I.1.6. Les théories de la croissance
Les théories explicatives de la croissance sont
relativement récentes dans l'histoire de la pensée
économique. Ces théories, sans négliger le rôle de
l'ensemble des facteurs de production tendent à mettre en avant parmi
ceux-ci le rôle primordial du progrès technique dans la
croissance13. Sur le long terme, seul le progrès technique
est capable de rendre plus productive une économie (et donc de lui
permettre de produire plus, c'est-à-dire d'avoir de la croissance).
Toutefois, ces théories expliquent encore mal d'où provient ce
progrès, et en particulier en quoi il est lié au fonctionnement
de l'économie14.
I.1.6.1. L'école classique
La plupart des économistes de l'école classique,
écrivant pourtant au commencement de la révolution industrielle,
pensaient qu'aucune croissance ne pouvait être durable, car toute
production devait, selon eux, inexorablement converger vers un état
stationnaire. C'est ainsi le cas de David Ricardo pour qui l'état
stationnaire était le produit des rendements décroissants des
terres cultivables, ou encore pour Thomas Malthus qui le liait à son
« principe de population », mais aussi pour John Stuart Mill.
13
Toutefois, Adam Smith, à travers son étude des
effets de productivité induits par le développement de la
division du travail, laissait entrevoir la possibilité d'une croissance
ininterrompue. Et Jean-Baptiste Say écrivait « Remarquez en outre
qu'il est impossible d'assigner une limite à la puissance qui
résulte pour l'homme de la faculté de former des capitaux ; car
les capitaux qu'il peut amasser avec le temps, l'épargne et son
industrie, n'ont point de bornes. » (Traité d'économie
politique, Livre I, chapitre XII)
I.1.6.2. Schumpeter : l'innovation à l'origine
de la croissance et de ses cycles
Nikolai Kondratiev est un des premiers économistes
à montrer l'existence de cycles longs de 50 ans, et Joseph Schumpeter
développe la première théorie de la croissance sur une
longue période. Il considère que l'innovation portée par
les entrepreneurs constitue la force motrice de la croissance. Il étudie
en particulier le rôle de l'entrepreneur dans Théorie de
l'évolution économique en 1913.
Pour Schumpeter, les innovations apparaissent par «
grappes », ce qui explique la cyclicité de la croissance
économique. Par exemple, Schumpeter retient les transformations du
textile et l'introduction de la machine à vapeur pour expliquer le
développement des années 1798-1815, ou le chemin de fer et la
métallurgie pour l'expansion de la période 1848-1873. De
façon générale il retient trois types de cycles
économiques pour expliquer les variations de la croissance15
:
? Les cycles longs ou cycles Kondratieff, d'une durée de
cinquante ans ;
? Les cycles intermédiaires ou cycles Juglar, d'une
durée de dix ans environ ; ? Les cycles courts ou cycles Kitchin, d'une
durée de quarante mois environ.
Schumpeter introduit enfin le concept de « destruction
créatrice » pour décrire le processus par lequel une
économie voit se substituer à un modèle productif ancien
un nouveau modèle fondé sur des innovations. Il écrit
ainsi:
« L'impulsion fondamentale qui met et maintient en
mouvement la machine capitaliste est imprimée par les nouveaux objets de
consommation, les nouvelles méthodes de production et de transport, les
nouveaux marchés, les nouveaux types d'organisation industrielle - tous
éléments créés par l'initiative capitaliste.
L'ouverture de nouveaux marchés nationaux ou extérieurs et le
développement des organisations productives, depuis l'atelier artisanal
et la manufacture jusqu'aux entreprises amalgamées telles que l'US
Steel, constituent d'autres exemples du même processus de mutation
industrielle - si l'on me passe cette expression biologique - qui
révolutionne incessamment de l'intérieur la structure
économique, en détruisant continuellement ses
éléments vieillis et en créant continuellement des
éléments neufs. Ce processus de destruction créatrice
constitue la donnée fondamentale du capitalisme : c'est en elle que
consiste, en dernière analyse, le capitalisme et toute entreprise
capitaliste doit, bon gré mal gré, s'y adapter. »Joseph
Schumpeter, Les cycles des affaires, 1939
I.1.6.3. La croissance « sur le fil du rasoir »
: Harrod et Domar
Après la Seconde Guerre mondiale, les
économistes Harrod et Domar, influencés par Keynes, vont chercher
à comprendre les conditions dans lesquelles une phase d'expansion peut
être durable. Ainsi, s'il ne propose pas à proprement parler une
théorie de la croissance
15 Joseph Schumpeter, Les cycles des affaires,
1939
14
(expliquant son origine sur une longue période), le
modèle de Harrod-Domar permet, néanmoins, de faire ressortir le
caractère fortement instable de tout processus d'expansion16.
En particulier, il montre que pour qu'une croissance soit
équilibrée :
? c'est-à-dire que l'offre de production augmente ni
moins (sous-production) ni plus (surproduction) que la demande ;
? il faut qu'elle respecte un taux précis, fonction de
l'épargne et du coefficient de capital (quantité de capital
utilisée pour produire une unité) de l'économie. Or, il
n'y a aucune raison que la croissance, qui dépend de décisions
individuelles (en particulier des projets d'investissement des entrepreneurs),
respecte ce taux. De plus, si la croissance est inférieure à ce
taux, elle va avoir tendance non pas à le rejoindre, mais à s'en
éloigner davantage, diminuant progressivement (en raison du
multiplicateur d'investissement). La croissance est donc, selon une expression
d'Harrod, toujours « sur le fil du rasoir ».
Ce modèle, construit après-guerre et
marqué par le pessimisme engendré par la crise de 1929, a
toutefois été fortement critiqué. Il suppose, en effet,
que ni le taux d'épargne, ni le coefficient de capital ne sont variables
à court terme, ce qui n'est pas prouvé.
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