès de l'industrialisation. Au XXe siècle,
elles répondent à un souci de remédier au chaos
économique né de la Seconde Guerre mondiale.
Aujourd'hui la lutte des classes n'est plus à l'ordre
du jour au sein des partis politiques et dans le mouvement ouvrier et
l'influence syndicale au sein des comités d'entreprise a
considérablement diminué214(*). Dans ces
conditions comment s'étonner du déclin de l'aspect
économique, de la participation des travailleurs à la bonne
marche de l'entreprise.
Par ailleurs dans une société où les
conditions des travailleurs se sont plus qu'améliorées, où
les besoins primaires de ceux-ci sont satisfaits et où ils ne subissent
plus les affres du paupérisme, les souffrances de la guerre, des
pénuries, il est clair que le rôle des oeuvres sociales des CE
allaient connaitre une certaine évolution. Les besoins à
satisfaire vont se déporter des besoins primaires auparavant satisfaits
aux besoins de loisirs actuellement à satisfaire.
Par ailleurs dans une économie financiarisée au
sein de laquelle, les licenciements ont pour but de favoriser le retour sur
investissement des actionnaires, une question se pose : les comités
d'entreprise doivent-ils se cantonner dans leur rôle de sentinelle qui
donne l'expression d'une collectivité de travailleurs lorsque joue la
menace sur l'emploi ?
Ne doivent-elles pas retrouver leur aspect de
coopération technique pour accroitre la compétitivité, la
productivité des entreprises afin de proposer aux consommateurs des
produits de qualité dans une économie mondialisée et ultra
concurrentielle ?
BIBLIOGRAPHIE
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Législation
§ Loi du 22 mars 1841 relative au travail des
enfants employés dans les manufactures, usines ou ateliers.
§ Loi du 4 octobre 1941 relative à
l'organisation sociale des professions dite Charte du Travail.
§ Ordonnance du 22 février 1945 portant
création des comités d'entreprise.
§ Loi du 16 mai 1946 relative au Comité
d'entreprise.
TABLE DES MATIÈRES
Sommaire
4
Liste des abréviations et des sigles
5
INTRODUCTION
6
PARTIE I. LÉON HARMEL : UNE VISION
MARQUÉE PAR SES VALEURS CHRÉTIENNES
10
CHAPITRE I. UNE VISION INCLASSABLE, « NI
LIBÉRAL, NI SOCIALISTE »
12
Section I. Une pensée antilibérale
justifiée par sa vision réactionnaire
12
§ 1. Le libéralisme, à la base de la
destruction de la corporation
12
A. Un modèle d'inspiration : la corporation, un
cadre de paix sociale
13
B. Un constat de départ : les
conséquences désastreuses de l'abolition des corporations
14
§ 2. Les méfaits de l'industrialisation,
fruit des idées libérales
15
A. L'industrialisation cause principale du
prolétariat industriel
16
B. Le prolétariat industriel, cause principale de la
décadence morale des ouvriers industriels
19
Section II. Une pensée antisocialiste
justifiée par l'adhésion de Léon Harmel aux idées
du catholicisme social
21
§ 1. Le socialisme : un courant
révolutionnaire dangereux pour l'harmonie sociale
21
A. Le socialisme, promoteur de la lutte des classes
21
B. Le socialisme, cause de la violence en milieu ouvrier
23
§ 2. Le socialisme : une sérieuse
menace contre l'Église
24
A. Le socialisme : un courant qui diffuse de
l'athéisme en milieu ouvrier
25
B. Le socialisme : un courant anticlérical
virulent propagé en milieu ouvrier
27
CHAPITRE II. UNE VISION MANIFESTÉE PAR DES
oeUVRES : LA CORPORATION CHRÉTIENNE ET LA DÉMOCRATIE
CHRÉTIENNE
29
Section I. La corporation chrétienne : une
idée d'Harmel contre les excès du libéralisme
29
§ 1. L'amélioration des conditions de vie
des ouvriers par la corporation chrétienne
29
A. L'octroi d'un juste salaire à l'ouvrier
29
B. Un désir ardent de maintenir l'ouvrier dans
l'emploi
32
§ 2. L'amélioration des conditions de
travail des ouvriers par la corporation Chrétienne
34
A. Le cadre de travail au Val : une oasis de
tranquillité
34
B. La durée de travail au val : une oeuvre
progressiste de Léon Harmel
36
Section II. La démocratie chrétienne : le
remède antisocialiste de Léon Harmel au mouvement ouvrier
38
§ 1. Une tentative pour dynamiser le catholicisme
social en perte de vitesse
38
A. Un constat : la perte de vitesse de l'oeuvre des
cercles catholiques ouvriers
39
B. Un objectif : aborder une approche nouvelle face au
mouvement ouvrier
40
§ 2. Un mouvement pour lutter contre le socialisme
42
A. Une lutte contre les idées socialistes dans les
cercles chrétiens d'études sociales
43
B. Une lutte sur le plan politique depuis le Ralliement
45
PARTIE II. LE CONSEIL DE L'USINE CHRÉTIENNE,
MODELÉ D'INSPIRATION POUR LE COMITÉ D'ENTREPRISE
47
CHAPITRE I. LE CONSEIL D'USINE, UNE INNOVATION DE
LÉON HARMEL REFONDANT LE PATERNALISME CLASSIQUE
49
Section I. Le conseil D'usine, une représentation du
paternalisme dans la gestion des oeuvres sociales et culturelles
49
§ 1. La gestion des oeuvres sociales au Val :
un rempart contre l'instabilité de la main d'oeuvre
49
A. Les oeuvres d'investissement social : une garantie
de l'accès à des périodes désirées de la vie
50
B. Les oeuvres d'indemnisation sociale : une garantie
face aux aléas de la vie
51
§ 2. La gestion des oeuvres culturelles du
val : une politique pour moraliser la main d'oeuvre ouvrière
52
A. Les associations fondamentales pour obtenir la pratique
religieuse des ouvriers
52
B. Les sociétés de préservation de la
morale pour préserver le Val d'influences délétères
53
Section II. Le conseil d'usine, modèle participatif
ignoré du paternalisme classique
54
§ 1. Un pas vers la démocratie dans l'usine
par le biais du conseil d'usine
54
A. Le conseil d'usine : un instrument précurseur
de représentation du personnel
55
B. Le conseil d'usine : un cadre de dialogue social
56
§ 2. La participation des travailleurs à la
direction de l'usine
57
A. Une participation active sur les questions
disciplinaires, d'hygiène et de sécurité au travail
57
B. Une participation fructueuse sur les questions de
technique de travail
58
CHAPITRE II. L'USINE CHRÉTIENNE, MODÈLE
PRINCIPAL D'INSPIRATION POUR LES COMITÉS SOCIAUX D'ENTREPRISE PUIS POUR
LES COMITÉS D'ENTREPRISE
60
Section I. Les comites sociaux d'entreprise : une
reprise du modèle de l'usine chrétienne
60
§ 1. La reprise partielle du modèle
corporatif de l'usine chrétienne
60
A. Le fondement de cette reprise : la pensée
réactionnaire de Pétain
60
B. Les manifestations pratiques de cette reprise : la
charte du travail de 1941
62
§ 2. La reprise quasi identique du modèle
paternaliste de l'usine chrétienne
63
A. Le fondement de cette reprise : l'incapacité
financière de l'État dans le domaine social
63
B. Les manifestations pratiques de ce modèle
paternaliste : « les comités patates »
64
Section II. Les comités d'entreprise : la
reprise du modèle de l'usine chrétienne, véritable
compromis sociale
65
§ 1. Les modèles envisagés à
la libération
66
A. Le modèle du Val : un modèle assis sur
les deux piliers des futurs comités d'entreprise
66
B. Le programme du Conseil national de la Résistance
(CNR) : un modèle trop ambitieux
67
§ 2. Le modèle retenu par l'ordonnance
de 1945 et la loi de 1946
68
A. Le modèle « gaullien »
manifesté par l'ordonnance du 22 février 1945 : un
modèle non consensuel
68
B. Le modèle retenu par la loi du 16 mai
1946 : un modèle abouti posant les bases des Comités
d'entreprise actuels
70
1. Un modèle très abouti en matière de
représentation du personnel
70
2. Un modèle participatif, réaliste et
productif déjà appliqué au Val
71
CONCLUSION
73
BIBLIOGRAPHIE
76
Ouvrages
77
Articles de revues et contributions à des ouvrages
collectifs
79
Articles de presse
80
Encycliques
80
Législation
80
TABLE DES MATIÈRES
82
* 1 Code du travail, Éditions Litec,
2001.
* 2 LE CROM
(J.-P.), « Comités d'organisations ou comités
sociaux : où l'introuvable interpénétration de
l'économique et du social », in acte du colloque d'avril 2003,
Caen.
* 3 LE GOFF
(J.), « Quelle histoire pour le Droit du
travail ? », Revue de droit du travail, 2013,
p. 599.
* 4
BERTOU(M.), COHEN (M.), et MAGNIADAS (J.), Regards sur
les CE à l'étape de
la cinquantaine, Montreuil, VO éditions, s.d. [1995],
extraits du quatrième de couverture.
* 5 LE CROM
(J.-P.), L'introuvable démocratie salariale : le droit de la
représentation du personnel de l'entreprise (1890-2002), Paris,
Syllepse, 2003, p. 11.
* 6
Ibid.
* 7 Ibid.
P.19.
* 8 HARMEL
(L.), Manuel de corporation chrétienne, Tours, Alfred Mame et
Fils, 1877, p. 167.
* 9
Ibid.
* 10 HORNE
(J.), Le musée social : Aux origines de l'État
Providence, Belin, 2004, p. 74.
* 11 LE
PLAY (F.), La reforme sociale en France, Tours, Alfred Mame et Fils,
1874, p. 46.
* 12 BIGOT
(P.), La doctrine sociale de l'Église, Paris, PUF, 1964,
p. 111.
* 13
Ibid.
* 14
VERKINDT (P.-Y.), « Sécurité professionnelle,
Sécurité sociale, sécurité sociale
professionnelle : Quelques gammes autour de trois expressions »,
Droit social, 2011, p. 1300.
* 15
SIEGFRIED, HENRY (K.), Neymark, Société des Industriels, Les
retraites ouvrières et la mutualité, Paris, Librairie
Guillaumin et Cie, 1905, p. 91.
* 16 LE
PLAY (F.), op. cit., p. 47.
* 17 HORNE
(J.), op cit., p. 37.
* 18
FUSTER, L'évolution de l'assurance ouvrière,
p. 388.
* 19
BIGOT(P.), op cit., p. 126.
* 20
HARMEL (L.), Manuel de corporation Chrétienne, p. 190.
* 21
HARMEL (L.), ibid., p. 36.
* 22
HARMEL (L.), ibid., p. 191.
* 23
Cité in Manuel de corporation chrétienne.
* 24 HORNE
(J.), op. cit., p. 39
* 25
Définition tirée du dictionnaire du Centre National des
Ressources Textuelles et Lexicales.
* 26
Cité in Le Musée social : aux origines de l'État
Providence, p. 77.
* 27
AIDELF, Croissance démographique et urbanisation : Politiques
de peuplement et aménagement du territoire, Paris, PUF, 1993,
p. 8.
* 28
BURIDAN (J.), FIGLIUZZI (A.), MONTOUSSÉ (M.), Histoire des faits
économiques, Paris, Bréal, 2007, p. 73.
* 29
CLAIRE (F.), Histoire sociale du XIXe siècle, Paris, Hachette
supérieur, 2001, p. 19.
* 30
NOIRIEL (G.), Les ouvriers dans la société
française : XIX-XXe siècle, Paris, Points, 2002,
p. 14.
* 31
Ibid.
* 32
BOURILLON (F.), Les villes en France au XIXe, Paris,
Synthèse Histoire, 1992, p. 7.
* 33
GUÉRIN ET BONAMY, Nantes au XIXe siècle,
p. 292-296.
* 34
CASTEL (R.), L'insécurité sociale : qu'est ce
qu'être protégé, Paris, Éditions du Seuil,
2003, p. 29.
* 35
NOIRIEL (G.), op. cit., p. 7.
* 36
Ibid.
* 37
NOIRIEL (G.), op. cit., p. 25.
* 38 HORNE
(J.), op. cit., p. 36.
* 39
HARMEL (L.), Manuel d'une corporation chrétienne, p. 7.
* 40
TRIMOUILLE (P.), op. cit., p. 30.
* 41
HARMEL (L.), Catéchisme du patron, Paris, Bureau du journal La
Corporation, 1889, p. 57.
* 42
NOIRIEL (G.), op. cit., p. 101.
* 43
CARROUÉ (L.), COLLET (D.) et RUIZ(R.), Les mutations de
l'économie mondiale du début du XXe siècle aux
années 1970, Rosny-Sous-Bois, Bréal, 2005, p. 69.
* 44
Fréderic LE PLAY cité in TRIMOUILLE (P.), Léon Harmel
et l'usine chrétienne du Val-des-Bois, Lyon, Centre d'histoire du
Catholicisme de Lyon, 1974, p. 20.
* 45
Rerum Novarum, 1891, p. 5.
* 46
MONTARON (G.), CLÉMENT (M.) Le socialisme : dialogue entre
Georges Montaron et Marcel Clément, Paris, Beauchesne, 1969
p. 42.
* 47
HARMEL (L.) Manuel d'une corporation chrétienne,
p. 192.
* 48
HARMEL (L.), Lettres de Léon Harmel à ses enfants. Voyage
à Rome, février 1899, Chambéry, Imprimerie
générale de Savoie, 1899, p. 29.
* 49
KAUTSKY (K.), Les trois sources du marxisme, s.l. Starebooks, 1908,
p. 18.
* 50
BOUGLÉ (C.), La sociologie de Proudhon, Paris, Armand Colin,
2011, p. 173.
* 51
PORTIS (L.) Les classes sociales en France : un débat
inachevé 1789-1989, Paris, Les Éditions Ouvrières,
1988, p. 93.
* 52
MALBRANQUE, Le socialisme en chemise brune, Paris, collectif la main
invisible, 2012, p. 200.
* 53 MARX
(K.) et ENGELS (F.), Le manifeste communiste, p. 13-14.
* 54
BERGOUNIOUX (A.), COHEN (D.), Le socialisme à l'épreuve du
capitalisme, Paris, Librairie Arthème Fayard, 2012, p. 10.
* 55
SOUVESTRE(E.), Confession d'un ouvrier, p. 160.
* 56
NÉMETH (A.), la commune de Paris, Paris, l'harmattan, 2011,
p. 242.
* 57
ROUGERIE (J.), Simone Delattre, Les Douze heures noires. La nuit à
Paris au XIXe siècle, Paris, Albin Michel, 2000, 679 p.
* 58 SIROT
(S.), La grève en France : une histoire sociale (XIXe-XXe
siècle), Paris, Odile Jacob, 2002, 306 p.
* 59
Société d'Histoire de la révolution de 1848 et des
révolutions du XIXe, Le XIXe Siècle et la
révolution française, Paris, Creaphis, 1992, p. 362.
* 60
NATANSON (J.-J.), La mort de Dieu : essai sur l'athéisme
moderne, Paris, Puf, 1975, p. 30.
* 61
DUPANLOUP (F.), L'athéisme et le péril social, Paris, Charles
Douil, 1866, p. 150.
* 62
FRAPET (D.), Le socialisme selon Blum, Nonette, Éditions
Créer, 2003, p. 53.
* 63 Marx
cité in L'esprit de scission, p. 77.
* 64
HARMEL (L.), Lettres de Léon Harmel à ses enfants,
p. 33.
* 65
DUPANLOUP (F.), L'athéisme et le péril social, Paris,
Charles Douil, 1866, p. 150.
* 66
HARMEL (L.) Lettres de Léon Harmel à ses enfants :
voyage à Rome, février 1899, Chambéry : Impr.
générale de Savoie, 1899, p. 37.
* 67
BAUBÉROT (J.) (Coll.), BÉDARIDA (F) (éd.), BONNET (S.)
(Éd.), Christianisme et monde ouvrier, Paris :
Éditions ouvrières, 1975, p. 74.
* 68
REMOND(R.), L'anticléricalisme en France de 1815 à nos
jours, Librairie Artème Fayard, p. 10.
* 69
HARMEL (L.), Lettres de Léon Harmel à ses enfants :
voyage à Rome, p. 42.
* 70
Christianisme et monde ouvrier, p. 18.
* 71
Christianisme et monde ouvrier, p. 77.
* 72
DUROSELLE (J-B.), Les débuts du catholicisme social
(1822-1870), Paris, Puf, 1951, p. 653-655.
* 73 Vie
ouvrière du 20 novembre 1909.
* 74 Vie
ouvrière du 20 septembre 1910.
* 75
PIERRARD (P.), La vie ouvrière à Lille sous le second
Empire, Paris, Éditions Charles Corlet, 1991, p. 213.
* 76
HARMEL (L.), op. cit., p. 193.
* 77
LEROY-BEAULIEU (P.), La question ouvrière au XIXe
Siècle, Paris, Charpentier et Cie, 1872, p. 18.
* 78
HARMEL (H.), La démocratie chrétienne, Paris, X.Rondelet
et Cie, 1897, p. 19.
* 79
LEROY-BEAULIEU (P.), op. cit. p. 30.
* 80
PECQUEUR (C.), Économie sociale des intérêts du
commerce de l'industrie, Paris, Desessart, 1839, p. 105.
* 81
Christianisme et monde ouvrier, p. 42.
* 82
HARMEL (L.), Manuel de corporation Chrétienne, p. 21.
* 83
Ibid., p. 251.
* 84 Ibid.
p. 252.
* 85
HARMEL (L.), ibid., p. 253.
* 86
HARMEL (L.), ibid., p. 49.
* 87
TRIMOUILLE(P.), op. cit. p. 115.
* 88
GUESLIN (A.), STICKER (H.-J.), Les maux et les mots : De la
précarité et de l'exclusion en France, Paris, L'harmattan,
2012, p. 29.
* 89
HARMEL (L.), Manuel de corporation chrétienne, p. 245.
* 90
Ibid.
* 91
TRIMOUILLE (P.), ibid., p. 61.
* 92
HARMEL (L.), ibid., p. 48.
* 93
HARMEL (L.), ibid., p. 245.
* 94
HARMEL (L.), ibid., p. 56.
* 95
TRIMOUILLE (P.), ibid., p. 61.
* 96
TRIMOUILLE (P.), ibid, p. 60.
* 97
Ibid.
* 98
Ibid., p. 62.
* 99
PERROT (M.), « De la manufacture à l'usine en
miette », Le mouvement social, N°125, 1983,
p. 3-12.
* 100
BATTAGLIOLA (F.), Histoire du travail des Femmes, Paris, La
Découvertes., p. 8.
* 101
ZANATTO (J.), Simon Parvery ouvrier des fours (1865-1945),
p. 74.
* 102
TRIMOUILLE P., op. cit. p. 77.
* 103
TRIMOUILLE(P.), ibid., p. 75.
* 104
HARMEL (L.), Catéchisme du patron, p. 89.
* 105
BROCAS (A.-M.), DURIEZ (M.), L'évolution des systèmes de
protection sociale : État de la recherche en France et en RFA,
Paris, Cirac, 1992, p. 19.
* 106
TRIMOUILLE (P.), op. cit., p. 52.
* 107
FRIDENSON (P.), Reynaud (B.), La France et le temps de travail
(1814-2004), Paris, Odile Jacob, 2004, p. 8.
* 108
Ibid., p. 10.
* 109
Ibid., p. 25.
* 110
HARMEL (L.), catéchisme d'un patron, p. 66.
* 111
HARMEL (L.), Manuel de Corporation chrétienne, p. 41.
* 112
TRIMOUILLE (P.), op. cit. p. 76.
* 113
Ibid.
* 114
DUBOST (M.), LALANNE (S.), Le nouveau Theo : livre III, l'histoire de
l'Église, Paris, Mame, 2009, p. 86.
* 115
Christianisme et monde ouvrier, p. 267.
* 116
GALLAND (O.), LOUIS (M-L.), Jeunes en transit : l'aventure
ambigüe des foyers de jeunes travailleurs, Paris, Paris, Les
Éditions Ouvrières, Economie et humanisme, 1984, p. 19.
* 117
FAYET-SCRIBE(S.), Associations féminines et catholicisme :
XIXe-XXe siècle, Paris, Les Éditions ouvrières, 1990,
p. 73.
* 118
Christianisme et monde ouvrier, p. 234.
* 119
FAYET-SCRIBE (S.), ibid., p. 73.
* 120
HARMEL (L.) cité in TRIMOUILLE (P.), op. cit., p. 125.
* 121
PARETO (V.), OEuvres complètes tome V : les systèmes
socialistes, Genève, Librairie Droz, 1978, p. 160.
* 122
PARETO (V.), ibid., p. 260.
* 123
HARMEL (L.), La démocratie chrétienne, p. 12.
* 124
HARMEL (L.), La démocratie chrétienne, p. 20.
* 125
HARMEL (L.), Lettre de Léon Harmel a ses enfants : voyage
à Rome, p. 36.
* 126
HARMEL (L.), catéchisme d'un patron, p. 141.
* 127
HARMEL (L.), ibid, p. 142.
* 128
PARETO (V.), op. cit.; p. 259.
* 129
HARMEL (L.), ibid. p. 22.
* 130
DUBOST (M.), LALANNE (S.) op. cit., p. 216
* 131
HARMEL (L.), La démocratie chrétienne, p. 24
* 132
Ibid.
* 133
Ibid.
* 134
Ibid.
* 135
Ibid., p. 27.
* 136
Ibid., p. 36.
* 137
HARMEL (L.), ibid. p. 37.
* 138
TRIMOUILLE (P.), op. cit. p. 84.
* 139
DUBOST (M.), LALANNE (S.) op. cit., p. 218.
* 140
DURAND (J.-D.) L'Europe de la Démocratie chrétienne,
s.l, Éditions Complexe, 1995, p. 328.
* 141 Aux
élections législatives du 13 mai 1848, le
« Parti de l'Ordre, qui réunit tous les conservateurs
(royalistes légitimistes et royalistes orléanistes,
bonapartistes...) autour d'un slogan : Ordre,
Propriété Religion, contre la gauche républicaine qui
a emprunté aux révolutionnaires d'antan le nom de
Montagne », (source Hérodote.net)
* 142
MATTEI (R.), Le ralliement de Léon XIII. L'échec d'un projet
pastoral, Cerf, Paris, 2016, p. 216.
* 143
HARMEL (L.), La démocratie Chrétienne, p. 41.
* 144
Ibid., p. 41.
* 145
MATTEI (R.), ibid.
* 146
MEILLASSOUX (C.), L'oppression paternaliste au Brésil, Paris,
Karthala, s.d. p. 343.
* 147
TABUTEAU (D.), « Topologie des politiques sociales »,
Revue Droit Social, 2012, p. 620.
* 148
HARMEL (L.), Manuel de Corporation chrétienne, p. 82.
* 149
Article 2 de la loi du 22 mars 1841 relative au travail des enfants
employés dans les manufactures, usines ou ateliers.
* 150
HARMEL (L.), ibid., p. 83.
* 151
Ibid.
* 152
TABUTEAU (D.), op. cit.
* 153
HARMEL (L.), ibid. p. 94.
* 154
Ibid., p. 95.
* 155
OGIEN(R.), Mon dîner chez les cannibales, Paris, Grasset, 2016,
p. 144.
* 156
HARMEL (L.), Manuel de corporation chrétienne, p. 11.
* 157
TRIMOUILLE (P.), op. cit., p. 32.
* 158
TRIMOUILLE (P.), op. cit., p. 34.
* 159
Ibid.
* 160
Ibid., p. 38.
* 161
HARMEL (L.), Catéchisme du Patron, p. 94.
* 162
TRIMOUILLE (P.), op. cit., p. 86.
* 163
HARMEL (L.), La démocratie dans l'usine, p. 8.
* 164
TRIMOUILLE (P.), ibid.
* 165
Ibid.
* 166
Ibid., p. 88.
* 167
HARMEL (L.), Le val des Bois, p. 8.
* 168
Article 7 règlement intérieur de l'usine du Val-des-Bois.
* 169
TRIMOUILLE (P.), op. cit., p. 87.
* 170
HARMEL (L.), Manuel de corporation chrétienne, p. 147.
* 171
Ibid.
* 172
BONNEFF (L.) et (M.), La vie tragique des travailleurs, Paris, E.D.I.,
1984, p. 20.
* 173
TRIMOUILLE (P.), op. cit., p. 82.
* 174
Harmel frères filateurs, 1900, p. 26.
* 175
Brochure du Val de 1900, p. 26-27.
* 176
ROUSSO (H.), Vichy, l'événement, la mémoire,
l'histoire, Paris, Gallimard, 2001, p. 77.
* 177
PÉTAIN (Ph.), Messages d'outre-tombe du maréchal
Pétain, Paris, Nouvelles Éditions Latines, 1983, p. 34.
* 178
Ibid.
* 179
Ibid. p. 34.
* 180
Ibid.
* 181
Charte du travail, Rapport au maréchal de France, chef de l'État
français, p. 1.
* 182
AMIAUD (A.), « Les précédents des
comités sociaux d'entreprise », Revue de Droit
Social, n° 20, p. 5.
* 183
BÉTHOUART (B.), Le ministère du travail et de la
sécurité sociale : De la libération à la Ve
république, Rennes, PUR, 2006, p. 125.
* 184
DUBOST (N.), Comités d'entreprise, syndicats, patrons : le
grand remue-ménage, Les Éditions de l'Atelier, Paris, 2007,
p. 78.
* 185
PETAIN (Ph.), op. cit., p. 32.
* 186
Ibid., p. 207.
* 187
SCELLE (G.), « Comités d'entreprise et constitutionnalisme
économique », Droit social, 1943, p. 1.
* 188
DAUTHUILLE (M.-A.), « La charte du travail et le problème
de l'entreprise », Droit social, 1943, p. 47.
* 189
CHEVANDIER (C.) (éd.), DAUMAS (J.-C.) (éd.), Travailler dans
les entreprises sous l'occupation, Besançon, Presses Universitaire
de Franche-Comté, 2007, p. 201.
* 190
AMIAUD (A.), op. cit.
* 191
SCELLE (G.), op. cit.
* 192
Ibid.
* 193
COLAS (J.-P.), « Les réalisations sociales des comités
provisoires d'entreprise », Droit social, 1943,
p. 30.
* 194
Ibid., p. 32.
* 195
Ibid., p. 33.
* 196
Les jours heureux : le programme du CNR de mars 1944,
p. 25.
* 197
CORDIER (D.), Jean Moulin : la République des catacombes,
Paris, Gallimard, 1999, p. 27.
* 198
Ibid.
* 199
ARON (R.), Politique française Articles 1944-1977, Paris,
Éditions de Fallois, 2016, p. 77.
* 200 LE
CROM (J.-P.), L'introuvable démocratie salariale,
p. 37.
* 201
Ordonnance du 22 février 1945, exposé des motifs.
* 202
Le peuple, 10 mars 1945.
* 203
GUESLIN (A.), Les hommes du pneu : les ouvriers Michelin
(1940-1980), Paris, Les Éditions de l'Atelier, 1999,
p. 110.
* 204
Ibid.
* 205
COHEN (M.), Le statut des délégués de personnels et
des membres des comités d'entreprise, Paris, LGDJ, 1964,
p. 47-48.
* 206 LE
CROM (J.-P.), L'introuvable démocratie salariale,
op. cit., p. 47.
* 207
Ibid.
* 208
PETIT (R.), « Une loi nouvelle en matière de comités
d'entreprise : la loi du 16 mai 1946 », Droit social,
décembre 1946, p. 5.
* 209 LE
CROM (J.-P.), L'introuvable démocratie salariale,
op. cit., p. 47.
* 210
PETIT (R.), ibid., p. 10.
* 211
Cité par LE CROM (J.-P.), op. cit., p. 58.
* 212 LE
CROM (J.-P.), L'introuvable démocratie salariale,
op. cit., p. 61.
* 213
IRES/DARES, Les comités d'entreprise : enquête sur les
élus, les activités et les moyens, Paris, Ministère
de l'emploi et de la solidarité : Les Éditions
Ouvrières, 1998, p. 176.
* 214
AFFILÉ (B.), GENTIL (C.) et RIMBERT (F.), Les grandes questions
sociales et contemporaines, Paris, L'etudiant, 2010, p. 97.