Abstract:
This survey aims to analyze the effects of the financial
mutations on the economic growth in Cameroon. Indeed in the setting of plans of
structural adjustment recommended by the institutions of Bretton Woods, the
Cameroonian government has since October 16, 1990 liberalized the financial
sector, softened the monetary policy, restructured the banks and adopted of new
prudential regulations. Thus, we will analyze the effect of the financial
system reform's on the performances of Cameroonian economy on the period
1990-2012. The gotten results put in evidence an effect mitigated of the
relation between the monetary reforms and the economic growth of long term.
What lets think about the possibility of setting in work of the necessary
conditions to the success of the monetary reforms.
Keys words: Financial mutations, Economic
growth, Financial system.
Croissance et mutations du système financier
au Cameroun. IRIC/BMFI
MEFO'O NGO'O Yves Lionel ~ xi ~
PREMIERE PARTIE: DEVELOPPEMENT FINANCIER ET
CROISSANCE
ECONOMIQUE 11
Chapitre 1: Les fondements
théoriques et empiriques des origines des mutations
financières 16
Section I : La globalisation financière .17
Section II : L'accélération des innovations
financières 23
Chapitre 2: Degré de
développement financier et croissance : analyses empiriques
33
Section I : La crise de l'intermédiation
financière 34
Section II : Les mesures d'ajustement financier au Cameroun
45
DEUXIEME PARTIE: EFFICIENCE DU SYSTEME
FINANCIER SUR LA
CROISSANCE ...62
Chapitre 3: La libéralisation
et la répression financières 61
Section I : Évaluation de la
compétitivité financière du système bancaire
..62
Section II : Évaluation de la politique de
crédit de 1972 à 2012 .72
Chapitre 4: Innovations
financières et croissance économique du Cameroun 83
Section I : Les caractéristiques actuelles de
l'intermédiation bancaire au Cameroun .85
Section II : Émergence de la microfinance ..96
Croissance et mutations du système financier
au Cameroun. IRIC/BMFI
INTRODUCTION GENERALE
«L'erreur ne devient pas vérité
parce qu'elle se propage et se multiplie ; la vérité ne devient
pas erreur parce que nul ne la voit.»
GANDHI
Croissance et mutations du système financier
au Cameroun. IRIC/BMFI
Traditionnellement, lorsqu'on parle de « système
financier », on a toujours une vision trop duale de celui-ci. En effet,
une distinction est faite entre les économies de marché
de capitaux, où la plupart des transactions financières
s'effectuent directement sur le marché et les économies
d'endettement, où prédominent les banques comme
intermédiaires. Il faut souligner également que le système
financier englobe les intermédiaires financiers, les marchés et
l'ensemble des institutions et mécanismes institutionnels
(réglementations, systèmes de compensation, régime de
change, etc.)qui rendent possibles les échanges financiers et qui
participent à leur bon déroulement.
De plus, le système financier international a connu au
cours de ces trois dernières décennies de sérieuses
mutations. Celles-ci sont accélérées notamment par l'essor
des technologies de l'information et de la communication, lesquelles ont
contribué profondément au bouleversement des modalités de
formulation et de mise en oeuvre des marchés des capitaux. Ces mutations
désignent la profonde évolution des systèmes financiers
amorcée dès les années 1970 dans les pays anglo-saxons,
les années 1980 pour les pays européens et les années 1990
pour beaucoup de pays émergents (Romey, 2004). Il s'agit d'une
évolution relative à la conjoncture actuelle qui trouve son
interprétation dans le rétablissement des équilibres
macroéconomiques et l'ajustement financier. A cet effet, le passage aux
changes flottants à partir de 1973, le changement de contexte
macroéconomique (chocs et contre chocs énergétiques,
ralentissement de la croissance, gonflement de la dette publique des pays
industrialisés, abandon des politiques d'encadrement du
crédit) ont conduit à partir du début des
années 1980, la communauté internationale à modifier le
cadre institutionnel mis en place au lendemain de la seconde guerre mondiale.
C'est ainsi que les missions des banques centrales, des banques de second rang,
mais également des institutions financières internationales se
sont modifiées progressivement à travers l'adoption de nouvelles
réglementations prudentielles, la libéralisation du secteur
financier et l'assouplissement de la politique monétaire. Dès
lors, on est passé dans de nombreux pays, d'un système financier
centralisé à un système financier
décentralisé. Cette évolution s'est traduite dans les pays
en voie de développement par l'apparition des marchés
émergents et la libéralisation financière d'une part et
dans les pays développés par la désintermédiation
d'autre part.
À l'observation, deux faits majeurs vont marquer la
sphère financière. D'un côté, il y a la
globalisation financière qui s'est accompagnée d'une
libéralisation des systèmes financiers nationaux traduite,
elle-même, par le décloisonnement, la
désintermédiation et la marchéisation. D'un autre
côté, il y a l'accélération des innovations
financières dont le développement ne s'est pas effectué
partout au même rythme ; les pays anglo-saxons (États-Unis,
Canada, Angleterre) ont été
MEFO'O NGO'O Yves Lionel ~ 2 ~
Croissance et mutations du système financier
au Cameroun. IRIC/BMFI
leaders en la matière avec notamment la création
du Nasdaq1 en 1971, celle des marchés organisés
d'options à Chicago en 1973 et à Londres en 1978
(Romey, 2004).Les autres pays européens ont
abondé dans le même sens à partir des années 1980,
puis les pays émergents dans les années 1990. Aussi, deux types
d'initiatives sont à l'origine de cette transformation : l'initiative
privée, surtout dans le cas des pays anglo-saxons, avec une
accélération sans précédent d'innovations
financières introduites le plus souvent par les institutions
financières (Silber, 1983)2 ; l'initiative
publique ayant dominé notamment dans les pays européens soucieux
de rattraper le retard de leur place boursière par rapport aux pays en
avance. Progressivement, les marchés financiers se sont
développés, les banques ont suivi le même mouvement en
formant des conglomérats financiers3
multispécialisés. La banque est ainsi devenue une industrie ne se
préoccupant pas seulement de sa fonction d'intermédiation, mais
également de la tenue de ses marges et de son taux de
profitabilité (Bekolo Ebé, 1998). Elle a grandi
et passe de la banque universelle à la banque éclatée
incluant à cet effet, la sous-traitance. Par ailleurs, le secteur
financier camerounais, jusqu'à la fin des années 70, est
caractérisé par une relative stabilité à travers le
poids des pouvoirs publics, le non-respect des normes prudentielles et une
politique monétaire laxiste. Ce qui va conduire à la
première crise bancaire qui va secouer l'ensemble du système
économique et financier au milieu des années 80, se manifestant
à travers au moins cinq facteurs : les défauts de paiement, les
créances douteuses, la suspension des découverts, les pertes
financières des agents économiques du fait de
l'illiquidité des banques, et les faillites (fermetures d'agences ou
de certaines banques).
L'Afrique centrale en général et le Cameroun en
particulier n'ont pas été épargnés par cette
évolution de la structure financière. En effet, le système
financier camerounais, dont les défaillances ont été
révélées en 1987 par la crise économique, a subi de
profondes mutations au cours des années récentes. Les
marchés financiers étant inexistants, ces mutations ont
porté essentiellement sur le système d'intermédiation
bancaire, comme susmentionnées. Les autorités publiques ont
joué un rôle essentiel dans ces changements et cela pour un
certain nombre de raisons : la crise économique qui a frappé les
pays de la CEMAC4 a eu pour conséquence entre autres, la
faillite des banques
1NASDAQ : National Association of Securities
Dealers Automated Quotation, créé en 1971, il constitue
l'inter-marché des entreprises innovantes aux États-Unis et est
divisé en trois étages (baby nasdaq, middle nasdaq, big nasdaq).
Il est le deuxième plus important, en volume traité,
marché d'actions des États-Unis et le plus grand marché
électronique d'actions du monde.
2Silber W. (1983), «The process of Financial
innovation », American Economic Review, May.
3Le terme conglomérat financier
désigne « Tout groupe de sociétés ayant un
actionnariat commun et dont les activités exclusives ou
prédominantes consistent à fournir des services significatifs
dans au moins deux secteurs financiers différents (banques, titres,
assurances) » (Scialom, 1999, p. 40).
4CEMAC : Communauté Économique et
Monétaire de l'Afrique Centrale est née en 1994 sous les cendres
de l'Union Douanière et Économique de l'Afrique Centrale (UDEAC).
Elle est composée de six (06) pays : Cameroun, Congo, Gabon,
Guinée Équatoriale, Tchad et République Centrafricaine.
MEFO'O NGO'O Yves Lionel ~ 3 ~
Croissance et mutations du système financier
au Cameroun. IRIC/BMFI
commerciales et des institutions financières
spécialisées dans le financement à long terme. Ainsi, pour
juguler cette crise, les pouvoirs publics ont mis en place un certain nombre de
réformes financières visant à stabiliser et à
assainir l'environnement macroéconomique. Ces réformes ont
consisté en une redéfinition de la politique monétaire, en
une restructuration du système bancaire par le biais des liquidations,
de fusions, ou de recapitalisation de certaines institutions bancaires. Une
autre politique générale et non la moindre mise sur pied au
début des années 1990 a consacré, à n'en point
douter, la création de la COBAC5dont l'objectif est de
contribuer à l'assainissement du système bancaire par un
contrôle régulier et une supervision des établissements de
crédit.
A la faveur des réformes structurelles
(assainissement du système bancaire, émergence des EMF),
le système financier camerounais s'est caractérisé par la
suite par une forte surliquidité, une forte concentration des
activités de crédits et de dépôts. Le marché
bancaire est en particulier légèrement développé,
avec un faible taux de bancarisation, et les opérations de prêts
ne concernent que les banques du même groupe. Les premiers
bénéficiaires des crédits accordés sont les
entreprises privées, avec environ 65 % du total des crédits. Les
entreprises publiques et les particuliers détiennent respectivement 13.2
% et 12.2 % de l'encours des crédits. La répartition des
crédits à l'économie selon la durée est
dominée par les crédits à court terme qui
représentent 64.9 %, les crédits à moyen terme et à
long terme représentant 32.9 % et 3.2 %, respectivement. Le
marché boursier, faiblement capitalisé (XAF 94 milliards en
2011), est animé par seulement trois entreprises à savoir la
SEMC6, la SAFACAM7 et la SOCAPALM8. Pour
promouvoir et dynamiser le marché financier, le gouvernement a pris
plusieurs mesures dont la création d'un cadre législatif sur les
Organismes de Placement Collectif des Valeurs Mobilières (OPCVM) et la
finalisation des réformes sur la dématérialisation des
valeurs mobilières. En outre, l'émergence de la microfinance est
à la fois une conséquence de la faillite du système
bancaire traditionnel et le produit de la restructuration bancaire. Aussi, le
secteur de la microfinance reste un complément efficace du secteur
bancaire traditionnel dans le financement à court terme des
activités en faveur des pauvres. Le Gouvernement entend améliorer
le rôle de refinancement des établissements de microfinance de la
Banque Centrale à travers: (i) la consolidation et l'extension des
services financiers de base, ainsi que l'amélioration de la
qualité des prestations des Établissements de
5COBAC : Commission Bancaire de l'Afrique Centrale,
créée le 16 octobre 1990.
6SEMC : Société des Eaux
Minérales du Cameroun, filiale de la Société Anonyme des
Brasseries du Cameroun (SABC), créée le 16 Janvier 1979 ;
première entreprise introduite à la bourse, enregistrant sa
première cotation le 30 juin 2006 au cours de 54 000 FCFA.
7SAFACAM : Société Africaine
Forestière et Agricole du Cameroun, introduite en bourse le 09 Juillet
2008. 8SOCAPALM : Société Camerounaise de Palmeraies
créée en 1968 par décret présidentiel n°
68/DF/451, introduite en bourse avant la fin du deuxième semestre 2008
au cours de 45 999 FCFA.
MEFO'O NGO'O Yves Lionel ~ 4 ~
Croissance et mutations du système financier
au Cameroun. IRIC/BMFI
microfinance (EMF) ; (ii) le renforcement du contrôle et
de la transparence au sein des EMF, (iii) le partage des rôles entre la
Commission bancaire de l'Afrique centrale et la Cellule de contrôle des
EMF ; et (iv) le renforcement de la monétisation. Il convient de relever
que le système financier s'est enrichi d'un nouvel établissement
financier public et de deux établissements spécialisés de
crédit, portant ainsi à 15 le nombre des banques en
activité. La mise en oeuvre du plan d'action de renforcement de
l'intermédiation financière s'est poursuivie avec la signature
des textes visant à renforcer le cadre juridique et réglementaire
et à diversifier les instruments financiers. Malgré
l'assainissement du système financier, les normes prudentielles ne sont
pas toujours respectées par toutes les banques. Ainsi, sept (07) banques
en activité disposent de fonds propres nets suffisants pour honorer
l'ensemble des normes prudentielles. La norme prudentielle respectée par
le plus grand nombre d'établissements est celle se rapportant au ratio
de liquidité. La norme relative au coefficient de transformation
constitue celle à l'égard de laquelle l'on observe le plus grand
nombre de banques en infraction. C'est dans ce contexte que nous nous
pencherons sur la question suivante : les mutations
financières ont-elles dynamisé la croissance de l'économie
du Cameroun ?
Sur le plan de l'économie appliquée au
développement, le lien « finance-croissance économique
» a été étudié plus en détail,
notamment avec les travaux de Goldsmith (1969) et
McKinnon (1973), à travers l'école dite de la
répression financière. Selon les auteurs, le secteur financier
joue un rôle important dans le processus de croissance économique
mais il peut être limité si les autorités publiques
agissent sur le prix ou l'allocation des crédits, c'est-à-dire
dans un contexte de répression financière. Les principales
suggestions issues de cette école ont largement été mises
en place dans plusieurs pays en développement pendant les années
soixante-dix et quatre-vingt. Elles visent essentiellement à
libéraliser le secteur financier dont l'objectif est de soutenir la
croissance des taux d'épargne et d'investissement ainsi que
d'améliorer l'efficacité du capital.
Ainsi, de l'interrogation principale susmentionnée
découlent deux préoccupations secondaires, à savoir :
Le système financier favorise-t-il la croissance
économique au Cameroun ?
Les mutations financières permettent-elles
d'améliorer la compétitivité du système financier
?
Ces interrogations revêtent un intérêt
à la fois positif et logique. Sur le plan positif, il est à noter
que les analyses des effets du système financier restent relativement
peu nombreuses.
MEFO'O NGO'O Yves Lionel ~ 5 ~
Croissance et mutations du système financier
au Cameroun. IRIC/BMFI
En outre, malgré la fécondité de la
recherche sur le lien entre le développement financier et le
développement économique dans le monde
(Goldsmith, 1955, 1969 ; Gurley et
Shaw, 1955, 1960 ; McKinnon, 1973, 1991 ;
Shaw, 1973 ; Fry, 1988, 1989 ;
Thornton, 1991, 1944 ; King et
Levine, 1992, 1993 ; Bencivenga et
Smith, 1991 ;Greenwood et
Jovanovic, 1990 ; Pagano, 1993...),
relativement peu de travaux semblent s'être intéressés aux
pays d'Afrique centrale en général et au Cameroun en particulier
en terme de contribution sur la question. L'ambition visant à combler ce
vide peut dès lors s'avérer utile. Sur le plan logique,
l'évaluation de l'impact des mutations sur la
compétitivité du système financier présente un
intérêt évident en termes d'analyses sectorielles des
questions de performance et de financement de l'économie.
En se basant sur les analyses théoriques sur
l'innovation financière qui ont été faites par
Silber9(1983), il ressort que l'innovation
financière est à l'origine des transformations du système
financier. Aussi, deux types d'initiatives peuvent être associés,
en l'occurrence l'initiative privée et l'initiative publique. Cette
innovation financière est comprise comme le produit d'une contrainte
exogène qu'il s'agit de contourner. L'idée était
déjà présente chez Gurley et Shaw
(1960) pour qui « dans toute économie, la structure
financière est continuellement remodelée par les efforts des
agents économiques pour échapper aux contraintes
déjà existantes ». Les analyses de Silber
(1975,1983) et Kane (1983,1988) confèrent
d'intéressants fondements théoriques aux innovations de
contournements, notamment celles introduites par les institutions
financières afin de relâcher la contrainte de la
réglementation.
Cette innovation se développe pour attirer la
clientèle en mettant à sa disposition des instruments
supposés correspondre à ses besoins. Pour Bourguinat
(1992), ce développement constitue une conséquence de la
mondialisation des marchés et de la globalisation financière. Il
va analyser la finance internationale en insistant sur le fait qu'il existe de
nos jours un vaste marché financier international dont les parties sont
étroitement solidaires et interdépendantes. Dans la même
pensée, Bekolo-Ebé (1998) estime que les
économies contemporaines s'engagent au renforcement des interconnexions
et à une unification du marché qui s'homogénéise
par de-là les États-nations.
MEFO'O NGO'O Yves Lionel ~ 6 ~
9Silber W (1983), « The process of Financial
innovation », American Economic Review, May.
Croissance et mutations du système financier
au Cameroun. IRIC/BMFI
Par la suite, les études de Sandretto
et Tiani Keou (1993), Tamba et
Tchamambe Djine (1995), et Bekolo-Ebé
(1996) relèvent les changements de la sphère
financière sur le plan global en s'interrogeant sur l'origine de la
crise et sur l'efficacité des mesures correctives. Pour
Bekolo-Ebé (2001) et Joseph A. (2001),
les reformes ont consisté en une redéfinition de la politique
monétaire, avec l'adoption de la programmation monétaire, mais
aussi en la mise en place d'un cadre prudentiel et en une restructuration du
système bancaire, et en la création du marché
monétaire. Ce qui permet aux banques secondaires de recourir à la
technique d'Open Market pour se refinancer.
Aussi, Hugon (1996) va analyser les
innovations financières de la part des institutions officielles. Ces
innovations concernent les nouveaux produits, les nouveaux circuits, les
nouvelles organisations mais également les nouvelles
réglementations, et les changements de politique économique.
Les travaux de Joseph A. (2000) montrent que
la sphère financière n'a pas d'influence sur la sphère
réelle. Les canaux de transmission entre ces deux sphères
étant la part de l'épargne collectée par les banques et
effectivement allouée aux investissements. Les banques vont donc
rationnées. Mais ces travaux ne tiennent pas compte de la finance
informelle dont l'influence sur la sphère réelle est
indéniable au Cameroun. A cet effet, certaines études ont
montré que 49% des activités sont financées par le
système informel. Aussi, Éboue (1996) estime que
c'est le rationnement bancaire de la demande privée de crédit qui
explique le dynamisme de la finance informelle.
De même que le concept de finance informelle a
émergé pendant les années 1980, le concept de microfinance
a émergé pendant la décennie suivante. Lelart
(2002) élabore les facteurs à la base de l'essor de la
microfinance et pense que l'émergence de la microfinance est une
manifestation de la vitalité de la finance informelle. Dès lors,
la finance informelle contribue certes au fonctionnement de l'économie,
en particulier au sein des familles et de micro-entreprises, et elle le fait
efficacement. Mais elle n'y contribue que faiblement, pour des montants
limités et pour des durées courtes. De nombreuses études
de Nzemen (1988), Lelart (1989) montrent que
les mécanismes informels sont de puissants instruments de mobilisation
de l'épargne et de financement d'activité tant formelle
qu'informelle. Il n'en demeure pas moins vrai qu'ils font face à des
contraintes qui en limitent l'incidence positive. Aussi, le partitionnement des
circuits financiers relève du dualisme financier dans les pays en
développement, composés d'une part, d'un système informel
plus adapté aux structures et aux besoins des populations. D'autre part,
d'un système financier formel déconnecté des structures
économiques internes.
Croissance et mutations du système financier
au Cameroun. IRIC/BMFI
MEFO'O NGO'O Yves Lionel ~ 7 ~
C'est ainsi aussi que, Lelart (2002) va
analyser les conséquences de l'évolution de la finance informelle
sur l'évolution des systèmes financiers et trouve qu'il est
possible que le système financier ne comporte plus qu'une seule
catégorie d'institutions. On serait en présence d'un
système unifié. Romey (2004) définit les
grands traits de la mutation financière et pense que la globalisation
financière et l'accélération des innovations
financières en constituent les deux principaux piliers.
Demartini (2004) va, quant à lui, analyser les
conséquences de la mutation financière et trouve qu'en favorisant
une allocation des capitaux, la mutation financière a sans doute
contribué à rendre le fonctionnement des systèmes
bancaires plus efficient. Seulement, ce gain d'efficience s'est
opéré au prix d'une instabilité accrue.
Il faut tout de même noter que, depuis les travaux de
Goldsmith (1969), il est reconnu qu'il existe un lien entre le
taux de croissance à long terme de l'économie et le niveau
d'évolution du secteur financier. Seulement, cette hypothèse est
galvaudée dans les économies en développement lorsqu'on
tient compte des restrictions réglementaires introduites par les
politiques gouvernementales. Aussi Guillaumont et
Kpodar (2004) relèvent que l'instabilité du
développement financier croît avec le système
lui-même, tout en montrant l'effet favorable du développement
financier sur la croissance économique et l'effet antithétique
des crises financières. Pourtant à l'observation des faits
stylisés de la zone CEMAC, la libéralisation ainsi
enclenchée a permis dans un premier temps d'améliorer les
conditions de dépôts, mais dans un second temps, elle a conduit
à la baisse drastique des ratios de développement financier. Ces
conclusions que nous pouvons tirer de l'observation des faits nous
amènent à nous intéresser davantage au sens de la
causalité entre le développement du système financier et
le phénomène de croissance de l'activité
économique.
L'objectif principal de cette étude est d'analyser
l'effet des réformes du système financier sur les performances de
l'économie camerounaise.
De cet objectif général découle deux
objectifs secondaires :
? Analyser et évaluer l'effet du développement
financier sur la croissance du Cameroun,
? Analyser et évaluer l'efficience du système
financier sur la croissance de l'économie camerounaise.
L'hypothèse centrale des analyses ici
présentées est que les transformations du système
financier favorisent la croissance de l'économie du Cameroun.
MEFO'O NGO'O Yves Lionel ~ 8 ~
Croissance et mutations du système financier
au Cameroun. IRIC/BMFI
MEFO'O NGO'O Yves Lionel ~ 9 ~
De façon plus spécifique :
? Les mutations financières favorisent la croissance
économique au Cameroun.
? Les mutations financières permettent
d'améliorer les performances du système financier national.
Les données primaires seront collectées
auprès des banques et institutions financières non bancaires
ayant été profondément restructurées d'une part
(unités objets) et celles ayant un statut quo (unités
témoins). La méthode des quotas permet de déterminer le
nombre de banques et institutions financières bancaires et non bancaires
à enquêter.
Le constat général est que les analyses de la
croissance au Cameroun sont généralement fondées sur une
approche monétaire, or la croissance est un état
multidimensionnel relevant à la fois du culturel, de
l'économique, du social et du politique. Depuis quelques années,
dans l'analyse de la croissance, un consensus se dégage indiquant que
l'approche monétaire ne suffit plus pour caractériser ce
phénomène complexe. Pour tenir compte de cette critique,
l'intérêt scientifique de ce travail est d'utiliser une dimension
multidimensionnelle de la croissance dans l'analyse de l'impact des mutations
financières sur la compétitivité du système
financier au Cameroun.
Ainsi, nous construirons des indicateurs non monétaires
de la pauvreté, en utilisant l'analyse des correspondances. Pour finir
un indicateur composite de la croissance multidimensionnelle du système
financier sera construit.
Dans ce travail, nous allons nous intéresser à
l'efficacité du système financier à booster la croissance
économique. En effet, en sciences sociales où
l'expérimentation n'est pas possible, l'on fait face à une
alternative. La première branche de l'alternative cherche à
comparer les situations dites « d'avant » avec des situations dites
« d'après » pour chacune des unités statistiques
retenues (banques et institutions financières). Cela se fait autant que
possible en comparant les niveaux d'un ensemble d'indicateurs entre ces deux
situations. La deuxième possibilité, souvent la plus
utilisée, peut être qualifiée de
quasi-expérimentale. Elle procède par comparaison directe entre
des unités statistiques cibles ou objets et des unités
statistiques témoins ou de contrôle. C'est celle-ci qui sera
retenu dans le cadre de ce travail.
Croissance et mutations du système financier
au Cameroun. IRIC/BMFI
MEFO'O NGO'O Yves Lionel ~ 10 ~
Ainsi, on s'intéressera aux approches théoriques
des origines des mutations financières qui nous permettront de poser le
cadre théorique. Par la suite, nous analyserons les conséquences
des mutations financières sur l'économie camerounaise et sur le
système financier dans une démarche empirique. Il s'agira d'abord
d'évaluer la solidité financière du système
bancaire, laquelle s'appréciera à travers le respect des normes
prudentielles édictées par la COBAC, les indicateurs de
rentabilité et les autres indices de performance. A cet effet, il sera
calculé les ratios de solvabilité, de liquidité et les
indicateurs de rentabilité. Ensuite, il sera évalué la
politique de crédit entre 1972 et 1990 (années qui marquent le
début des réformes). Les résultats seront donnés
sous formes de graphiques et de tableaux explicatifs des évolutions
observées. Enfin, il sera évalué la politique de
crédit élaborée entre 1990 et 2012. A cet effet, il sera
décelé l'évolution des tendances. Or, la connaissance des
tendances est essentielle à la politique économique dès
lors que celle-ci tend à s'appuyer sur des prévisions. L'objectif
de la politique économique sera dans cette optique d'inciter ou de
déjouer les tendances normalement observées dans
l'économie. C'est pourquoi nous tenterons, d'interpréter les
évolutions observées et d'en dégager quelques
implications.
Par ailleurs, notre étude utilise les données
relevées depuis 1972, mais s'étend beaucoup plus sur la
période comprise entre 1990 à 2012. Période concentrant
à notre avis les récents bouleversements observés sur la
sphère financière camerounaise. La recherche d'un cadre
illustratif qui puisse aider à l'analyse et l'évaluation de
l'effet du développement financier sur la croissance fera l'objet d'une
première partie. Cette partie permettra d'éclairer la question
des fondements théoriques et empiriques des origines des mutations
financières et la justification des analyses empiriques qui constituera
la clé de voute dans l'évaluation du degré de
développement financier du Cameroun. Dans le premier chapitre, nous
examinerons le concept des « mutations financières ». Plus
précisément, nous étudierons la nature et les origines des
mutations financières en prenant appui sur deux points : la
globalisation financière et l'accélération des innovations
financières. Dans le second chapitre, nous nous pencherons sur la
question du degré de développement financier et croissance. En
prenant appui sur ce cadre mis en place, nous proposerons dans la seconde
partie du mémoire, deux études empiriques complémentaires
qui s'inscrivent dans la lignée des mutations du système
financier. Il nous semblera utile dans un premier temps (troisième
chapitre), de se familiariser aux techniques variées et
complémentaires du système financier nécessaires a
l'appréciation de la libéralisation et de la répression
financières. Ainsi dans un second temps (quatrième chapitre),
nous discuterons des performances des innovations financières sur la
croissance économique camerounaise.
Croissance et mutations du système financier
au Cameroun. IRIC/BMFI
DEVELOPPEMENT FINANCIER ET CROISSANCE
ECONOMIQUE
PREMIERE PARTIE :
«Sois plus sage que les autres si tu le peux,
mais ne leur dis pas.»
Lord Chesterfield
Croissance et mutations du système financier
au Cameroun. IRIC/BMFI
Croissance et mutations du système financier
au Cameroun. IRIC/BMFI
rythme tend à s'accélérer et à se
propager à l'ensemble des économies. Cette évolution
résulte de plusieurs faits majeurs qui ont particulièrement
affecté le fonctionnement des systèmes bancaires et financiers
nationaux et internationaux, dont deux nous paraissent pertinents pour notre
propos.
Il y a, d'une part, le passage aux changes flottants à
partir de 1973. En effet, à partir du moment où les banques
centrales non américaines ont été conduites en
Février-Mars 1971 à ne plus intervenir aux marges de fluctuation
du Dollar Américain telles qu'elles avaient été
fixées (#177; 4,5%) par l'accord de l'Institut Smithonian de
Décembre 1971, le mouvement était engagé
(Bourguinat, 1992). On s'orientait vers l'abandon du «
Gold Exchange Standard » au profit d'un système de cours
de change déterminé au jour le jour, par le marché. Il y
a, d'autre part, le changement du contexte macroéconomique. Il s'est agi
ici des chocs et contre chocs énergétiques en l'occurrence, de
l'avènement du premier et du second choc pétrolier ; du
ralentissement de la croissance ; et du creusement des déficits
publics.
En effet, les innovations financières ne se sont pas
développées partout au même rythme et, à la
même manière. Elles ont initialement été
amorcées par le secteur privé surtout dans les pays anglo-saxons,
avec une accélération sans précédent d'innovations
financières, introduites le plus souvent par les institutions
financières (Silber, 1975)10. Elles ont
également été initiées par le secteur public
notamment dans les pays européens soucieux de rattraper le retard de
leur place financière par rapport aux autres pays en avance. Aussi,
d'importantes réformes financières ont dès lors
été entreprises par les pouvoirs publics, visant à
décloisonner les marchés nationaux de capitaux, à les
étendre et à en faciliter l'accès, ainsi qu'à
libéraliser l'activité des banques et à favoriser l'essor
de nouveaux intermédiaires financiers.
Progressivement, à l'échelle internationale, les
marchés des capitaux se sont standardisés (mêmes produits,
mêmes segments de marchés, mêmes procédés,
mêmes intervenants), et interconnectés jusqu'à créer
un vaste marché mondial des capitaux (Romey, 2004).
10 Silber W. (1975), Financial innovation, (Ed.)
Lexington Books.
MEFO'O NGO'O Yves Lionel ~ 12 ~
Le rôle des marchés des capitaux s'est ainsi
considérablement accru, aussi bien au niveau des modalités du
financement des entreprises, qu'au niveau des possibilités de placements
des ménages.
A cet effet, à partir du début des années
1980, les pouvoirs publics ont modifié le cadre institutionnel mis en
place au lendemain de la seconde guerre mondiale. Les conséquences de
cette modification sont allées au-delà du cadre national et, se
sont répercutées même dans les pays ayant connu un retard
dans leur décollage.
La théorie économique a toujours
été partagée entre deux courants concernant l'importance
du système financier dans la croissance économique. D'un
coté il y a ceux qui, dans la lignée de Bagehot et Hicks, parlent
de son rôle actif dans le démarrage de l'industrialisation en
Angleterre11. Schumpeter (1911) dans son ouvrage
« La théorie de l'évolution économique »
précise que le crédit sert le développement industriel et
qu'il est une condition préalable à la création et au
développement de l'innovation et donc à la croissance
économique. A l'inverse, il y a ceux qui ne croient pas à
l'importance de la relation entre la finance et la croissance
économique. Lucas (1988) affirme que les
économistes exagèrent le rôle des facteurs financiers dans
la croissance, et les économistes du développement expriment
fréquemment leur scepticisme au sujet du rôle du système
financier en l'excluant dans leurs analyses.
Les travaux récents qui ont rapproché les
théories de la croissance endogène et de l'intermédiation
financière se placent dans cette optique. Le rapport sur le
Développement dans le Monde de 1989 publié par la Banque Mondiale
présente déjà une étude approfondie du lien entre
finance et croissance en insistant sur le développement du secteur
financier dans les pays en développement pour renforcer la croissance
économique. Un des premiers modèles financiers de croissance
endogène, celui de Bencivenga et de Smith
(1911) montre qu'une meilleure gestion du risque de liquidité
par le secteur bancaire permet d'augmenter la part de l'épargne
allouée à des placements plus productifs tout en gardant un
niveau général d'épargne constant. Ainsi, une relation
positive entre le secteur bancaire et la croissance économique est
établie de manière théorique. Les articles qui ont suivi
prennent en compte les phénomènes de répression
financière et de libéralisation monétaire et traitent du
secteur bancaire mais aussi des marchés financiers12. En
ce
11 En France, la haute banque, avec laquelle les
familles Sellières, Vernes et Rothschild ont bâti leur fortune au
début du XIXème siècle, a pris une part active dans la
révolution industrielle par ses investissements dans l'industrie et des
transports. C'est ainsi que la maison Sellière s'associe avec Antoine
Schneider, parvient à redresser l'usine métallurgique du Creusot
en 1836. Rothschild, Hottinguer et Laffitte financent, en 1845, la Compagnie du
Nord, qui reliera, par le chemin de fer, Paris à la région
lilloise.
12 Plusieurs articles proposent des revues de cette
littérature, voir par exemple Berthélémy et Varouadakis
(1996).
MEFO'O NGO'O Yves Lionel ~ 13 ~
Croissance et mutations du système financier
au Cameroun. IRIC/BMFI
qui concerne les analyses empiriques, un certain nombre
d'études économétriques sur les déterminants de la
croissance montrent que le niveau d'intermédiation financière est
un bon indicateur des taux de croissance économique de long terme ainsi
que de l'accumulation du capital et des gains en productivité.
King et Levine (1993a et b) utilisent quatre
indicateurs pour mesurer le développement du secteur bancaire et quatre
indicateurs de développement économique. Les résultats
qu'ils obtiennent mettent en évidence une relation robuste entre les
deux familles d'indicateurs. Les crises financières qui ont
secoué successivement ces dernières années les
différentes zones du monde renforcent la thèse d'un rôle
prééminent de ce secteur et la nécessité
d'organiser le mieux possible son fonctionnement. L'étude de la relation
entre système financier et croissance sera abordée en deux
volets, théorique et empirique. Explicitement ou implicitement, dans
toutes les études, on retrouve l'idée qu'un système
financier efficient active le développement économique tout en
l'orientant. Notons cependant que la corrélation est maintenant
largement admise, le sens de causalité reste
contesté13 opposant, d'une part, le développement
financier exogène (conduit par l'offre de services financiers) et,
d'autre part, le développement financier endogène (induit par la
demande de services financiers). La principale contribution des systèmes
financiers à la croissance repose sur le fait que ces derniers
permettent d'assurer le fonctionnement d'un système de paiement efficace
et évolutif, mobilisent l'épargne et améliorent son
affectation à l'investissement. L'existence d'un moyen d'échange
fiable est une condition nécessaire de la croissance. Les
systèmes de paiement évoluent en parallèle et en
interaction avec la croissance économique. La croissance entraine des
gains de productivité, mais aussi une ouverture continue de nouveaux
marchés, une complexité croissante des échanges qui
renforcent la monétisation des économies, qui est
nécessaire à son tour pour soutenir le volume de
l'activité économique. Cette association entre le PIB et le
degré de monétisation de l'économie a été
soulignée dès la fin des années soixante par
Goldsmith (1969). Par ailleurs, le développement des
marchés financiers ou d'intermédiaires bancaires peut assurer une
meilleure mobilisation de l'épargne disponible et soutenir ainsi la
croissance économique. Il facilite notamment l'agglomération des
ressources financières de l'économie. Ceci permet aux
intermédiaires financiers de diversifier les risques associés aux
projets d'investissement individuels et de proposer aux épargnants des
placements à rendements plus élevés. Ceux-ci favorisent la
détention de l'épargne sous forme financière, plutôt
que sous forme d'actifs réels peu rentables. Cette réorientation
de l'épargne peut à son tour renforcer davantage le
développement du système financier. Des modèles
basés sur la théorie de la croissance endogène permettent
de formuler les interactions entre facteurs financiers et croissance
13 Voir R. I. St Hill (1992) et H. Patrick (1996).
On trouvera des éléments de vérification empirique et des
tests de causalité chez Jung (1986) et Thornton (1991, 1994).
MEFO'O NGO'O Yves Lionel ~ 14 ~
Croissance et mutations du système financier
au Cameroun. IRIC/BMFI
MEFO'O NGO'O Yves Lionel ~ 15 ~
en réintroduisant le rôle primordial de
l'intermédiation financière dans l'amélioration de
l'allocation des ressources.
Ainsi, le système financier camerounais dont, les
défaillances ont été observées au milieu des
années quatre-vingt a subi de nombreuses mutations traduites par une
émergence de nouveaux établissements financiers, un essor
remarquable de la microfinance, un passage de l'illiquidité à la
surliquidité des banques et l'adoption des réformes
financières. Les mutations du système financier camerounais ont
été initiées par les pouvoirs publics avec l'appui des
institutions financières internationales, BEAC, FMI, Banque Mondiale qui
ont mis en place un ensemble de mesures sur le plan financier, monétaire
et juridico-institutionnel en vue de rétablir l'équilibre
financier des banques et permettre une meilleure allocation des ressources
à l'économie.
L'objectif de cette partie est d'apporter des
éclaircissements sur le développement du système
financier. Pour cela, il sera présenté au premier chapitre les
fondements théoriques et empiriques des origines des mutations
financières et le deuxième chapitre mettra en exergue le
degré de développement financier avec son incidence sur la
croissance.
Croissance et mutations du système financier
au Cameroun. IRIC/BMFI
CHAPITRE I :
LES FONDEMENTS THEORIQUES ET EMPIRIQUES DES ORIGINES
DES MUTATIONS FINANCIERES
|