Poétisation d'un univers chaotique( Télécharger le fichier original )par Assia Benzetta Université Mentouri - Master 2 Analyse du discours 2014 |
II.2.b. L'actualité en mytheLes mythes de catastrophes cosmiques racontent comment le monde a été détruit et l'humanité anéantie, à l'exception d'un couple ou de quelques survivants. Les mythes du Déluge sont les plus nombreux, et presque universellement connus. À côté des mythes diluviens, d'autres relatent la destruction de l'humanité par des cataclysmes cosmiques : tremblements de terre, incendies, écroulement de montagnes, épidémies. Évidemment, cette fin du monde n'est pas représentée comme radicale, mais plutôt comme la fin d'une humanité, suivie de l'apparition d'une humanité nouvelle. Mais l'immersion totale de la Terre dans les eaux, ou sa destruction par le feu, suivie de l'émersion d'une Terre vierge, symbolisent la régression au Chaos et la cosmogonie. Dans un grand nombre de mythes, le déluge est rattaché à une faute rituelle qui a provoqué la colère de l'Être suprême : parfois il résulte simplement du désir d'un Être divin de mettre fin à l'humanité. Mais, si l'on examine les mythes qui annoncent l'imminence du Déluge, on retrouve, parmi les causes principales, non seulement les péchés des hommes, mais aussi la décrépitude du monde. On peut dire alors que le Déluge a ouvert la voie à la fois à une recréation du monde et à une régénération de l'humanité. A partir d'une réécriture du mythe, nous pourrons déceler quelques repères qui vont nous aider à traiter le mythe du déluge dans un cotexte actuel: Dans En attendant la montée des eaux, Hugo Morino annonce le déluge dés ses premiers signes : pp.22-23 ( pages déjà citées). Puis : « Avec cette pluie qui n'en finissait pas de tomber (...) », p.64. Par ailleurs, le mythe dit : « Égarés par la toute-puissance, les hommes ont transgressé et même inversé toutes les lois, qui permettent de vivre dans la cohérence et la paix ». Et dans le roman le narrateur ajoute : « n'est-ce pas toujours par la faute des hommes que les paradis sont perdus ? ». Et pour compléter, Thecla dit un soir à Babakar : « le pouvoir : le fond du problème c'est la recherche du pouvoir », p.114. On voit que Dieu est fâché contre le peuple, et c'est pour cela qu'il les châtie. Aussi ce ne sont pas simplement les hommes qui en ont subi les conséquences mais l'univers terrestre tout entier s'est trouvé ébranlé, au point que les limites entre la mer et la terre se sont effacées. Sous l'effet de pluies incessantes, l'eau a fini par recouvrir tout l'espace habité jusqu'au sommet des montagnes. Ainsi ce qui était source de vie est devenu source de mort. Au lieu de féconder la terre et assurer la subsistance des animaux et des hommes, l'eau a tout englouti dans la mort. Il n'est pas difficile de faire le lien du déluge avec le roman de Maryse Condé. Ce n'est plus l'eau qui est en cause, mais c'est l'argent et le pouvoir, expression des richesses permettant de vivre et de survivre, qui contribue à nous enfoncer dans le désastre. L'argent et le pouvoir sont sortis du jeu symbolique. Au lieu de promouvoir une économie de l'homme et du sujet, il est devenu un « diviseur ». A force de spéculations financières et des courses pour le pouvoir, les gains faciles des uns entraînent la misère des autres et les personnages du roman de notre corpus ne savent pas comment sortir de ce monde en folie. Or, voici ce que dit le mythe grec: « Un petit reste, à la marge, qui permet de sortir du système » Il n'est plus possible de permettre au système, conduisant à sa perte, de se transformer par lui-même. Il faut interroger la marge qui s'est mise à distance. Le mythe nous parle d'un « petit bateau dans lequel s'étaient réfugiés Deucalion, fils de Prométhée et Pyrrha sa femme... Prométhée (l'homme prévoyant et critique) les avait prévenus à temps et leur avait donné une solide embarcation (capable de résister au système destructeur). Lorsque Zeus (figure de la raison) vit que les seuls rescapés étaient Deucalion et Pyrrha, tous deux honnêtes justes et pieux, il dispersa les nuages, montrant les cieux à la terre et la terre au ciel. » Il suffit d'un petit reste, qui a conservé le lien entre la terre et le ciel, sans perdre la raison, pour envisager une recréation de l'homme. Deucalion, fils de Prométhée, l'évoque sans détour : « Deucalion soupira doucement : « Chère Pyrrha, dit-il, nous sommes les seuls survivants ; qu'allons-nous faire ? Si seulement, je pouvais comme mon père, créer l'homme avec l'argile ! » « Le temps nécessaire du recueillement pour retrouver l'écoute intérieure » Il semble que la parole créatrice, élan de vie traversant l'univers, parle à l'intérieur de l'homme. Encore faut-il l'écouter pour savoir ce qu'il faut faire. Babakar prépare La Maison et la nourriture pour ses amis et les pauvres et sans abris avant le déluge : « Un terrible cyclone s'approche de nous. Il st déjà sur les Gonaïves. Là, c'est le troisième qui leur tombe dessus. On prévoit qu'il descendra directement sur nous », pp. 310-311. Babakar est un habitué pour ce genre de préparatifs : Son séjour dans l'île voisine qui, bon an mal an, recevait son tribu usuel, avait familiarisé Babakar avec les tempêtes tropicales, les ouragans et autres fureurs du temps. Aussi, il ne fut guère ému. Néanmoins, il prit les mesures de sécurité habituelles. Il passa la journée à acheter des feuilles de contreplaqué afin de barricader portes et fenêtres. Il grimpa sur les trois blockhaus qui composaient « La Maison » pour en vérifier l'étanchéité et fit grouper dans le plus spacieux d'entre eux la garderie, un grand nombre de lits de camp et de matelas. Il offrit au personnel auxiliaire- composé en majorité de femmes seules avec une ribambelle d'enfants à se demander où étaient les hommes -ainsi qu'à Giscard qui restait dans une case en bois de trouver refuge à « La Maison », mais il n'avait pas prévu que nombre de mal-logés viendraient lui demander asile et qu'il lui faudrait se procurer de quoi coucher une cohorte d'hommes, de femmes et d'enfants terrifiée, p.310. Puis après, c'est le commencement du déluge: Peu avant minuit, une pluie torrentielle se déclencha. Du jamais vu ! Les gouttes, aussi grosses que des balles de ping-pong, écrabouillaient tout ce qu'elles touchaient. Au matin tout cela s'arrêta net. Mais ce fut inutile de triturer les boutons des postes de radio ou de télévision. L'électricité, toujours fantaisiste, s'était envolée. Aussi, il était impossible de savoir ce qui arrivait aux Gonaïves et au reste du pays. Dès neuf heures du matin, une chaleur de fournaise s'installa et le disque dur du soleil apparut menaçant, implacable. Fouad et Babakar sortirent pour aller aux nouvelles et compléter leurs provisions. Les supermarchés étaient gardés comme le Fort Knoxe et remplis d'hommes en armes, prêts à tirer, car manquant d'argent, la foule qui se pressait dans les rayons volait tout ce qui lui tombait sous la main. Carrefour et Jumbo avaient été complètement pillés, p.311. Un des réfugiés dit pendant le déluge : Un cyclone, c'est la main encolérée de Dieu qui s'abat sur un pays. Alors, elle arrache une à une les feuilles des pié bwa, casse leurs branches, déracine les plus solides, couche les plus faibles. Elle ne respecte ni pauvres ni riches. Avec égale fureur, elle aplatit les bateaux de plaisance des bourgeois dans les marinas et les cases rapiécées des malheureux dans les fonds. Elle s'amuse à faire valdinguer les voitures et les scooters qui restent dans les parkings. Quand elle a tout cassé, détruit, alors « Bon Dieu rit, p.319. C'est bien clair que les réfugiés sont au courant de la colère de Dieu contre eux. Donc c'est une fatalité qu'ils doivent subir. Babakar a joué le rôle de Noé : « Babakar trouva le temps de donner gratis des consultations aux femmes enceintes, on le surnomme papa Loko », p.325. Et après le déluge c'est le beau temps : Un arc-en-ciel qui forçait la porte des nuages.... ». « Vous croyez que c'est un hasard si nous souffrons tout ce que nous souffrons ? Dictateurs qui nous tuent ou nous obligent à nous exiler, boat-people qui se noient par milliers. Écoles qui s'effondrent sur nos enfants. Cyclones, trois dans une seule saison. Inondation. C'est parce que le Bon Dieu est fatigué avec nous. Haïti n'arrête pas de pécher. Oui, de pécher. D'abord le vodou. Puis la fornication. Puis la drogue. Puis toutes sortes de violences et de viols » p334. Le narrateur se pose une question qui reste sans réponse : « Il avait posé la véritable question, une question qui restait sans réponse ; La nation « pathétique » selon le qualificatif d'un de ses propres enfants était-elle coupable ? De quoi ? Il est vrai que les victimes sont toujours coupables », p.318. Tout se déroule, dans le roman, exactement comme le récit mythique du déluge : Ainsi débuta la première nuit. Dans le chaos. Bientôt cependant, les bruits s'éteignirent. Précédés par une rumeur, énorme, qui semblait sourdre des entrailles les plus secrètes de la terre, les vents commencèrent leur sabbat. Alors, les gens se serrèrent les uns contre les autres. « Le vent se déchaîna le restant de la nuit. Puis une journée et encore une nuit. Puis, un jour entier. Puis encore une bonne partie de la nuit suivante. Enfin, ils s'apaisèrent tout à fait et les trombes d'eau qui ruisselaient s'asséchèrent. Tremblants et assourdis, les hommes et les femmes ouvrirent les portes et se hasardèrent sur la terrasse, ils ne reconnurent plus rien autour d'eux, p.318. Dehors : « ce n'était que cases éventrées, feuilles de tôle éparpillées à travers les rues et débris de poutres. A certains endroits, des véritables marigots s'étaient creusés et on avait de l'eau boueuse jusqu'à mi-corps », p.312. Ensuite : « Tout le monde pense que le Bon Dieu veut en finir avec nous ! », p.313. Et : « Les jours qui suivent un cyclone préfigurent l'Armageddon, cette fin du monde que nous redoutons tous », p.319. Le myhe dit : «Les yeux, pleins de larmes, Deucalion et Pyrrha se mirent à prier sur les marches pleines de mousse du temple de Zeus. Ils l'implorèrent de les aider à rendre la vie à la terre ». Sans oublier que la plupart des malheurs de l'homme tiennent à la perte de son écoute intérieure. C'est ce qu'ont bien compris les spécialistes de la psychanalyse. C'est ce qu'avait déjà compris, bien avant eux, Shéhérazade, dans les Mille et Une Nuits. Patiemment, au cours de Mille et une Nuits, elle a travaillé à rétablir, chez le roi, son mari, le lien perdu à la parole créatrice, porteuse de vie. En réalité, l'homme n'est pas un individu isolé. Même si, comme le dit le mythe, tous les autres êtres humains, à part Pyrrha, sont morts, il n'en reste pas moins que chacun fait partie d'une humanité plurielle à reconstruire. Or cette humanité où convergeraient les paroles créatrices, en interaction les unes avec les autres, représente le temple vivant qui s'oppose au temple de pierre. Il devient urgent de passer de l'un à l'autre. C'est bien ce que propose Zeus aux deux rescapés du déluge : « Quittez ce temple, voilez vos têtes... » Pour avoir invoqué un tel passage, certains ont été accusés de blasphème et ont payé de leur vie un projet apparemment destructeur. Mais les trois amis ; Monvar, Babakar et Fouad n'ont pas construit les temples de l'argent et du pouvoir, où du matin jusqu'au soir les plus habiles s'efforcent de multiplier leurs richesses en prenant le pain des pauvres. S'il ne faut plus s'enfermer dans des temples de pierre, pour passer de la prière à une recréation, comme le prétend Zeus lui-même, combien est-il plus urgent de quitter les temples de l'argent pour construire de nouveaux temples, où chaque pierre serait un être humain, libre et créateur de véritables richesses. « Jeter la mort derrière soi pour en faire surgir la vie ». Thécla dit à Babakar : « tu exercera ton métier, un des plus beaux du monde. Comme d'habitude, tu ne te soucieras pas de gagner de l'argent, mais faire le bien (...) », p.165. Puis, le narrateur se pose une question sans s'attendre à une réponse : « Pourquoi toutes ces souffrances ? À qui profitent-elles », p.115. En attendant la montée des eaux, est un texte submergé de catastrophes ; guerres civiles, cyclone, incendie tremblement de terre. Nul ne peut se sauver excepté celui qui s'abrite dans « l'Arche de l'Esprit », comme le fait Noé dans le mythe judaïque, et Deucalion, fils de Prométhée, dans le mythe grec. L'un et l'autre créent une nouvelle descendance, Purifiée de vice (une nouvelle époque culturelle), comme l'indique, dans le mythe judaïque, le symbole de l'Alliance, accordée à l'Esprit-Dieu, et concrétisée par le signe de l'arc-en-ciel : « un arc-en-ciel qui forçait la porte des nuages.... », p.325. Il serait tentant de penser qu'un savoir universel réside dans la mémoire humaine ; savoir qui nous viendrait d'un lointain héritage. Cette théorie nous ramène à une première humanité qui aurait disparu pour laisser un maigre héritage aux rares survivants. Les esprits plus rationnels penchent tout simplement pour une communication orale d'un mythe du fait que l'homme, de tout temps, a toujours voyagé. Avant l'invention de l'écriture, l'homme communiquait. Il y a-t-il eu emprunt de ces mythes qui sont venus se greffer sur les croyances locales ? Schéma du récit mythique du déluge
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