La protection pénale des suspects et des personnes poursuivies( Télécharger le fichier original )par Samba Baba N'DIAYE Université Catholique de l'Afrique de l'Ouest - Master Droit Privé Général 2013 |
PARAGRAPHE 2 : LE SYSTEME REPARATEUR EN CAS DE PREJUDICE SUBI :Il apparaît aujourd'hui normal qu'une personne puisse, à certaines conditions, obtenir réparation pour le temps qu'elle a passé en détention provisoire dans le cas où son dossier ne débouche pas sur une condamnation. Cette détention a pu entraîner de lourdes conséquences sur la vie familiale du détenu, lui faire perdre son emploi et le déconsidérer socialement, surtout si la presse s'est fait l'écho de son dossier. L'exemple le plus remarquable est les acquittés d'Outreau où, ces gens ont été considérés parfois par la société comme des monstres. Une indemnisation juste doit compenser ces différents préjudices même si, elle n'efface pas l'affront qu'ils ont eu. Toutes ces personnes auront du mal à regagner la confiance de la société et d'avoir un travail digne. En effet, cette indemnisation est-elle soumise à des règles où tous les détenus relaxés ou acquittés peuvent prétendre ? Si la réponse est affirmative, quel est le régime juridique de cette indemnisation (A). Si le régime juridique de l'indemnisation obéit à des conditions édictées par la loi, les détenus lésés peuvent-ils exercer des recours pour faire valoir leurs droits ? (B). A. Le régime juridique de l'indemnisation : La loi du 30 décembre 2000 modifie l'article 149 issu de la loi du 15 juin 2000 en prévoyant que « sans préjudice de l'application des dispositions des deuxième et troisième alinéas de l'article L. 781-1 du code de l'Organisation judicaire, la personne qui a fait l'objet d'une détention provisoire au cours d'une procédure terminée à son égard par une décision de non-lieu, de relaxe ou d'acquittement devenue définitive a droit, à sa demande, à réparation intégrale du préjudice moral et matériel que lui a causé cette détention ». Le recours aux dispositions des articles 149 et suivants précités n'exclut pas la mise en oeuvre de la responsabilité des magistrats à raison de leur faute personnelle dans le cadre d'une détention provisoire injustifiée112(*). Par ailleurs, sans que ce point soit nouveau par rapport au droit antérieur, la réparation d'une détention injustifiée peut également être sollicitée par la mise en responsabilité de l'Etat du fonctionnement défectueux du service de la justice en application de l'alinéa premier de l'article L. 781-1 du code de l'organisation judiciaire. Ce qui implique que le recours à cette disposition nécessite la démonstration d'une faute lourde ou d'un déni de justice. Mais les articles 149 et suivants, il faut le noter, ne trouvent pas à s'appliquer dans l'hypothèse où la personne a été condamnée à une peine de prison avec sursis et qui aurait subi une détention provisoire dont la durée était excessive. Aussi en droit français cette indemnisation, pour être accordée, obéît à des conditions par rapport au requérant. Ainsi Le demandeur doit avoir subi une mesure de détention provisoire qui s'est soldée, à son égard, par une décision de non-lieu, de relaxe ou d'acquittement devenue définitive. Outre cette mesure de détention, il peut également s'agir d'une mesure d'incarcération provisoire. Ces deux mesures ayant pu au demeurant se cumuler. De même, la détention peut également avoir été subie dans le cadre d'une procédure d'information judiciaire ou d'une procédure de comparution immédiate. Par ailleurs, il n'y a pas lieu de distinguer selon que la mesure de détention provisoire ait été ordonnée à titre principal ou qu'elle résulte de la révocation d'un contrôle judiciaire. La commission nationale de réparation des détentions113(*) a jugé en ce sens le 28 juin 2002 (n°02RDP012) en considérant que l'article 149 du code de procédure pénale n'opère aucune distinction entre la mesure de détention provisoire ordonnée en application de l'article 144 du même code et celle prononcée sur le fondement de l'article 141-1 dudit code, à raison de la soustraction volontaire, par l'intéressé, des obligations de son contrôle judiciaire. En revanche, l'internement d'un détenu reconnu en état de démence au temps de l'action et bénéficiant à ce titre d'un non-lieu ne peut être assimilé à une détention provisoire114(*). Cependant, dans l'hypothèse d'une condamnation partielle, une distinction doit être faite entre la déclaration partielle de culpabilité fondée sur des faits punis d'une peine d'emprisonnement autorisant la détention provisoire, cas dans lequel la demande doit être déclarée irrecevable et la déclaration fondée sur des faits punis d'emprisonnement mais n'autorisant pas la détention provisoire, entraînant de ce fait, la recevabilité de la demande. Cette distinction est notamment une décision rendue par la commission nationale d'indemnisation de la détention provisoire115(*). De même, pour pouvoir prétendre à l'indemnisation, la loi du 17 juillet 1970 avait posé comme condition que le demandeur apporte la preuve que la détention provisoire lui ait causé un « préjudice manifestement anormal et d'une particulière gravité ». Ainsi, pour appréhender le caractère « manifestement anormal » du préjudice, la commission vérifiait les conditions dans lesquelles la décision de placement en détention provisoire avait été prise par le juge. Elle recherchait si la mesure n'était pas due par un laxisme du juge ou encore à un fonctionnement défectueux du service de la justice. On peut citer par exemple de l'absence ou le remplacement tardif du magistrat ayant en charge l'affaire116(*). En ce qui concerne la seconde condition, celle d'un préjudice « d'une particulière gravité », celle-ci se déduisait d'elle-même à partir du moment où le préjudice manifestement anormal était démontré. Depuis le 31 Mars 1997, l'article 149 modifié par l'article 9 de la loi du 30 décembre 2000 ne soumet plus l'indemnisation à la preuve d'un préjudice manifestement anormal et d'une particulière gravité. Les conditions sont assouplies puisque désormais, l'indemnité est octroyée au requérant lorsque cette détention lui a causé un préjudice. En revanche, le corollaire du droit à la réparation intégrale du préjudice subi à la suite d'une détention provisoire injustifiée prévoit trois cas d'exclusion de toute réparation, prévus à l'article 149-1 du code de procédure pénale : 1°)- L'irresponsabilité du demandeur. Est exclue en premier lieu la réparation du préjudice dans le cas où la décision de non-lieu, de relaxe ou d'acquittement aurait pour seul fondement la reconnaissance de l'irresponsabilité du demandeur au sens de l'article 122-1117(*)du code pénal. Ce qui impose de rechercher dans les motifs de la décision si la preuve de culpabilité de la personne a été apportée et si ce n'est qu'en raison de son seul état mental que la décision a été prononcée. 2°)- L'amnistie. Est exclue en deuxième lieu la réparation en cas d'amnistie lorsque la décision de non-lieu, de relaxe ou d'acquittement se fonde sur ce seul motif. L'amnistie doit être par ailleurs postérieure à la mise en détention provisoire. Toutefois, dans le cas où l'amnistie intervient postérieurement à la mise en détention provisoire de l'intéressé et qu'elle s'applique à l'évidence à la procédure en cours, si la remise en liberté de l'intéressé n'est pas décidée dans un délai raisonnable, une réparation pourrait être envisagée pour la partie de la détention postérieure à l'amnistie sur le fondement de l'article 781-1 du code de l'organisation judiciaire. 3°)- Le fait de s'être volontairement et librement accusé ou laissé accuser à tort en vue de faire échapper l'auteur des faits aux poursuites Il s'agit de conditions cumulatives. La personne doit avoir recherché à faire échapper le véritable auteur des faits aux poursuites et de cette manière libre et volontaire. Dans l'hypothèse où une personne se serait accusée à tort en vue de faire échapper le véritable auteur des faits aux poursuites, mais, à la suite des pressions ou de menaces sur sa personne l'ayant contraint à agir de la sorte, il semble qu'elle puisse avoir droit à réparation. Il en est de même si la personne a été accusée à tort, par exemple par faiblesse mentale, sans avoir eu l'intention de faire échapper l'auteur des faits aux poursuites. En somme les conditions d'indemnisation ci-dessus évoquées et les éventuelles exclusions du droit à réparation. En tout état de cause, la commission conserve toujours un pouvoir d'appréciation tant sur le principe de la réparation que sur celui concernant le quantum du préjudice subi. Force est de constater avec regret que ce pouvoir d'appréciation a été exercé de façon assez restrictive puisque la hausse des indemnités allouées par la commission nationale d'indemnisation a, a priori, régressé par la suite. Au cas malien, la détention provisoire est un mal nécessaire. Pour un bon service public de la justice, les inculpés devront être mis aux arrêts pour plus de transparence dans le traitement des dossiers. Cependant, force est de reconnaître qu'il est inhumain de maintenir un présumé innocent en prison dans des délais déraisonnables avant de le faire juger, le libérer et, qui plus est sans indemnisation118(*). Cette injustice pour la recherche de la justice, concernait, dans un passé récent, la plupart des détenus au Mali. Aujourd'hui, en tout cas par rapport aux autres pays comme le Sénégal, la situation s'est nettement améliorée en matière de détention provisoire à cause de la tenue fréquente des assises. Jadis, l'une des tares au Mali, dans le domaine judiciaire et en matière criminelle surtout, c'étaient les longues détentions provisoires. En effet, pour rendre justice, la machine judiciaire nationale commettait moult injustices allant d'une détention provisoire supérieur ou égale à 10 ans à un non- lieu ou acquittement sans indemnisation. Toute chose qui mettait l'inculpé dans une situation de condamné. Conscient que cette situation est une violation des droits de l'homme, les plus hautes autorités du Mali ont fourni beaucoup d'effort à travers la multiplication de l'organisation des assises criminelles, afin d'écourté la durée de la détention provisoire. Cela se justifie facilement à travers les assises précédentes et les présentes assises, où toutes les affaires remontent entre 2007, 2009 et 2010, ce qui fait au maximum 4 ans de détention pour ceux qui sont détenus. Soulignons à ce niveau qu'en France, la durée de la détention provisoire est fixée à 4 ans. Par contre, au Sénégal, des inculpés peuvent faire 10 ans ou plus en détention provisoire. En dépit de ces efforts, certains défenseurs des droits de l'homme trouvent que les autorités judiciaires doivent faire assez. Ainsi, l'AMDH dans son rapport 2008-2009-2010 recommande entre autres : que les délais de la garde à vue et de la détention préventive soient plus courts. Les détenus lésés disposent de recours (B). B. Les recours des détenus lésés : En droit français aux termes de l'article 149-3 du code de procédure pénale, les décisions du premier président de la Cour d'appel peuvent faire l'objet d'un recours devant la commission nationale de réparation des détentions. La procédure doit faire l'objet d'une mise en état du dossier qui aboutit à la décision de la commission. Le recours peut être exercé par le demandeur, l'agent judiciaire du Trésor ou le procureur général de la Cour d'appel (article R. 40-4 du code de procédure pénale). La déclaration de recours est remise au greffe de la Cour d'appel en quatre exemplaires et la remise est constatée par le greffe qui en mentionne la date. En application de l'article R. 40-6 du code de procédure pénale, le dossier de la procédure réparation, assorti de la déclaration de recours et du dossier de la procédure pénale, est transmis sans délai par le greffe de la Cour d'appel au secrétariat de la commission nationale. Le président de la commission peut fixer directement une date d'audience dans certains cas : - lorsqu'il apparaît manifestement que l'auteur du recours a formé celui-ci après l'expiration du délai de dix jours prévu à l'article 149-3 précité ; - lorsque le recours a été formé contre la décision du premier président de la Cour d'appel accordant en référé une provision au demandeur. Hormis ces cas, la procédure doit être instruite par l'échange des conclusions entre les parties comme celle qui se passe devant le premier président de la cour d'appel. Après instruction, la commission rend sa décision. La commission nationale statue souverainement et ses décisions ne sont susceptibles d'aucun recours, de quelque nature que ce soit. La décision rendue doit être motivée. En définitive, une fois la décision rendue, le dossier de la procédure pénale est renvoyé, avec une copie de la décision, au premier président de la Cour d'appel pour transmission à la juridiction qui a rendu la décision de non-lieu, de relaxe ou d'acquittement. Au Mali, la situation est plus complexe car même le régime de l'indemnisation n'est pas spécifié. Il n'existe pas de commission nationale de détention dans notre pays, donc aucun organe spécialisé pour le recours des détenus lésés. Mais l'article 131 du C.P.P stipule que « l'ordonnance de mise en détention et celle de maintien en détention sont susceptibles d'appel par l'inculpé et le ministère public ». Cet appel n'est pas suspensif et l'inculpé garde prison jusqu'à ce que la chambre d'accusation se prononce119(*). C'est dire que le Mali n'a pas pris les dispositions nécessaire pour assurer le droit des gardés à vue ainsi que des détenus contrairement à la France. Les procédés de recours mis à la disposition des détenus sont très amoindris. Les cas d'indemnisation ne sont pas indiqués, et peut être même sont inexistants. Mais malgré tout, en instruction ou en instance, les droits des justiciables sont garantis par des droits fondamentaux qui sont attachés à la personne humaine et ne saurait être ignorés. C'est l'objet de notre deuxième partie qui analysera les droits indispensables qui sont reconnus aux suspects et aux personnes poursuivies dans un procès pénal (Deuxième partie). DEUXIEME PARTIE : LES DROITS FONDAMENTAUX RECONNUS AUX SUSPECTS ET AUX PERSONNES POURSUIVIES : Même s'ils ne sont pas sans limites, parfois importantes, il existe des principes considérables en faveur du délinquant. Il s'agit du principe de la présomption d'innocence qui concerne la personne poursuivie (Chapitre 1) et le principe des droits de la défense qui concerne la personne poursuivie et la victime si elle est partie civile120(*) (Chapitre 2). Si ces principes sont respectés et appliqués fidèlement à un procès, celui-ci sera dit équitable au sens de l'article 6 de la conv. E.D.H, et de l'article 1er du code de procédure pénale du Mali121(*). En l'espèce la présomption d'innocence signifie qu'une personne est présumée innocente jusqu'à ce que sa culpabilité soit établie par un jugement définitif. Il en découle que cette présomption est assurée dès l'instruction préparatoire. En plus le débat doit revêtir un caractère contradictoire dans la procédure pénale malienne et la défense doit être faite par la personne lui-même ou par ses conseils. La présomption d'innocence et les droits de la défense sont des principes fondamentaux du droit qui ne sauraient être méconnus dans le procès pénal par les autorités compétentes. En effet ils permettent l'équilibre dans le procès ainsi que l'égalité des armes. Pour éviter le maximum d'erreurs judiciaires, ces principes ont été institués et ils viennent en complément pour la protection de l'individu. Même s'ils sont reconnus dès les débuts de la procédure et même s'ils sont des garanties tout comme les garanties énoncées dans notre première partie, il n'en demeure pas moins qu'ils diffèrent de ces dernières. En effet, la présomption d'innocence et les droits de la défense ont été érigés en droits fondamentaux et en aucun cas un juge ne peut s'y refuser à les méconnaitre ou à les bafouer. De nos jours, on ne peut pas parler de procès pénal sans évoquer ces deux notions. De surcroit l'équité du jugement en dépend. * 112 Tel a été le cas du juge d'instruction F. Burgaud qui a fait la Une des médias et mis en cause par l'opinion publique dans l'affaire d'Outreau. * 113 Cette commission a été créée par la loi du 17 juillet 1970. * 114 B. CALLE, La détention provisoire, 1ère éd., « Que sais-je ? », Mars 1992, p. 101. Dans le cas de l'espèce, il ne s'agit pas d'une décision judiciaire mais plutôt administrative. * 115 En date du 13 octobre 2000, n°99 IDP 148. Dans cette espèce, a été déclarée recevable la demande du requérant relaxé du chef d'infraction d'association de malfaiteurs ayant pour objet la préparation d'un acte de terrorisme, mais condamné à la peine de 4 mois de prison avec sursis au titre de l'infraction à la législation sur les étrangers, la commission a relevé qu'il n'était pas démontré que l'infraction constituait un délit flagrant au moment de l'interpellation du requérant et qu'elle n'était donc pas susceptible d'entraîner le placement en détention en application de l'article 144 du code de procédure pénale. * 116 Revue de l'Actualité Juridique Française, note de P. LINGIBE, Avocat au Barreau de la Guyane, chargé de cours à l'Institut d'Etudes Supérieures de la Guyane. * 117 Cet article prévoit que « N'est pas pénalement responsable la personne qui était atteinte, au moment des faits, d'un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement ou le contrôle de ses actes ». Le nouveau code pénal français n'a pas repris le terme de « démence » en raison de son imprécision. * 118 Le régime de l'indemnisation en raison d'une détention indue n'est pas spécifié au Mali, en tout cas aucune loi ne l'évoque. * 119 Art. 131, al. 2 du C.P.P du Mali. * 120 On peut rattacher aux droits de la défense à titre indirect les prérogatives accordées à la personne poursuivie, ainsi qu'à la partie civile. * 121 Art. 1er du C.P.P du Mali : « La procédure pénale doit être équitable, contradictoire et préserver l'équilibre des droits des parties. Elle doit garantir la séparation des autorités chargées de l'action publique et des autorités de jugement. Les personnes se trouvant dans des conditions semblables et poursuivies pour les mêmes infractions doivent être jugées selon les mêmes règles. ». |
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