L'étude comparative de la corruption passive d'agents publics nationaux entre la France et l'Italie( Télécharger le fichier original )par David Chapus Université Paris X - Master 2 Etudes bilingues des droits de l'Europe -spécialité droit des affaires 2015 |
CHAPITRE 6. SECTION 4 : LE RATTACHEMENT AUX FONCTIONS DE L'AGENT PUBLIC.Dans cette quatrième section, l'objectif sera d'étudier le lien entre la corruption et les fonctions de l'agent public, afin de comprendre les raisons de la corruption. Nous observerons qu'il existe une position plus complexe en Italie qu'en France (A). Il sera également nécessaire de voir l'intention dans cette position complexe, où une position affirmée existe en France tandis qu'elle est débattue en Italie (B). A : La corruption et les fonctions de l'agent public : une position plus complexe en Italie qu'en France.Après avoir étudié la corruption sous un aspect « large », il nous faut désormais comprendre les raisons pour lesquelles la corruption est réprimée. En France comme en Italie, l'agent public corrompu « sollicite ou agréé » (en France) ou « accepte la promesse ou reçoit » (en Italie) nécessairement une chose, un objet ou une prestation de service115(*). Les articles 432-11 du CP français et 318 et 319 du CP italien parlent respectivement de « dons, offres, présents, promesses, ou avantages quelconques », et « d'argent ou autres utilités ». Une analyse circonstanciée n'est pas essentielle pour arriver au constat que ces notions - même si plus vagues dans le système italien - permettent de comprendre tout type de situation de corruption, dans une optique de répression accrue de cette infraction. Sont par exemple sanctionnés le fait de recevoir une somme d'argent pour conduire les travaux116(*) ou pour financier un club de football117(*), ou encore de financier une croisière en Méditerranée118(*). Ces quelques exemples suffisent à se rendre compte de l'ampleur des notions, et les exemples jurisprudentiels en France comme en Italie ne manquent pas. Ces moyens de la corruption permettent d'aboutir à l'étude de la contrepartie espérée. En effet, ces « dons, objets, promesses, argent, avantages quelconques ou autres utilités » sont offerts afin que l'agent public accomplisse ou s'abstienne d'accomplir un acte de sa fonction ou facilité par sa fonction aussi bien en France qu'en Italie119(*). En revanche, alors qu'on ne trouve que peu de positions doctrinales sur ce sujet en France, puisque les notions sont assez claires, en Italie, il existait un débat doctrinal sur les articles 318 et 319 du CP italien depuis 1990, sur laquelle nous allons arriver. Concernant les « actes de la fonction », la jurisprudence française offre de nombreux exemples, la Cour de cassation ayant jugée « qu'il importe peu que le corrompu n'ait pas accompli lui-même ledit acte dès lors qu'il entrait dans ses attributions d'en proposer la réalisation »120(*). C'est le cas de « l'officier de police judiciaire qui exige diverses faveurs d'ordre sexuel en échange d'une appréciation complaisante ou à tout le moins d'une orientation plus favorable de leur dossier »121(*), ou le fait de proposer contre rétributions des entreprises à l'autorité compétente122(*). En matière d'« acte facilité par la fonction », la jurisprudence et la doctrine ont dû intervenir afin d'en délimiter les frontières. Ainsi, tombe par exemple sous le coup de l'incrimination le fait par « un fonctionnaire de préfecture affecté au service du logement, de proposer à deux étrangers en situation irrégulière de leur fournir un titre de séjour moyennant une rémunération, peu important que cet acte soit en dehors de ses attributions personnelles »123(*). L'acte facilité par la fonction peut donc se définir comme « l'acte n'entrant pas dans les attributions légales ou réglementaires - contrairement à l'acte de la fonction - de leurs titulaires mais qui sont rendus possibles grâce à celles-ci »124(*). Il doit enfin être retenu que « tout acte étranger à la fonction ne saurait relever du délit de corruption »125(*), et ceci est imposé par le principe de légalité criminelle. Bien que l'acte facilité par la fonction ait été introduit, les juges du fond doivent « caractériser le lien entre l'acte et la fonction »126(*), sinon il est difficile de qualifier l'infraction de corruption. En Italie, l'étude du lien entre la corruption et les fonctions de l'agent public est moins aisée qu'en France. Comme il a été dit, il existait un débat doctrinal sur les articles 318 et 319 du CP italien. Ce débat a émergé avant l'intervention de la loi de 2012, sous l'empire de celle de 1990. En effet, avant la loi de 2012, lorsque l'acte - comme contrepartie à la proposition de corruption - non contraire aux devoirs d'office (selon la formulation de l'article 318 sous l'empire de la loi de 1990) n'était pas identifié - l'identification de l'acte était une condition nécessaire pour qualifier la corruption au visa de l'article 318 -, la jurisprudence avait tendance à qualifier l'infraction au visa de l'article 319127(*) (acte contraire aux devoirs d'office), et ce dans un souci de facilité, puisqu'il était plus simple d'arriver à la solution que l'acte était contraire aux devoirs de l'agent public que d'identifier l'acte conforme128(*). C'est pourquoi la doctrine parlait « d'abrogation tacite du délit de corruption pour acte conforme aux devoirs d'office »129(*), étant donné la facilité choisie par la jurisprudence. Appartenait donc au cadre de la corruption pour acte contraire aux devoirs d'office l'accord entre l'agent public et le privé pour l'accomplissement d'un acte conforme qui, non identifiable, rentrait dans le cadre d'actes contraires aux devoirs d'office130(*). Se posait ainsi la question du principe de légalité des délits et des peines, puisqu'il était possible de dénoter un manque de précision et de clarté des textes italiens, mais surtout de la jurisprudence italienne, venant qualifier la corruption correspondant à celle non contraire aux devoirs d'office au visa de l'article 319 pour corruption contraire aux devoirs d'office. Il peut donc être affirmé que l'une des raisons de la réforme de l'article 318 du CP italien par la loi de 2012, qui vient lier l'ancienne corruption pour acte non contraire aux devoirs exclusivement à l'exercice des fonctions ou pouvoirs de l'agent public, est due à cette position de la jurisprudence qui est venue contredire l'esprit même des textes du CP italien131(*), et dans le respect du principe de légalité des délits et des peines. Ce nouvel article 318 du CP italien, ne faisant plus référence à « l'acte » mais aux « fonctions » de l'agent public comme contrepartie à la sollicitation dans la corruption, met fin au débat qui se posait avec la loi de 1990. En effet, aujourd'hui, l'identification de l'acte n'est requise que pour l'article 319 du CP italien, permettant ainsi une distinction entre l'article 318 et l'article 319 du CP. De ce fait, l'article 319 vient se placer comme une infraction spéciale par rapport à l'hypothèse générale de l'article 318132(*). Par conséquent, dès lors que l'acte contraire aux devoirs d'office n'est pas identifié ou identifiable, ou lorsqu'il vient à manquer, l'infraction de corruption trouve sa collocation dans l'article 318133(*), et vice-versa. Cette nouvelle formulation de l'article 318 permet donc d'adopter la position prise par la jurisprudence avant la loi de 2012, mais dans son sens contraire, en qualifiant comme corruption pour exercice des fonctions le manquement d'identification de l'acte de l'agent public, et ce dans un souci de respect du principe de légalité des délits et des peines. La réforme permet également de mettre fin à cette position de la jurisprudence abrogeant tacitement l'article 318 du CP. Enfin, par un arrêt rendu le 4 mai 2006134(*), la Cour de cassation italienne adopte la même solution qu'en France, présente depuis 1982 comme nous l'avons vu, à savoir « qu'il n'y a pas délit de corruption passive si l'intervention de l'agent public ne comporte pas l'activation des pouvoirs institutionnels propres de son office ou n'est pas relié à ceux-ci ». Cette solution jurisprudentielle unique semble rapprocher les deux systèmes législatifs sur la question de la fonction ou facilité par la fonction. C'est pourquoi il est possible de retenir que pour l'article 318 du CP italien, la référence aux « fonctions » de l'agent public comprend également ce qui est facilité par la fonction, selon cet arrêt de 2006, permettant ainsi d'accroitre le champ d'application de cet article. Sont donc condamnables au visa de l'article 319 le fait par exemple pour un conseiller communal d'offrir son vote en échange d'une utilité non due135(*), et au visa de l'article 318 le fait pour un agent public de vendre sa fonction en se mettant au service des sujets corrupteurs contre une certaine somme d'argent136(*). Toutes ces considérations permettent de retenir la légère complexité du système italien par rapport au système français, et ce également après l'intervention de la loi de 2012, même si l'on constate un rapprochement des législations. Par ces remarques, il aura été possible de voir les difficultés du système italien, avant la réforme de 2012, pour opérer un lien entre la corruption et les fonctions de l'agent public, tandis qu'en France la position est claire depuis un certain nombre d'années. La réforme de 2012 a ainsi mis fin au débat qui existait sous l'empire de la loi de 1990, émergé à la suite d'une position jurisprudentielle retenue comme contraire aux textes. Il aura également été étudié le rapprochement entre les deux systèmes législatifs quant à la notion de « fonctions ou facilité par la fonction » depuis un arrêt de 2006 en Italie. Il nous faudra voir dans une prochaine sous-partie l'intention dans la corruption, où la position est affirmée en France mais encore débattue en Italie. * 115 W. Jeandidier, Corruption et trafic d'influence, 2014, §48. * 116 Cass, sez. VI Penale, 17 novembre 2014, n°47271. * 117Crim. 9 nov. 1995, pourvoi no 94-84.204, Bull., crim. no 346 * 118Crim. 27 oct. 1997, affaire Carignon. * 119 Articles 432-11 du CP français et 318 et 319 du CP italien ; Il est possible d'ajouter que l'article 432-11 du CP français fait également référence « à la mission, au mandat » en plus de « la fonction ». Mais pour des raisons de commodité de comparaison, il sera utilisé « fonction ou facilité par la fonction ». * 120Crim. 29 juin 2005, pourvoi no 05-82.265, Bull., crim. no 200. * 121 Crim. 30 sept. 2009, pourvoi no 09-84.750. * 122Crim. 30 juin 2010, pourvoi no 09-83.689. * 123 Crim. 3 juin 1997, pourvoi no 96-83.171. * 124 M.P Lucas de Leyssac, A. Mihman, Droit pénal des affaires, Economica, 2009, p.642. * 125Cass., ch. réun., 31 mars 1982, Bull., crim. no 71. * 126 W. Jeandidier, Corruption et trafic d'influence, 2014, §64. * 127 Cass.pen., Sez. VI, 25 marzo 1999, in Riv.pen., 2000, n°75. * 128 S. Canestrari, L. Cornacchia, A. Gamberini, G. Insolera, V. Manes, M. Mantovani, N. Mazzacuva, F. Sgubbi, L. Stortoni, F. Tagliarini, Diritto penale, lineamenti di parte speciale, Milano, Monduzzi Editoriale, VI ed, 2014, p.165. * 129 A. D'avirro, S. Del Corso, E de Martino, P.M. Lucibello, G. Mazzotta, a cura di Antonio D'avirro, I nuovi delitti contro la pubblica amministrazione, Giuffrè editore, Varese, 2013, p.141. * 130 A. D'avirro, S. Del Corso, E de Martino, P.M. Lucibello, G. Mazzotta, a cura di Antonio D'avirro, op.cit., p.141 ; Cass.pen., Sez. Feriale, 25 agosto 2009, n°34834. * 131 A. D'avirro, S. Del Corso, E de Martino, P.M. Lucibello, G. Mazzotta, a cura di Antonio D'avirro, op.cit., p.143. * 132 G. Cocco, E-M. Ambrosetti, E. Mezzetti, I reati contro i beni pubblici : Stato, amministrazione pubblica e della giustizia, ordine pubblico: manuale di diritto penale, parte speciale, 2e édition, Cedam, 2013, p.245. * 133 A. D'avirro, S. Del Corso, E de Martino, P.M. Lucibello, G. Mazzotta, a cura di Antonio D'avirro, I nuovi delitti contro la pubblica amministrazione, Giuffrè editore, Varese, 2013, p.175. * 134 Cass.pen., Sez. VI, 4 maggio 2006, n°33435. * 135Cass. Pen., Sez. VI, 11 luglio 2013, n. 29789. * 136 Cass.pen., Sez. VI, 17 novembre 2014, 47271. |
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