La vulnérabilité aux risques naturels en milieu urbain: cas de la ville de bamenda( Télécharger le fichier original )par Frédéric SAHA Université de Yaoundé I - Master 2 2014 |
IX.2. Cadre conceptuelUn travail sur la « Vulnérabilité aux risques naturels en milieu urbain » nécessite au préalable la définition d'un certain nombre de concepts et expressions clés. En outre, le contexte de variabilité climatique dans lequel est mené cette étude appelle aussi l'explication d'autres concepts. Le milieu urbain s'oppose au milieu rural. Il s'agit d'un espace construit, artificialisé c'est-à-dire doté de nombreuses infrastructures et concentrant une importante densité de populations au km². Le phénomène urbain est très ancien et remonte à l'antiquité. La vallée de l'Indus, la vallée du Nil et la Mésopotamie étaient déjà urbanisées en 4 000 BC11(*). A partir du 19ème siècle, le phénomène d'urbanisation connait une accélération sans précédente qui se poursuit jusqu'aujourd'hui. On le mesure facilement par la proportion de la population mondiale vivant en milieu urbain au détriment de la campagne. Sur 10 habitants de la terre, - 1 vivait en ville en 1900 ; - 3 vivaient en ville en 1950 ; - 5 vivaient en ville en 2004 ; - 6 vivront en ville en 2025. 12(*) Au rang des causes de l'urbanisation deux facteurs sont déterminants : - Les migrations. Il s'agit des mouvements des populations qui se déplacent prioritairement vers les milieux urbains. On a par exemple le déferlement massif des populations rurales dans les villes connu sous le nom d'exode rural. - La croissance naturelle. Avec les progrès réalisés dans le domaine de la médecine, la différence entre le taux de natalité et le taux de mortalité est de plus en plus élevé. La concentration des populations dans les milieux urbains appelle à la nécessité de certaines infrastructures afin de satisfaire les besoins des uns et des autres. A ce sujet, il convient de relever la différence entre le fait urbain en pays développés et le fait urbain dans les pays en développement. En pays développés, l'urbanisation est un phénomène qui s'appuie sur une certaine planification. La concentration démographique s'accompagne de la construction des moyens de communications ; de la création d'emplois et surtout la construction des logements. Les centres des grandes villes du monde sont spectaculaires. L'uniformité affligeante des immeubles et les monuments construits à différents carrefours les érige en véritables joyaux architecturaux. En pays sous-développés, le manque de volonté politique et le caractère limité des moyens des Etats inhibent tout contrôle du phénomène d'urbanisation. Lédoux (1995) souligne que dans les pays en développement, les populations s'installent en masse en milieu urbain et ne laissent pas le temps aux infrastructures de les accueillir. Dans ces conditions, le milieu urbain devient un espace où plusieurs problèmes se posent avec acuité. La pauvreté, le chômage et le sous-emploi augmentent la proportion des personnes vivant avec moins d'un dollar par jour. C'est le cas de la plupart des villes d'Afrique Subsaharienne. Boutros Boutros Ghali (1996) alors secrétaire générale de l'ONU affirmait que « l'exode des masses vers les villes conduit à une aggravation de la pauvreté humaine en particulier parmi les femmes et les enfants débouchant à la rareté des logements et des services de base, au chômage, au sous-emploi, aux tensions ethniques, à la violence et à l'abus de la drogue et de la criminalité »13(*) Le problème des déchets, et la gestion des ordures ménagères soulèvent d'immenses problèmes. Les pays développés ont adopté l'incinération qui a pour conséquence le transfert vers l'atmosphère des Gaz à Effet de Serre (GES) responsable de la pollution et la contamination de l'air. La bidonvilisation qui le fait pour les populations pauvres arrivées en ville de s'installer dans des espaces impropres où elles développent différents moyens de survie. Le cas des favelas14(*) brésiliennes à la périphérie de Rio de Janeiro sont très marquants. Plus marquant encore le cas de Kibéra au Kenya où les populations s'installent dans des zones accidentées nonobstant les risques imminents. Au Cameroun, le phénomène est observable dans la plupart des métropoles ; particulièrement dans les villes à terrains ondulé comme Yaoundé, Bafoussam, Mbouda, Foumban, et même Bamenda où les bidonvilles sont créés sur des pentes abruptes et les bas-fonds inondables (marécages). Ces zones par nature impropres à l'installation humaines sont des espaces de prédilection d'un ensemble de phénomènes dommageables comme les risques naturels. Etymologiquement, risque dérive du latin resecum (ce qui coupe) pour désigner dans le domaine de la navigation maritime « l'écueil qui menace les navires ». Il s'agit donc d'un danger plus ou moins prévisible pouvant occasionner des dommages qui peuvent être humains économiques ou environnementaux. Les risques peuvent être de plusieurs ordres. On distingue généralement les risques technologiques (explosion d'une centrale nucléaire...), les risques sanitaires (épidémies), les risques urbains (embouteillages...) et les risques naturels. Pour ce qui est des risques naturels qui font l'objet de cette recherche, l'arbre conceptuel suivant est proposé (figure 4).
Figure 4 : Conceptualisation du Risque Naturel (Source : adapté du classement des types de risques par la DPC) Le Ministère Français de l'Ecologie et du Développement Durable (MEDD) propose pour le risque naturel la définition suivante « conjonction d'un phénomène naturel dit aléa et d'une vulnérabilité des biens et des personnes exposés ». Thouret (1996) propose l'équation suivante : Risque naturel = aléa d'origine naturelle × vulnérabilité La vulnérabilité renvoie à l'exposition et la sensibilité des enjeux ; c'est-à-dire l'ensemble des personnes et des biens susceptibles d'être affectés. Plus un enjeu est vulnérable plus il est affecté par l'aléa. Généralement, on mesure les risques naturels en fonction des dommages qu'ils occasionnent (approche quantitative). Suivant ce raisonnement on dira que les tremblements de terre sont les plus grands risques au monde. L'aléa est la manifestation du phénomène dommageable. Il s'agit d'un évènement qui se défini par son intensité, sa probabilité d'occurrence spatiale et sa probabilité d'occurrence temporelle15(*). L'intensité correspond à la magnitude du phénomène, son importance ou alors sa violence. L'échelle de Richter permet de cerner l'intensité du séisme. La vitesse des masses d'air détermine la violence des cyclones. Pour ce qui est des inondations, la hauteur des eaux de crue peut être révélatrice de leur capacité d'endommagement. La probabilité d'occurrence spatiale est liée à l'exposition de certains endroits du globe à certains aléas. La « ceinture de feu du pacifique » est réputée pour être une des zones les plus dangereuses du globe16(*). La probabilité d'occurrence temporelle correspond à la fréquence de l'aléa. Le phénomène peut être cyclique ou non. On parle de période de retour. La période de retour peut être longue ou courte ; on peut aussi l'exprimer quantitativement : 1, 3, 10 ou 30 ans. Il faut rapporter que ces dernières années, les risques naturels sont devenues plus violents et font davantage de dégâts surtout en milieu à fortes densités à cause de la vulnérabilité des différents enjeux exposés et/ou sensibles. Vulnérabilité vient du latin « vulnus », blessure. Ce qui est vulnérable est fragile c'est-à-dire qui peut être blessé, frappé par un mal. Les personnes vulnérables sont celles qui sont menacées dans leur autonomie, leur dignité ou leur intégrité physique et/ou psychique. La vulnérabilité peut résulter de l'âge, de la maladie, d'une infimité, une déficience physique ou psychique ou un état de grossesse. Avec l'émergence de la science des risques (cyndinique), la vulnérabilité a été de plus en plus étudiée comme un facteur important permettant de réduire les dégâts causés par les différentes catastrophes. Il faut indiquer que dans le domaine des risques naturels, les spécialistes ont longtemps concentré toutes les énergies sur l'étude des aléas au détriment de la vulnérabilité. Pour recentrer l'étude des risques naturels sur la vulnérabilité, Léone (2005) propose la définition suivante : la vulnérabilité est « une propension à l'endommagement ou au dysfonctionnement de différents éléments exposés (biens, personnes, activités, fonction et système) constitutif d'un territoire et d'une société donnée ». Dans le domaine des risques climatiques, le GIEC propose la définition suivante : la vulnérabilité est le « degré selon lequel un système est susceptible, ou se révèle incapable, de faire face aux effets néfastes des changements climatiques, notamment à la variabilité du climat et aux conditions climatiques extrêmes ». Pour comprendre cette définition dans un sens plus large, la vulnérabilité peut être considérée comme étant la capacité d'un individu, d'un groupe ou d'un système à se maintenir face à un évènement brusque appelé aléa ; ou alors de s'adapter de manière fondamentale. On pose l'équation suivante : Vulnérabilité = Exposition × Sensibilité L'exposition renvoie à la situation géographique par rapport à l'aléa. Ainsi, tout l'espace balayé par les cyclones est vulnérable aux effets dévastateurs de ces vents violents. La sensibilité est le degré de résistance. Cette résistance dépend des facteurs comme l'acceptation du risque, la connaissance et la perception de l'aléa. La sensibilité revoie aussi à la dépendance à un enjeu majeur. Une ville ayant une seule voie d'accès et de sortie est vulnérable par sa sensibilité à cette route. Il faut donc comprendre que plus un système est sensible plus il est vulnérable et est incapable de se maintenir ou de se remettre après un évènement endommageable. L'étude de la vulnérabilité passe par l'analyse d'un certain nombre de facteurs et une compréhension des enjeux exposés comme le démontre la synthèse ci-dessous (figure 5). Figure 5: Synthèse du concept de vulnérabilité (Source : adapté de Thouret et D'Ercole, 2009) L'approche quantitative examine les risques naturels en termes de valeur comptable des dommages subis. Dans l'approche quantitative, on s'intéresse aux différents facteurs qui matérialisent la vulnérabilité. En plus de ces facteurs stationnaires classiques (structurels, géographiques et contingents), la variabilité climatique intervient aujourd'hui comme un nouveau facteur notamment dans son rôle de déclencheur et d'aggravateur. La variabilité climatique est une expression assez récente qui entre dans le champ sémantique d'un phénomène plus connu : « les changements climatiques ». Le GIEC définit le changement climatique comme étant « tout changement permanent du climat dû à l'activité humaine ou au processus naturel ». Avant d'arriver à la définition de la variabilité climatique, il est important de comprendre d'autres expressions comme la variation climatique et l'oscillation climatique. On parle d'oscillation lorsqu'on observe des modifications dans le climat pour une période inférieure à 30 ans ; lorsque la période est supérieure à 30 ans, on parle de variation climatique. La variabilité climatique quant à elle désigne les variations saisonnières et annuelles des paramètres météorologiques au sein des régions ou des pays17(*). Par leurs différents rapports, le GIEC met en évidence le fait que la variabilité climatique affecte aujourd'hui toutes les parties du globe. Les précipitations et les températures sont de plus en plus instables et irrégulières d'une saison à une autre. Ce qui est à l'origine de nombreux dégâts. Parmi les facteurs à l'origine de la variabilité climatique, on peut citer les activités humaines, le déboisement, le défrichement, l'urbanisation, les processus naturels etc. La variabilité climatique affecte plus durement les populations les plus pauvres du globe ; et est à l'origine des malnutritions, la famine, les pertes d'infrastructures, les épidémies, les déplacements des populations, la dégradation et la désertification des terres, la modification ou la perte de la biodiversité, l'accroissement de l'érosion des sols et l'ensablement des cours d'eau. La variabilité climatique est aujourd'hui un phénomène palpable partout dans le monde. En Afrique en général et au Cameroun en particulier, de plus en plus de populations se plaignent du retard ou de la précocité du retour des précipitations, l'instabilité des saisons. L'augmentation drastique des températures pendant les saisons chaudes. Toutes ces situations sont à l'origine de l'augmentation de la fréquence et de l'intensité des phénomènes climatiques extrêmes comme les inondations et les sécheresses. La variabilité climatique a aussi un impact sur les phénomènes géomorphologiques comme les glissements de terrain, les chutes de pierre etc. En effet, la variabilité climatique impose de nouveaux défis dans la gestion des risques naturels. Pour éviter de continuer à subir ces phénomènes, le GIEC (2001) propose un ensemble de stratégies : l'adaptation, la mitigation, l'augmentation de la capacité de résilience. S'adapter c'est se conformer ; intégrer des ajustements pour s'en sortir dans un système changeant. Les premières études scientifiques faites sur l'adaptation furent menées par le naturaliste anglais Charles Darwin dans les années 1880. Cet auteur démontre que chaque espèce connait une évolution interne. Cette évolution peut se situer au niveau anatomique, physiologique ou comportemental. Ainsi, seul les individus qui adoptent les caractères les plus appropriés survivent et se reproduisent pour assurer la pérennité de leur espèce. L'adaptation est alors la possibilité pour une espèce de développer de nouvelles armes pour survivre dans un environnement inhabituel. Après la mise en évidence de l'aggravation des problèmes environnementaux au début des années 1980 l'adaptation fut définie comme un des axes de lutte. Depuis lors, beaucoup de travaux ont été réalisés sur l'adaptation. Le GIEC propose une définition exclusive dans le domaine des changements climatiques : «l'ajustement des systèmes naturels ou humains en réponse à des stimuli climatiques ou à leurs effets, afin d'atténuer les effets néfastes ou d'exploiter des opportunités bénéfiques ». Au plan international, la Banque Mondiale et le FMI et les autres bailleurs de fonds financent les stratégies d'adaptation dans les pays les plus vulnérables. Au Cameroun certaines activités économiques comme l'agriculture expérimentent actuellement plusieurs stratégies d'adaptation. En général, l'adaptation est soit anticipative ou réactive comme le montre le tableau 1. Tableau 1: Exemple de choix d'adaptation
Source : Tsalefac M. (2011) Changement climatiques et société Pour réussir l'implémentation des stratégies d'adaptation, les recommandations suivantes doivent être suivies. - Améliorer le suivi des impacts et la base de données des indicateurs ; - Développer la formation et la sensibilisation ; - Favoriser la prise en considération de l'adaptation dans la planification territoriale; - Mettre en place un groupe de travail interdisciplinaire sur l'évaluation du coût des impacts des différents risques ; - Intégrer les problématiques d'adaptation dans le cahier des charges de la formation ; initiale des architectes et autres cadres de l'aménagement du territoire; - Intégrer l'adaptation dans les programmes de développement ; - Élaborer un plan d'action sur l'adaptation. Dans le domaine des risques naturels en milieu urbain, l'adaptation vise la réduction des dégâts causés par les différents aléas. La dotation en services de secours (sapeurs-pompiers, SAMU...), l'éducation des populations, le strict respect des règles d'urbanisation etc. participent à augmenter les capacités des populations, à atténuer tout effet de phénomènes dommageables ; notamment par l'augmentation de leur capacité de résilience. Résilience Terme « synonyme » avec les mots comme la résistance, l'endurance, la solidité, la résilience est littéralement l'aptitude de résister à un choc. Dans le domaine de la physique, il est proche des termes comme la ductilité, l'élasticité, la dureté, la malléabilité etc. Le concept de résilience émerge aux Etats Unis à partir des années 1980. En France, c'est Cyrulnik et al. (2000) qui le développe en parlant «d'un merveilleux malheur » (1999). L'auteur aborde la capacité des hommes à surmonter les traumatismes comme les deuils provoqués par la guerre, les maltraitances physiques, l'inceste... Avec la montée en puissance des problèmes environnementaux, le concept de résilience connait aujourd'hui un nouveau développement comme moyen de lutte au côté des stratégies d'adaptation et de mitigation. Holling, 1986 cité par Aschan-Leygonie et Baudet, 2009 défini la résilience comme étant la capacité d'un système à intégrer une perturbation ou un stress dans son fonctionnement, à s'adapter, voire à être renforcé par cette perturbation. Etre résiliant c'est pouvoir retrouver son état initial après avoir subi les dommages d'un aléa naturel ou anthropique. Dans le domaine de la vulnérabilité, la résilience est un facteur déterminant. Plus on est résilient moins on est vulnérable. Le développement de la résilience passe par : - La connaissance des enjeux exposés et des facteurs de vulnérabilité du territoire ; - Les actions pour faire face aux risques ; - L'adaptation via les stratégies concrètes de développement durable. En résumé le concept de résilience peut être mieux appréhendé à travers la synthèse suivante (figure 6). Figure 6 : Synthèse du concept de résilience (Source : Olinga-Olinga , 2010) * 11Fombe L. and Balgah S. N, 2012 «the urbanization process in Cameroon: patterns, implications and prospects» Nova Science Publishers, Inc. New York 215 pages * 12 Encyclopédie Microsoft encarta 2009 * 13 A l'occasion de la conférence sur les établissements humains à Istanbul (Turquie) * 14 Vocable espagnol signifiant bidonville * 15 Tchindjang M., 2012 « Les catastrophes et risques dans les hautes terres de l'ouest Cameroun » Support de cours pour MASTER URAMDEUR 2011/2012 Université YAOUNDE I * 16Allègre C., 2001« Histoire de terre » Fayard, Paris, 1048 pages * 17Tsalefac M., 2010 « Climat et variations. Définition de la notion, manifestations, causes et conséquences » support de cours université de Yaoundé I département de géographie |
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