iii. Des avocats si différents ?
La profession d'avocat excite dans la quasi-totalité
des pays, mais elle garde des spécificités nationales
importantes. Toutefois, entre les barreaux français et le barreau du
Québec les similitudes semblent plus grandes que les différences.
L'ancienneté des relations entre les deux barreaux et la tradition
civiliste commune a créé des liens privilégiés.
Cette relation se traduit notamment par la multiplicité dans les
échanges d'étudiants en droit entre les universités
françaises et québécoises. De plus, pour la France, dans
la compétition que se livre les différents types de droit sur la
scène mondiale, avoir un allié en Amérique du Nord est un
atout.15
L'avocat, au même titre que le médecin, occupe
une place centrale dans la société québécoise, en
France cela évolue vers cette direction. Cependant, il existe encore
proportionnellement près de quatre fois plus d'avocat par habitant au
Québec. Depuis trente ans, la France rattrape son retard puisque le
nombre d'avocats a été multiplié par quatre et la
profession attire « des candidats dotés de diplômes
réputés » (Karpik, 1995 : 459). Cela s'explique par
l'augmentation importante des recours juridiques et l'apparition, comme au
Québec, d'un barreau d'affaires. Comme c'est le cas au Québec, la
France s'est alignée, au cours des dernières années, sur
le modèle anglo-saxon en faisant le lien entre la «
crédibilité sociale et la certification universitaire »
(ibid, 238). Une autre ressemblance que connaît la profession
est sa féminisation. On est aujourd'hui à la parité dans
les deux pays et les femmes représentent une majorité des avocats
de moins de 30 ans.
S'il existe en France plusieurs barreaux, alors qu'il n'en
existe qu'un au Québec, le type d'organisation et de fonctionnement de
la profession est assez analogue. Dans les deux pays, il faut avoir fait au
minimum quatre ans d'études supérieures en droit afin
d'être admissible aux examens de la profession. Il faut aussi chaque
année payer sa cotisation à son barreau d'attache et continuer de
se former tout au long de sa vie professionnelle. Sur
15 David Levy, Directeur du Pôle juridique au
Conseil National des Barreaux, responsable de l'élaboration de l'ARM
avec le Barreau du Québec, entretien du 19 février 2013
16
le plan sociologique, les membres de la profession ne semblent
pas présenter des caractéristiques très
différentes. Les avocats appartiennent aux classes moyennes
supérieures et supérieures.
Si les ressemblances sont grandes, il existe tout même
des différences. La plus importante est, évidemment, la
présence d'un bijuridisme au Québec : le « droit
privé répond à la tradition civiliste, tandis que le droit
public est davantage influencé par la common law » (Le
droit au Québec, 2013 : 1) (Kay, 2009 ; Jutras, 2009 ; Chiasson, 2001 ;
Perret, 2003 ; Gervais et Seguin, 2001 ; Gaudreault-Desbiens, 2007). Il existe
aussi des distensions sur le plan organisationnel puisqu'au Québec un
avocat peut garder son titre s'il travaille en entreprise ou dans la fonction
publique. Ainsi, les avocats qui travaillent en entreprise, dans le secteur
public ou parapublic représentent 35 % des membres du barreau du
Québec (Barreau du Québec, 2012 : 2). Il est aussi possible de
créer des cabinets multidisciplinaires, regroupant notamment des experts
comptables, alors que c'est interdit en France. Par contre avec l'Europe, les
avocats français sont déjà confrontés, depuis le
début des années 90, à la concurrence
étrangère. En effet, 4 % des avocats qui exercent sur le
territoire français sont étrangers, au Québec cette
compétition n'existe pas.
1. Arrangement en vue de la reconnaissance mutuelle des
qualifications professionnelles des avocats
Signé par le Barreau du Québec et le Conseil
national des Barreaux, l'Arrangement en vue de la reconnaissance mutuelle des
qualifications professionnelles des avocats est entré en vigueur en
août 2010. Il permet à un avocat ayant obtenu en France une
maitrise ou un master I en droit ainsi que le certificat d'aptitude à la
profession d'avocat (CAPA) et qui « par ailleurs, satisfai[t] aux autres
conditions suivantes : - Être inscrit au Tableau d'un barreau en France
à titre d'avocat en exercice. - Justifier d'une assurance
responsabilité professionnelle couvrant son activité
professionnelle au Québec par une protection égale ou
supérieure à celle en vigueur au Québec » de passer
un « examen de contrôle des connaissances portant sur la
réglementation et la déontologie » (ARM avocats,
2009 : 5). En cas de réussite à celui-ci, le demandeur peut
« demander son inscription au Tableau de l'Ordre du Barreau du
Québec » (ibid, 5). L'examen de
17
contrôle des connaissances sur la réglementation
et déontologie des avocats a lieu deux fois par an et il consiste en un
examen oral devant un jury de trois avocats, la note de passage est de 60 %.
Pour exercer en France, il faut que le demandeur ait obtenu un
baccalauréat en droit dans une des six universités16
qui dispensent la formation en droit civil et possèdent un permis
d'exercice de la profession d'avocat. L'avocat demandeur doit alors passer une
épreuve portant sur la réglementation de la profession et la
déontologie. Il doit aussi « être inscrit au Tableau de
l'Ordre du Barreau du Québec à titre d'avocat en exercice [et]
justifier d'une assurance responsabilité professionnelle couvrant son
activité professionnelle au Québec par une protection
égale ou supérieure à celle en vigueur pour les avocats
inscrits au barreau français concerné » (ibid, 5).
Ainsi, à partir du moment où les différentes conditions
énumérées ci-dessus sont réunies l'avocat peut
demander son inscription au Tableau d'un barreau français. Notons que
dans les deux cas, il n'existe pas par la suite d'obligations pour le demandeur
de rester membre de son barreau d'origine.
Pour les avocats la reconnaissance est donc une
reconnaissance quasi automatique puisqu'ils doivent simplement
démontrer « l'acquisition de connaissances dans le domaine
déontologique et de la réglementation professionnelle ».
(Côté, 2008 : 370) La répartition des avocats
étrangers selon leur nationalité, effectuée par le
Ministère de la Justice française au 1er janvier 2011,
dénombrait 30 avocats canadiens inscrits à un barreau
français. Les statistiques fournies par le Conseil des Barreaux
établis qu'entre 2010 et 2012, 58 avocats québécois ont
été admis. Ainsi, si l'on enlève les 11 admis en 2010 aux
30 avocats canadiens exerçant sur le sol français au
1er janvier 2011, le nombre d'avocats canadiens exerçant en
France a été multiplié par trois sur une période de
trois ans. Au 31 décembre 2012, on évalue à 77 le nombre
d'avocats canadiens exerçant dont au moins 58 provennant du
Québec17. À l'étude des données, il est
indéniable que la signature de l'ARM a permis d'augmenter le nombre
d'avocats exerçant en France, mais
16 L'université d'Ottawa est aussi dans
l'entente puisqu'elle possède une section de droit civil et que ses
étudiants peuvent appliquer à l'École du Barreau du
Québec
17 Ministère de la justice, D.A.C.S Ð
Pôle d'évaluation de la justice civile -, « Statistiques sur
la profession d'avocat Ð situation au 1er janvier 2012 »
18
ils demeurent moindres par rapport à d'autres
nationalités comme l'Allemagne (214) ou les États-Unis (140). Les
chiffres n'étant malheureusement pas disponibles pour le Québec
nous ne pouvons pas effectuer le même exercice.
L'ARM prend de la « valeur » lorsqu'on analyse les
démarches exigées pour les avocats non assujettis à l'ARM.
Il est excessivement difficile de faire reconnaître ses diplômes
afin de devenir avocat en France ou Québec. Par exemple, un avocat
canadien provenant d'une autre province doit passer le même examen de
déontologie que l'avocat français voulant exercer au
Québec, mais doit en plus repasser deux examens de droit civil et
procédures afférentes alors même qu'il s'agit d'avocats
exerçant dans le même pays (Barreau du Québec, 2013). En
France, les avocats non membres de l'UE doivent repasser un examen d'aptitude
qui comprend un écrit et un oral, avec deux épreuves à
chaque fois. Les avocats québécois sont dispensés de trois
des quatre examens puisqu'ils ne doivent passer que « l'entretien de
quinze minutes environ avec le jury, portant notamment sur la
réglementation et la déontologie de la profession » (Conseil
National des Barreaux, 2009 : 7).
On peut conclure que la quasi-disparition de barrière
institutionnelle a encouragé un nombre d'avocats, plus important
qu'à l'habitude, à effectuer les démarches afin d'exercer
dans l'autre pays. Cette affirmation confirme notre hypothèse H1 voulant
que la suppression de barrière institutionnelle favorise
l'établissement de professionnels étrangers sur son territoire.
On doit toutefois relativiser l'augmentation des flux puisque que le nombre de
demande reste limité et ne représente même pas 0,2% des
avocats français et québécois.
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