La fiscalité minière des exploitations artisanales: cas de la cassitérite et du coltan au nord Kivu et au sud Kivu( Télécharger le fichier original )par Desso KANINGINI WAKUSOMBA Université pédagogique nationale - DEA 0000 |
IV.3 L'évaluation du rendement de l'artisanat minier.« ...l'extraction artisanale des minerais ne contribue donc pas pleinement aux recettes nationales et à la croissance économique. »100(*) C'est là le refrain concluant la plupart de travaux de recherche et repris dans différentes déclarations et analyses des politiques congolais. Nous l'avons d'ailleurs noté dans l'état de la question en reprenant ce passage du journal ACP n° 2186 où il est dit que la République Démocratique du Congo ne jouit pas de recettes de l'exploitation artisanale de son sous-sol. Cela signifierait que le rendement de l'exploitation artisanale des minerais est insignifiant ou même inexistant. Patrick Martineau renchérit en disant que `...la RDC ne semble pas profiter réellement du coltan et détient peu de pouvoir sur ce marché, outre le fait d'être un important pourvoyeur. ...En somme, le coltan ne semble pas avoir profité ni au gouvernement congolais, ni à ses populations'.101(*) Mais ces propos ne sont pas seulement évoqués pour la production artisanale, cela étant vrai également pour les autres types d'exploitation. En effet, dans une étude du Centre d'Etudes, Documentation et Animation Civique (CEDAC, 2009), il est stipulé que `la grande majorité des contrats d'exploitation des ressources minières et autres signés par le Congo et les opérateurs internes et externes sont léonins ; ils ont été octroyés sur fond des commissions et de bradage des intérêts nationaux'.102(*) La conséquence est que les bénéfices tirés par l'Etat sont modiques selon que l'a affirmé d'ailleurs le Chef de l'Etat ; nous citons : « la nouvelle approche du développement minier doit mettre un terme au paradoxe que représente, d'une part, un énorme potentiel minier, une activité minière de plus en plus intense et, d'autre part, la modicité des bénéfices que l'Etat en tire avec une conséquence négative sur l'amélioration des conditions de vie de nos populations ».103(*) Le 04 juillet 2013, l'ambassadeur des Etats Unis en RDC est revenu sur la même rhétorique affirmant que « ..., les minerais et les autres richesses naturelles (de la RDC) contrastent avec les souffrances humaines qui sont malheureusement trop fréquentes à travers le pays; ... les richesses naturelles incroyables de ce pays n'auront, au bout du compte, une signification que si elles sont utilisées pour améliorer le bien-être du peuple congolais... »104(*) Parlant donc des minerais d'exploitation artisanale, il faudrait voir quelle approche considérée lorsqu'il s'agit d'évoquer sa rentabilité ou son rendement. Soit qu'il faut en mesurer l'ampleur en fonction des recettes réelles enregistrées par le Trésor Public, soit prendre en compte ses retombées réelles et vérifiables dans le système économique ou encore dans la situation ou le mode de vie des populations de la région. La différence à ce niveau viendrait de la considération entre approche de « règles » et approche « d'adaptation » (ou de discrétion). Quand il est annoncé à l'avance la manière dont les activités doivent être menées à divers échelons et que l'on tient à le faire respecter quoi qu'il advienne, on ne considère comme rendement que les situations enregistrées et les recettes qu'elles produisent (approche de règles). Et dans ce cas, il est réel de parler de modicité des recettes de l'Etat et, par ricochet, d'absence de la nécessité de l'exploitation en question. Or, c'est cette approche qui est prise en compte par différents chercheurs et analystes qui se penchent sur les retombées de l'exploitation artisanale des minerais dans les Kivu ainsi que, par les politiques. Mais si les décideurs étaient toujours intelligents et soucieux du bien-être des populations, il y aurait lieu de mettre en place des dispositions d'adaptation à l'environnement et ainsi parvenir à la modification des règles et conditions économiques. Ainsi, tenir compte de l'apport de l'exploitation artisanale en évaluant exactement les véritables retombées sur terrain peut faire réfléchir plus d'un en démontrant que ladite exploitation pourrait avoir un rendement. Nous savons qu'un circuit économique part de la production jusqu'à la distribution des revenus. Dans un circuit économique où il n'y a pas de redistribution, il est aberrant de parler de rendement bien qu'il peut nous être rétorqué qu'il n'y a pas moyen de redistribuer ce qui n'a pas été encaissé au préalable. Vu sous cet angle, nous disons que l'Etat congolais récolte ce que sa politique permet de recueillir. Notre étude voudrait plutôt évaluer les potentialités que représente ce secteur d'activité ; son apport réel dans le circuit économique et dans la vie quotidienne des citoyens, ce que cela peut avoir changé positivement ou non. Nous voudrions aussi essayer de comprendre si l'exploitation en question peut être mesurable ou comparable à celle de la période au cours de laquelle les sociétés bien structurées s'occupaient de la production des mêmes minerais dans le même espace. Nous notons de prime abord cette déclaration d'un officiel du Nord-Kivu qui dit que « la quasi-totalité des rentrées de devises, je dirais de 80 à 90%, sont générées par l'exploitation et le commerce des minerais ».105(*) Quel contraste ! Pendant que l'on clame partout que l'exploitation artisanale des minerais ne rapporte rien à l'Etat, ce responsable expérimenté du secteur a osé dire le contraire. Il n'est pas le seul. Nous notons, à titre d'exemple, ces déclarations reprises dans la revue Regards croisés n° 30 de Pole Institute qui confirment cette position. « ...le secteur minier participe aux recettes de la province du Nord-Kivu pour 2 millions de dollars américains même si, précise-t-on, seulement 800.000 arrivent dans les caisses de l'Etat ; le volume des transactions est de plus de 20 millions de dollars par jour. Pour Primo Rudahigwa, chercheur et journaliste, il est admis que les recettes de l'exploitation minière du Nord-Kivu représentent une assiette importante de 2/3 de revenus officiels. Ces recettes proviennent non seulement de l'exploitation minière mais aussi des services connexes tels que le transport aérien des minerais et le commerce des produits vivriers et manufacturés... C'est grâce à ce pactole que le gouvernement provincial s'acquittait de ses obligations, notamment la paie des agents sous sa gestion. Et dès que cette source s'est asséchée, on a constaté des mouvements de grogne ... »106(*) Si on considère en outre que les rentrées de devises dont il est question ci-dessus ne concernent que les quelques exportations officielles, il y a lieu de commencer à se poser certaines questions et à reconsidérer certaines positions, déclarations et analyses. La ville de Goma a été rasée par le volcan en 2001. Maisons d'habitation et commerce ont été calcinés. Mais, sans intervention du gouvernement ni d'institutions internationales, cette ville a été reconstruite, plus belle qu'avant et le commerce y est plus florissant qu'avant. Cette ville s'est reconstruite elle-même grâce en grande partie au commerce (illicite ?) de minerais et ; le dynamisme économique qui y est constaté est lié à cela. De 2000 à 2003, il a été dénombré plus de 1000 villas cossues construites à Bukavu et un développement inimaginable du commerce d'import-export dans toute la province sans financement de quelques institutions que ce soient, et en plus, après des pillages et saccages indescriptibles du fait de la rébellion de 1998. Ce mouvement continue jusqu'à ce jour et est l'oeuvre de l'exploitation artisanale de minerais. L'exploitation de minerais a généré beaucoup d'emplois et suscité une formation de capital dont se targuent beaucoup d'hommes d'affaires aujourd'hui. Il suffit de faire un tour par les différentes agglomérations de ces deux provinces quand les activités minières sont en berne pour comprendre que la vie tourne au rythme desdites activités. Quand elles sont en pleine effervescence, que Kinshasa existe ou pas, la vie est palpable et tout marche comme il faut. Les enquêteurs de la Banque mondiale le reconnaissent et relèvent que « le secteur minier artisanal et à petite échelle est le segment le plus important de l'industrie minière, non seulement parce qu'il produit le volume le plus important de substances minérales, mais aussi en raison du nombre de personnes qui en dépendent. Il s'agit d'environ 8 à 10 millions de personnes, soit 14 à 16 % de la population de la RDC, qui exploitent directement les mines ou vivent de l'exploitation minière artisanale »107(*). Il est donc difficile de calculer ou mesurer le rendement dans cette situation avec des considérations économétriques, mais il sied d'observer le court réel de la vie pour en appréhender le véritable rendement. L'apport réel de l'activité minière est donc observable au travers de la croissance notable dans certains secteurs de la vie économique et sociale. Cela est indéniable en dépit du fait que l'essentiel des mouvements du secteur relève du ressort de l'informel ; ou mieux, du frauduleux. Le bâtiment a connu une croissance et une modernisation appréciables, les communications ont été améliorées (véhicules, téléphonie, ...), le commerce s'est accru ... Et dès que l'on observe un blocage dans l'activité, c'est le contraire qui se manifeste : le commerce décroit, le chômage revient au galop et les gens vont jusqu'à revendre biens meubles et immeubles, ... Cela est relayé par d'autres chercheurs indépendants à l'instar de Véronique Isenmann, coopérante volontaire de Eirene Suisse auprès de Pole Institute qui, participant à la réunion de la Table de concertation permanente sur les enjeux du secteur minier le 16 mars 2011, a carrément tranché par une observation pertinente en ces termes : « quand les mines ferment, plus personne ne mange à sa faim. Quand les mines ferment, les creuseurs artisanaux creusent leur tombe... Des évidences qui crèvent les yeux mais dont la lueur n'a pas effleuré des décideurs qui, six mois durant, ont arrêté une économie dont dépendent des milliers d'hommes et des femmes. Et le document de continuer que s'il fallait tenir compte du fait que ces minerais ne profitent guère aux populations congolaises en termes de réduction de la pauvreté, toutes les carrières du Katanga et du grand Kasaï auraient dû être fermées ». 108(*) Certaines études reconnaissent de même l'importance du rendement de l'exploitation artisanale. Dans `Etude Promines' de Pact, nous lisons : « l'exploitation minière artisanale en RDC est un grand commerce. Il y a des fonds importants impliqués dedans. Il est très facile pour les commerçants, les entreprises, ... de générer d'importantes sommes d'argent par le contrôle des aspects de la production et du commerce des minerais ».109(*) On devrait en outre analyser la potentialité que représente cette exploitation, en la comparant à la production de l'époque où l'exploitation était formelle pour dégager l'importance ou non de son encadrement. En effet, pendant la période coloniale et bien longtemps après l'indépendance, les sociétés minières avaient un impact réel sur la vie socio-économique dans le Kivu. Et comme dit Didier de Failly, « ces entreprises minières ont véritablement marqué les paysages physiques et sociaux et modelé même une culture : le Kivu connaissait l'équivalent des « mangeurs de cuivre » de la Copperbelt ou des « gueules noires » des charbonnages en Europe ».110(*) L'exploitation minière industrielle au cours, par exemple de la période de 1960 - 1990 a été le domaine quasi exclusif de la société SOMINKI (et de ses prédécesseuses) sur toute l'étendue du Kivu et de la société Tenke Fungurume au Nord-Katanga. Les statistiques totales des exportations du pays montrent que le Colombo-Tantalite a toujours été produit et exporté par la RDC, à côté de la cassitérite dont il est l'accompagnateur. Les statistiques de production de cette époque pourraient ainsi être comparées à celles des périodes qui ont suivi où l'exploitation est passée du type industriel au type artisanal pour évaluer si, dans les meilleures conditions, le type actuel d'exploitation peut être considéré comme à potentiel rentable. Tableau n° 8 : Evolution de la production de la cassitérite, du coltan et du wolframite de 1968 à 1991 (en tonnes)111(*)
Source : Mutabazi Ngaoyeka et al, rapport de recherche n° 1 SARW La période qui a suivi correspond à celle de l'effondrement de l'exploitation industrielle et de l'émergence d'une exploitation artisanale et informelle. Pour cette période les statistiques d'exportation du Nord et du Sud-Kivu se présentent comme suit112(*) : Tableau n° 9 : Evolution des exportations de la cassitérite du Nord et du Sud-Kivu de 1999 à 2006 (en tonnes)
Source : Mutabazi Ngaboyeka et al, rapport de recherche n°1 de SARW Tableau n° 10 : Evolution des exportations du coltan du Nord-Kivu et du Sud-Kivu de 1999 à 2006 (en tonnes).
Source : Mutabazi Ngaboyeka et al, rapport de recherche n°1 de SARW On constate, en analysant les éléments des différents tableaux que la faillite du secteur industriel semble avoir plutôt favorisé l'augmentation de la production (paradoxe) pendant la période où n'a prévalu que l'artisanat minier (doublé de guerres de pillage). Cela est d'autant plus flagrant qu'il s'agit là des statistiques se rapportant à deux provinces et non à tout le pays ; de même qu'il ne s'agit que des statistiques officielles. Quand du Congo de Kasa-Vubu au Zaïre de Mobutu on ne produisait industriellement que 4600 T de cassitérite et 82 tonnes de coltan en moyenne chaque année, l'artisanat minier de la période des rébellions a produit, pour seulement le Nord et le Sud-Kivu, près de 3500 T de cassitérite (soit 75% du total du pays) et 256 T de coltan (soit 312% du total du pays). Il apparait sans contexte que la faillite du secteur industriel au Sud-Kivu a donc plutôt augmenté la production (grand paradoxe) pendant la période d'exploitation exclusive d'artisanat minier. Considérons de même les éléments des situations officielles des exportations après la période des rébellions. Tableau n° 11 : Evolution des exportations de la cassitérite du Nord-Kivu et du Sud-Kivu de 2005 à 2012 (en tonnes)
source: OCC Bukavu et OCC Goma Tableau n° 12 : Evolution des exportations du coltan du Nord et Sud-Kivu pour la période de 2005 à 2012 (tonnes).
Source : OCC Bukavu et Goma On remarque que les moyennes d'exportation de cette période sont de loin supérieures à celles de la période 1960-1990 avec 8050 T de cassitérite et 268 T de coltan par an seulement pour les deux provinces du Nord et du Sud Kivu. Ces moyennes dépassent de même celles de la période des rébellions surtout pour ce qui concerne la cassitérite. Cela prouve au moins que la production de ces minerais est en plein essor. Toutefois il est de même difficile d'évaluer financièrement la vente desdits produits pour dégager si actuellement leur exportation rapporte plus qu'à l'époque coloniale et dans les années qui ont suivi l'indépendance de la RDC. Toutefois, toutes choses restant égales par ailleurs, avec une production qui est passée du simple au double on ne peut croire que l'activité rapporte aujourd'hui plus que dans la période sus évoquée. L'usage de ces produits s'étant étendu depuis quelques décennies avec le développement de l'électronique, il ne fait aucun doute que son commerce doit rapporter plus. On peut tout de même noter les valeurs officielles d'exportations effectuées, et constater qu'il y a lieu de donner toute son importance à cette activité. Tableau n° 13 : Valeurs officielles des exportations 2005-2012
Source : compilation données OCC Nord et Sud-Kivu. Nous remarquons que la hauteur des chiffres dépend du rythme du marché mondial mais aussi de la gouvernance nationale et internationale. Quand les cours baissent, les valeurs des exportations suivent et vice versa comme entre 2001 et 2004. Certaines décisions politiques ont également un impact. C'est ainsi que l'application de la Loi Dodd Franck, la suspension d'exploitation par le Chef de l'Etat entre 2010 et 2011, la mise en place des exigences d'organismes divers comme l'ITRI ou l'ITIE ont joué sur le niveau de la production et des exportations. En temps normal, les deux provinces sont arrivées à exporter officiellement pour plus de 110 millions US, 130 en 2008. Mises à part les différentes contraintes et tenant compte du fait que tous les analystes sont unanimes qu'au moins 70% des minerais extraits artisanalement passe la frontière en contrebande, on comprend que dans les conditions normales de gouvernance et de fiscalité, la RDC peut vendre pour près de 250 à 350 millions de dollars chaque année. En terme donc de rendement, il y a lieu de dire que, malgré des conditions relativement difficiles et opaques dans lesquelles elles s'opèrent, les exploitations minières artisanales des Kivu peuvent avoir un grand nombre d'apports positifs tant au niveau national que local, familial et individuel. Au niveau des individus et des familles, l'exploitation minière artisanale constitue un complément de ressources. Elle contribue, sinon à améliorer le niveau de vie de beaucoup de personnes, du moins à accroître leurs revenus. Dans le Rapport n° 1 de l'Observatoire de Ressources pour l'Afrique Australe (2008), Mutabazi Ngaboyeka et Nyassa Sanganyi mentionnent que « les creuseurs rapportent que du temps des sociétés minières, jamais un ouvrier n'a eu à percevoir un salaire net de cette hauteur (2,4 à 2,8 usd par jour de travail). Aucun autre travailleur dans ce milieu, quel que soit son niveau de spécialisation ne peut gagner un tel revenu. Ce salaire peut aller jusqu'à 4 ou 6 USD selon les performances du creuseur ».113(*) A l'échelon local, les impacts économiques de ces opérations se traduisent par une activité commerciale plus intense dans les régions concernées. L'accroissement de l'activité commerciale locale induit ainsi un volume plus important de transactions financières aux centres commerciaux des régions considérées. IV.4 Quelle organisation pour une exploitation harmonieuse des minerais de l'artisanat minier? Nous pouvons affirmer que, dans les conditions normales d'exploitation et de commerce, l'exploitation minière artisanale est une activité rentable. Ses effets ont été remarquables sur la vie des citoyens et dans l'expansion de l'activité économique des contrées concernées (en dépit d'autres effets néfastes qui ne font pas l'objet de notre étude). Son exploitation actuelle est, en volume et en valeur, beaucoup plus significative que durant la période coloniale et la période ayant précédé les décennies des guerres et rébellions dans l'Est de notre pays. Les effets induits de cette exploitation sont réels et ont été à la base d'une certaine croissance avérée au sein de l'espace constitué par les deux provinces du Kivu. Les exploitations artisanales offrent, il est vrai, beaucoup de potentialités et peuvent avoir des impacts importants si les conditions sont rendues adéquates. IV.4.1 Constats majeurs de faits. En dépit de ce qui est évoqué ci-dessus, il faut remarquer que l'activité est sujette à des multiples contraintes tant internes qu'externes. -Au niveau externe, la fixation des prix des minerais sur le marché mondial sans réellement tenir compte des conditions d'exploitation autant que les politiques économiques des pays voisins font peser des effets réels et sérieux sur le niveau du commerce interne et même de l'exploitation au quotidien. -Au niveau interne nous observons que le commerce du coltan, de la cassitérite et même d'autres ressources naturelles, est gangrené par la fraude généralisée si pas institutionnalisée. L'essentiel de la production nationale passe nos frontières en contrebande de telle manière que, selon divers avis, l'impact sur les indicateurs du développement n'est pas visible jusque-là. Ce secteur à grand potentiel est ainsi resté informel. -Les raisons avancées et connues de tous demeurent une gouvernance déplorable et une fiscalité insupportable. Le moins que l'on puisse dire est que la gouvernance congolaise du secteur, la taxation appliquée à l'activité et la fraude qui en découlent sont un véritable fléau contre lequel il sied de s'attaquer et lutter ardemment pour y apporter des remèdes efficaces. IV.4.2 Evocation des problèmes et solutions envisageables 1) La Gouvernance. La gouvernance est une notion parfois difficile à délimiter et donc à définir, car entendue de manière diverse et souvent contradictoire. Ce mot renvoie à la mise en place de modes de gestion impliquant la prise de décisions, le pilotage et la régulation de ces décisions, l'organisation et la gestion pratique mais aussi le contrôle de l'exécution correcte des décisions prises. Cela induit aussi bien les outils à utiliser que les acteurs impliqués dans la prise et l'exécution de décisions à différents échelons ainsi que leurs interactions. Dans les sociétés occidentales régies par la démocratie libérale, la gouvernance renvoie aux interactions entre l'Etat, le corps politique et administratif et la société, et donc aussi aux systèmes de lobbysmes et de coalitions d'acteurs publics et privés. Elle peut être bonne ou mauvaise. La bonne gouvernance vise à rendre l'action publique plus efficace et proche du bien public et de l'intérêt général ; et donc, plus légitime. Elle est supposée rendre les sociétés plus facilement ou harmonieusement gouvernables. Elle suppose donc aussi un système qui ne surexploite pas ses ressources et qui soit capable de résilience (notion de développement durable). Pour la Banque mondiale, la gouvernance recouvre les normes, traditions et institutions à travers lesquelles un pays exerce son autorité sur le bien commun, dans une optique de développement. ...La bonne gouvernance recouvre aussi bien la capacité du gouvernement à gérer efficacement ses ressources, à mettre en oeuvre des politiques pertinentes, que le respect des citoyens et de l'Etat pour les institutions, ainsi que l'existence d'un contrôle démocratique sur les agents chargés de l'autorité (Banque mondiale, 1999).114(*) La gouvernance a, comme on le perçoit à travers ces approches, un rôle à jouer dans la vie économique de chaque pays ou institution. Son rôle sur la croissance et le développement économique dépend des institutions mises en place pour répondre aux besoins de plus en plus croissants visant le bien être de tous de manière durable ; à l'instar de celles ayant la charge d'appréhender la force de l'Etat de droit, le degré de corruption dans un pays, le droit de propriété, la qualité des administrations publiques, etc. Aujourd'hui, beaucoup d'éléments prouvent qu'il existe un étroit rapport entre la force des institutions, la rapidité de la croissance économique et l'augmentation des fruits du développement.115(*) Mais, dans des nombreux pays à faible revenu, ces institutions essentielles sont flageolantes quand elles existent, ou seulement totalement absentes. C'est le cas de la RDC. Bien d'institutions existent mais elles ne le sont que de nom. Pour notre part, il y a lieu de noter que le plus grand problème est la faiblesse de l'Etat et de ses institutions caractérisées par l'incapacité très remarquée d'organiser divers secteurs de la vie nationale ; dont le secteur minier. Quant à la perception du rôle de l'Etat, celui-ci se présente plus que jamais uniquement comme percepteur de taxes et redevances, sans offrir en contrepartie l'image du pouvoir structurant, organisateur, réglementant, capable de ristourner une partie de ses revenus dans les domaines de la santé, de la scolarité, de l'infrastructure, etc.116(*) Or, on sait que la transparence et la responsabilité dans la gestion des affaires publiques sont des facteurs indispensables pour la stabilité et le développement intégral d'un pays. Pour notre cas, nous avons observé que la gouvernance est une des raisons essentielles de la fraude et donc du manque de rendement attendu par l'Etat dans le secteur de l'exploitation artisanale de minerais. On peut l'analyser à plusieurs dimensions dont ; la législation en vigueur et les services en charge de la gestion du secteur des mines. Depuis l'année 2002, le secteur minier de la République Démocratique du Congo dont celui de l'artisanat, est régi par le Code Minier qui a été renforcé dès 2003 par le Règlement Minier au titre des mesures d'application. Il ne se pose donc a priori pas un problème de textes législatifs. Le problème est plutôt celui des dysfonctionnements dans l'administration du secteur qui est handicapée par des capacités institutionnelles insuffisantes, l'instabilité politique persistante, la corruption et autres défaillances dans la gestion. Aussi, il y a lieu de noter avec Pole Institute (2005) que toute l'histoire de la RDC et spécialement des règles régissant son économie n'est qu'une succession de lois éphémères et arbitraires, co-existants et se contredisant, appliquées de façon sélective, prétendant pourtant être immuables, éternelles et irrécusables. Le code minier a prévu une feuille de route et des échéances claires. Pourtant, rien de tout cela n'a été fait dans les délais arrêtés. Le Règlement minier a prévu des textes ministériels pour asseoir les impôts, taxes et redevances et bien d'autres obligations des exploitants mais il a fallu attendre beaucoup d'années pour voir édicter des arrêtés reprenant ce qui a été prévu. Il a été prévu une opération de vulgarisation des dispositions légales ci-haut citées. Mais, très peu d'opérateurs ont connaissance des dispositions desdits textes. Le niveau de sensibilisation, de compréhension et de respect de ces conditions légales est extrêmement bas. Des nombreux exploitants n'ont pas les connaissances techniques nécessaires pour observer droitement les règlements. Peu d'exploitants ont les moyens ou le temps d'honorer leurs obligations, ils sont encore moins nombreux ceux qui veulent le faire car ils n'en perçoivent pas la nécessité, les avantages ou que ces clauses ne sont jamais mises en application. Le Code et le Règlement miniers ont prévu les intervenants officiels au sein de la filière ; que cela soit au niveau de la gestion des services et des autorisations qu'au niveau opérationnel. A ce niveau, il y a déjà pléthore de services et de responsabilités. Nous avons ainsi, d'une part le Ministre national des mines, l'Autorité provinciale des mines, le cadastre minier, la direction de géologie, la direction des mines, le département chargé de la protection de l'environnement minier et ; d'autre part, le SAESSCAM, le CTCPM, le CEEC mais aussi tous les autres services publics qui fournissent certaines prestations dans tel ou tel domaine tels la DGDA (ex-OFIDA), l'OCC, le Commerce extérieur, le Gouvernorat de province, etc. D'autres services s'imposent sur terrain du fait effectivement de ce manque de gouvernance adéquate que nous décrions, l'Etat étant le plus souvent géré comme un bien sans maître dans beaucoup de contrées du pays. Ces services s'imposent comme intervenants en dehors de la législation ou se couvrent sous des législations parallèles. C'est le cas de divers services de l'Armée officielle, la Police nationale, les services de sécurité (ANR), le Territoire, le Groupement ou Collectivité, la DGM, ... sans oublier différentes milices. La conséquence de la présence de tous ces services est la tracasserie et le pillage organisé aboutissant à des décaissements supplémentaires exorbitants et injustifiés par les opérateurs économiques. De même, ces différents services agissent sans aucune cohésion de telle sorte qu'il est difficile pour un opérateur normal de comprendre le bien-fondé de leurs interventions. C'est même dans ce contexte qu'ils ne peuvent produire des éléments qui se ressemblent ou se complètent en termes de statistiques. En dehors de la perception de taxes, aucun de ces services ne réalise parfaitement les objectifs pour lesquels il a été mis en place. Les agents de ces différents services sont aussi des fonctionnaires démotivés, sous-payés et sans aucun esprit patriotique quand ils ne sont pas carrément au service des administrations des pays voisins. Toute cette cacophonie est donc la base réelle de l'exploitation informelle que connaissent ces minerais. Au fait, l'activité artisanale d'exploitation minière ne relève pas de l'informel car elle a été établie sur des bases juridiques officielles contrairement à la période avant 1982. De même, il a été établi que les opérateurs économiques exportateurs de minerais de l'artisanat minier, qu'il s'agisse des négociants ou de comptoirs agréés, sont des commerçants à part entière, c'est-à-dire des acteurs du secteur formel enregistré et identifié. Devant l'échec ou l'inadaptation des stratégies de développement orientées vers le maintien et l'essor du secteur formel, le recours à la contrebande devient une alternative de survie et, peut-être, de développement. Les opérateurs évoluant dans le formel posent alors des actes répréhensibles qui relèvent plutôt de la fraude, de l'illégal, du banditisme économique. Ce genre de comportement est qualifié `d'économie souterraine' ou d'activité au noir car accompli en marge de la réglementation. Cela doit être combattu et c'est cela la situation dans cette contrée.117(*) Pour résoudre ces problèmes de gouvernance, plusieurs scénarii peuvent être envisagés selon les cas ; comme : - diffuser et faire respecter la législation sur l'exploitation minière artisanale ; - adapter la loi en prenant effectivement compte des réalités locales étant donné que l'extraction des ressources minérales et les autres domaines de la vie économique et politique sont inséparablement liés (les droits d'exploiter les mines et les droits fonciers sont liés, le commerce des minerais et celui des biens de consommation sont liés également ; les taxes minières et celles relatives à d'autres activités aussi) ; en d'autres mots, harmoniser le droit minier avec d'autres législations nationales relatives à la gestion des ressources naturelles et normaliser la réglementation minière artisanale dans les provinces ; - clarifier et rationaliser les rôles et les responsabilités de tous les services intervenants pour éviter une duplication et des lacunes. Accroître la capacité des agents de l'Etat à jouer leur rôle juridique dans le secteur de l'exploitation minière artisanale et à exclure les acteurs non officiels; - au mieux, mettre en place un guichet unique des services intervenants au sein duquel les actions sur terrain seront coordonnées et harmonisées afin de présenter un seul interlocuteur aux opérateurs et ainsi garantir la fiabilité des actions et des données et, de même, éliminer au maximum les tracasseries ; - rémunérer correctement les agents intervenants (primes comme à la DGI et DGDA) afin de les prémunir contre la corruption car pour ceux qui occupent les postes inférieurs de la hiérarchie administrative, qui n'ont pas perçu leur salaire depuis des mois, percevoir un pot-de-vin est une question de survie; - mettre tout en oeuvre pour réunifier la direction du pays en faisant en sorte que ce soit un même gouvernement qui gère tout le pays jusque dans les coins reculés au lieu d'avoir des mini gouvernements qui ne répondent pas de l'autorité officielle et qui font appliquer leur propre loi sur des étendues certaines du territoire national ; - en urgence, bien gérer les frontières, et donc l'ensemble des mouvements des personnes et des biens. C'est au fait un suicide de croire à une intégration régionale quand on n'a pas encore assuré et maitrisé l'intégration nationale, quand on n'a pas encore implanté le sens de la patrie dans les coeurs et les moeurs des services de douane, des renseignements et de l'immigration (de même que tous les autres services publics). 2) La Révision de la Fiscalité. Nous avons démontré que, et c'est l'avis de tous les chercheurs, analystes et opérateurs de tous bords, que le secteur de l'exploitation artisanale des minerais des provinces du Kivu souffre d'une surcharge fiscale. Des taxes officielles, officieuses et illégales se côtoient et sont perçues à plusieurs niveaux. Pour contourner cette situation, les opérateurs sont poussés à diverses méthodes pour recourir à la fraude et à la contrebande. Il est impérieux de comprendre qu'il y a une redondance du fait d'une fiscalité interne exorbitante et d'une fiscalité externe alléchante. Dans ces conditions, les opérateurs fuient un système de taxation usuraire en interne et tiennent à profiter des ouvertures fiscales offertes par les pays voisins pour maximiser leur gain. Devant cet état de choses, des réflexions doivent être menées par rapport au degré de la taxation interne, d'une part ; et de l'autre, par rapport à l'attrait qu'offrent les fiscalités des pays voisins. Sans tourner autour du pot, en termes de perspectives pour l'avenir, il sied d'envisager une réforme ou une révisitation de la fiscalité interne et une adaptation à la fiscalité environnante en prônant alors une harmonisation fiscale. Il s'agit donc de repenser tout le système de gestion de manière à garantir l'attractivité économique du territoire congolais en ce contexte de mondialisation qui est à l'origine d'une concurrence très forte. Comme l'ont dit Leroy et autres, `il ne suffit pas d'avoir une fiscalité attrayante voire inexistante pour attirer les capitaux, les entreprises et les personnes physiques sur un territoire. Sans sécurité juridique, administrative, matérielle et politique, un Etat ne peut développer son attractivité'118(*)mais la fiscalité est un pan important tant dans la localisation des activités économiques que dans leur gestion quotidienne et leur croissance ou mieux, dans le développement d'une stratégie globale d'attractivité. a) Revoir la fiscalité interne. Bien que l'Etat Congolais a revu à la baisse depuis fin 2008 certains droits sur les minerais d'exploitation artisanale (à la suite de maintes réclamations d'opérateurs économiques du secteur) dont les droits à l'exportation qui sont passés de 5 à 1% de la valeur à l'exportation, la cohorte de droits, taxes et redevances constitue toujours un obstacle majeur au commerce de ces produits. En passant par la contrebande, les comptoirs d'achat qui exportent évitent les droits à l'exportation mais aussi l'impôt sur le bénéfice ; l'argent rapatrié au travers le circuit bancaire des pays voisins rentrant au pays sans emprunter les voies de notre système bancaire. Quand on sait que notre système de contrôle fiscal des comptabilités souffre aussi des mêmes maux, il n'y a pas de possibilité de recouper les informations en rapport avec les ventes réellement effectuées. En usant des mêmes voies, les négociants évitent en plus des droits de sortie et de l'impôt sur le bénéfice, plusieurs autres redevances qui auraient dues être payées du fait de l'intervention de divers services publics. En dehors donc de la mise en place d'une politique de gouvernance tendant à éliminer les tracasseries à tous les niveaux ; la RDC, pour relancer le commerce et encourager ses opérateurs économiques à exporter officiellement à partir de son territoire, ne doit pas avoir honte de revoir sensiblement à la baisse sa taxation. La solution serait de supprimer les droits de sortie et réduire au maximum les autres perceptions tant au niveau national qu'au niveau local. Nous avons remarqué qu'à chaque niveau d'exploitation ou de transaction correspond un type de taxation. Cela justifie qu'il y a lieu de considérer d'abord les propositions d'améliorations éventuelles à chaque niveau avant d'y réfléchir de manière globale. Au niveau des creuseurs artisanaux, la taxe pour carte d'exploitant devrait rester l'unique taxation. Elle serait rétrocédée aux collectivités locales pour éviter que ces dernières n'en rajoutent d'autres. Du fait du caractère non permanent de la qualité d'exploitant artisanal, la perception annuelle s'avère justifiée. D'ailleurs, les taxes payées à ce niveau ne pèsent pas dans le coût du produit devant être exporter. Au niveau des négociants et des comptoirs d'achat, la loi stipule qu'ils doivent être réellement des commerçants ; c'est-à-dire des personnes établies en tant que telles au regard des dispositions règlementaires, relevant du droit commercial et du droit fiscal comme tous les autres commerçants. A ce niveau on comprend qu'il faut supprimer le renouvellement annuel de la caution et de la taxe d'agrément, y compris les frais y relatifs. On pourrait peut-être les soumettre à une taxe unique d'agrément ou caution payable une seule fois à l'ouverture ; à l'instar des frais d'ouverture que payent les établissements des secteurs pharmaceutiques et sanitaires relevant du ministère de la santé publique. Ils resteraient alors redevables de l'impôt sur le bénéfice comme tous les autres opérateurs économiques qu'ils verseraient au moment de la déclaration de leurs revenus annuels. A ce niveau l'Etat devrait alors renforcer son système de contrôle des comptabilités afin de déceler tous les mouvements qui tendraient à dissimuler tout ou partie de l'assiette imposable. Cela est facile à faire si les services commis au suivi de l'exploitation sont mis dans des conditions susceptibles de leur permettre de faire leur travail. Pour ce qui est de redevances liées aux interventions de divers services publics, il est important - dans le cadre d'un guichet unique - de réduire toutes les taxations ou perceptions à 1 ou tout au plus 2% ad valorem à répartir entre les services, dont le gouvernorat de province. Ainsi, on ne retrouverait plus un seul service qui perçoit de l'argent à plusieurs étapes ; comme par exemple pour le service rendu dans un premier temps et pour l'autorisation à donner dans un deuxième temps, qui parait comme une réelle surcharge ou mieux une double taxation. A ce nouveau niveau de taxation, nous estimons que le risque pour l'opérateur économique serait plus grand et plus grave que le gain à percevoir en essayant de passer par la contrebande. Cela est possible et plus rentable pour le pays que de se cacher derrière un souci affiché d'une maximisation de recettes théorique qui, en fait, facilite ou développe la non perception de celles-ci. En dehors de ces aménagements purement fiscaux, d'autres aspects doivent être pris en considération pour rendre bénéfique l'exploitation artisanale. Organiser les petits exploitants miniers (creuseurs) serait ainsi un atout majeur. Etant donné la précarité de leur métier et son bas niveau de rentabilité, étant donné les dangers auxquels ils sont exposés de manière permanente et la pauvreté criante qui caractérise leur vie ; un processus de formalisation de leur activité devrait être envisagé et puis renforcé selon d'ailleurs que le code minier l'avait préconisé. Regrouper les artisans en coopératives minières structurées viserait non seulement la défense de leurs intérêts mais aussi la formation, l'amélioration de leurs conditions de vie de manière générale et l'accès à des petits financements de nature à les aider à orienter le fruit de leurs efforts vers d'autres microprojets. Des projets d'appui aux exploitations minières artisanales pourraient ainsi voir le jour avec comme objectif principal d'identifier et de mettre en place des solutions durables aux problèmes multiformes par une approche intégrée. La mise en place de telles structures permettrait de même à la longue d'envisager la possibilité de fiscaliser ces petits exploitants en récupérant, au travers de leurs structures d'encadrement, par exemple, assez aisément, l'impôt personnel minimum. En effet, l'Etat perd beaucoup de ressources en n'imposant pas plusieurs bases oubliées. Il pourrait ainsi s'appuyer sur des structures formalisées à la base pour impliquer toute la population dans la perception des ressources publiques mais de manière indolore. De même, la mise en place de telles structures, si elles sont bien organisées et appuyées, constitue une façon de répondre à une des priorités des gouvernants qu'est la lutte contre la pauvreté. Cela notamment, en encourageant, à côté du travail de la petite production minière, d'autres activités productives complémentaires auxquelles l'activité minière servira de pont d'encrage. b) La possibilité d'harmonisation fiscale. Comme dit plus haut, on ne peut chercher à harmoniser tant que les dispositions et normes en interne ne peuvent prêter à harmonisation. Il est donc nécessaire de mettre en place un dispositif de telle manière qu'en interne nous demeurons compétitifs pour inquiéter les marchés extérieurs afin de les pousser à vouloir harmoniser avec nous. L'aménagement donc en interne parait incontournable ; sinon, toute tentative de coordination ne serait qu'une « arme fatale » pour l'économie nationale. Au sein des ensembles économiques, la nécessité d'harmonisation se veut inéluctable au moment où il est préconisé la mise en place des zones de libre échange et éventuellement des unions douanières. En 2009 déjà, les ministres des mines des pays membres de la Communauté pour le développement de l'Afrique australe (SADC), ont évalué la possibilité de la convergence aussi bien de leurs politiques que de toutes les normes législatives et réglementaires régissant le cade minier des Etats respectifs. A cette occasion, le ministre congolais (RDC) des mines a appelé les Etats membres à tout mettre en oeuvre pour soutenir l'activité minière par des mesures fiscales courageuses.119(*) Qu'a-t-il entendu par des mesures fiscales courageuses ? Nous ne saurons le dire exactement mais on voit bien que l'option de la convergence ou mieux de l'harmonisation des fiscalités est donc prise au sérieux car véridique ; raison de plus pour y attacher une certaine importance. Mais qu'est-ce donc que l'harmonisation fiscale ? Nous savons que la matière fiscale ou la détermination des régimes fiscaux relève de la souveraineté des Etats. Chaque Etat est libre d'imposer les différentes assiettes d'impôts comme bon lui semble sur son propre territoire, selon sa politique économique et sociale. Ainsi, le libre exercice de la mise en oeuvre de leurs politiques fiscales peut engendrer une concurrence comme pour le commerce. La concurrence ainsi engendrée entre les systèmes fiscaux de pays différents est une retombée normale, qui ne pose pas de problème en soit. Elle est même qualifiée saine. Il est à noter que chaque pays évalue ou doit évaluer en permanence ses régimes fiscaux et ses dépenses publiques en vue de procéder, s'il le faut, à des ajustements visant à améliorer ses prestations et son investissement. Mais quand la politique économique et fiscale d'un pays contribue à développer des « niches » fiscales au seul motif d'attirer des activités fiscales et autres géographiquement mobiles, c'est-à-dire, quand la concurrence fiscale vise à inciter l'épargne et autres activités économiques à se localiser, non en fonction des besoins économiques locaux, mais à raison de la fiscalité des Etats ; alors, elle cesse d'être saine et devient déloyale. Il s'agit donc de mettre en place une concurrence fiscale néfaste entre les Etats dans le but de détourner l'épargne des autres pays en entrainant un risque de distorsion des échanges et des investissements et, à terme, d'effriter des assiettes fiscales nationales. Dans la mesure où elle cause des préjudices à d'autres Etats, cette concurrence fiscale est alors qualifiée de dommageable. Diverses pratiques sont possibles dans ce cadre mais retenons seulement que certains vont jusqu'à modifier leurs systèmes fiscaux afin d'attirer l'épargne venue d'ailleurs pour élargir leur part de base imposable faisant ainsi supporter leur fardeau fiscal par d'autres pays. La concurrence fiscale quand elle devient dommageable, favorise, ipso facto, l'évasion fiscale, qui est l'ensemble des procédés, licites ou non, qu'un contribuable habile peut utiliser pour diminuer ses impôts ou y échapper carrément. Fait important à retenir, les investisseurs et les épargnants c'est-à-dire les opérateurs économiques bénéficient de cette concurrence, mais elle s'avère catastrophiquement préjudiciable pour les Etats120(*). Les dommages qu'elle peut causer sont multiples121(*) : - elle fausse les flux financiers ; - elle fausse les statistiques de production et financières ; - elle décourage le respect des dispositions fiscales par tous les contribuables ; - elle transfère indûment une partie de la charge fiscale vers des bases d'imposition moins mobiles (travail, consommation, biens immobiliers) ; - elle entame le financement des dépenses publiques en privant l'Etat de ses moyens ; Etc. Tous ces dommages incitent donc à procéder à l'harmonisation dans le cadre de la coopération entre les Etats, visant à mettre en place des législations et des pratiques de nature à freiner les distorsions économiques. Il serait toutefois très simpliste de croire qu'une harmonisation signifie une uniformisation complète et souhaitable des fiscalités nationales. Au fait, les pays n'ayant pas les mêmes avantages comparatifs et pas les mêmes préférences collectives, leurs niveaux de dépenses publiques doivent rester hétérogènes et donc leurs pressions fiscales doivent être différentes. Et dans ce cas, une uniformisation ne peut être envisageable, chaque pays étant confrontés à ses propres réalités et besoins nécessitant une approche particulière de gestion. Il s'agit plutôt de la mise en place des dispositions administratives pour aboutir à une coordination des politiques fiscales dans le cadre des conventions bilatérales. Cela relève bien sûr de la sincérité de ces relations bilatérales. Avec les voisins de la RDC, il ne s'agit pas malheureusement d'un problème de compétitivité sur un quelconque marché, mais plutôt un problème de guerre économique. Les fiscalités privilégiées des pays voisins ont volontairement comme mobile le pillage de la RDC et l'élargissement de leurs recettes publiques. Ainsi, avec une politique fiscale alléchante, - les investisseurs étrangers viennent s'installer chez nos voisins mais aux portes de la RDC pour traiter les minerais congolais ; - les produits de fabrication locale à coût élevé sont supplantés par ceux des pays voisins à coût de production faible. De ce fait, les entreprises naissantes en RDC n'ont d'autre issue que la faillite au moment où le marché congolais se remplit des produits fabriqués dans les pays voisins (c'est le cas de l'eau en bouteille plastique, du jus, des boissons, du savon, ...) ; - les opérateurs congolais passent par les pays voisins et les produits d'exportation sont rapatriés et taxés dans ces pays là au détriment de la RDC. La solution serait donc de mettre en place des conventions bilatérales qui permettraient une coopération honnête et traçable. Sous la 2e République, une telle coopération a été perçue au moyen de la CEPGL d'alors. Aujourd'hui, une telle coopération n'est plus que factice depuis la chute du régime Mobutu. Malheureusement, une coopération bilatérale sincère avec nos voisins de l'Est n'est pas prête d'être envisageable si on considère la façon dont les accords sur le plan politique sont faits et défaits à longueur de journée. D'où l'impérieuse nécessité de revoir plutôt la fiscalité interne. 3) La loi Dodd-Frank, la suspension de 2010 et les obligations de traçabilité. Ces différentes dispositions ne font, à priori, pas partie de notre essai d'analyse. Mais, nous estimons qu'un aperçu sur leurs objectifs et leur mode opératoire est essentiel du fait de leur caractère actuel et de leurs retombées sur les activités d'exploitation minière artisanale dans les Kivu. Il s'agit, estimons-nous, également de problèmes liés à la gouvernance du secteur. Il y a d'abord eu, la suspension des activités minières dans les provinces du Maniema, du Nord-Kivu et du Sud-Kivu. Le 09 septembre 2010, ayant constaté un désordre manifeste dans l'exploitation minière dans l'ex-Kivu faisant état de l'irresponsabilité de certains cadres de l'armée régulière qui se plaisaient à abandonner leurs postes de travail pour s'adonner aux activités minières, le Chef de l'Etat de la RDC avait décidé de suspendre toutes les activités minières dans cette partie du pays. Joignant la lettre à la parole, son ministre des mines avait confirmé cette décision en prenant l'arrêté ministériel n° 0705/CAB.MIN/MINES/01/2010 du 20/09/2010. La mesure de suspension était officiellement justifiée par122(*) : - l'existence des liens entre l'exploitation illégale et le commerce illicite des ressources minérales ; - la prolifération et le trafic d'armes par des groupes mafieux armés et l'insécurité récurrente dans les provinces précitées ; - la nécessité de sauvegarder la souveraineté de l'Etat et de rétablir son autorité sur le sol et le sous-sol dans les provinces concernées ; - la nécessité de mettre un terme à l'immixtion des agents et des personnes étrangères aux services reconnus par le Code minier dans le circuit d'exploitation et de commercialisation des substances minérales. Tous ces facteurs ne permettaient pas, selon le Chef de l'Etat, de réduire la pauvreté des populations congolaises de cette partie du pays. De même, l'apport de ce secteur au Trésor Public était insignifiant. Cette suspension fut levée le 1er mars 2011 par l'arrêté du Ministre des mines numéro 0034/CAB/MINES/01/2011 portant levée de la mesure de suspension des activités minières dans les provinces du Maniema, du Nord-Kivu et du Sud-Kivu.
A la suite de la suspension présidentielle, ce fut le tour de la loi américaine dite loi DODD-Frank ou loi OBAMA, entrée en vigueur le 1er avril 2011. La section 1502 de cette loi constitue une obligation de divulgation de l'origine des minerais c'est-à-dire, divulgation au titre de laquelle les entreprises se doivent d'établir si leurs produits contiennent des minerais du conflit (cfr. site Globalwitness.org). Cette loi, adoptée par le Congrès américain en juillet 2010, est l'émanation des rapports de plusieurs organismes internationaux, dont Global Witness, qui ont conclu que le commerce de minerais du conflit exacerbait les atteintes aux droits de l'homme et favorisait l'insécurité dans l'Est de la République Démocratique du Congo. Relativement aux prescrits de cette loi, il y a lieu de noter la mise en oeuvre de différentes initiatives dans le but de contribuer à la transparence et à la traçabilité des minerais de l'Est du Congo ; à l'instar de l'ITRI (International Tin Research Institute), Organisation des principaux producteurs et fonderies de l'étain, qui poursuit le projet de traçabilité du minerai de cassitérite et va fournir des informations vérifiables concernant leur provenance depuis le site d'exploitation par des creuseurs en procédant par l'étiquetage. Il y a également le Bureau Fédéral allemand des Géosciences et de Ressources naturelles (BGR), chargé du projet d'appui à la mise en place et au développement d'un système de certification des substances minérales. Il a pour objectif d'améliorer la transparence et la traçabilité dans le secteur minier et veiller à ce que les recettes de l'Etat provenant du commerce des minerais contribuent au développement économique et social ainsi qu'à la réduction de la pauvreté.123(*) Toutes ces dispositions ou initiatives pourtant indispensables ne font pas l'unanimité quand à leur utilité. Pour ce qui est de la suspension présidentielle, analystes, opérateurs économiques et populations ont estimé que: - il s'agissait d'une panne dans l'économie locale de survie qui ne vit que de l'existence du commerce des minerais ; - il s'agissait d'une décision dévastatrice étant donné que c'est seul le commerce des minerais qui injecte de l'argent frais dans le commerce ; les minerais constituant l'artère principale de l'économie formelle et informelle à l'Est du Congo ; - c'est cette décision qui, par contre, a privé le Trésor public de ressources importantes jusqu'à asphyxier le fonctionnement des institutions quand on sait que, au Nord-Kivu par exemple, 2/3 des recettes officielles viennent dudit secteur. Pour ce qui est de la loi DODD-Frank, la population ne comprend pas que les initiatives affichées comme prenant en compte son bien être viennent de ceux-là même qui financent et entretiennent le conflit à l'Est de la RDC. C'est un leurre, disent plusieurs, car qu'est-ce qui empêchent les américains d'intervenir pour mettre de l'ordre comme en Irak... En outre, certaines initiatives ne sont pas gratuites. Les nouvelles opérations de certification ont pour conséquence une lourdeur supplémentaire et, en plus, il faut payer jusqu'à 380 $ par lot au titre de frais de certification. Des frais qui viennent alourdir davantage une liste de taxations déjà insupportables et donc grignoter la marge bénéficiaire de l'opérateur économique à chaque occasion d'exportation. Pire, il y a beaucoup de complications du fait de cette certification étant donné qu'il est impossible de certifier tous les sites de production ; ces derniers étant disséminés sur toute l'étendue de la province, même dans des parcelles familiales dans les contrées inaccessibles. Non seulement que ces opérations ont augmenté la lourdeur mais elles ont rajouté les intervenants, les frais et ravivé donc le recours à la fraude. Cela est d'autant plus vrai que même les services publics oeuvrant dans la filière le reconnaissent : « Pour comprendre la situation des exportations des produits miniers de la filière stannifère il faudrait aller chercher les premières raisons dans les mesures (décisions, exigences) prises aussi bien au niveau national qu'international. En effet, depuis la publication et l'entrée en vigueur de la loi Dodd Frank ainsi que des exigences de l'OCDE et des recommandations de l'ONU sur les minerais en provenance des zones des conflits ou à haut risque, l'exportation du Sud-Kivu a sensiblement baissé. Au niveau national, l'interdiction de transfert de minerais d'une province à une autre, ... ont influencé très négativement les exportations de 2012. Somme toute, ces mesures ont plutôt favorisé la fraude et la contrebande ».124(*)On ne le redira donc pas assez ! Global Witness, évoquant la loi Dodd-Frank dans le document évoqué ci-haut, reconnait que ces dispositions ont été décriées par plusieurs personnes qui ont même orchestré d'importantes campagnes de dénigrement. Il qualifie ces campagnes de « fausses informations » mais rejette tout de même la responsabilité du disfonctionnement du secteur et du ralentissement des activités à la suspension imposée par le gouvernement congolais. Ces lois, mesures, exigences, obligations ne sont donc pas nécessairement salutaires pour le secteur de l'artisanat minier congolais. Elles peuvent parfois cacher des intentions difficiles à décrypter. Une bonne organisation administrative permettrait à la RDC d'user des seuls services étatiques qui ne laisseraient pas leur responsabilité aux organismes étrangers même s'ils pourraient continuer de conjuguer avec en tant que partenaires. * 100 Pact, Etude Promines, op. cit., p. 6 * 101 Martineau, P., op.cit, pp 37-38 * 102 CEDAC, `Etude sur la gestion des ressources naturelles en RDC, cas de la Province du Sud-Kivu', 2009, p. 35 * 103 Discours du Chef de l'Etat, Joseph Kabila, lors de l'ouverture des travaux de la Conférence sur la bonne gouvernance et la transparence dans le secteur minier, organisée à Lubumbashi, du 30 au 31/01/2013. * 104 Extraits du mot de circonstance de l'ambassadeur des Etats-Unis en RDC, James Entwistle, à l'occasion de la célébration de la 237è fête de l'indépendance de son pays, in Journal le Phare n° 4608 du vendredi 05/07/2013, p. 2. * 105 Emmanuel NDIMUBANZI, Chef de division des mines du Nord Kivu, cité par Boltanski, op.cit., p. 139. * 106 Pole Institute, Regards croisés n° 30 : Le secteur minier : état des lieux après la réouverture des activités à l'est de la RDC, Goma, 09/2011, pp. 12-13 * 107 Rapport Banque mondiale, op.cit, pp. 12 et 59. * 108 Pole Institute, `Le secteur minier : état des lieux après la réouverture des activités à l'Est de la RDC' in Regards croisés n° 30, Goma, septembre 2011, p. 8 * 109 Pact, étude promines, op.cit, p. 112 * 110 Didier de Failly, op.cit., p. 3. * 111 Mutabazi Ngaboyeka et al, op.cit, p. 49 * 112 Idem, pp. 50-51 * 113 Mutabazi Ngaboyeka et al, op.cit, pp. 60-61 * 114 La Gouvernance, sur www.wikipedia.org/, consulté le 20/07/2013 * 115 Dwight H. Perkins et al, Economie du développement, 3è édition, De Boeck, Bruxelles, 2008, p. 109. * 116 Didier de Failly, op.cit., p. 25. * 117 LOKOTA E.P. cité par Makindu Massamba, in Analyse des activités informelles dans une agglomération urbaine en Afrique Subsaharienne, Thèse de doctorat en sciences sociales, ULB, Bruxelles, Février 2002, inédit, p. 16 * 118 Leroy, (M) et al, Mondialisation et fiscalité. La globalisation fiscale, l'Harmattan, Paris, 2006, p. 255 * 119 Voir Journal le Potentiel n° 4777 du vendredi 13/11/2009. * 120 Eve D'ONORIO DI MEO, `De l'harmonisation à la coordination de la fiscalité directe dans la lutte contre la concurrence fiscale dommageable', mémoire présenté dans le cadre du DEA de Droit des Affaires, Université de Droit, d'Economie et des Sciences d'Aix-Marseille, année 2002-2003, p. 8 * 121 `Concurrence fiscale dommageable, Un problème mondial', Rapport OCDE, éditions de l'OCDE, Paris, 1998, p. 17 * 122 Pole Institute, `Le secteur minier : état des lieux après la réouverture des activités à l'Est de la RDC', in Regards Croisés n° 30, Goma, septembre 2011, p. 10. * 123 BGR, Rapport du groupe de travail sur la certification des substances minérales, dites minerais de conflit - or, coltan, cassitérite et wolframite - Kinshasa, le 22/02/2010. * 124 Rapport 2012, CEEC Sud-Kivu, p. 8 |
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