CONCLUSION
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Rappelons tout d'abord nos objectifs de départ
qui sont d'une part, la caractérisation des champs politiques,
spatiaux et sociaux qui encadrent et structurent la migration du groupe ici
étudié, et d'autre part, l'analyse des
mobilité/immobilité de ces populations au regard de ces
notions d'espace, de société et de pouvoir politique.
S'articulant autour des notions de migration,
territoires et mobilités/immobilités, ce travail de recherche
s'est attaché dans un premier temps à dégager les
spécificités de la migration nord-africaine en
l'inscrivant dans l'histoire de l'immigration de travail, en
France.
Dans ce contexte, notre intérêt
s'est alors porté sur la problématique
migratoire des immigrés nord-africains âgés et
isolés en mettant en avant son aspect historique et spécifique.
En se focalisant sur la trajectoire spécifique des immigrés
nord-africains, ce travail a aussi tenté de saisir son aspect historique
et actuel.
Partant, nous avons posé la question de
l'approche que nécessite
l'expérience migratoire de cette population ce qui nous
a amené à souligner l'intérêt de
l'approche géographique et celui de la notion de
trajectoire. L'examen de cette notion a conduit à
l'analyse des aspects géopolitiques, spatiaux et
sociaux de la migration nord-africaine en France pour mettre en exergue leur
interaction.
Ainsi, nous avons pu dégager le fait que la
trajectoire spécifique de cette migration marquée par cette
interaction, laisse apparaître les rapports de pouvoir qui la
conditionnent. Par cette approche globale, nous avons pu comprendre à
travers cette trajectoire migratoire spécifique comment se posent les
rapports au territoire et partant, du rapport entre mobilité et
immobilité.
L'enquête qualitative menée
auprès des immigrés nord-africains âgés et
isolés, vivant à Montpellier nous a amené à
comprendre les caractéristiques et la particularité de la
trajectoire de cette catégorie de migrant-e-s et de dégager ainsi
quelques conclusions.
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S'agissant de la notion de trajectoire dans laquelle
est incluse la notion de mobilité/immobilité, celle-ci
est le résultat de la conjugaison de plusieurs facteurs dont les plus
importants sont :
§ l'espace à travers les trois territoires
de départ, d'arrivée et de circulation,
§ la situation sociale dominée par la
pauvreté du territoire de départ : Maroc inutile, montagnes
pauvres, aléas climatiques, etc.
§ une situation politique déterminante pour cette
main-d'oeuvre venue des anciennes colonies,
§ cette trajectoire est la preuve même de
la perpétuation d'une situation néocoloniale dans
le sens où au lieu d'exploiter ces populations chez elles comme
à l'époque coloniale, on les fait venir chez soi.
Ainsi, les témoignages que nous avons collectés
montrent comment pouvoir, espace et société s'imbriquent
pour cantonner l'immigré dans un espace balisé où il est
plus question d'immobilité que de mobilité qu'il soit dans le
territoire de résidence ou dans celui de départ/origine au point
qu'on pourrait croire que les deux pays - d'origine et d'accueil - se
sont concertés pour que tout mouvement de ces migrant-e-s soit
cadré. Ceci est d'autant plus accentué que ces gens sont
en retraite et dans un état de santé qui aggrave encore
plus le cantonnement évoqué, leur assignation à
résidence.
Si au commencement de son projet migratoire, ce groupe
d'individus était dans une projection de retour, au fur et à
mesure que le temps passe, il n'y a plus de projection et la
trajectoire des vieux immigrés nord-africains âgés
et isolés, catégorie qui nous est apparue dans sa
marginalisation, est ainsi construite par des rapports de pouvoir qui
contraignent les migrants à des conditions socio-spatiales circonscrites
entre mobilité et immobilité.
Cette trajectoire comporte plusieurs enseignements : elle
s'inscrit dans la continuité des rapports entre anciennes colonies et
ancien empire. Elle s'inscrit également dans la continuité de la
longue histoire du rapport au travail, dans un cadre de monopolisation des
moyens de production d'une part, et de constitution d'une force de travaille
laborieuse - et dépendante de ces moyens de production
- d'autre part. La trajectoire est ainsi balisée par les aspects de
pouvoir qui selon les besoins fixent et configurent les étapes
administratives mais aussi les statuts sociaux et les pratiques des
individus.
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Des prolongements possibles à ce travail de recherche
peuvent ainsi être faits, notamment en analysant, dans une optique
comparative, les trajectoires d'autres groupes d'individus, comme les migrants
de proximité : Portugais ou Espagnols, ou encore les migrants «
de l'intérieur » Aveyronnais, Bretons, Savoyards,
etc. Une comparaison avec d'autres migrations qui ont eu lieu dans d'autres
régions du monde serait aussi intéressante, nous pensons ici
particulièrement aux « Braceros » et à la migration de
travailleurs saisonniers mexicains vers les États-Unis.
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