CONCLUSION
Au terme de cette évaluation empirique des effets de la
protection sociale sur la croissance, l'utilisation de dépenses de
sécurité sociale comme proxies de la protection sociale a permis
de relever un impact négatif et significatif des dépenses de
sécurité sociale sur la croissance. Mais le caractère
atypique des économies de l'Afrique subsaharienne a conduit à une
certaine prudence dans l'interprétation de ces résultats car
l'économie informelle y occupe une place primordiale. Cette incidence
négative semblerait s'expliquer par les effets de la fiscalité et
de la corruption qui sont néfastes à la croissance. Car les
prélèvements sociaux sont la cause de l'alourdissement de la
fiscalité.
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CONCLUSION DEUXIEME PARTIE
En fin de compte, d'après la littérature
théorique et empirique, lorsqu'il s'agit du lien entre protection
sociale et croissance les économistes sont partagés sur la
question de savoir si la protection sociale constitue une entrave ou si elle
contribue à la croissance. Ainsi, selon certains, elle
découragerait l'épargne et l'investissement, serait
néfaste à l'emploi et son financement grèverait la
compétitivité du territoire. Pourtant, d'autres réfutent
ces arguments et insistent sur l'apport de la protection sociale à la
croissance par, entre autres, le soutien à la demande, l'enrichissement
du capital humain et l'incitation à la prise de risque. En outre, on
constate que les pays, qui ont aujourd'hui un niveau de protection sociale
élevé, bénéficient également de
manière globale une croissance économique supérieure
à la moyenne mondiale (Enjoras, 1999).
Une évaluation des effets de la protection sociale sur
la croissance à l'aide des données de l'économie
camerounaise a permis de constater que les dépenses de protection
sociale sembleraient exercer une incidence négative et significative sur
la croissance au Cameroun. Les estimations des séries chronologiques ont
été effectuées sur la période 1975 à 2006
à l'aide du logiciel EVIEWS. Toutefois, il ressort de ces
résultats que le caractère atypique de l'économie
camerounaise et surtout les effets des détournements des derniers
publics peuvent justifier cette incidence négative des dépenses
de sécurité sociale sur la croissance.
CONCLUSION GENERALE ET RECOMMANDATIONS DE POLITIQUE
ECONOMIQUE
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Au terme de cette étude, il ressort que la protection
sociale influe sur la croissance via la productivité du travail dans un
plan microéconomique. Ainsi, la protection sociale a une incidence
positive sur la productivité des travailleurs. Ceci a été
prouvé théoriquement à travers une mise en exergue d'une
part, de la théorie du salaire d'efficience car, la théorie du
salaire d'efficience est sans doute aujourd'hui parmi les théories sur
lesquelles les économistes du travail se penchent le plus. Cette
théorie a permis d'établir une relation croissante entre le
salaire d'un individu et sa productivité, et partant le niveau de
couverture sociale que bénéficie un travailleur dans la firme et
l'intensité du travail qu'il peut fournir. Les auteurs comme Leibenstein
(1974), Mirless (1975) et Stiglitz (1976) ont mis l'accent sur le fait que,
dans les pays peu développés où la malnutrition domine,
les performances des individus dépendent directement de leur salaire
exprimé en biens de consommation. D'autre part, la théorie du
capital humain selon laquelle, la protection sociale améliore
l'état de santé des individus et de surcroît leur
productivité. Car la santé a été
présentée comme un élément du capital humain au
même titre que l'éducation. Les auteurs tels que Grossman(1972,
1998 ), Piateki et Ulmann (1996), Ulmann (1999) et Majnoni d'Intignano et
Ulmann (2001) ont démontré que la santé avait un effet
positif sur la productivité du travail car elle permettait de
réduire le manque à gagner dû à l'absence au travail
pour cause de la maladie.
Le régime camerounais de protection sociale mis en
place en 1956, actuellement géré par la Caisse Nationale de
Prévoyance Sociale, qui s'adresse aux seuls travailleurs salariés
relevant du code du travail et aux membres de leurs familles. Il comporte trois
branches qui servent des prestations diverses aux demandeurs qui remplissent
les conditions pour en bénéficier : la branche des prestations
familiales, la branche des pensions et la branche des risques professionnels.
Les prestations de ces branches sont complétées par celle de
l'action sanitaire et sociale. S'agissant du financement de ces branches, il
est assuré par : les cotisations des employeurs pour les branches de
prestations familiales et des risques professionnels, les cotisations des
employeurs et des travailleurs pour la branche des pensions ; un
prélèvement sur les cotisations des trois branches et les
participations des usagers pour l'action sanitaire et sociale.
S'agissant de la prise en charge des malades, on peut estimer
que 4 à 5% seulement de la population camerounaise dispose,
actuellement, d'une forme de protection contre le risque
87
maladie. Il faut y ajouter un pourcentage difficile à
chiffrer, mais de l'ordre de 15%, qui dispose d'une couverture très
partielle du risque grâce aux caisses de secours mises en place dans le
cadre des associations ou tontines traditionnelles (Eppée Kotto, 2004).
Les assurances privées ont connu beaucoup d'échecs et
présentent une rentabilité limitée.
Toutefois il faut noter que le système camerounais de
protection sociale est basée sur la solidarité et présente
des signes d'inadaptation car la limitation de la couverture de
sécurité sociale aux travailleurs salariés qui
représentent à peine 10% de la population, les populations
exerçant dans le secteur informel, le secteur rural vivant encore dans
l'exclusion. De plus, la stagnation du niveau des prestations servies qui n'ont
pas été revalorisées pour tenir compte de la hausse du
coût de la vie.
L'évolution de la protection sociale et de la
productivité du travail au Cameroun a permis de constater que la
productivité du travail est élevée dans le secteur formel
et faible dans le secteur informel qui pourtant regorge une plus grande partie
des emplois. Ainsi la productivité dans l'ensemble s'est
avérée faible. Ceci est dû au fait que les travailleurs du
secteur formel, peu nombreux jouissent d'une bonne couverture sociale tandis
que ceux du secteur informel, majoritaire n'en bénéficient
presque pas. De même, une étude statistique de la
corrélation entre les prestations sociales reçues et la
productivité de la main d'oeuvre a permis de montrer qu'il existe une
forte liaison entre la productivité d'un individu et son niveau de
couverture sociale car le calcul du coefficient de corrélation et de la
covariance entre les deux variables a donné des résultats
satisfaisants. Avec un coefficient de corrélation proche de
l'unité et une variance élevée et positive. Ainsi
l'hypothèse H1 selon laquelle une
hausse de la couverture sociale entraîne une
augmentation de la productivité du travail été
testée.
Les diagnostics macroéconomiques des effets de la
protection sociale sur la croissance ont permis de montrer que d'une part, la
protection sociale pourrait avoir une incidence négative sur la
croissance. Car le financement des systèmes de protection sociale
entraîne un alourdissement de la fiscalité qui a des effets sur
l'attractivité des investissements et la compétitivité
d'une économie, puis la hausse des salaires des travailleurs peu
qualifiés induite par la générosité des
systèmes de protection sociale entraîne une hausse du
chômage de cette catégorie de travailleurs. De plus, si les
régimes de prestations sociales découragent les individus de
travailler, l'offre de travail dans l'économie diminue, ce qui
réduit le niveau de la production et dans certains cas, de
l'investissement et, de ce fait, de la croissance.
La protection sociale n'est pas sans effets sur la croissance
économique (Ahmad, Dreze et Sen, 1991) : elle peut la favoriser en
encourageant la prise de risques, en permettant
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d'adopter des technologies plus productives et en prenant en
compte la problématique hommes-femmes, mais elle peut aussi la freiner
en éliminant le risque et en incitant les individus à modifier
leur comportement. La fourniture par l'Etat d'un soutien aux systèmes de
protection sociale est donc un instrument important du développement
économique, qui force parfois à choisir entre l'efficacité
à court terme et l'efficience à long terme. L'absence
d'instruments appropriés de protection sociale expose encore plus les
pays à des chocs externes qui peuvent interrompre leur croissance. Comme
on a récemment pu le constater, c'est peut-être à cause des
conflits sociaux latents et des carences des institutions ayant pour mission de
gérer les conflits (y compris l'insuffisance des filets de
sécurité sociale) que tant de pays voient leur économie
s'effondrer depuis le milieu des années 70 (Rodrik, 1999). Par ailleurs,
la protection sociale peut être considérée comme un soutien
à la demande, un enrichissement du capital humain, une réponse au
« dilemme des générations » et un facilitateur des
ajustements structurels.
Il ressort de la présente étude qu'un
accroissement des dépenses de protection sociale diminue la croissance.
Ces résultats ont été obtenus en appliquant les
méthodes statistiques et économétriques issues des
études précédentes à des données qui
pourraient être considérées comme de bonne qualité,
notamment les données les plus fiables qui soient disponibles sur le
Cameroun au sujet non seulement de la sécurité sociale, mais
également de l'investissement privé, du PIB réel, du taux
brut de scolarisation du primaire et du secondaire. Les estimations indiquent
une incidence négative des dépenses de sécurité
sociale sur la croissance. Ce qui est contraire avec les résultats
microéconomiques trouvés à la première patrie de
cette étude qui montraient un effet positif des prestations sociales sur
la productivité du travail. Pourtant d'après les études
effectuées sur le lien productivité-croissance (Artus et Cette,
2004 ; Nayman et al, 2004 ; Belorgey et al, 2005) la
productivité du travail est une variable pertinente et positive de la
croissance. Donc un accroissement de la productivité de travail
entraîne une augmentation de la croissance. Ainsi, la protection sociale
qui a une incidence positive sur la productivité du travail devrait
avoir une incidence positive sur la croissance. Cependant, les résultats
trouvés dans la deuxième partie de cette étude conduisent
à penser à une certaine différenciation des
dépenses de sécurité sociale et privilégier celles
qui soutiennent l'emploi dont une augmentation aura tendance à accroire
la croissance, telle que le recommandent Arjona et al. (2002).
Les débats quant aux effets de la protection sociale
sur la croissance doivent certes être pris en compte, mais il n'est pas
question de contester la légitimité de l'existence de la
protection sociale au Cameroun. Cette dernière relève d'un choix,
celui opéré par l'Etat de
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viser le bien-être des citoyens. Pour l'essentiel, il
s'agit aujourd'hui de porter le débat sur les modalités de sa
mise en oeuvre, et de s'interroger sur la manière de faire
évoluer les systèmes de protection sociale pour les adapter au
nouveau modèle de développement socio-économique en
vigueur, tout en continuant de viser l'amélioration du bien-être
des citoyens camerounais.
En somme de toutes ces conclusions, quelques modestes
recommandations de politique économique s'avèrent
nécessaires :
1) Il est important d'étendre la protection
sociale à tous les travailleurs ceci permettra non seulement
aux travailleurs d'être en bonne santé, mais également
d'être plus productifs.
2) Une reforme en profondeur du système actuel
de sécurité sociale est donc appropriée
c'est-à-dire une extension effective de la sécurité
sociale au secteur informel qui regorge un grand nombre d'emplois et aux
agriculteurs du monde rural. Dans le but d'accroire les capacités
productives dans cette partie de l'économie d'une part, et soutenir en
retour la croissance d'autre part.
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