Introduction
L'étude de la croissance des pays industriels a permis
de prendre conscience de la relation étroite, on pourrait dire du lien
causal fort existant entre le trend ascendant de l'économie et, le
développement de l'intermédiation financière. Comme le
relève Bekolo-Ebé (2002), tout au long du
XXème siècle, l'expansion des entreprises s'accompagne
d'une forte expansion des marchés financiers et d'un
développement particulièrement rapide des institutions
financières, notamment s'agissant de la multinationalisation des
entreprises, l'internationalisation du capital productif et marchant allant de
pair avec l'internationalisation du capital financier. Ainsi, en favorisant une
allocation plus efficace des capitaux, les mutations financières ont
sans conteste contribué à rendre le fonctionnement des
systèmes bancaires et financiers internationaux plus efficients
(Demartini, 2004). Comme un "effet de caillou dans l'eau", les
mutations financières internationales ont affecté les circuits de
financement de l'économie camerounaise, à l'initiative des
pouvoirs publics soucieux de rendre leur économie plus dynamique. La
plupart des études, théoriques comme empiriques, qui montrent le
rôle primordial du secteur financier dans la croissance, concluent que le
développement inadéquat du système financier peut
constituer un obstacle à la croissance et que sa réforme,
consistant à développer des mécanismes de marché,
doit être considérée comme prioritaire. Ces travaux ont
été à la base de la vague de la libéralisation
financière en Amérique latine et dans d'autres pays en
développement dans les années soixante-dix. Les chocs
extérieurs auxquels ont été soumis les pays de la Cemac au
début des années quatre-vingt (bouleversement des conditions
financières internationales et des termes de l'échange) ont
donné une certaine impulsion à des réformes de leurs
structures financières.
L'ensemble des mesures ainsi adoptées par les
autorités, a eu une incidence sur le système financier. Il
convient dès lors de mesurer cet impact par une évaluation de la
compétitivité financière du système bancaire
(section I), ainsi que celle de la politique de crédit
entre 1972 et 1990 puis de 1990 à 2012 (section II).
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Croissance et mutations du système financier
au Cameroun. IRIC/BMFI
SECTION I : EVALUATION DE LA COMPETITIVITE FINANCIERE
DU SYSTEME
BANCAIRE.
Le lien entre finance et croissance économique renvoie
à la question de la répression financière. Selon ces
analyses, le maintien de taux d'intérêt bas et plus
généralement de l'ensemble des interventions publiques visant
à réprimer l'activité bancaire ne permettent pas
d'atteindre le taux de croissance optimal de l'économie. La thèse
de la libéralisation financière35 s'oppose à
celle de la répression financière. Elle a été
introduite en économie par des auteurs tels que McKinnon
(1973) et Shaw (1973) ; puis elle a été
prolongée notamment par Fry (1982, 1988). Selon les
défenseurs de la libéralisation financière, la
répression financière renvoie à une économie dont
l'activité est profondément lésée par des
interventions strictes et stérilisantes du gouvernement sur les flux
nationaux et internationaux de capitaux. C'est alors que la notion d' «
économies financièrement réprimées » a
été introduite par McKinnon et Shaw pour caractériser des
pays en développement, en l'occurrence, dans lesquels le gouvernement
contrôle le système bancaire et joue un rôle important dans
l'allocation du crédit, par l'intermédiaire du maintien de taux
d'intérêt négatifs en termes réels, de taux
bonifiés pour les secteurs prioritaires, et de réserves
obligatoires élevées. A travers l'utilisation de ces instruments,
les autorités monétaires perturbent les prix relatifs et
l'allocation des ressources. C'est ce qui fera dire à King
et Levine (1993) que « la répression
financière réduit les services fournis par le système
financier aux épargnants, entrepreneurs et producteurs : elle
étouffe, de ce fait l'activité novatrice et ralentit la
croissance économique ».
Considérée comme un instrument de réforme
structurelle, la libéralisation financière a trouvé ses
principaux soutiens auprès des institutions financières
internationales. Aussi bien le FMI que la Banque Mondiale, qui souhaitent
favoriser la réduction de l'intervention des autorités publiques
dans le financement, ont trouvé dans cette thèse une
justification de leurs actions. La libéralisation financière
améliorerait les incitations des banques, des actionnaires, et des
créditeurs et conduirait à développer un comportement
concurrentiel de recherche de profit. Les banques, soumises aux contraintes du
marché, émettraient des titres sur le marché financier
international, ce qui permettrait d'accroître directement les fonds
alloués aux promoteurs de projets favorables au développement.
Dans cette approche orthodoxe de la libéralisation financière,
cet
35Deux thèses concurrentes s'affrontent sur
le concept de libéralisation. D'un côté, les
défenseurs de la libéralisation financière (McKinnon et
Shaw) qui estiment que la libéralisation financière est un moyen
efficace pour accélérer la croissance économique des pays
en développement ; de l'autre, les néo-structuralistes (Taylor et
Winjbergen), qui contestent le bien-fondé de cette politique.
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Croissance et mutations du système financier
au Cameroun. IRIC/BMFI
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ensemble de mécanismes est supposé favoriser une
plus grande efficience économique en termes de concurrence des services
financiers, de réduction de leurs coûts, d'amélioration de
leur qualité et d'innovations. Ces services financiers
amélioreront le bien-être des ménages, la
productivité et la compétitivité des entreprises en
favorisant le crédit, qui lui-même permettra permettant
l'investissement. Ils permettront de transformer les actifs liquides en
illiquides avec mutualisation et transformation des risques. Cependant, dans le
contexte d'une zone ou d'un pays en régime de répression
monétaire, il y a de fortes chances que ce soit le résultat
inverse qui soit observé. Tel est actuellement le cas des pays de la
zone CEMAC. Développée par Tchundjang Pouemi
(1980) dans une excellente contribution à la pensée
économique contemporaine, « Monnaie, Servitude et
Liberté », la théorie de la répression
monétaire trouve dans la monnaie la principale source des
difficultés économiques et sociales des pays africains. Ainsi,
selon Tchundjang Pouemi, « les problèmes
économiques et sociaux sont, à l'heure actuelle, en Afrique,
d'abord monétaires (p. 15) ». Il élabore les fondations
théoriques de la critique des institutions et des normes
monétaires et bancaires dominées par l'étranger. Partant
de la distinction entre monnaie vide et monnaie pleine, il montre pourquoi la
création de monnaie par une banque étrangère ne doit pas
être présentée comme un apport nouveau de crédits ;
le rappel des liaisons entre ouverture de crédits et création
monétaire permet de comprendre l'ampleur de la dépendance d'un
développement dont le financement reste dominé par les
institutions, les normes et les pratiques professionnelles
étrangères. La distinction entre monnaie, bien vide et monnaie
pleine permet en outre à l'auteur de montrer en quoi «la monnaie
précède la production qui la remplit, et non l'inverse ».
Publié au tout début des années
quatre-vingt, bien avant le vent de la libéralisation financière
sur l'Afrique, les enseignements de « Monnaie, Servitude et
Liberté » constituent à l'heure actuelle une
référence absolue pour comprendre le paradoxe de
surliquidité actuelle de la zone CEMAC. Ceci est particulièrement
vrai surtout lorsqu'on lit les propos suivants tenus par un banquier
camerounais, qui de plus est professeur d'économie à
l'université, « ...lorsque nous regardons le montage d'un
dossier, nous partons des résultats des entreprises. On fait un
traitement qui nous permet de savoir s'il y a une pérennité de la
société sur les concours qu'elle sollicite. Nous tenons compte
aussi de nos relations avec la clientèle. Dans tous les cas, nous
prenons toutes nos dispositions pour éviter de retomber dans la
situation d'il y a une dizaine d'années. En somme, tant que les
garanties proposées pour le recouvrement du crédit ne sont pas
bien identifiées, on ne peut pas octroyer le crédit. La banque ne
fabrique pas de l'argent ; elle n'est qu'un intermédiaire, elle
Croissance et mutations du système financier
au Cameroun. IRIC/BMFI
collecte l'épargne des Camerounais et la place dans
des mains sures »36. Ces propos sont
particulièrement intéressants. Ils permettent de comprendre la
place qu'occupent les banques dans le financement de l'économie
camerounaise : celle de simples intermédiaires financiers. Cette
affirmation est d'autant plus intéressante qu'elle vient d'un
universitaire.
La compétitivité financière du
système bancaire camerounais s'apprécie à travers le
respect des normes prudentielles édictées par la COBAC
(1) et les indicateurs de rentabilité
(2).
I.1-REFORMES FINANCIERES ET RESPECT DES NORMES
PRUDENTIELLES:
Le dispositif prudentiel mis en place par la COBAC depuis 1993
sert d'instrument privilégié de la surveillance des banques de
l'ensemble de la sous-région Afrique centrale, en matière des
garanties de solvabilité et de liquidité. L'objectif visé
étant de sécuriser les dépôts et de veiller à
une gestion optimale des crédits. Les banques sur lesquelles portera
cette évaluation sont celles qui ont été en
activité au Cameroun entre l'exercice 1995/1996 (période de mise
en place de la deuxième génération des réformes) et
l'exercice 1998/199937. Elles seront appréciées d'une
part par rapport au respect des normes de solvabilité et d'autre part
par rapport au respect des normes de liquidité.
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