I.4 Facteurs explicatifs du
recours aux soins postnatals (CHEMGNE et al, 2010)
Dans les recherches empiriques sur les déterminants de
l'utilisation des services de santé maternelle, on distingue deux
groupes de facteurs : les facteurs liées à la demande et ceux
liés à l'offre.
.Les facteurs liés à la demande regroupent entre
autre les facteurs économiques (niveau de vie, revenue, etc.), les
facteurs culturels (ethnie, religion), les facteurs socio démographiques
(état matrimonial, âge parité atteinte) et les facteurs
liés au rapport genre. Les facteurs liés à l'offre de
soins sont entre autre la qualité des soins obstétricaux offerts
par les services de santé, l'accessibilité économique et
l'accessibilité géographique des services.
I.4.1. Facteurs liés
à la demande des soins obstétricaux
I.4.1.1. Facteurs économiques
Ces facteurs renvoient très souvent au revenu, au
revenu économique, niveau d'instruction, l'emploi.... Trois composantes
de ce concept sont fortement liées à l'utilisation
différentielle des services obstétricaux. Il s'agit du niveau de
vie du ménage, de l'occupation de la femme.
Ø Le niveau de vie du ménage
Plusieurs études tant dans les pays
développés que dans les pays en développement, ont
montré que le niveau socio-économique du ménage est
associé significativement à l'utilisation des services de
santé(Zoungrana, 1996). L'association entre le niveau
socio-économique du ménage et l'utilisation des services de
santé maternelle en particulier, tient du fait que le pouvoir de
mobilisation des ressources de cet indicateur est susceptible d'influencer les
comportements sanitaires des individus. En effet, le revenu du ménage
permet non seulement de supporter des coûts directs liés à
l'utilisation des services de santé, des coûts indirects
(transports), mais aussi peut constituer un moyen d'accès à
l'information (télévision, radio, journaux).
Dans la plupart des pays en développement, les
disparités entre pauvres et riches dans l'utilisation des soins
obstétricaux sont énormes. Au moment de l'accouchement ou du
postpartum, les femmes les plus riches sont beaucoup plus souvent
assistées par une personne formée. Ce qui est alarmant,
cependant, c'est l'énormité de l'écart entre riches et
pauvres dans un grand nombre de pays. En Zambie, « le pourcentage de
femmes bénéficiant d'une surveillance médicale est
d'environ 45%. De l'échantillon total de femmes, 90% des femmes les plus
riches bénéficient d'une telle surveillance par opposition
à 20% seulement pour les plus pauvres.»(Houweling et al. 2003).
Néanmoins, la relation de cet indicateur avec les comportements des
individus n'est pas simple à cause notamment des mécanismes
d'action intervenant dans celle-ci (Beninguisse, 2003) et aux façons
variables de mesurer le niveau socio-économique : le revenu du
ménage, la qualité de l'habitat, la possession des biens
matériels, etc.
Ø L'occupation de la femme
En plus de l'adoption des comportements favorables à la
fréquentation des services de santé, l'instruction offre à
la mère la possibilité d'accéder à un emploi
rémunéré lui permettant de prendre en charge les
dépenses de santé. Par exemple, il est courant de constater que,
dans les pays en développement, l'exercice de certaines activités
donne droit à la gratuité, sinon à une diminution des
coûts des soins de santé alors que l'immense majorité des
populations rurales, pauvres et analphabètes prennent en charge
elles-mêmes les dépenses de santé. . En effet le type
d'activité ou le secteur d'activité peut constituer un obstacle
à l'utilisation des services de santé en particulier les soins
préventifs comme les consultations prénatales ou curatives comme
les soins postnatals, en cas de complication obstétricale. Selon(Slamon
et al. 1987).
Le temps apparaît dans plusieurs études comme
l'un des facteurs inhibiteurs les plus importants de l'utilisation des services
de santé maternelle et infantile. Les femmes qui occupent un emploi
temporaire dans l'industrie de la cueillette des fruits aux fins d'exportation
au Chili, par exemple, disent qu'il leur est impossible, à cause de leur
longues journées de travail, de quitter leur emploi pour s'occuper de
leur problèmes de santé (Berr, 1994 cité par Chemgne
2010).
L'utilisation des soins obstétricaux varie selon toute
une gamme d'indicateurs socioéconomiques. L'indicateur
socio-économique qui a été le plus documenté est le
niveau de scolarisation de la femme,((Elo, 1992) cité par
Chemgne,(2010). On a pu également montrer les associations avec, entre
autres, le métier de la femme (exemple Mc CAW-BINNS et al. 1995 ;
OKAFOR, 1991) et le statut socio-économique des parents (Elo, 1992). Vu
ces associations, on peut s'attendre à ce que plusieurs facteurs
socio-économiques contribuent au taux d'utilisation plus faible de
certaines catégories de femmes, appelant ainsi à la prudence
quant au rôle univoque de l'éducation dans la fréquentation
différentielle des services obstétricaux.
I.4.1.2. Facteurs socioculturels
Comme l'affirme Herskovits '(Harouna, 1998)« la culture
est la mesure de toute chose.» Les femmes en âge de procréer
jugent et évaluent l'importance du suivi médical de la grossesse
et de l'accouchement et du post-partum par rapport au système
socioculturel auquel elles appartiennent. Au rang de ces facteurs, figurent en
bonne place l'appartenance ethnique de la femme, la religion et son milieu de
socialisation.
Ø Ethnie
En dépit de la rareté des écrits sur
l'association entre diversité ethnique et fréquentation
différentielle des services obstétricaux, l'essentiel de la
littérature sur l'ethnie et le suivi médical de la grossesse de
l'accouchement ou du post-partum a porté sur les représentations,
les pratiques et les perceptions de la procréation et leur potentielle
implication sur les comportements en matière d'utilisation des services
de soins obstétricaux modernes. Ces comportements ou croyances sont
parfois défavorables à la santé d'une manière
générale et en particulier à la santé maternelle. A
ce titre, Claus cité par le (CRDI, 2003) révèle qu'en
Tunisie : « la maternité, plus que n'importe quel autre moment de
la vie d'une femme fait l'objet de beaucoup de rites et de croyances qui
entravent le travail des médecins ». De même, le choix du
lieu de l'accouchement est également tributaire des
éléments socioculturels de référence. Dans le
milieu rural, le travail de la parturiente et son accouchement sont tenus
secrets. Ils se déroulent dans un lieu réservé. Chez les
Béti du Cameroun, la femme choisira, autant que possible, d'enfanter
dans un milieu où elle se sentira le plus en sécurité,
dans son village natal, chez sa mère ou chez ses soeurs
((laburthe-tolra, 1991) cité par Beninguisse, 2003). Chez les Bambara
d'Afrique occidentale et les Joola du Sénégal, c'est pour
préserver l'espace social de la souillure du sang de l'accouchement que
la naissance se déroule en dehors du village (Journet, 1991 ; Erny, 1989
cité par Beninguisse, 2003).
Ø Religion
La religion peut être définie comme un
système institutionnalisé de croyances, de symboles de valeurs
pratiques relatives au sentiment de la divinité (Akoto, 1993). Elle
véhicule un certain nombre de valeurs et de normes qui régissent
la vie des fidèles sur le plan comportemental, physiologique et
psychique. Elle peut refléter : l'ouverture à la
civilisation occidentale (religion catholique et protestante), le niveau de
tradition des gens (religion traditionnelle ), et parfois la situation des
individus dans la hiérarchie sociale (par exemple, dans un pays
très christianisé, les catholiques et les protestants
bénéficieraient d'une situation privilégiée dans la
société par rapport aux musulmans , et aux adeptes de d'autres
religions)» (Akoto,1985). Dès leur implantation, les missionnaires
chrétiens s'insurgèrent contre certaines pratiques de soins
traditionnelles, et incitèrent les femmes à l'utilisation des
services obstétricaux modernes (Akoto,1993). C'est ainsi qu'au Nigeria
les femmes chrétiennes apparaissent plus enclines à utiliser les
soins de santé modernes alors que les musulmanes et les femmes se
référant à des religions traditionnelles ont plutôt
tendance à consulter les praticiens traditionnels (Fournier &
Haddad,1995).
Ø Milieu de socialisation
En sociologie, la socialisation désigne le processus
par lequel les individus apprennent les modes d'agir et de penser de leurs
environnements, les intériorisent en les intégrant à leur
personnalité et deviennent membres de groupes où ils
acquièrent un statut spécifique (Tollegbé, 2004)
cité par Valery CHEMGNE. Ainsi l'influence du poids de la tradition des
sociétés africaines sur les comportements des individus
amène les chercheurs à considérer le milieu de
socialisation dans les analyses des phénomènes
sociodémographiques. Ainsi, selon (Sala Diakanda, 1999) cité par
valery CHEMGNE, plus on est socialisé en milieu urbain, plus on a
recourt aux soins pendant la grossesse, l'accouchement et le post-partum et ce
par l'intermédiaire d'un personnel que l'on consulte.
Ø L'instruction de la femme
L'instruction de la femme influence son comportement sanitaire
relatif à la gestation, à la parturition et le postpartum. Le
rôle de l'instruction dans l'utilisation des services de santé
maternelle et infantile au Cameroun a maintes fois été
signalé (Beninguisse, 2003).. Pour certains chercheurs, les mères
instruites ont, plus que celles qui ne le sont pas, tendance à utiliser
les services de médecine moderne. Le niveau d'instruction est donc comme
un catalyseur qui permet l'accumulation rapide du capital social et provoque
une prise de conscience accélérée par rapport aux femmes
n'ayant pas été scolarisées. Les femmes instruites ont
généralement une meilleure capacité d'utiliser les moyens
sanitaires disponibles parce qu'elles connaissent mieux ce qui existe et parce
qu'elles ont la capacité de gagner la confiance et la sympathie des
personnes soignantes. Une étude menée à Ibadan au
Nigéria montre que comparativement aux analphabètes, les
patientes instruites reçoivent un meilleur traitement dans les
hôpitaux publics et les centres de santé (Maclean, cité par
(Cleland et Van Ginneken,1988). D'autres études (Jaffre&Prual, 1994;
Mebtoul,1993) ont montré que l'accueil et le traitement accordés
aux usagers des services de santé dépendent de leur statut
social.
Le personnel médical situe l'usager par rapport
à ses attentes culturelles. Les mères instruites, se conformant
mieux aux attentes culturelles du corps médical,
bénéficient ainsi de soins adéquats pour elles-mêmes
et pour leurs enfants alors que pour les femmes analphabètes, la
consultation se présente comme un processus de refoulement de
l'expression « Je suis à l'aise avec les gens instruits [...] avec
des gens illettrés, c'est difficile, ils ne comprennent pas »
(Mebtoul,1993). De même, de nombreuses études menées en
Afrique subsaharienne stipulent que les mères instruites sont
matériellement et socialement plus proches des services modernes de
santé que leurs congénères non instruites. « Les
mères analphabètes se soumettent le plus souvent aux injonctions
des membres de la famille ou de la belle-famille alors que celles qui sont
instruites bénéficient de plus de prestige social et
d'autorité au sein de la famille »'(Harouna,1998). Les mères
instruites disposent de plus de facilités à pratiquer les
consultations prénatales, à bénéficier de
l'assistance médicale au moment de l'accouchement et à suivre des
soins postnatals réguliers. Leur éducation libéralise
leurs rapports avec leurs maris et avec leurs belles familles ; ce qui leur
permet de mieux s'occuper d'elles-mêmes lors des évènements
de maternité. La scolarisation apparaît comme un processus social
capable de garantir de nouveaux modèles et de continuelles
transformations, capable de favoriser et d'accélérer les
modalités d'acquisition des informations et donc de stimuler
l'intérêt pour la médecine moderne et la
compréhension de la prévention (Mastrorocco & Pace,
cités par (Chemgne 2010)). Dans les sociétés où le
pouvoir de l'homme reste prépondérant, l'instruction de la femme
a des conséquences sociales profondes. Elle fournit à la femme un
large réseau social, de nouveaux groupes de référence, des
modèles d'autorité et une plus grande identification au monde
moderne (Friedl, 1982 cité par Chemgne, 2010), avec finalement une plus
grande volonté d'utilisation des services de santé. On estime
qu'une femme instruite utilise plus fréquemment l'ensemble des soins
prénatals requis, a recourt plus souvent à un centre de
santé pour son accouchement.
I.5.1.3. Facteurs sociodémographiques
Ils se rapportent essentiellement à la structure du
ménage, le sexe du chef de ménage, l'âge de la femme
à l'accouchement, la parité et l'état matrimonial.
Ø Structure du ménage et sexe du chef de
ménage
La taille du ménage, son caractère
nucléaire ou étendu, le sexe du chef de ménage et le lien
de parenté avec le chef de ménage et d'autres composantes
familiales sont souvent liés à l'utilisation
différentielle des services de santé. La fréquentation des
services obstétricaux, du point de vue du recours, semble être
mieux assurée au sein des ménages étendus qu'au sein des
ménages nucléaires, quel que soit le milieu d'habitat. Les
observations du même auteur(Beninguisse 2003) sur le Cameroun ont
révélé que les femmes qui résident dans les
ménages dirigés par les femmes ont une fréquentation,
quantitativement (recours) et qualitativement (compliance aux normes en
vigueur) plus importante que celles qui sont issues des ménages
dirigés par les hommes. Selon ses propres termes, « la direction
féminine du ménage semble être de loin plus profitable
à la femme enceinte qu'une direction masculine.»
Ø Age à l'accouchement
Comme dans l'analyse démographique, l'âge
à l'accouchement est un élément important dans l'analyse
des inégalités dans l'utilisation des services de santé
maternelle ou de santé en général. En effet, la
littérature fait ressortir que les femmes jeunes sont plus susceptibles
de recourir aux soins pendant la grossesse, l'accouchement et le post-partum
que les femmes âgées et, ceci notamment du fait du poids des
valeurs traditionnelles plus pesantes chez ces dernières. Se faire
accoucher ou consulter par exemple, pendant la grossesse et le post-partum par
un personnel médical qualifié de services de santé
modernes, qui peut être, pour la parturiente, comme un fils ou une fille,
peut être considéré comme choquant, par les vieilles
générations, du point de vue de la pudeur ou simplement de la
morale traditionnelle : comme quoi on ne montrera pas sa nudité à
son fils ou à sa fille. Le problème se poserait moins dans les
services de santé traditionnels où les matrones sont des femmes
âgées. A ce propos, Jaffre&Prual (1994) affirment que dans les
maternités, « ce sont les filles qui accouchent les
mères inversant ainsi l'ordre des relations sociales
préétablies. » Dès lors, les femmes sont
gênées d'exposer leur féminité à des
sages-femmes qui ont l'âge de leurs filles. Les relations de pudeur
constituent un obstacle qui empêche aux femmes, surtout celles du milieu
rural d'entreprendre certaines consultations gynécologiques.
Ø Parité
A côté de l'âge, la parité : nombre
d'enfants vivants, nombre de grossesses déjà portées et
nombre d'accouchements déjà subis par la femme. La parité
influence la fréquentation des services de santé en ce sens que
les femmes ayant peu d'expérience en matière de maternité
peuvent être plus enclines à rechercher de l'aide auprès
d'un personnel médical. Toutefois, cette association est loin
d'être constante, car l'effet de la parité sur le recours aux
soins va interagir avec d'autres caractéristiques individuelles de la
femme, mais surtout avec les caractéristiques même de la
maternité comme les maladies ou complications durant la grossesse,
l'accouchement ou le post-partum. A cet effet, (DE Sousa,1995) constate que
« le choix d'une assistance moderne, à l'hôpital, est plus
fréquent lors des premiers accouchements » et conclut qu' « on
peut supposer qu'un soin plus grand est apporté aux premiers
accouchements». Un peu plus proche de la Guinée-Bissau, (Diallo.B.
et al.1999) cité par (Chemgne, 2010), aboutissent pour le cas
de la Guinee à la conclusion selon laquelle en Basse Guinée et en
Guinée forestière respectivement, 65,48 % et 55,88 % des
multipares (2 à4 enfants) et les grandes multipares (5 enfants ou plus)
accouchent à domicile contre respectivement 13,09 % et 25,00 % pour les
primipares. Pour reprendre les auteurs en leurs propres termes, «
L'habitude et l'expérience acquises lors des accouchements
antérieurs semblent les pousser à se passer des structures
sanitaires.»
Ø Etat matrimonial
L'importance des caractéristiques et de la
décision de l'homme (époux, père) pour la santé de
la famille est aujourd'hui consacrée dans la littérature. Ainsi,
les femmes en union peuvent plus facilement avoir recours aux soins avant,
pendant et après l'accouchement, ceci notamment en raison du
réseau social plus large favorable à la prise en charge des
coûts de santé.
De même, une étude sur les dépenses de
santé et budgets des ménages en milieu rural au Liberia indique
que les dépenses de santé des femmes et leur manière de
gérer leurs revenus semblent varier selon le type d'union qu'elles ont
contractée. Les femmes non mariées, les adolescentes qui
fréquentent encore l'école au moment de la grossesse ont
tendances à avoir un suivi de l'hypothèse selon laquelle
l'utilisation des services de santé est sensible aux variations
tarifaires appliquées dans les formations sanitaires publiques, est au
centre de la problématique coût-utilisation. Dans les pays en
développement, les structures de santé souffrent de l'absence de
financement due à la fois aux mauvais choix programmatiques et aux
causes externes. Avec l'initiative de Bamako en 1985, Après
l'accouchement, la préservation de l'intimité de la femme par
l'éloignement de toute présence masculine et l'utilisation non
collective des salles de séjour et du matériel d'interventions
obstétricales, sont autant d'éléments dont l'exclusion
influence négativement la qualité perçue et peut
constituer une entrave à l'utilisation des services obstétricaux.
L'amélioration de la qualité passe donc nécessairement par
une adéquation de l'offre aux attentes et préférences et
fait appel à une complémentarité dans l'action entre les
systèmes traditionnel et biomédical pour la définition
d'un paquet minimum consensuel de soins obstétricaux qui garantit
à la fois l'efficacité clinique et la satisfaction des
clients.
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