Le crime d'agression en droit international pénal, portée et enjeux de la révision de Kampala( Télécharger le fichier original )par Olivier Lungwe Fataki Université Catholique de Bukavu - Licence 2016 |
§2. Personnes visées par l'incrimination de l'agressionDepuis les précédents de la deuxième Guerre Mondiale, il avait existé une célèbre formule du Tribunal de Nuremberg selon laquelle « les infractions en droit international sont commises par des hommes et non par des entités abstraites»209(*). De surcroit, le tribunal soutenait aussitôt que « ce n'est qu'en punissant les auteurs de ces infractions que l'on peut donner effet aux dispositions du droit international »210(*). Le texte adopté à Kampala en juin 2010 est venu confirmer cette tendance qui s'était déjà imposée. La responsabilité pénale individuelle pour crime d'agression, selon les articles 8 bis et 25 paragraphe 3 bis du Statut de Rome, n'incombe qu'aux personnes effectivement en mesure de contrôler ou de diriger l'action politique ou militaire d'un État. Quid alors de l'agent d'exécution de l'agression qui est tenu, selon la loi interne de plusieurs Etats, au devoir de ne pas exécuter un ordre manifestement illégale ? Est-ce là une consécration du système de l'obéissance passive, encore appelée baïonnette aveugle, qui demeure favorable aux exécutants en ce qu'ils ne font qu'obéir aux ordres du supérieur hiérarchique ? Il semblerait que la réponse à cette dernière question demeure positive dans la mesure où le crime d'agression est lié à l'acte de l'Etat et ne prend en compte que, selon les articles 8 bis et 25 paragraphe 3 bis211(*) du Statut de Rome, seule la responsabilité des dirigeants (1) ou hautes personnalités de l'État, et particulièrement la responsabilité des chefs militaires et autres supérieurs hiérarchiques (2). a. Les dirigeantsSe référant aux documents des travaux du Groupe de Travail Spécial sur le Crime d'Agression (GTSCA), les notions de « dirigeant ou organisateur » sont utilisées pour désigner la catégorie des personnes dans laquelle il faut rechercher les auteurs du crime d'agression ; on n'y trouve cependant aucune définition de ces termes212(*). Le texte adopté à Kampala qui porte définition du crime d'agression laisse clairement entendre que le crime d'agression ne peut être planifié, préparé, lancé ou exécuté que par « une personne effectivement en mesure de contrôler ou de diriger l'action politique ou militaire d'un État »213(*). Ces dispositions laissent bien évidemment penser une fois encore qu'il s'agit bien de « dirigeant ». Que faut-il entendre cependant par « dirigeant » ? Le Statut du TMI de Nuremberg utilisait l'expression de « dirigeant » sans la définir. C'est tout de même à travers les jugements de Nuremberg qu'on peut dégager le sens de ce terme. Dans ces jugements, les organisateurs ou dirigeants étaient perçus comme ceux qui, appartenant au milieu politique, militaire ou des affaires, y détenaient une « haute fonction » et « jouaient un rôle particulièrement important » dans la préparation et la commission du crime contre la paix214(*). Ce faisant, par dirigeant, serait désignée toute personne qui détient une part importante de pouvoir, une haute position ou un niveau élevé dans les milieux (politique, militaire ou financier), position qui leur permet d'organiser et de commettre un crime d'agression215(*). Mais alors, la résolution de Kampala se limite à la direction de l'action politique ou militaire d'un Etat. A en croire A. Borghi, par dirigeants politiques, il est couramment fait référence aux personnalités telles : le chef de l'État, le chef de gouvernement, les ministres et, dans une certaine mesure, les diplomates216(*). Dans la pratique, poursuit cet auteur, lorsqu'on parle des dirigeants politiques d'un État, on pense communément aux chefs d'État, chefs de gouvernement, ministres des affaires étrangères et toutes autres personnalités de rang élevé. Par personnalités de rang élevé, on entend par exemple la plupart des ministres, des secrétaires d'État, des présidents des hautes assemblées (Assemblée nationale et Sénat), des ambassadeurs217(*). S'agissant du fondement de la responsabilité des dirigeants pour crime d'agression, les TMI affirmaient déjà que « le droit international condamne ceux qui, par leur pouvoir réel d'élaborer et d'influencer la politique de leur nation, préparent leur pays et l'entraînent vers une guerre d'agression»218(*). Le crime individuel d'agression reste en effet, nous l'avons dit, strictement relié à l'acte de l'État dans la mesure où il vise à réprimer un phénomène étatique, le recours à la guerre, directement ordonné et planifié par les hautes autorités politiques et militaires de l'État. * 209Jug. de Nuremberg du 1er octobre 1946. Cité par P. TSHITEYA D., Op., cit., p. 67. * 210Ibidem. * 211Cet article empêche qu'une personne puisse être poursuivie pour incitation, complicité ou autre forme de participation en vertu des dispositions générales de l'article 25 si elle n'était pas «effectivement en mesure de contrôler ou de diriger l'action politique ou militaire d'un Etat». * 212 Voir sur ce sujet ICC-ASP/6/SWGCA/2, précité, p. 3. * 213 Article 8 bis du Statut de Rome in Résolution RC/Res.6., Amendements au Statut de Rome de la Cour pénale internationale relatifs au crime d'agression, Kampala, 11 juin 2010. Déjà cité. * 214Jug. Nur. 1er octobre 1946. Cité par V. M. METANGMO, Op. cit., p. 377. * 215 V. M. METANGMO, Op. cit., p. 378. * 216 A. BORGHI, L'immunité des dirigeants, Cité par V. M. METANGMO, Op. cit., p. 378. * 217V. M. METANGMO, Op. cit., p. 378. * 218Jug. Nur. 1er octobre 1946. Cité par V. M. METANGMO, Op. cit., p. 342. |
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