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Coopération transfrontalière en Afrique de l'ouest: Enjeux et perceptions des populations burkinabè

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par Monique Bassénewindé OUEDRAOGO
Université de Ouagadougou - Master 2 de recherche en Sociologie 2012
  

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1.2. Revue de littérature

La coopération transfrontalière dans le monde en général et en Afrique en particulier a fait l'objet de nombreuses recherches. Ces recherches touchent à l'historique du phénomène, aux avantages et aux limites de cette forme de cette coopération, aux types et domaines de coopération transfrontalière. Nous allons passer en revue ces recherches par thématique, en commençant par une exégèse de la coopération transfrontalière, d'abord en Europe et ensuite en Afrique de l'Ouest.

1.2.1. Historique de la coopération transfrontalière

Cas de l'Europe

L'histoire de la coopération transfrontalière nous conduit d'abord dans le vieux continent avec l'Union européenne (UE). L'Europe cumule une importante expertise en matière de coopération transfrontalière qui fait que, même si les situations et les contextes sont différents, des solutions semblables à celles de l'UE peuvent être explorées8(*). Par ailleurs, l'Europe est le continent de prédilection pour la destination de nombreux migrants africains, à la recherche de meilleures conditions de vie et de travail9(*).

Ce qu'on appelle actuellement « Union Européenne » (UE) est une Union qui s'est substituée et a succédé à la Communauté européenne (CE). Association sui generis de vingt-sept (27) Etats européens, elle couvre plus de 4 millions de km2 et compte 495 millions d'habitants ; ce qui la place au troisième rang mondial, derrière la Chine et l'Inde10(*).

Créée sous l'impulsion de plusieurs dirigeants visionnaires11(*), elle est née de la volonté de mettre fin aux guerres qui ont régulièrement ensanglanté ce continent. L'idéal voulu est donc une Europe pacifique, unie et prospère : « L'Union a pour but de promouvoir la paix, ses valeurs et le bien-être de ses peuples. L'Union offre à ses citoyens un espace de liberté, de sécurité et de justice sans frontières intérieures, au sein duquel est assurée la libre circulation des personnes, en liaison avec des mesures appropriées en matière de contrôle des frontières extérieures, d'asile, d'immigration ainsi que de prévention de la criminalité et de lutte contre ce phénomène »12(*). Ce qui cadre bien avec sa devise : « Unie dans la diversité ». Si le début de la coopération européenne date des années 1945, l'Europe sans frontières commence réellement à partir de la décennie 1990-1999 avec la chute du communisme en Europe centrale et orientale qui amène les Européens à devenir des voisins proches13(*). Deux traités seront signés dans les années 90 : le traité de Maastricht sur l'Union européenne en 1993 et le traité d'Amsterdam en 1999. Le 1er janvier 2002, sont introduits des pièces et des billets en Euro. L'euro (€) devient alors la nouvelle monnaie officielle des 17 puis des 27 pays membres et est utilisé chaque jour par 332 millions d'Européens. Les efforts de ce modèle de coopération transfrontalière ont été reconnus par le Comité Nobel norvégien14(*)qui lui a décerné le Prix Nobel de la Paix en 2012. Cependant, en septembre 2008, la crise économique et financière, débutée aux Etats-Unis, frappe durement l'économie mondiale, y compris au sein de l'Union Européenne. Dans ce contexte, plusieurs banques européennes se retrouvent en difficulté.

Cet état de fait semble avoir fragilisé les relations au sein de l'UE dans un contexte où le territoire européen présentait non seulement des disparités socio-économiques importantes d'un Etat membre à l'autre mais également entre les régions au sein d'un même Etat (Rachel Guyet, 2012). Pour celle-ci, ces écarts se sont accentués avec les effets de la crise qui frappe l'Union depuis l'automne 2008 ; toute chose qui a aggravé les difficultés structurelles dans les domaines économique, social et territorial. Cette crise a donc révélé la vulnérabilité des économies européennes, en particulier au Sud et à l'Est de l'Europe. Celles-ci sont actuellement les plus touchées par la crise de la dette publique15(*) et doivent faire face aux pressions internationales pour contraindre leurs budgets ; pressions qui se traduisent en mesures d'austérité qui génèrent à leur tour de fortes tensions sociales.

Embouchant la même trompette, Franck Lirzin (2009) écrit qu'après la chute de l'Union des républiques socialistes soviétiques (URSS), les pays de l'Europe centrale et orientale se sont tournés vers l'Ouest. Aussi, ont-ils arrimés leurs économies à celles européennes et occidentales. Cela leur a permis certes de se développer rapidement et d'entrer dans l'UE pour la plupart. Mais cela les a aussi rendu dépendants des capitaux, des banques et des industries occidentales tant et si bien que dans un contexte de crise, cette dépendance se révèle lourde de conséquences. La baisse des exportations, la hausse de l'endettement, la dévaluation des monnaies, les dégringolades boursières sont autant de signes d'une situation économique qui se dégrade rapidement. Franck Lirzin (2009 : 14) conclue que : « Ce qui est en jeu, ce n'est pas seulement l'économie de ces pays, c'est leur stabilité politique et, au-delà, l'unité de l'intégration européenne ».

Néanmoins, la crise entraîne un renforcement de la coopération économique entre les pays de l'UE, de sorte qu'en 2011, « Les institutions de l'UE ont travaillé sans relâche sur un vaste éventail de mesures et d'idées visant à résoudre la crise. Des progrès significatifs ont ainsi été réalisés dans l'amélioration du système de gouvernance économique de l'Union. Les travaux se sont poursuivis pour renforcer les mécanismes d'assistance financière aux pays de la zone euro, et un vaste débat a été lancé sur la possibilité d'introduire des obligations de stabilité. Les programmes d'aide financière en faveur de la Grèce, de l'Irlande et du Portugal, ainsi que le soutien à la balance des paiements de pays non membres de la zone euro, la Lettonie et la Roumanie, ont été maintenus », (Union européenne16(*), 2012 : 7).

Cas de l'Afrique

En Afrique, depuis les temps anciens, il a existé des formes de coopération transfrontalière, même si elles n'étaient pas encore assez formalisées.

Selon Agnès Lambert (1998), l'Afrique de l'Ouest médiévale regorgeait de dynamiques spatiales, contrairement à l'image stéréotypée qui affirme qu'elle était repliée sur elle-même. C'était même une « économie-monde »17(*), un concept qu'Agnès Lambert a emprunté à Braudel (1979). Pour elle, le continent africain était structuré principalement selon trois types d'espaces: les espaces d'échanges, les espaces monétaires et les espaces politiques. Et dans l'Afrique précoloniale, la frontière n'était pas une limite, mais plutôt un « front pionnier », écrit Igor Kopytoff (1987). C'est dire que du continent a engendré une sorte de matrice culturelle et explique que des sociétés géographiquement éloignées partagent un même modèle de culture politique, de sorte que chaque société créée serait une variation locale d'un modèle régional englobant. En d'autres termes, « (...) l'espace africain n'était pas territorial mais restait avant tout social. Traditionnellement, un village, une région ou une chefferie sont identifiés par le nom du groupe qui les occupe. Les racines africaines se conçoivent par référence à un groupe de parenté, à un ancêtre évoqué, à une position généalogique plutôt qu'à un lieu. L'aptitude sociale à transcender les racines physiques a toujours conféré une grande mobilité aux sociétés africaines, les groupes ou les individus pouvant se déplacer dans une contrée où ils établissaient de nouvelles racines en devenant fondateurs de villages », A. Lambert (1998 : 34). Avec le partage du territoire africain en une « myriade de petits espaces sociaux » (Jean Loup Amselle, 1986) suite à la colonisation, les relations qui existaient entre les sociétés locales ont été désarticulées. Néanmoins, les populations séparées « (...) ne sont pas restées inactives face à cette nouvelle partition et ont franchi les frontières. Les commerçants, habitués de tout temps à sillonner le continent, ont continué à circuler dans des espaces dépassant les limites étroites des nouveaux territoires imposés. », A. Lambert (1998 : 36). Si l'Etat africain est le produit d'un héritage colonial, les Etats africains actuels ont adapté les logiques héritées du passé à leurs projets et à leurs intérêts. Et c'est sur ces nouvelles évolutions que se sont focalisées les recherches scientifiques ces dernières années avec de nouvelles approches centrées sur les notions de « périphéries nationales », de dynamiques des espaces frontaliers et de « pays frontière ».

Pour John O. Igué & al. (2010), la première des initiatives de coopération transfrontalière en Afrique a été expérimentée par le Nigéria à partir de 1988. Le pays a convoqué une série de concertations bilatérales avec les pays limitrophes sur la cogestion des espaces frontaliers. Il en a résulté la mise en place d'un important programme de coopération transfrontalier dont l'aboutissement fut la création de la « National Boundary Commission » en 1991. Sa mission était de réfléchir à une autre manière de gérer les frontières d'Etat en Afrique de l'Ouest et du Centre. De cette expérience, a émergé pour la première fois en Afrique, l'idée de partager aussi bien les avantages que les inconvénients des préoccupations frontalières ; ce qui a changé la nature et la perception des frontières. Naguère analysées et jugées comme des espaces de litige et de chaleur, les frontières sont maintenant considérées comme des « cicatrices de l'histoire », dont il est temps de « se débarrasser » (John O. Igué & al. 2010 : 18), pour en faire des espaces de développement partagés.

Après le Nigéria, poursuit John O. Igué & al. (2010 : 17), ce sont les autorités maliennes qui ont lancé en mars 2002, le concept de « pays frontière » qui selon son initiateur, l'ex-président du Mali et de l'Union africaine, Alpha Omar Konaré se définit comme « un espace géographique à cheval sur les lignes de partage entre deux ou plusieurs Etats limitrophes où vivent des populations liées par des rapports socio-économiques et culturels »18(*).

Au-delà de ces explications, il faut reconnaître que la coopération transfrontalière sonne comme une nécessité impérieuse pour le continent africain qui fait face à des défis sécuritaires nouveaux, notamment l'avancée du terrorisme19(*).

En effet, l'ampleur de la menace terroriste en Afrique occidentale et en Afrique centrale, avec Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI) et Boko Haram, dicte une stratégie commune entre les pays africains pour briser le cycle de la violence et éviter l'enracinement de l'insécurité. Face aux limites des approches individuelles ou partielles, la mise en commun de moyens humains, militaires et de renseignement est primordiale pour lutter plus efficacement contre les menaces de déstabilisation. Rodrigue Nana Ngassam (2013) écrit qu'en termes d'efficacité, la lutte contre le terrorisme et le crime organisé ne peuvent plus se concevoir à partir de catégories telles que l'intangibilité des frontières, la souveraineté ou les rivalités pour le leadership régional.

Dans ces conditions, la coopération transfrontalière semble être une obligation de solidarité communautaire dans la lutte pour la survie.

* 8 ARFE (2012)

* 9 Voir à ce propos les travaux de Nelly Robin (1996), Atlas des migrations ouest-africaines vers l'Europe (1985-1993), Paris, Eurostat, ORSTOM éditions, 110p. Cette géographe se base sur les données d'EUROSTAT qui montrent que, avec environ 3 millions de personnes sur un total de 11 millions d'étrangers (hors ressortissants de l'UE), l'Afrique est, en 1993, la première région d'origine des étrangers en Union Européenne. Elle se situe loin devant l'Asie, l'Amérique et l'Australie (1996 : 15). L'Afrique du Nord constitue la principale région d'origine des Africains en UE, suivie à part égale de l''Afrique de l'Ouest et l'ensemble des autres régions africaines. L'Allemagne est le premier pays d'accueil des étrangers en UE, tandis que la France est le premier pays d'accueil des Africains en UE.

* 10 La France est le plus vaste pays de l'Union, Malte le plus petit. Le multilinguisme est au coeur de la diversité culturelle de l'Union qui compte 23 langues officielles. Les trois principales institutions de l'UE sont le Parlement européen, le Conseil européen et la Commission européenne. Chacune de ces institutions est dirigée par un président. L'actuel président du parlement européen est Martin Schulz dont le mandat qui a commencé en janvier 2012 s'achève en juillet 2014. La Commission européenne est établie principalement à Bruxelles et au Luxembourg, même si elle a aussi des bureaux dans toute l'Union et des « délégations » en dehors de l'Union. Source : www.europa.eu édition en ligne du vendredi 26 avril 2013.

* 11 Konrad Adenauer, Joseph Beck, Johan Beyen, Winston Churchill, Alcide de Gasperi, Walter Hallstein, etc. sont des pères fondateurs de l'Union européenne. Source : www.europa.eu édition en ligne du vendredi 26 avril 2013.

* 12 Selon les alinéas 1 et 2 de l'article 3 du titre I (Dispositions communes) de la version consolidée du Traité sur l'Union européenne. Source : www.europa.eu édition en ligne du vendredi 26 avril 2013.

* 13 www.europa.eu édition en ligne du vendredi 26 avril 2013.

* 14 En 2012, l'UE s'est vue récompensée pour avoir fait avancer la paix, la réconciliation, la démocratie et les droits de l'homme en Europe. Le Comité Nobel norvégien a déclaré avoir voulu honorer le rôle stabilisateur joué par l'UE, qui a contribué à transformer la plus grande partie du continent européen, marqué par la guerre, en un continent de paix. L'UE a oeuvré pour la «fraternité entre les nations» et constitue en quelque sorte un «congrès pour la paix», selon la formule employée par Albert Nobel dans son testament de 1895, qui en fait un des critères d'attribution du prix. Source : www.europa.eu édition en ligne du vendredi 26 avril 2013.

* 15 A propos de la dette, lire : « L'Europe endettée reproduit nos erreurs », Rafael Correa, Président de la République de l'Equateur, docteur en économie. Auteur de l'ouvrage Equateur. De la république bananière à la non-république, Utopia, Paris, 2013 in http://www.monde-diplomatique.fr/2013/12/CORREA/49902, édition en ligne du mardi 20 mai 2014 à 11h10

* 16 Rapport général sur l'activité de l'Union européenne 2011, Commission européenne, Bruxelles, 2012, 176p.

* 17 Immanuel Wallerstein parle de « système-monde ». Lire son ouvrage : « L'Occident, le capitalisme et le système-monde moderne », in Sociologie et sociétés, vol.22, n°1, avril 1990, pp.15-52

* 18 Ces propos sont ceux de Alpha Omar Konaré, rapportés par John O. Igué et al. (2010) et extraits du Discours d'ouverture : Actes du séminaire du Club du Sahel et de l'Afrique de l'Ouest sur le thème « Pour une meilleure approche régionale du développement en Afrique de l'Ouest », Accra, 20-21 mars 2002

* 19 Modibo Goïta, « Nouvelle menace terroriste en Afrique de l'Ouest : Contrecarrer la stratégie d'AQMI au Sahel », in Bulletin de la sécurité africaine, n°11, février 2011, pp.1-8

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